"La Sortie est au fond de l'espace", de Jacques Sternberg
STERNBERG (Jacques), La Sortie est au fond de l’espace, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1956] 1990, 249 p.
Quoi de mieux, le jour de la supposée FIN DU MONDE, que de lire un (court) roman traitant de la profonde connerie de l’espèce humaine et narrant son annihiliation ? Bon, pour être franc, ce fut plus une coïncidence qu’autre chose. Mais ça tombait à pic. Et peut-être, inconsciemment, cela explique-t-il en partie pourquoi j’ai finalement lu La Sortie est au fond de l’espace avant le recueil de nouvelles Entre deux mondes incertains, qui prenait la poussière depuis bien trop longtemps dans ma commode de chevet (mais je l’en ai sorti, du coup). Bon, la vraie raison est sans doute ailleurs, cela dit, et à chercher, une fois de plus, dans La Science-fiction en France de Simon Bréan… Mais peu importe.
Après un très intéressant – et à bien des égards très lucide – prologue décrivant narquoisement l’évolution du monde depuis les années 1970 (le roman date de 1956), La Sortie est au fond de l’espace (pas très fan de ce titre, au passage, mais bon) débute par une belle journée de février 1998. Une journée destinée à faire date et à rester dans l’histoire… si histoire il devait y avoir par la suite. C’est en effet de ce jour que s’enclencha le processus destiné à mettre fin à l’espace humaine. Le narrateur anonyme, mauvais journaliste de son état, y assiste pour sa part dans un bar : quand le serveur ouvre le robinet, ce n’est pas de l’eau qui coule, mais un amas répugnant de larves bien vivantes. Notre journaleux croit tenir un scoop, mais l’événement l’a en fait pris de vitesse : dans les villes du monde entier, le phénomène se produit ; les microbes sont devenus géants, et on compte déjà quelques victimes, qui ont bu de l’eau juste avant la transformation fatidique…
Au début, les gens ne paniquent guère. On croit que le problème sera rapidement réglé, et le gouvernement se montre rassurant. Mais, bientôt, il faut se rendre à l’évidence : le problème ne sera pas réglé aussi facilement… Commence alors, dans la brutalité de l’état d’exception, un exode vers les campagnes, encore épargnées par l’étrange phénomène (seul l’eau filtrée par les canalisations est affectée). Mais celles-ci sont touchées à leur tour, et les fleuves et rivières de se transformer en répugnantes masses microbiennes en mouvement… Des morts, encore, de plus en plus nombreux.
On décide un exil là où il n’y a pas d’eau, pour fuir le problème : dans le désert. Les morts se multiplient de manière exponentielle, ce nouvel exode est particulièrement destructeur. Et, sous la supervision du savant J.-H. Diegher (seul personnage nommé du roman, avec Wiana, la compagne du narrateur), on se lance dans une entreprise folle, la seule chance de survie pour une fraction infime de l’espèce humaine : lancer des fusées avec à leur bord quelques milliers de rescapés à destination de Mars…
L’humanité est déjà presque annihilée. Mais elle n’est pas au bout de ses peines. Mars, en effet, malgré son atmosphère respirable (…), se révèle un environnement franchement hostile, où il est impossible de s’établir. Nouveau départ, nouvelle fuite en avant… vers une autre planète tout aussi invivable. Et les morts s’accumulent, au fil des voyages, de planète cauchemardesque en planète cauchemardesque… jusqu’à ce que les Terriens tombent sur les Sconges, originaires d’une autre galaxie, et si hospitaliers.
Sous la forme d’un journal, La Sortie est au fond de l’espace conte donc les derniers jours de l’espèce humaine (je n’ai pu m’empêcher, à cet égard, de penser à d’autres romans du même type, notamment, outre ceux de Ballard, Quinzinzinzili de Régis Messac et Génocides de Thomas Disch – que j’avoue avoir préférés, cependant, mais c’est une autre histoire). Jacques Sternberg est connu pour être un maître de l’humour noir, mais je ne qualifierais certainement pas ce roman de « drôle ». Dominent ici le cynisme, le pessimisme et la misanthropie ; le portrait que dresse l’auteur de l’espèce humaine n’est en effet guère flatteur (mais pas davantage hilarant) : les hommes, ici, sont répugnants, à bien des égards davantage que les microbes géants qui infestent l’eau. Sordides singes insignifiants obnubilés par leur place et leurs règlements, arrogants et stupides, égoïstes et cruels, ils méritent bien tous de crever comme les merdes qu’ils sont.
La Sortie est au fond de l’espace, aussi, ressort pas mal du registre de la fable. Ce qui explique sans doute pour une bonne part pourquoi le roman ne s’embarrasse guère de la vraisemblance. Je ne vise pas tant ici l’origine de l’annihilation de l’espèce humaine (pourquoi pas, après tout ?) que la posture du narrateur et l’exode spatial des rescapés terriens. Mais bon, on s’en fout un peu. Et, quelque part, cela confère même à ce roman un certain charme, relevant peut-être davantage du « merveilleux scientifique » antérieur que de la science-fiction à proprement parler.
Quoi qu’il en soit, et malgré ce défaut tout relatif (et quelques autres : si le style est dans l’ensemble agréable, on relève tout de même quelques pains ici ou là), La Sortie est au fond de l’espace frappe au ventre, et fait mal. On ne ressort pas indemne de la lecture de ce court roman qui malmène l’humanité avec une sorte de jubilation sadique. Et, même si l’on peut rester sceptique dans un premier temps devant certains développements, les derniers chapitres, absolument fabuleux, dans l’utopie des Sconges, relèvent le niveau et, cette fois, sont pleinement convaincants (malgré une révélation ultime qui n’en est pas une).
Ce n’est pas parfait, donc, mais c’est indéniablement fort. Une lecture bienvenue, une fois de plus idéale pour les fêtes.
Allez, crevez tous.
Commenter cet article