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"L'Homme truqué", de Maurice Renard

Publié le par Nébal

L-Homme-truque.jpg

 

 

RENARD (Maurice), L'Homme truqué, Talence, L'Arbre Vengeur, [1921] 2014, 133 p.

 

Il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un genre préexiste à sa dénomination : c'est après tout ainsi qu'il la rend nécessaire. Inutile, donc, à mon sens tout du moins, d'attendre Hugo Gernsback pour parler de « science-fiction » : celle-ci – ou si l'on y tient vraiment une « proto-science-fiction » – existait avant les pulps ricains des années 1920. Et, sans forcément remonter, tel un Pierre Versins, jusqu'à Gilgamesh, on s'accordera sans peine sur quelques noms essentiels, comme, outre-Manche, Mary Shelley et H.G. Wells, ou, encore, chez nous, Jules Verne et J.-H. Rosny. Mais il est d'autres auteurs qui, pour être moins célèbres, n'en ont pas moins une certaine importance. Si je ne m'abuse, Serge Lehman accordait ainsi une place toute particulière à Maurice Renard dans sa préface (tristement polémique...) à Retour sur l'horizon ; en effet, l'auteur entre autres des Mains d'Orlac avait théorisé ce que l'on qualifiait alors de « roman scientifique » ou de « merveilleux scientifique », dès l'aube du XXe siècle. On appréciera d'autant plus cette réédition de L'Homme truqué chez L'Arbre Vengeur, éditeur dont on peut bien louer les mérites, et qui poursuit ainsi une entreprise de réédition qui nous avait permis, entre autres, de nous pencher sur des auteurs aussi passionnants que Régis Messac ou Jacques Spitz.

 

L'Homme truqué répond bien en effet à cette définition, et a même de faux airs de manifeste (on pourra donc légitimement hausser un sourcil, mais guère plus, devant la qualification de « fantastique » systématiquement adoptée par le paratexte). Ce roman, qui conserve encore aujourd'hui une indéniable originalité, n'en introduit pas moins bien des thèmes « propres » à la science-fiction, des classiques tels que le savant fou ou le sixième sens. Mais inutile, pour ce faire, d'avoir recours à l'anticipation : Maurice Renard choisit bien au contraire de placer son « merveilleux scientifique » dans le passé immédiat, qui lui offre un cadre de choix, en l'occurrence la Première Guerre mondiale (ce qui donne vraiment une coloration toute particulière au roman, et explique sans doute le recours à des notions pour nous si déstabilisantes, tel le patriotisme, jusqu'en matière scientifique). La proto-science-fiction de Maurice Renard, en outre, se teinte ici quelque peu d'horreur (d'où la qualification de « fantastique », peut-être ?), ainsi que de roman policier dans un « prologue – épilogue » pour le moins saisissant, quand bien même il ne constitue – dans tous les sens du terme – qu'un prétexte.

 

Nous avons donc le docteur Bare, dans son patelin de Belvoux. Le bon praticien s'était lié, avant la guerre, au jeune Lebris, qui fut comme tant d'autres victime de la grande boucherie qui inaugura le XXe siècle. Ou, plus exactement, c'est ce que l'on croyait... En effet, une nuit, Lebris vient sonner à la porte de Bare ; il est bien vivant ! Mais aveugle... et ses yeux ont été remplacés par d'étranges sphères métalliques. On comprend bien vite, forcément, que ces yeux artificiels remplissent une fonction nécessairement étonnante pour le docteur Bare, mais Lebris ne veut pas être traité en phénomène de foire, et réclame la plus grande discrétion... jusqu'à sa mort, qui hélas ne saurait tarder. Le jeune soldat se montre donc assez évasif sur ce que lui est arrivé depuis qu'il a disparu de l'ambulance teutonne. Mais il aura beau faire, la vérité finira par percer... pour le malheur de tous.

 

On ne fera pas de L'Homme truqué un chef-d'œuvre ; on pourra même reconnaître au roman quelques menus défauts (notamment dans l'aspect « romance », ficelle narrative qui tient du cordage). Mais l'essentiel est que l'on prend un réel plaisir à la lecture de cette anomalie exhumée tardivement. La plume est agréablement surannée (on préférera ce terme à « datée ») et, si tout cela sent quelque peu la naphtaline, c'est en dégageant aussi un certain charme bienvenu. Surtout, le « merveilleux scientifique » joue pleinement, au travers de scènes hallucinées qui, donc, tiennent peu ou prou du manifeste ; le regard porté sur la science, mêlant la peur à l'enthousiasme, est particulièrement bienvenu ; et l'ambiance est délicieuse, qui fait convoler la petite histoire et la grande. Ce court roman se lit ainsi d'une traite, et séduit de bout en bout, en dépit de quelques faiblesses passagères, qu'on a tôt fait d'oublier tant le reste fonctionne bien.

 

On remerciera donc une fois de plus L'Arbre Vengeur pour cette réédition qui tombe à pic, en espérant qu'elle augure d'autres titres. Et, au-delà de la seule conviction d'avoir lu un bon roman, on y verra un élément supplémentaire confirmant que, si la France a connu un « âge d'or de la science-fiction », c'était sans doute avant que le terme ne soit importé. Et on se demandera, peut-être, où sont aujourd'hui nos Messac, Spitz et Renard...

 

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U
Mieux que la BD ?
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L
J'ai lu ce roman suite à ma déception à la lecture de son adaptation ultra-libre en BD. J'ai adoré ce texte bien ficelé, et me suis empressée d'acheter la réédition pour la médiathèque. D'ailleurs<br /> il ne fait que sortir depuis !
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