"L'Ombilic des Limbes", d'Antonin Artaud
ARTAUD (Antonin), L’Ombilic des Limbes, précédé de Correspondance avec Jacques Rivière, et suivi de Le Pèse-Nerfs, Fragments d’un Journal d’Enfer, L’Art et la Mort, Textes de la période surréaliste, préface d’Alain Jouffroy, Paris, Gallimard, coll. Poésie, [1927, 1954, 1956, 1968] 2010, 256 p.
Comme vous le savez peut-être si vous êtes un habitué de ces pages interlopes, Nébal exècre les pouètes et la polésie. 99 fois sur 100, ça ne marche tout simplement pas sur moi. Rien d’étonnant, à cet égard, si, depuis que j’ai ouvert ce blog, je n’ai causé véritablement polésie qu’une seule fois, avec l’anthologie Poètes de l’Imaginaire de Sylvain Fontaine.
Polésie = caca.
Voilà.
Bon, il y a quelques exceptions, hein : comme tout le monde, et en particulier les adolescents, j’ai pris ma claque avec Les Fleurs du mal de Baudelaire, et j’aime beaucoup Rimbaud, notamment pour Une saison en enfer (mais on va y revenir). Un petit (ou pas forcément si petit que ça, d’ailleurs) Hugo, de temps en temps, ça peut le faire, aussi. Mais pas grand-chose de plus ; et, surtout, la polésie post-rimbaldienne m’est passablement hermétique, et me touche encore moins que celle qui précède, quand elle ne me fait pas tout simplement chier.
Mais voilà : de temps en temps (rarement…), il y a des bonnes âmes pour tenter de réviser mon jugement si tranché et à bien des égards débordant de mauvaise foi à l’encontre des pouètes et de la polésie. Cette fois, c’est le citoyen Soleil Vert qui s’est attelé à la tâche, en m’offrant (carrément ; merci encore !) le livre dont je vais (mal) causer aujourd’hui. Un recueil, donc, des premières œuvres d’Antonin Artaud, ce qui, soit dit en passant cher monsieur Vert, n’est peut-être pas la porte d’entrée la plus accessible pour découvrir la polésie, en l’occurrence contemporaine…
Antonin Artaud.
Son nom ne m’était pas inconnu, bien sûr, malgré mon insondable ignorance en matière de polésie. Je le savais plus ou moins guedin, et, en plus d’être pouète, théâtreux (vous ai-je dit aussi que je détestais le théâtre ?) et plus ou moins essayiste. Autant d’aspects de sa personne qu’on retrouve dans cet Ombilic des Limbes, qui est loin de se limiter au seul petit recueil éponyme.
Mais, sans jamais l’avoir lu jusqu’à présent, je m’étais déjà fait (mauvaise foi oblige) une image d’Antonin Artaud, sans doute parce que j’avais plusieurs potes (enfin, notamment un, Sire Planchapain pour ne pas le nommer) qui l’aimaient beaucoup. Cette image, c’était celle d’un pouète post-rimbaldien (justement), qui avait sans doute beaucoup kiffé Une saison en enfer et Les Illuminations, probablement aussi Les Chants de Maldoror de Lautréamont (dont ledit Sire était également fan, quand moi j’ai toujours trouvé ça péniblement adolescent), et qui flirtait plus ou moins avec le surréalisme.
Ben vous savez quoi ?
Cette image s’est retrouvée largement confirmée par ma lecture de L’Ombilic des Limbes et des autres textes qui l’entourent dans ce petit volume. Et c’est pas forcément bon signe…
Disons-le tout net : en effet, j’en suis le premier désolé, citoyen Vert, mais cette lecture n’a pas exactement chamboulé mon exécration des pouètes et de la polésie… Surtout pour une raison primordiale : je n’y ai absolument rien panné. Mais alors rien. Rien de rien. On m’a dit grosso merdo (pour me consoler ?) que celui qui prétendait comprendre la polésie d’Antonin Artaud était un menteur ou un cuistre. Ce qui me rassure en partie, mais en partie seulement.
Certes, je peux parfois aimer des textes sans y panner grand-chose, voire rien du tout. La Saison de Rimbaud, déjà évoquée plusieurs fois dans ce compte rendu qui s’annonce encore plus miteux que d’habitude, en est un bon exemple. Le Festin nu de William S. Burroughs en est un autre. Dans l’absolu, ce n’est donc pas inconcevable. Ceci en raison des grâces de l’écriture : la Saison, pour m’en tenir à cet exemple qui est celui qui, sans doute, se rapproche le plus des textes d’Artaud réunis dans ce recueil, j’y pige rien mais j’adore parce que, putain, c’est beau. La plume phénoménale du jeune Arthur fait vibrer mon petit cœur, parvient à susciter en moi toute une kyrielle d’émotions, des visions grandioses dépassant la stricte rationalité. Aussi, il n’était pas impossible que la polésie d’Artaud, en dépit de son caractère ésotérique, me touche ; mais – désolé donc monsieur Vert –, si cela a pu se produire à l’occasion, ce ne fut que trop rarement le cas lors de cette lecture ; non, je n’ai pas trouvé ça spécialement beau ; non, je n’ai pas trouvé ça spécialement puissant ; non, je n’ai pas trouvé ça spécialement stimulant… etc.
Le recueil s’ouvre sur la Correspondance avec Jacques Rivière (de la NRF). Ledit Jacques Rivière avait refusé le premier recueil de polésie d’Antonin Artaud. S’ensuivit une correspondance entre l’auteur et l’éditeur, que ce dernier trouva finalement intéressant de publier, en lieu et place des polésies proposées par Artaud. Bon, déjà, là, j’ai rien capté aux échanges de ces deux illustres intellectuels. Tout ce que j’en ai retenu, ce sont les obsessions d’Artaud, sa « maladie » de l’Esprit (presque toujours avec une majuscule) et son égocentrisme non exempt d’une touche de vanité. On sent déjà le bonhomme difficile à gérer, et, à vrai dire, cela ne me l’a pas vraiment rendu plus sympathique. Mais surtout, encore une fois, je n’ai à peu près rien compris à ces échanges relevant plus ou moins de la théorie littéraire (et ce n’est pas la seule fois dans ce recueil où Artaud joue, à sa manière, à l’essayiste, pour un résultat toujours déstabilisant).
L’Ombilic des Limbes, premier recueil publié d’Artaud si je ne m’abuse, est un bref fourre-tout où l’on trouve polésie en vers comme en prose, prenant parfois la forme de vagues essais, ou encore de « lettres » (comme – celle-là est amusante – celle adressée au « législateur de la loi sur les stupéfiants » : « tu es un con »…), ainsi qu’une brève et improbable pièce de théâtre, disons une saynète, franchement surréaliste et évidemment impossible à monter, Le Jet de sang. Là encore, à peu de choses près rien compris, et surtout rien ressenti. Tout cela, malgré la théorie qui infuse de temps à autre, évoque un peu l’écriture automatique, qui n’a jamais été à mon sens autre chose qu’une forme même pas vraiment subtile d’escroquerie (mais je suis de mauvaise foi, je vous le répète).
Même jugement, en gros, à l’encontre du Pèse-Nerfs, cette fois composé uniquement de petites pièces en prose. Pas compris, pas vibré. Passons.
Idem pour les Fragments d’un Journal d’Enfer…
C’est de très loin L’Art et la Mort qui m’a le plus touché dans ce petit volume. Il y a, cette fois, une certaine beauté formelle que je n’avais pas vraiment rencontrée jusque-là, et une manière de traiter des thèmes difficiles qui a su à l’occasion me parler… même si, bien évidemment, je n’y ai pas compris grand-chose.
Restent les Textes de la période surréaliste (Artaud fut un temps à la tête de la Centrale du bureau des recherches surréalistes), d’un intérêt très variable. J’en retiens surtout À la grande nuit, ou Le Bluff surréaliste, « lettre ouverte » assez virulente justifiant le départ d’Artaud du groupe surréaliste quand celui-ci a décidé de se rallier au communisme ; ça, c’est assez intéressant. Pour le reste…
L’Ombilic des Limbes est traversé d’obsessions, sur l’Esprit, la maladie, la mort, la sexualité, à la fin la Révolution. Ceci, je l’ai bien ressenti. Mais – donc – cela ne m’a pas vraiment touché, sauf exceptions… Désolé, monsieur Vert : si je te remercie très sincèrement pour ce gentil cadeau, je crains que ce ne fut un échec pour ce qui est de chambouler ma perception de la polésie, en l’occurrence contemporaine. Désolé, vraiment ; mais je ne vais pas te mentir, hein ? Ce livre, à l’évidence, n’était pas pour moi. Tant pis, c’est pas grave (et j’espère que de ton côté tu aimeras Rafael, derniers jours…).
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