"La Triste Histoire des frères Grossbart", de Jesse Bullington
BULLINGTON (Jesse), La Triste Histoire des frères Grossbart, [The Sad Tale of the Brothers Grossbart], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurent Philibert-Caillat, Paris, Bibliothèque interdite – Éclipse, coll. Horreur, [2009] 2011, 471 p.
Premier roman de Jesse Bullington (qui a une chouette moustache), La Triste Histoire des frères Grossbart se présente comme étant la version « modernisée » d’obscurs récits médiévaux, plus ou moins dans la lignée du Roman de Renart (même si, en « préface », l’auteur mentionne cette filiation pour la relativiser aussitôt). Ceci, si l’on y ajoute quelques bons échos entendus ici ou là et, une fois n’est pas coutume, une très sympathique couverture d’Istvan Orosz, explique sans doute pourquoi je me suis lancé dans cette lecture.
Cela explique également, j’imagine, le caractère relativement atypique de ce roman, difficile à « catégoriser ». Très franchement, parler « d’horreur », comme l’indique la collection, me paraît pour le moins poussif, de même que la brève quatrième de couverture fait dans le bête racolage en désignant Hegel et Manfried Grossbart comme « les premiers tueurs en série de l’Europe médiévale »… Que nenni. Fantastique, voire fantasy, admettons, mais horreur, malgré d’assez nombreuses éclaboussures de gore, non. D’ailleurs, cette Triste Histoire ne l’est pas vraiment, « triste » ; elle fait plutôt (ou tente de faire…) dans l’humour noir, vaguement teinté de burlesque. Le livre prête nettement plus à rire qu’à trembler.
Nous sommes donc en 1364. Nos « héros », Hegel et Manfried Grossbart, sont des profanateurs de sépultures, de vilaines canailles, qui n’hésitent pas non plus à tuer et voler les vivants, si jamais ils trouvent une bonne raison à cela (et c’est pas bien difficile). Mais, à la différence du rusé goupil mentionné plus haut, les frangins sont aussi de sacrés couillons… Ce n’est pas grave : « Louée soye la Vierge ! » Ils ont la bénédiction de Marie, qui vaut autrement mieux que sa petite fiotte de fiston et que son violeur de Seigneur. Hegel dispose par ailleurs de la « vue des sorcières », une sorte de sixième sens qui lui octroie régulièrement des visions de l’avenir, et l’avertit du danger.
Et du danger, ils vont en rencontrer, les frérots, tout au long de leur odyssée vers le sud, la « Gypte », où leur grand-père aurait amassé des trésors, sur lesquels ils comptent bien poser leurs vilaines pattes fangeuses. C’est l’époque qui veut ça : guerres, famines, épidémies de peste… mais aussi monstres, sorcières et démons ! Et dans la mesure où les Grossbart partent après avoir commis un massacre dans leur village natal, ils ont dès le début des ennemis farouches aux basques… N’y manque plus que la malédiction d’une sorcière. Et c’est ainsi que Hegel et Manfried tournent chasseurs « d’hérétiques » et tueurs de démons, « louée soye la Vierge ! » ; et de répandre progressivement l’hérésie grossbartienne…
Pour les raisons évoquées plus haut, j’attendais beaucoup de ce livre. Aussi, quelle déception ! Ce n’est certes pas là le roman que l’on m’a tant vanté. S’il est un sentiment que La Triste Histoire des frères Grossbart a suscité au cours de ma lecture, c’est indiscutablement l’ennui. Je n’irais peut-être pas jusqu’à le qualifier de fondamentalement mauvais, mais ce roman me paraît néanmoins bien représentatif de ces bonnes idées gâchées qui laissent un désagréable arrière-goût en bouche.
Il y a plusieurs raisons à cela. Je pense que la première tient à l’écriture. Je ne crois pas que la responsabilité en incombe au traducteur, qui a par ailleurs su rendre tout le savoureux des répliques des frangins Grossbart, ce qui n’était sans doute pas évident (il abuse cependant du « cependant » et néanmoins du « néanmoins »). Mais voilà : dialogues exceptés, tout cela est très morne… et parfois – en particulier lors des scènes d’action – carrément laborieux et confus. Je mets quiconque au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Or ces dernières ne manquent pas, le roman attaquant d’ailleurs en force sous cet angle ; ce qui, dès le départ, donne une mauvaise impression…
La construction du récit me paraît également critiquable. Certes, il s’agit largement d’un récit picaresque, ce qui justifie bien des ellipses, distorsions temporelles, etc. N’empêche, ce n’est pas très bien géré. Le pire exemple, sans doute, réside dans la traque des Grossbart par Heinrich, le père et l’époux des premières victimes des satanés frangins : de brefs chapitres qui tombent comme autant de cheveux sur la soupe, jusqu’à la rencontre finale, pour laquelle cette expression tient de l’euphémisme. Mais il y a aussi un certain nombre de retournements de situation guère convaincants…
J’ajouterais que le Moyen Âge dépeint dans cet ouvrage m’a paru bien peu consistant, n’en déplaise à l’auteur qui cite en fin de volume ses références bibliographiques. Et ce cadre maladroit et parfois clichetonneux n’aide pas à apprécier le livre.
C’est d’autant plus dommage qu’il y a malgré tout de bonnes choses dans cette Triste Histoire. Les Grossbart sont assurément de bons personnages, de même que le prêtre Martyn et le capitaine Barousse. Les dialogues, comme je l’ai déjà dit, sont la plupart du temps réjouissants. Et, parfois, oui, on ose un sourire… mais bien trop rarement pour que le livre emporte l’adhésion.
Alors, oui, en définitive, il s’agit bien d’une Triste Histoire… Déception.
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