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"La Genèse", de Robert Crumb

Publié le par Nébal

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CRUMB (Robert), La Genèse, [The Book of Genesis Illustrated by Robert Crumb], texte français établi par Lili Sztajn, Paris, Denoël, coll. Graphic, 2009, 219 p.

 

Une fois n’est pas coutume, je pensais (à tort) que ce compte rendu de ma lecture de l’adaptation de la Genèse par Robert Crumb risquait d’être plus court que d’habitude. En effet, l’histoire, vous la connaissez déjà… Ou vous devriez la connaître. La foi n’a rien à faire ici. Au risque de me répéter, en dépit de mon agnosticisme (ou peut-être à cause de lui ?), je n’en considère pas moins que toute bonne bibliothèque se doit de contenir une Bible (et probablement un Coran aussi). C’est tellement fondamental pour notre culture que l’on ne peut pas faire totalement l’impasse dessus, et, si je n’en réclame pas ainsi, bien évidemment, la lecture complète et une connaissance parfaite, il me semble que l’on doit toujours avoir ces textes sacrés sous la main, au moins à titre de références à consulter ponctuellement, comme un dictionnaire. Pour ma part, je n’ai jamais pu lire l’Ancien Testament en entier (j’ai toujours calé sur les Nombres…). Mais mes études comme mes lectures m’ont souvent amené à consulter les Écritures. Et je pense très sincèrement que l’on se doit d’avoir lu au moins la Genèse et l’Exode (et tant qu’à faire le Cantique des cantiques, parce que c’est bô…), pour ce qui est de l’Ancien Testament, et les Évangiles pour ce qui est du Nouveau.

 

Mais je m’égare. Nous parlons ici de la seule Genèse, adaptée très fidèlement par Robert Crumb : « Moi, R. Crumb, l’illustrateur de ce livre, ai, au mieux de mes aptitudes, fidèlement retranscrit chaque mot du texte original. » Et c’est vrai : voilà une version très complète de la Genèse (en fait, j’étais loin de me souvenir de tout ce qu’elle contient, et me demande si j’en ai déjà lu une version aussi riche…). On peut s’étonner de cet engouement du pape (si j’ose dire) de la BD underground américaine pour le premier livre de la Torah… En effet, on a plutôt connu le papa de Fritz the Cat, Mr. Natural, Snoid et toute une palanquée de BD avec des femmes à gros cul, porté sur la subversion. Or, ici, aucune intention de détournement (mais plein de femmes à gros cul quand même) : Crumb adapte fidèlement la Genèse, sans porter de jugement (du moins dans le texte : il y a une préface et des notes en fin d’ouvrage où il se permet, à juste titre, d’émettre quelques opinions personnelles, que ce soit sur le caractère humain et non divin de la Genèse, ou, thèse plus problématique à mon sens – j’y reviendrai –, sur le patriarcat et le matriarcat).

 

Et, le moins que l’on puisse dire, c’est que c’est une parfaite réussite. Crumb m’avait déjà bluffé avec son indispensable Kafka (avec David Zane Mairowitz) : son trait gras si caractéristique, et volontiers expressionniste, m’avait paru d’une parfaite adéquation pour conter la vie de Kafka et illustrer certains passages de ses œuvres les plus fondamentales. Même chose ici : aussi étonnant que cela puisse paraître à première vue, Crumb était probablement le meilleur auteur que l’on pouvait souhaiter pour illustrer la Genèse ; notamment parce que, en en faisant une bande dessinée, cet auteur pour adultes n’édulcore rien pour autant ; et son dessin a quelque chose de cru, de spontané, qui fait de cette Genèse une œuvre mise à nu, dont les innombrables personnages, entre dessin réaliste et très légère caricature, ressortent selon les cas embellis ou enlaidis, bref, sublimés, par le crayon d’un auteur qui s’est de toute évidence beaucoup documenté et livré corps et âme à son travail.

 

Quelques mots, malgré tout, sur le fond. Notons déjà que Crumb a illustré toute la Genèse, mais alors vraiment toute : ceux qui pensaient couper aux innombrables généalogies qui la parsèment en seront pour leurs frais. Non, vous saurez tout, tout, tout sur la Genèse. Et si l’auteur n’émet pas de jugement – il est trop respectueux de ce texte vénérable pour cela, et affiche dès le départ ses intentions de fidélité –, le lecteur, lui, se trouve probablement dans une autre position, plus souple. Ce qui suit n’engage donc que moi, l’agnostique portant sur l’athéisme, faut-il le répéter…

 

Mais si, ainsi que je l’ai rapporté plus haut, j’ai toujours considéré la connaissance de la Genèse, entre autres, comme fondamentale, je dois cependant dire que ce texte m’a toujours perturbé au plus haut degré. Ni grande épopée comme les anciens mythes et légendes (en dehors des premiers chapitres, disons de la Création au Déluge), ni ouvrage mêlant ouvertement histoire et « philosophie » comme la majeure partie du Nouveau Testament, la Genèse détonne, pour un texte sacré (et sans doute sa survie au fil des siècles, contrairement aux vieux mythes mésopotamiens, ainsi que le note d’ailleurs Crumb lui-même, n’en est-elle que plus remarquable). On s’étonne régulièrement, dans cette chronique d’un peuple de bergers, de (disons-le) l’immoralité qui s’en dégage. Les personnages bibliques sont souvent peu recommandables, à vrai dire : généralement menteurs et lâches, parfois pires encore, ils n’inspirent guère le respect et l’admiration. Lieu commun : Dieu lui-même n’échappe pas à ce jugement, tant il se montre jaloux, injuste et exigeant (très humain, finalement…). Sur des pages et des pages s’accumulent ainsi forfaits et autres vilenies, dont le sens profond échappe à première vue, et a fortiori la dimension édifiante… On pourrait évoquer bien des exemples en ce sens, mais vous les connaissez déjà pour la plupart, inutile donc de m’étendre sur le sujet.

 

Un point, cependant, me paraît mériter d’être souligné, et c’est, à mes yeux en tout cas – Crumb développe une analyse assez différente dans ses notes –, l’effroyable misogynie de cette introduction au Pentateuque. Je passe sur Ève et la pomme, hein… Mais, au-delà, les personnages féminins, malgré leurs gros culs, sont souvent particulièrement détestables : femmes jalouses, portées sur le mensonge et l’escroquerie, toutes plus ou moins obsédées, elles laissent une image guère flatteuse de la moitié de l’homme (dont elles ne sont après tout, hein, que le produit d’un os surnuméraire…). Pour Crumb, il faut voir dans ces anecdotes (notamment celles portant sur la stérilité ou l’astuce, qui revient par trois fois, consistant à faire passer son épouse pour sa sœur) un sous-texte traduisant une sorte de lutte originelle, ou plus exactement une ancienne cohabitation, entre traits patriarcaux et matriarcaux, avant que les premiers ne prennent définitivement le dessus, surtout dans les versions les plus tardives du texte. Si ce point de vue n’est pas inintéressant, j’avoue cependant qu’il me laisse assez sceptique… mais laisserai à chacun le soin d’en juger.

 

Quoi qu’il en soit, voilà une très belle et très précieuse adaptation de la Genèse, par un grand nom de la BD contemporaine. Une œuvre surprenante à maints égards, mais, et c’est là une certitude, réalisée de main de maître.

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