"Le Conte des Contes", de Giambattista Basile
BASILE (Giambattista), Le Conte des Contes, [Lo Cunto de li Cunti, overo Lo trattenemiento de peccerille], traduit du napolitain et préfacé par Myriam Tanant, Paris, Libella – Phébus, coll. Libretto, [1634-1636, 1986] 2012, 118 p.
Bon, je ne vais pas vous refaire l’article sur la fourberie de ces êtres viscéralement pervers que sont les libraires – à force, vous devez avoir l’habitude. Passons donc outre, et contentons-nous de dire que, sur l’étal des nouveautés, mon œil a été attiré par ce titre énigmatique et cette jolie couverture d’Arthur Rackham. La chose étant brève (et pour cause, on y reviendra…) et pas chère, je me suis dit que hop, et ai dûment fait l’acquisition de ladite.
Le Conte des Contes, parfois également connu sous le nom de Pentaméron en référence au chef-d’œuvre de Boccace (non, je ne l’ai pas lu, et c’est MAL) est un recueil de contes en napolitain, rédigé par Giambattista Basile et publié à titre posthume en 1634-1636. C’est une œuvre de précurseur en la matière, bien antérieure aux travaux de Perrault et des frères Grimm, et qui s’est effectuée dans un état d’esprit différent. Le Conte des Contes, c’est un peu comme pour Le Roman de Renart, en fait : un état primitif des choses, où la verve et la crudité l’emportent sur la candeur des retranscriptions édulcorées que nous connaissons tous. Ici, même si le texte est destiné en principe aux pitinenfants, la métaphore se fait crue, et le texte n’en est que plus délicieux.
Le Conte des Contes, originellement, présentait un dispositif formel particulier, des conteuses se succédant sur cinq journées pour livrer leurs histoires. On ne retrouvera pas ce dispositif ici, pas plus que l’intégralité des contes : précisons d’emblée que ce petit livre n’est qu’un florilège, une sélection de douze contes sur une cinquantaine, superbement traduits du napolitain par Myriam Tanant. Ce qui est passablement frustrant – j’espère pouvoir un jour mettre la main sur une version intégrale en français, mais ne sais pas si cela existe vraiment. Parce qu’il faut avouer que c’est de la bonne. De la très bonne, même.
Nous avons donc ici douze contes : « La Branche de myrte », « La Chatte Cendrillonne », « Le cœur fécondant », « La Vieille Écorchée », « Le Prince enchanté », « L’Ourse », « Visage », « Le Scarabée, le rat et le grillon », « Les Petites Pizzas », « Le Bel Ingrédient », « Soleil, Lune et Thalie » et « Les Trois Cédrats ». On reconnaît dans certains l’ébauche, ou plus exactement le premier état, de contes plus célèbres, tels « Cendrillon » ou « La Belle au bois dormant ». Mais la comparaison s’arrête bien vite, tant le texte de Giambattista Basile, merveilleusement transposé, s’éloigne des standards du conte. On le compare en quatrième de couverture à Rabelais ou Bosch, et il y a de ça en effet. C’est truculent, paillard, enjoué, grivois, et ça a suscité en moi un enthousiasme débridé, tel que je n’en avais pas ressenti depuis un bon bout de temps. Un vrai régal que ce petit florilège, qui donne méchamment envie d’en savoir plus. Le petit livre se dévore d’une traite, et, si le lecteur du XXIe siècle peut à l’occasion soupirer (et encore, le terme est peut-être un peu fort…) devant la scatologie de « Le Scarabée, le rat et le grillon » ou, plus franchement, devant le « racisme » des « Trois Cédrats », toutes choses égales par ailleurs, ce sont là choses négligeables, et qui ne font que témoigner de l’esprit du temps.
Car c’est une véritable immersion dans un passé mythique que nous propose Le Conte des Contes, avec ses rois et ses princes en veux-tu en voilà. Un passé imaginaire, et à bien des égards universel, où la surnature guette partout, sous la forme de fées bonnes ou mauvaises. Un univers parfois cruel, où des tortures sans nom sont infligées, par les mauvais ou, en guise de jugement – souvent choisi par les victimes elles-mêmes, d’ailleurs – par les héros. Un monde où l’on ripaille plus qu’à son tour, et autres paillardises, à l’occasion d’une succession de mariages heureux ou moins heureux.
Mais quoi qu’il en soit, du « Il était une fois » inaugural au petit proverbe ou dicton qui conclut systématiquement le conte et lui confère un semblant de morale (parfois un peu tarabiscotée), c’est à chaque fois un délice, servi par une langue magnifique – et étrangement moderne, à l’occasion. Les contes, concis à l’extrême, se font plus bavards lors de tirades épiques et savoureuses, parfois à hurler de rire. Et c’est ainsi un perpétuel enchantement que ce petit livre, qui donne assurément envie d’en savoir plus.
Aussi, ce n’est peut-être pas la dernière fois que je vous entretiens ici du Conte des Contes de Giambattista Basile ; on verra bien… En attendant, je peux bien vous recommander chaudement ce florilège remarquablement savoureux : m’étonnerait que vous soyez déçus.
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