"La Cité infernale", de Greg Keyes
KEYES (Greg), La Cité infernale, [The Infernal City (An Elder Scrolls Novel)], traduit de l’américain par Guillaume Le Pennec, Paris, Fleuve Noir, [2009] 2011, 349 p.
Nébal est un con, certes, mais c’est aussi un faible, ce que le présent compte rendu démontrera à qui en douterait encore. Et Nébal, accessoirement (ou pas, ici), est aussi un fan de la série de jeux vidéos The Elder Scrolls ; s’il a peu pratiqué Arena, arrivant un peu tard pour ça, il a pris son pied sur Daggerfall, Morrowind, Oblivion, et aujourd’hui Skyrim (mais ça je vous en parlerai plus en détail prochainement, en principe). Et un des atouts de cette série, c’est son univers, dans l’ensemble pas très original (Morrowind excepté), mais foisonnant comme peu de jeux vidéos osent se le permettre (à vrai dire, pour rivaliser, il n’y a guère que les Fallout, et encore…). Une partie du plaisir dans les Elder Scrolls consiste à s’imprégner de cet univers, par la conversation ou la lecture. Et si je n’irais pas jusqu’à dire que Tamriel n’a plus de secrets pour moi – c’est loin d’être le cas –, je connais néanmoins suffisamment cet univers pour m’y retrouver et en apprécier la richesse et la cohérence.
Aussi, quand, l’autre jour, j’ai croisé dans une librairie mal famée ce roman « tiré du jeu vidéo The Elder Scrolls », j’ai senti comme un petit tiraillement en direction du porte-monnaie ; et le nom de Greg Keyes, qui, contrairement à l’usage le plus répandu en matière de novélisations de jeux vidéos ou de jeux de rôle, n’est pas un complet inconnu, a achevé de me persuader de lire la chose, en me disant que peut-être…
Ben non.
Quel con !
Mais ne brûlons pas les étapes, et commençons par dire quelques mots de « l’histoire » (un bien grand mot…). Celle-ci se déroule 45 ans après la crise d’Oblivion, qui a mis fin à la dynastie des Septim et plongé l’Empire dans la décadence, nombre de provinces faisant sécession. L’empereur actuel, Titus Mede, a multiplié les efforts pour retrouver la grandeur d’antan, mais on en est bien loin… Aussi peut-on dire qu’à Tamriel, c’est le bordel. Et un événement supplémentaire ne va faire qu’accroître ce bordel généralisé : l’apparition de la cité flottante Umbriel, qui annihile toute vie sur son passage, et crée tant qu’à faire des armées de morts-vivants…
Nous suivrons (vaguement) trois points de vue face à ces tragiques événements. Le plus important, et de loin, est celui de l’alchimiste brétonne Annaïg, qui vit dans le Marais Noir, et est toujours à la recherche de l’aventure, ce que son ami argonien Mere-Glim traduit par : « les ennuis ». Suite à un artifice peu vraisemblable mais fort commode, nos deux « héros » se retrouvent à bord d’Umbriel, et vont en découvrir petit à petit l’étrange fonctionnement, Annaïg depuis les cuisines (si), où son talent pour mélanger des trucs et des machins fait des ravages, et Glim dans le puisard, là où tout commence et tout finit.
Parallèlement, nous nous intéresserons (…) au sort du prince héritier de l’Empire, ce jeune couillon d’Attrebus. Celui-ci vit dans un rêve de chanson de geste, et, bien sûr, à peine est-il au courant de l’existence d’Umbriel qu’il décide de s’armer pour courir sus au bidule. Bien sûr là encore, il tombe dans une embuscade qui l’oblige à ouvrir un peu les yeux sur sa triste condition de débile profond dont tout le monde abuse, et ne doit son salut qu’à l’intervention du mystérieux Sul, un mage dunmer ivre de vengeance, qui a lui aussi des comptes à régler avec Umbriel.
Enfin, de temps en temps, quand l’auteur ressent le besoin de noircir quelques pages à ce sujet pour arriver au quota final, nous suivrons (mais alors à peine) Colin, un assa… pardon, un espion au service de l’Empire, qui enquête sur la disparition d’Attrebus.
…
Quelle merde.
On voit difficilement ce que l’on pourrait sauver de cette catastrophe généralisée, marquée au sceau du foutage de gueule le plus éhonté. Car, oui, s’il est une certitude quand on a fini (et on se demande bien comment) ce bousin, c’est que Greg Keyes se moque comme de sa première chaussette tant de l’univers des Elder Scrolls que de ses amateurs. Les emprunts à l’univers créé par Bethesda sont minimalistes et généralement totalement artificiels, les quelques références que l’on croise ici ou là donnant l’impression d’avoir été hâtivement insérées pour donner un semblant de fond à une « intrigue » mal branlée du début à la fin. À ce compte-là, la conclusion du roman est tout à fait remarquable : elle est bâclée à un point tel que cela en devient franchement insultant… On sent vraiment l’écrivain « professionnel » qui remplit son quota en se foutant de tout, et notamment de ses lecteurs-vaches à lait.
L’espace d’un instant, j’ai cru trouver un semblant d’intérêt dans quelques idées développées à la hâte sur le fonctionnement d’Umbriel (qui se passe donc très bien de Tamriel) ou dans le portrait acide du prince Attrebus. Mais ce n’était qu’une illusion vite dissipée… Il faut dire que le ton puéril au possible (là encore, ça sent le foutage de gueule pur et simple) et le style navrant – le bousin est écrit avec les pieds, et visiblement traduit à l’arrache – n’arrangent rien à l’affaire, pas plus que les traits d’humour terriblement lourdingues qui parsèment l’ensemble, confirmant que Greg Keyes se moque de sa licence comme de ses fans. L’amateur des Elder Scrolls ne retirera absolument rien de cette chose, dans laquelle il ne reconnaîtra pas l’univers qu’il a appris à chérir ; quant au simple lecteur de fantasy, il trouvera plus certainement son bonheur ailleurs, à vrai dire presque n’importe où : même la plus putassière des épopées de big commercial fantasy a probablement plus d’intérêt, dès l’instant que l’auteur fait un minimum d’effort pour construire une intrigue qui tient la route ; car ici, ce n’est évidemment pas le cas. 350 pages pleines de vide, où rien, absolument rien, ne convainc et n’éveille au-delà d’un instant l’intérêt du lecteur consterné… ou con tout court, ainsi que votre serviteur, qui ne s’est que rarement senti aussi insulté à la lecture d’un livre.
Passez votre chemin, fuyez cette merde comme la peste. Mieux vaut écrire ses propres histoires en Tamriel au travers des jeux des Elder Scrolls, et de loin : même le personnage le moins cohérent donnera prétexte à des intrigues plus palpitantes et mieux foutues. Quant à l’univers, vu comment il est traité ici, on fera bien de s’abstenir de lire cette mauvaise blague cynique au sens le plus vulgaire, et de se contenter des éléments glanés à travers les jeux ou le ouèbe. Car c’est véritablement criminel que de massacrer ainsi une licence et d’écrire ou publier pareille insulte au bon goût et à l’intelligence.
Alors évidemment, j’aurais dû m’en douter… Mais rappelez-vous : Nébal est un con, et un faible. Si seulement ça pouvait lui servir de leçon…
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