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"La Montagne morte de la vie", de Michel Bernanos

Publié le par Nébal

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BERNANOS (Michel), La Montagne morte de la vie, préface de Stéphane Audeguy, postface de Dominique de Roux, Paris, La Table ronde, coll. La Petite Vermillon, [1967, 1984] 2008, 174 p.

 

Je suis assez « grands petits livres », en ce moment. D’où ma lecture de cette Montagne morte de la vie, titre qui me faisait de l’œil depuis un certain temps déjà, dans la mesure où j’en avais entendu dire le plus grand bien, ici, là, et ailleurs. Ce format, entre novella et roman, est décidément, je crois, celui qui me convient le mieux. C’est vrai, quoi : marre des pavés, à la fin.

 

La Montagne morte de la vie est incontestablement le plus fameux livre de Michel Bernanos (fils de Georges), et fut publié à titre posthume par Pauvert en 1967 : l’auteur s’était suicidé en 1964, après avoir mené une carrière littéraire étrange de poète et d’auteur fantastique (Fleuve Noir inclus), sous divers pseudonymes. D’autres romans, centrés autour de celui-ci, constituent semble-t-il une sorte de cycle ; mais La Montagne morte de la vie, avec son titre étrange (et pas forcément très heureux), en constitue bien la pièce maîtresse.

 

Souvent présenté comme un chef-d’œuvre méconnu du fantastique français, ce court roman bénéficie d’une aura remarquable. Mais je dois dire de suite qu’il ne correspond pas vraiment à ce à quoi je m’attendais : je ne sais pas pourquoi (nom de l’auteur ? de l’éditeur ? carrière poétique parallèle ?), je supposais qu’il s’agirait d’un livre très léché, d’un bijou de style éventuellement abstrait. Or pas du tout. Ainsi que le note très justement le préfacier (vous pouvez par contre vous dispenser de la postface illisible et pédante), Michel Bernanos n’était probablement pas un grand styliste. Et si le roman doit s’inscrire dans une tradition, plus que dans celle de Borges, disons, et quand bien même l’allégorie est de la partie, ce serait plutôt dans celle du meilleur roman populaire, en l’occurrence entre aventures maritimes et horreur. J’ai pour ma part pensé à l’occasion à Lovecraft (surtout pour la conclusion), mais le nom de William Hope Hodgson, auteur qui me reste à découvrir, est peut-être plus proche de la vérité. On a aussi pu évoquer Jean Ray, mais, là encore, je dois faire preuve de ma sinistre inculture…

 

Mais passons. La Montagne morte de la vie se découpe en deux parties bien distinctes. Dans la première, nous voyons notre jeune narrateur, probablement aidé par la boisson, s’engager pour devenir mousse sur un galion (à quelle époque précisément ? si l’on dispose de quelques indices, on n’en saura guère davantage : le roman est passablement hors du temps, anachronique). La vie y est rude, et notre héros de se faire molester d’entrée de jeu par les brutes avinées composant l’équipage (hop, un coup de « grande cale », ça forme la jeunesse !). Heureusement, il trouve bientôt un protecteur en la personne de Toine, le cuistot. Mais cela n’empêchera pas la véritable horreur de fondre sur le navire, alors qu’au niveau de l’équateur le vent tombe. Paralysés, en proie à la famine et à la soif durant cette longue attente, les matelots en viennent à s’entretuer. Puis ce sera la tempête, et n’y survivront que Toine et le narrateur…

 

Mais leur calvaire n’est pas terminé : dans la seconde partie, nos deux naufragés s’échouent en effet sur une terre étrange et inhospitalière, baignant dans un soleil rouge et entourée d’une mer sanguine. Là, ils font la découverte d’une nature folle et impitoyable. Ils en viennent à croire que leur salut se trouve dans les montagnes ocres visibles à l’horizon ; et d’entreprendre le voyage vers cette destination mythique, un voyage au cours duquel les surprises ne manqueront pas…

 

Il y a la lutte, la volonté de « faire face », la quête du salut. Mais il y a surtout – et c’est là que réside indubitablement le talent de Michel Bernanos – des images somptueuses et effrayantes, fascinantes à tous les points de vue. Si la première partie fait preuve d’une efficacité certaine, et contient quelques beaux moments d’horreur, les visions surréalistes et démentielles de la seconde jouent dans une tout autre catégorie, bien autrement convaincante. C’est un véritable enfer que décrit l’auteur, un enfer dont on n’est même pas sûr qu’il soit bien terrestre… Et les images fortes, les tableaux suffocants de s’enchaîner, sans laisser le moindre répit à Toine et au narrateur, pas plus qu’au lecteur. Sorte de syndrome du voyageur pour nos deux héros, qui s’évanouissent régulièrement, variante stendhalienne pour nous. L’horreur se pare de traits merveilleux, la nature n’est jamais vraiment ce qu’elle a l’air d’être. Et la lumière rougeâtre de baigner le tout dans une coloration fantastique, dérèglement ultime d’une vie exubérante et folle, d’autant plus tétanisante qu’elle ne laisse aucune place à la chair : milieu vide et plein à la fois, qui redéfinit nos conceptions de l’être dans une abstraction fatale et superbe.

 

Je ne ferais pas pour autant de La Montagne morte de la vie un chef-d’œuvre, et dois avouer à cet égard une relative déception. C’est que ce court roman, pour être plus qu’à son tour bluffant, n’est pas non plus sans défauts : la plume de l’auteur connaît des hauts et des bas, l’enchaînement des événements, surtout dans la première partie, tient un peu de la course folle pas toujours très maîtrisée et non dénuée d’artifices, les caractères ne sont qu’à peine esquissés… Mais il y a ces images, qui rattrapent largement les quelques faiblesses de cette Montagne morte de la vie, pour en faire une lecture bel et bien marquante, un tableau vivant d’une beauté trouble et inquiétante.

 

Alors, oui, ce court roman mérite d’être lu ; il tient bien une place à part dans le fantastique français qui, si elle ne justifie peut-être pas le qualificatif suprême de chef-d’œuvre, lui vaut bien d’y consacrer une attention toute particulière.

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