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"La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés", d'Akiyuki Nosaka

Publié le par Nébal

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NOSAKA (Akiyuki), La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés, [Honegami Toge Hotoke-Kazura, Macchi-Uri no shojo], traduit du japonais par Corinne Atlan, Arles, Philippe Picquier, coll. Picquier Poche, [1967, 1969, 1997] 2003, 110 p.

 

J’ai découvert Akiyuki Nosaka lors de ma période « Le Japon, c’est le bien » (dont je vous avais causé  ici). Deux lectures seulement avaient suffi à me convaincre qu’il s’agissait là d’un des plus grands écrivains nippons contemporains : la première, sans surprise, ce fut ce sommet d’émotion qu’est le récit largement autobiographique intitulé La Tombe des lucioles (superbement adapté au cinéma par Isao Takahata, sous le titre Le Tombeau des lucioles) ; mais la nouvelle qui suivait, dans le même volume, laissait déjà supposer la riche palette de l’auteur, impression confirmée peu après par la lecture de l’hilarant roman Les Pornographes. Mais je n’en avais rien lu depuis un bail, faute d’en trouver d’autres titres ; j’avais pourtant entendu dire grand bien de cette Vigne des morts sur le col des dieux décharnés (j’adore ce titre), mais impossible de mettre la main dessus jusqu’il y a peu. Et puis joie ! joie ! grâce au bon goût légendaire de la librairie Charybde, dont on ne dira jamais assez de bien, je l’ai enfin déniché. Inutile de dire que je me suis précipité dessus, même si divers impératifs m’en ont fait retarder la lecture. Mais il était bien temps de m’y mettre, et, mazette, je peux d’ores et déjà dire que je ne le regrette pas, bien au contraire.

 

Il s’agit d’un tout petit bouquin regroupant seulement deux textes, « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés », donc, et « La Petite Marchande d’allumettes ». Deux fabuleux récits érotiques plus ou moins en forme de paraboles, où Éros convole plus que jamais avec Thanatos, pour un résultat aussi poétique que délicieusement sordide. La plume de Nosaka, merveilleusement rendue par la traduction de Corinne Atlan, y est d’une beauté sans pareille, alternant moments de grâce et horreur pure, poignant et scabreux, avec une touche d’humour « autre » qui n’appartient qu’à lui.

 

Le long récit intitulé « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés » prend pour cadre la mine de charbon Kazura, paumée dans la montagne, et dresse à sa manière pour le moins originale un étonnant mais pertinent tableau de l’histoire du Japon au XXe siècle. Takao, la fille du propriétaire Sakuzô Kazura, nous est tout d’abord présentée sous les traits d’une adorable petite fille prise de passion pour les jolies fleurs de la vigne qui pousse dans le cimetière où l’on enterre à la hâte les mineurs décédés par accident (ce qui arrive fréquemment) et les bébés victimes d’une mortalité infantile très élevée. Las, elle a beau multiplier les efforts, cette vigne ne semble pas fleurir ailleurs que sur le col des dieux décharnés… C’est que – et le récit acquiert ici une légère mais jolie dimension fantastique – ce parasite se nourrit des morts, ainsi que Takao le comprend assez vite, avant même d’hériter de la mine.  Je ne vais bien évidemment pas vous raconter toute l’histoire, mais je peux vous dire, sans rentrer dans les détails, et dans la mesure où la quatrième de couverture ne s’en prive pas, que tout cela va virer progressivement dans un délire érotico-macabre et passablement sadien, où la communauté des mineurs et de leurs familles va s’engager inéluctablement dans une perpétuelle orgie incestueuse et homicide. Nosaka, de sa très belle plume, d’une poésie remarquable malgré le sordide des tableaux, nous conte ainsi une surréaliste et grotesque (dans le bon sens du terme) histoire de grandeur et décadence et, derrière la mine Kazura, c’est tout le Japon de l’ère Shôwa que l’on entrevoit, avec la Seconde Guerre mondiale pour point d’orgue. Je n’hésiterai pas à qualifier ce récit de chef-d’œuvre, et le terme ne me paraît vraiment pas trop fort. « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés » est un texte extraordinaire, d’une singularité forte, bien révélateur du talent comme des obsessions d’Akiyuki Nosaka ; c’est rien de le dire, mais on n’en sort pas indemne : une merveille, vous dis-je.

 

« La Petite Marchande d’allumettes » n’a probablement pas le même brio, mais c’est néanmoins un récit tout à fait recommandable (euphémisme). Il s’agit d’une variation érotique sur le conte d’Andersen (qui a dû s’en retourner dans sa tombe…). La petite Oyasu y expose son corps déjà ravagé, proposant à ses clients d’entrevoir son sexe à la lueur d’une allumette pour une somme dérisoire. Mais, derrière ce prétexte, c’est toute la (courte, bien sûr) vie d’Oyasu que nous raconte Akiyuki Nosaka ; une vie scabreuse au possible, la petite fille étant très tôt livrée à la passion d’adultes, l’amant de sa mère et son beau-père en premier lieu… Elle sombre ainsi dans la prostitution, mais sans vraiment en ressentir de gêne : c’est qu’Oyasu est en quête de son père, qu’elle n’a jamais connu, et multiplie les incestes symboliques, criant « Papa ! Papa ! » quand des hommes mûrs la prennent… Le récit, qui, à l’instar du précédent, ne manque pas d’un certain humour décalé, est là encore susceptible de plusieurs lectures, et parvient à se montrer émouvant malgré son caractère sordide, sans sombrer excessivement dans le pathos pour autant. Et si j’y ai largement préféré « La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés », décidément extraordinaire, cette « Petite marchande d’allumettes » se lit également avec beaucoup de plaisir.

 

Comme pour Kwaidan de Lafcadio Hearn dont je vous entretenais hier, je n’adresserai donc qu’un seul reproche à La Vigne des morts sur le col des dieux décharnés : celui d’être si court… C’est tellement bon que l’on se trouve terriblement frustré une fois arrivé à la dernière page ; on en veut encore, de ces textes brillants, trash, fous, drôles, horribles, poignants… Akiyuki Nosaka m’a une nouvelle fois bluffé avec ce court recueil, que je vous encourage chaudement à lire (de même que ses autres œuvres) ; quant à moi, je vais me mettre en quête d’autres écrits du bonhomme, parce qu’il le vaut bien, c’est le moins qu’on puisse dire.

CITRIQ

Commenter cet article

N
QUOI !?!<br /> Mais que fait Natacha ? :p
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N
J'espère qu'il est à C.
Répondre
N
<br /> <br /> Je ne crois pas. Je crains d'avoir chopé le dernier. Mais à vérifier.<br /> <br /> <br /> <br />
A
Pendant que je m'enfuis sous les décharges de chevrotine et de clous rouillés de ton service d'ordre, j'ai juste le temps de hurler par-dessus mon épaule : "Nébal, hé ! T'as lu l'Encyclopédie des<br /> Fantômes de Noirez ? Il fait la part belle au fantastique japonais et c'est beau comme du Noirez !"
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N
<br /> <br /> Non, pas lu, je note, merci.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Mais tu crois quand même pas t'en tirer comme ça ?<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> BANG ! BANG !<br /> <br /> <br /> <br />
A
(Je m'en vais tout doucement, pardon, pardon)
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N
<br /> <br /> Non. Plus vite que ça !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Oksana s'améliore, si j'ai bien compris ?
Répondre
N
<br /> <br /> ...<br /> <br /> <br /> <br />