Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"Le Cycle d'Hastur", de Robert M. Price (dir.)

Publié le par Nébal

Le-Cycle-d-Hastur.jpg

 

 

PRICE (Robert M.) (dir.), Le Cycle d’Hastur, [The Hastur Cycle], traduit de l’anglais par Anne Vétillard, Montigny-les-Metz, Oriflam, coll. Nocturnes, [1997] 2000, 378 p.

 

Retour, après une longue interruption, sur les anthologies de lovecrafteries dirigées par Robert M. Price et publiées en français (approximatif, la traduction est une fois de plus au mieux médiocre, et souvent indicible…) dans l’éphémère collection « Nocturnes » d’Oriflam, avec un volume bancal, mais qui n’en est pas moins d’un certain intérêt. Plus que jamais, et Robert M. Price insiste sur ce point dans sa préface « La Mythologie d’Hastur », Lovecraft, avec toute son originalité qu’il n’est pas question de nier, est ici à bien des égards un maillon dans une longue chaîne. Aussi ce volume fait-il la part belle aux précurseurs du Maître de Providence (et c’est, autant le dire de suite, son aspect le plus intéressant).

 

Mais on peut aussi d’ores et déjà noter le caractère foncièrement « bancal » de ce volume (qui n’en est pas moins, jusqu’à présent, celui qui m’a le plus convaincu dans cette collection). En effet – et cela ne rend que plus absurde la suggestion derlethienne, rejetée par Lovecraft, de qualifier l’ensemble des lovecrafteries de « Mythe d’Hastur » (pour une raison que l’on verra plus loin) –, le seul texte de Lovecraft ici retenu, « Celui qui chuchotait dans les ténèbres », n’évoque qu’en passant Hastur (lieu ou dieu ? la réponse varie selon les textes) et tout ce qui va avec, ce qui n’a donc aucunement un caractère central…

 

Aussi, au-delà de la distinction un peu forcée entre « précurseurs » et « continuateurs », qui ne se montrerait guère pratique en définitive, c’est bien trois ensembles de textes que l’on peut constituer : les premiers traitent de la mythologie d’Hastur, etc., sans nécessairement tenir compte de Lovecraft (et pour cause, ces textes étant généralement antérieurs… mais pas tous) ; les seconds tournent autour de « Celui qui chuchotait dans les ténèbres », et n’entretiennent que peu de liens avec la mythologie d’Hastur, etc., voire aucun ; les troisièmes, enfin, constituent la mythologie d’Hastur, etc., à proprement parler, et font parfois œuvre de syncrétisme.

 

Le premier ensemble est de très loin le plus intéressant de ce volume. C’est qu’on y trouve de fort belles plumes (enfin, je dis ça, mais la traduction étant ce qu’elle est, broumf…), des écrivains majeurs qui livrent des textes généralement très convaincants. Tout commence avec deux nouvelles d’Ambrose Bierce, qui définissent le « lexique » hasturien : la première, « Haïta le berger », est une jolie fable bucolique et mélancolique, dans laquelle Hastur est une divinité pastorale, sans connotation particulière ; la seconde, « Un habitant de Carcosa », complète le vocabulaire thématique : on y voit apparaître la cité morte de Carcosa, on y évoque le prophète Hali, et l’on y mentionne Aldebaran et les Hyades, qui sont vues dans le ciel ; l’ambiance est remarquable, dans [SPOILER] cette histoire de fantômes où le narrateur découvre qu’il est mort (déjà !). Le deuxième grand auteur de cet ensemble est bien évidemment Robert W. Chambers, maillon essentiel dans cette chaîne, surtout pour  Le Roi en Jaune, bien sûr (les deux textes ici repris en sont tirés), mais on pourrait aussi évoquer, même si le lien est moins direct,  Yue Laou. Le faiseur de lunes. Comme mon compte rendu du  Roi en Jaune était pour le moins lapidaire (et donc merdique), je peux me permettre de détailler ici quelque peu les deux nouvelles qui en sont tirées. « Le Réparateur de réputations » est une anticipation barrée, qui prend place à New York en 1920 ; dans ce fascinant récit, aussi original que déroutant, apparaît le thème essentiel pour nous de la pièce de théâtre Le Roi en Jaune, qui rend fou ceux qui la lisent ; mais ce n’est qu’un aspect de cette excellente dinguerie, évoquant entre autres des centres officiels de suicide et une improbable dynastie impériale américaine… Absolument génial. « Le Signe jaune » est une nouvelle beaucoup plus classique, mais néanmoins bien ficelée, confrontant un peintre décadent et son modèle au hideux gardien d’une église… Belle atmosphère. Après ces quatre textes de « précurseurs », on passe aux « continuateurs », qui ne passent donc pas nécessairement par la case Lovecraft. Une merveille, tout d’abord : « Le Fleuve des songes nocturnes » de l’excellent Karl Edward Wagner. Une détenue s’évade lors d’un accident de bus ; elle trouve refuge dans une maison isolée, où elle prend l’identité de Cassilda (on retrouve d’autres noms empruntés à Chambers) et fait la lecture du Roi en Jaune pour la maîtresse de maison… Une superbe nouvelle sur la folie, qui finit en gros délire sado-maso : j’adore. Plus anecdotique, James Blish livre avec « Plus de lumière », pour l’essentiel, une version de la pièce Le Roi en Jaune, supposée écrite par Chambers et communiquée par Lovecraft (Hastur y est un lieu) ; c’est correct, amusant disons, mais sans plus.

 

Le deuxième ensemble s’ouvre avec une influence fondamentale de Lovecraft, à savoir Arthur Machen. « Le Roman du sceau noir » est une intéressante variation sur le « Petit Peuple », branche oubliée de l’évolution, foncièrement cruelle. Le lien avec H.P. Lovecraft peut paraître ténu, mais il est pourtant revendiqué, dans un sens, dans « Celui qui chuchotait dans les ténèbres » (avec les autres récits de Machen sur le « Petit Peuple » – voir  Le Cycle de Dunwich), excellente nouvelle, véritable classique du Mythe, qui est pour le coup, tout de même, bien plus originale, et ne saurait donc être réduite à cette filiation. Je ne reviens pas sur les détails de ce texte (au pire, jetez un œil sur mon compte rendu de sa rigolote adaptation cinématographique, The Whisperer in Darkness) ; on notera par contre que Hastur, etc., ne sont qu’à peine cités (ce qui ne fait que confirmer le caractère bancal de ce recueil). Après quoi Richard A. Lupoff livre avec « Notes sur l’affaire Elizabeth Akeley » une suite à la célèbre nouvelle de Lovecraft, qui prend place une cinquantaine d’années plus tard ; on notera qu’Akeley y est « volontaire », et non une victime ; le côté amusant de la chose est qu’elle se situe dans le milieu des sectes et de l’ufologie… mais c’est quand même franchement pas terrible. « La Mine sur Yuggoth » est un des premiers textes de Ramsey Campbell publiés par Derleth : quête d’immortalité et mineurs crustacés… C’est très mauvais. Reste enfin « Atterrissage sur Yuggoth » de James Wade, très courte nouvelle adaptant Lovecraft au cadre des années 1970 (ici, en l’occurrence, une anticipation d’un vol habité à destination de Pluton à la fin du XXe siècle…) ; au mieux anecdotique…

 

Le troisième ensemble est le plus court, et c’est sans doute tant mieux… On commence inévitablement avec August Derleth, et sa nouvelle « Le Retour d’Hastur » (qu’il était en train d’écrire quand il fit la suggestion évoquée plus haut, tout s’explique…) ; on y trouve hélas déjà le gloubi-boulga derlethien habituel (dieux bons, panthéon élémentaire, abus de références lovecraftiennes mal digérées…), et la conclusion est franchement ridicule ; d’ici là et malgré tout, c’est une série Z « honnête » (disons qu’on aurait pu craindre pire)… Le meilleur texte (ou le moins mauvais…) de cet ensemble est probablement « Celui qui festoie de loin » de Joseph Payne Brennan, certes banal mais amusant et correctement écrit… On y note une allusion aux Whateley, ce qui nous renvoie au Cycle de Dunwich. Et le recueil de s’achever avec Lin Carter et « Les Guenilles du Roi », titre générique regroupant trois brefs textes syncrétiques : « Litanie pour Hastur » est un ensemble de quatre mauvais sonnets, sur lesquels on pourra allègrement faire l’impasse ; « Histoire de Carcosa sur Hali » constitue le plus intéressant de ces « Guenilles du Roi » : il s’agit d’un court fragment « mythologique » tournant principalement autour du nécromancien Hali et de la malédiction d’Hastur (un peu lourd, mais correct) ; reste enfin « Le Roi en Jaune, une tragédie en vers », « révision » de l’adaptation de James Blish évoquée plus haut, d’un intérêt passablement douteux.

 

Comme tous les autres volumes de la collection qu’il m’a été donné de lire pour l’instant, Le Cycle d’Hastur est donc extrêmement inégal ; mais, si les « continuateurs » sont le plus souvent au mieux médiocres (avec une exception de taille pour Karl Edward Wagner, certes), les « précurseurs », ici abondamment représentés, sont tous fort intéressants. Aussi ai-je dans l’ensemble plutôt apprécié cette lecture, instructive et assez stimulante malgré son côté bancal. À suivre…

CITRIQ

Commenter cet article