"L'Homme que les arbres aimaient", d'Algernon Blackwood
BLACKWOOD (Algernon), L’Homme que les arbres aimaient, traduit de l’anglais par Jacques Parsons, préface d’Alexandre Marcinkowski, illustrations de Greg Vezon, Talence, L’Arbre vengeur, [1966, 1972, 1975] 2011, 378 p.
Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 64 (pp. 87-89).
Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.
En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
EDIT : Hop :
Ainsi que le rappelle fort à propos un bandeau, H.P. Lovecraft considérait Algernon Blackwood comme « le maître absolu et indiscuté de l’atmosphère fantastique ». On imagine mal parrainage plus flatteur, et ce quand bien même, semble-t-il, le créateur du mythe de Cthulhu émettait quelques réserves sur la production inégale de cet auteur ; il ne l’en plaçait pas moins au pinacle de la littérature fantastique britannique, aux côtés de Lord Dunsany et d’Arthur Machen.
L’Homme que les arbres aimaient, recueil de cinq textes (dont deux longues novellas) agrémenté d’une intéressante préface d’Alexandre Marcinkowski et d’une abondante bibliographie « multimédia », se veut une porte d’entrée idéale à l’œuvre de celui que les Anglais surnommaient « l’homme fantôme ». Promenons-nous dans les bois, puisque l’on nous y invite aussi joliment…
On commencera par évoquer les deux novellas de ce recueil, tant elles sont proches par leur thématique. Difficile en effet de ne pas établir un lien entre « Les Saules » et « Celui que les arbres aimaient », deux textes placés sous le signe de la nature ambiguë, « à la fois attirante et inquiétante » nous dit-on, où la surnature surgit presque insidieusement, au détour des fourrés.
« Les Saules », récit de 1907 qu’on jugera a posteriori passablement pré-lovecraftien, justement, décrit le périple de deux individus, un Anglais et un Suédois, descendant le Danube en canoë. Le paysage est superbe, tout de nature sauvage, et nos deux héros ne sont pas du genre à tenir compte des superstitions locales. Aussi font-ils escale pour la nuit sur une petite île ployant sous les saules ; mais doucement l’atmosphère en vient à changer, et le cadre idyllique de se parer de couleurs plus sombres ; on voit des ombres, on entend des bruits étranges ; un passé immémorial semble ressurgir ; et l’on commence à s’inquiéter vraiment quand les saules se rapprochent du campement… Un petit bijou d’atmosphère fantastique, effectivement : on frissonne délicieusement plus qu’à son tour au fil de ce long texte à la beauté du diable, ou de quelque évocation païenne. Algernon Blackwood y déploie tout un art de la description minutieuse, suscitant un paysage délicatement angoissant, où la surnature ne semble qu’esquissée, tant la nature, à elle seule, paraît déjà menaçante.
« Celui que les arbres aimaient » est peut-être encore plus réussi. Cette fois, c’est le caractère attirant de la nature qui justifie l’inquiétude, dans la mesure où elle est perçue différemment par les deux principaux protagonistes du récit : un vieil homme attaché à son bois, et son épouse, que l’on prend tout d’abord – et sans doute à bon droit – pour une sotte et une bigote, mais qui devient au fil du texte de plus en plus humaine et touchante dans la peur qu’elle éprouve pour le sort de son cher et tendre. La menace est encore plus insidieuse ici, et se passe d’effets de manche (quand bien même, de temps à autre, le vent soufflant dans les bois…) ; c’est dans l’abandon à la forêt que réside l’effroi, dans cette attirance de plus en plus prononcée pour les arbres majestueux, dans la symbiose avec la nature, suscitant la jalousie et la crainte. Magnifique.
Les trois nouvelles restantes sont également du plus grand intérêt : « Passage pour un autre monde », variation sur le Petit Peuple, reste imprégnée par cette prépondérance de la nature, le cadre étant celui de landes giboyeuses où une élite de chasseurs vient se livrer à son sport fétiche. Mais il y a aussi une jeune fille, qui pourrait bien, à l’équinoxe, succomber à un étrange appel, et emprunter le Passage qui fait frissonner les indigènes…
Une magnifique « ghost story », ensuite, avec « Le Piège du destin », récit de « maison hantée » très classique par bien des aspects, mais superbement conçu : deux hommes et une femme engoncés dans un triangle amoureux (ce qui nous vaut une très belle étude de caractères) relèvent le défi de passer une nuit dans une maison réputée inciter au suicide. Algernon Blackwood y fait montre de tout son talent de « fantastiqueur », et la nouvelle se révèle terriblement angoissante. C’est fou l’effet que l’on peut obtenir avec de simples bruits de pas…
Reste enfin « La Folie de Jones », astucieux récit sur la réincarnation, où une vengeance traverse les siècles. Là encore, Algernon Blackwood élabore un personnage complexe et attachant dans sa folie, et le résultat est tout à fait admirable.
L’Homme que les arbres aimaient est donc une réussite incontestable, une de plus à l’actif de l’Arbre vengeur (tiens, tiens), éditeur décidément fort sympathique, judicieux dans ses choix de textes, et qui nous régale régulièrement de ses trouvailles et exhumations. Un très beau recueil fantastique, qui ne peut que combler les amateurs du genre.
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