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"L’Odyssée de l’« Endurance »", de Sir Ernest Shackleton

Publié le par Nébal

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SHACKLETON (Sir Ernest), L’Odyssée de l’« Endurance ». Première tentative de traversée de l’Antarctique, 1914-1917, préface de Paul-Émile Victor, traduit de l’anglais par Marie-Louise Landel, avec des photographies de Frank Hurley, Paris, Phébus, coll. Libretto, [1988] 2011, 345 p. + [32] p. de pl.

 

Ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le signaler à plusieurs reprises sur ce blog interlope, les récits polaires, arctiques comme antarctiques, fictions ou pas, me fascinent. Et s’il est, parmi les expéditions de « l’âge héroïque », une qui me passionne tout particulièrement, c’est incontestablement celle de l’Endurance (que ce nom se révéla approprié !) conduite par Sir Ernest Shackleton en 1914-1917. Je me souviens d’avoir regardé émerveillé de remarquables documentaires à ce propos, et m’étais promis, il y a de cela ouf, au moins, de lire un jour le récit que le célèbre explorateur livra de cette incroyable aventure humaine (j’assume l’expression).

 

Préparant en ce moment la gigantesque campagne Par-delà les Montagnes Hallucinées pour  L’Appel de Cthulhu, je me suis dit qu’il était plus que temps de m’y mettre. L’Odyssée de l’« Endurance » constitue ainsi la première étape d’un petit cycle de lecture antarctique, qui se poursuivra avec trois fictions : Les Aventures d’Arthur Gordon Pym de Nantucket d’Edgar Allan Poe, Le Sphinx des glaces de Jules Verne, et, bien sûr, Les Montagnes Hallucinées de H.P. Lovecraft.

 

Mais revenons donc au réel, avec cet incroyable récit d’une ampleur épique rare, récit – Shackleton le dit dès le départ – d’un échec, et qui ne s’en révèle que plus héroïque en fin de compte, jusqu’à constituer, aux yeux du préfacier Paul-Émile Victor, « le classique absolu de la littérature du Froid ». Ajoutons d’emblée que cette édition est agrémentée de deux cahiers de superbes photographies de Frank Hurley, membre de l’expédition, qui permettent de vivre au plus près les événements racontés.

 

Shackleton – qui avait gagné le titre de « Sir » lors d’une précédente expédition, Nimrod, au cours de laquelle il avait failli (…) atteindre le pôle sud (c’était avant Amundsen et Scott, bien sûr) – se propose donc, en 1914 (avant le début de la guerre, qui faillit compromettre le projet), de réussir la dernière « grande entreprise à tenter dans l’Antarctique : la traversée de mer à mer du continent polaire sud ». Pour ce faire, il embarque avec son équipe à bord de l’Endurance, tandis qu’une seconde équipe, celle de l’Aurora, doit réaliser une mission de soutien en déposant des vivres de l’autre côté du pôle. Shackleton prend donc la direction de la mer de Weddell – très mal connue alors – dans l’espoir d’aborder l’Antarctique par cette face quasi inédite.

 

Mais, déjà, rien ne se passe comme prévu… à tel point que Shackleton ne posera même pas le pied sur le continent antarctique à proprement parler. L’Endurance est en effet pris dans la glace et contraint d’hiverner. Le navire est emporté par la dérive, qui l’éloigne chaque jour un peu plus de la terre ferme. S’ensuivirent 400 jours durant lesquels Shackleton et ses hommes furent emportés par la banquise, d’abord sur leur bateau, puis, quand celui-ci finit par se disloquer sous les assauts du pack, à pied. L’échec de l’expédition ne saurait alors plus faire aucun doute.

 

Shackleton en prend son parti, et se fixe un nouvel objectif : survivre, avec tous ses hommes… Aussi, L’Odyssée de l’« Endurance » n’a-t-elle finalement que peu de choses à voir avec le navire à proprement parler ; il s’agit pour l’équipage de joindre la terre ferme, ce qui s’annonce pour le moins compliqué. Après des mois d’un harassant voyage sur la glace meurtrière, Shackleton et tous ses hommes parviennent enfin sur l’île de l’Éléphant. Mais l’odyssée ne s’achève certainement pas là : tandis que la majeure partie de l’expédition est contrainte de rester tant bien que mal sur l’île, Shackleton embarque avec deux hommes dans un canot (!), le James Caird, pour tenter de rallier, dans des conditions absolument insensées, la Géorgie du Sud et y trouver des secours. Nouveau voyage épique ; et, une fois la terre abordée, il s’agit encore de se livrer à une dangereuse traversée à pied pour rejoindre la civilisation et trouver de quoi monter une expédition de secours pour les naufragés de l’Éléphant…

 

Et, aussi fou que cela puisse paraître, ça marche. Tous les hommes qui ont embarqué à bord de l’Endurance ont survécu. Et c’est là un authentique exploit : aussi, derrière l’échec du projet initial, se dessine en fin de compte le récit d’une vraie réussite, d’ordre humain ; Shackleton – qui n’en rajoute pourtant pas dans son récit – atteint ainsi à la stature d’un héros, chef idéal qui sait prendre des risques quand il le faut, et tout arrêter le cas échéant. Voilà le véritable sel de L’Odyssée de l’« Endurance » : cette volonté inébranlable de survivre, et de ramener tous les boys à la maison.

 

De l’autre côté de l’Antarctique, hélas, les choses se passèrent moins bien… L’Aurora est lui aussi pris dans la glace, dans la mer de Ross, et l’expédition de soutien – pour une traversée du continent polaire sud qui ne put donc se faire, ce qui ne fait qu’en rajouter dans l’absurde… – se soldera par trois décès, dont celui du commandant.

 

Shackleton n’est certes pas un styliste, et probablement pas un narrateur très brillant, avouons-le (et son récit n’est à mon sens guère servi par une traduction qui m’a parfois paru douteuse, mais je préfère éviter de trop m’avancer sur ce terrain-là). Les premières pages sont même assez arides – pour ne pas dire chiantes… – avec leurs sempiternels relevés de latitudes et longitudes. Le récit, qui suit le journal de Shackleton, et emprunte également à ceux des autres membres de l’équipe (ce qui est bien sûr inévitable pour le sort des naufragés de l’Éléphant et de l’expédition de soutien), est parfois aussi monotone que le paysage polaire…

 

Mais cela n’empêche pas ce livre de fasciner durablement. À partir de l’instant où Shackleton et ses hommes sont contraints de quitter l’Endurance – constat d’échec qui chamboule tout –, le récit, au-delà des lourdeurs stylistiques, devient incroyablement passionnant. On a à vrai dire du mal à croire que cette épopée a pu avoir lieu… et pourtant, les faits sont là. Formidable aventure humaine, décidément, que cette quête de la survie ! On souffre avec Shackleton et ses hommes, on est comme eux toujours sur le point de désespérer, même en connaissant le succès (ben oui) de l’entreprise ; et, sans qu’il cherche spécialement à se donner le beau rôle, on est séduit, et plus encore, par cet extraordinaire meneur d’hommes, au sens le plus noble, que fut le fameux explorateur polaire. Et l’émotion n’est pas absente de ces pages… a fortiori quand il s’agit pour le héros de narrer le triste sort de ses compagnons de l’Aurora, pour lesquels il n’a rien pu faire.

 

Après un démarrage un peu difficile, je ne peux donc que m’avouer conquis par L’Odyssée de l’« Endurance ». C’est effectivement un très grand livre d’exploration, porté par un souffle impressionnant sous la sécheresse et le laconisme des faits. Une lecture indispensable pour qui s’intéresse aux expéditions polaires, et très recommandable au-delà ; et, à mon sens, une des très rares illustrations de ce qu’est véritablement l’héroïsme, qui transforme l’échec initial en glorieuse victoire.

CITRIQ

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J
Alors je ne peux que vous recommander de lire "Un ciel de glace" de Mirko Bonné (Rivages 2008), traduit par mes soins, qui relate de façon beaucoup plus littéraire les aventures insensées de Sir<br /> Ernest Shackleton.<br /> Bonne lecture.<br /> Cordialement<br /> Juliette Aubert
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J
Oui, je m'en suis rendu compte en relisant le début de ton article. Le film est assez réussi, et m'a donné froid en plein mois d'aout. Je me demande bien ce que les marins de Schackelton ont<br /> déconné dans leurs vies antérieures pour récolter un karma aussi pourri.
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J
Arte rediffuse de temps en temps un documentaire absolument glaçant sur les péripéties de Shakelton, qui se conclut sur le destin tragique des survivants de l'odyssée, pour la plupart hachés menus<br /> à la guerre de 14.
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N
<br /> <br /> Yep, tout à fait. Ce fut probablement, il y a de ça un bail, mon premier contact avec l'Endurance.<br /> <br /> <br /> <br />
T
Que n'a-t-il poursuivi dans cette veine de la concision et de l'épure...
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N
<br /> <br /> Ca se discute...<br /> <br /> <br /> <br />
B
Stephen Baxter a fait une nouvelle monstrueuse d'exploration polaire, situé sur le pole Nord de... Mars! Et c'est en deux page!
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N
<br /> <br /> Me le faut.<br /> <br /> <br /> <br />
T
Et Les Fusils, camarade, tu as lu ?
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N
<br /> <br /> Mais oui, hop.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Je te recommande d'ajouter à ta liste de lectures "Nemo : heart of ice", BD de Dieu lui-même (qu'on appelle également Alan Moore, dans notre jargon), tout récemment sortie, dans le cycle de la<br /> Ligue des Gentlemen Extraordinaires. Peut-être après Pym et le Sphinx des Glaces, car d'abondantes références y sont faites.
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N
<br /> <br /> Yep, "on" me l'avait dit, faut que je me procure ça.<br /> <br /> <br /> <br />
M
C'est sûr que je vais l'acheter!!! J'adore cette collection où j'ai dévoré tous les Jack London et ce genre de récit d'aventure!
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N
<br /> <br /> Ben j'espère que ça te plaira, alors.<br /> <br /> <br /> <br />
L
Incroyable récit, effectivement, et incroyable aventure. Hurley, le photographe, était un type carrément ambigu. Sais-tu qu'il a bidouillé ses propres photos (leur faisant dire autre chose que ce<br /> qu'elles disaient, voir ajoutant des silhouettes en grattant la pellicule) pour les cycles de conférences qu'il a donnés plus tard ?<br /> Curieux de lire tes autres récits polaires. J'aime beaucoup Pym, personnellement, même si ça n'a pas grand chose de réaliste.
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N
<br /> <br /> Ah non, je ne savais pas pour Hurley, merci de l'info.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Les autres comptes rendus polaires arriveront très prochainement.<br /> <br /> <br /> <br />