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Le Chant du barde, de Poul Anderson

Publié le par Nébal

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ANDERSON (Poul), Le Chant du barde. Les meilleurs récits de Poul Anderson, ouvrage proposé et publié sous la direction de Jean-Daniel Brèque, avant-propos de Jean-Daniel Brèque, traduit de l’américain par Denise Hersant, Bruno Martin, Michel Deutsch, Pierre Billon, Jean-Pierre Pugi et Jean-Daniel Brèque, traductions revues et complétées par Jean-Daniel Brèque, Saint Mammès, Le Bélial’, [1953, 1957, 1960, 1963, 1968, 1970-1972, 1981] 2010, 586 p.

 

Ma chronique vient du beau site du Cafard Cosmique. Je la reproduis ici au cas où.

 

 

Poul Anderson a longtemps souffert d’un certain ostracisme en France ; il n’est d’ailleurs qu’à voir son étique fiche d’auteur sur le néanmoins beau site du Cafard cosmique pour s’en persuader, laquelle ose dire que « son œuvre n’est pas réellement impérissable »… Allons bon ! Heureusement, de l’eau a coulé sous les ponts depuis et, notamment grâce à l’exégète Jean-Daniel Brèque et aux éditions du Bélial’, on a pu revenir sur cette image défavorable. On leur doit ainsi la parution intégrale du cycle de « La Patrouille du temps » (enfin !), entre autres ; et aujourd’hui, la fine équipe nous concocte une sorte de best of science-fictif de l’auteur, sur son format de prédilection qu’est la novella. Un beau pavé comprenant neuf textes, qui totalisent six prix Hugo, un prix Locus et trois prix Nebula, oui, rien que ça. « Pas réellement impérissable » ? C’est ce qu’on va voir…

 

Le recueil obéit à la chronologie de la publication des textes, ce qui explique peut-être sa tendance au crescendo : s’il démarre sur un mode plus ou moins mineur, il ne cesse au fil des nouvelles de gagner en puissance, jusqu’à l’apothéose constituée par les trois dernières, toutes titulaires d’au moins deux prix. Aussi les premières novellas peuvent-elles sembler anodines, ou juste sympathiques ; c’est particulièrement le cas de « Sam Hall », nouvelle écrite dans le contexte du maccarthysme, et qui décrit une révolution conduite par un personnage imaginaire généré par ordinateur ; pas inintéressant, cela dit, et cela présage sur certains points le fameux Révolte sur la Lune de Robert Heinlein.

« Jupiter et les centaures » retient cependant davantage l’attention… surtout aujourd’hui, dans la mesure où un certain film à grand succès très récent dont le titre commence par un « A » et finit par un « R » ressemble largement à cette nouvelle très inventive, pour le reste assez influencée, comme le note Jean-Daniel Brèque dans sa note d’introduction, par un fameux épisode du classique de Clifford D. Simak Demain les chiens. On notera aussi que l’on peut y voir une forme de résurgence mythologique, ce qui reviendra plusieurs fois dans les textes ultérieurs, et notamment les meilleurs. Tout à fait intéressant.

Avec « Long cours » (prix Hugo 1961), on attaque les textes primés. Poul Anderson nous livre ici une sorte de texte post-apocalyptique très particulier, un tantinet vancien, et qui vibre tout entier d’un thème qui lui est cher : la liberté de choisir son destin. Là encore, c’est quelque chose qui reviendra dans le recueil.

Et ce dès le texte suivant, « Pas de trêve avec les rois ! » (prix Hugo 1964), nouvelle bien plus complexe et ambiguë qu’il n’y paraît au premier abord, et qu’il serait triste de balayer du revers de la main en la qualifiant bêtement de « réactionnaire », comme on a pu le faire en France à l’époque. Ce récit de guerre civile déchirant une famille dans une Amérique post-cataclysmique est une réussite indéniable, qui vaut bien plus que ça.

« Le Partage de la chair » (prix Hugo 1969) est un texte également assez subtil, sur les différences culturelles et la difficulté du jugement, ici poussée à son paroxysme puisque portant sur un acte vraiment atroce : le cannibalisme. Bien vu.

Mais c’est sans doute avec le pourtant non primé « Destins en chaîne » que l’on attaque les très grands textes de ce recueil. Il s’agit à l’origine d’un projet initié par l’écrivain Keith Laumer, qui rédigea un prologue, et mit au défi quatre de ses confrères de poursuivre le récit… dont le protagoniste venait de mourir. Poul Anderson, Gordon R. Dickson, Harlan Ellison et Frank Herbert relevèrent le gant. Mais Anderson s’amusa en outre à pasticher Philip K. Dick, qui l’avait lui-même mis en scène dans sa nouvelle « Projet Argyronète ». Le résultat est une excellente satire et une parodie de la plus belle eau, qui devrait régaler tous les amateurs des deux grands écrivains de science-fiction.

Arrive maintenant le tiercé gagnant du recueil, avec tout d’abord ce qui constitue probablement son sommet, « La Reine de l’Air et des Ténèbres » (Prix Hugo 1972, Nebula 1971, Locus). Un vrai chef-d’œuvre que cette novella mêlant avec une adresse exemplaire enquête policière, science-fiction et mythologie celtique, et où l’on retrouve en outre le thème de l’autodétermination. La quintessence de l’art de Poul Anderson, qui livre ici une de ses plus belles pièces. Un monument impérissable (si).

Suit « Le Chant du barde » (prix Hugo 1973 et Nebula 1972), très belle relecture science-fictive et rebelle du mythe d’Orphée, le harpiste étant ici confronté à un dieu informatique. Bien vu et très fin.

Et le recueil de s’achever sur une longue pièce visionnaire et palpitante, « Le Jeu de Saturne » (prix Hugo 1982 et Nebula 1981), où une mission d’exploration spatiale se trouve parasitée par une sorte de jeu de rôle médiéval-fantastique… avec les avantages et les inconvénients que ce « psychodrame pour adultes » peut présenter.

 

Le bilan est sans surprise : Le Chant du barde est bien un excellent recueil, indispensable aux amateurs de Poul Anderson, et constituant probablement une bonne porte d’entrée pour ceux qui souhaiteraient découvrir cet auteur que l’on aurait sans doute tort de vouloir enterrer trop vite. Il fut bien un des très grands auteurs américains de science-fiction, et les neuf textes ici repris en témoignent amplement.

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