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"Le Moineau de Dieu", de Mary Doria Russell

Publié le par Nébal

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RUSSELL (Mary Doria), Le Moineau de Dieu, [The Sparrow], traduit de l’américain par Béatrice Vierne, Paris, Albin Michel – Pocket, coll. Science-fiction, [1996, 1998] 2001, 574 p.

 

Tout d’abord, merci à qui de droit, en l’occurrence l’indispensable Alice Abdaloff, pour avoir attiré mon attention (et celle de milliers d’autres lecteurs auditeurs de la Salle 101) sur cet excellent premier roman et, tant qu’à faire, me l’avoir prêté, ce fut bien aimable. Car Le Moineau de Dieu de Mary Doria Russell représente à peu de choses près tout ce que j’aime en science-fiction, et s’inscrit d’ailleurs plus ou moins dans la filiation d’un de mes auteurs fétiches du genre, à savoir Ursula K. Le Guin.

 

Problème : je manque un peu d’inspiration en ce moment pour causer de bouquins, et crains de ne pas être à la hauteur – d’où la pause qu’a connu ce blog, et que je vais peut-être prolonger, on verra… Mais bon, essayons quand même.

 

Adonc : au début du XXIe siècle, on capte à l’observatoire d’Arecibo, dans le cadre du programme SETI, des émissions radios en provenance d’une civilisation extraterrestre – de la musique, en l’occurrence. Et surgit bien évidemment l’idée d’aller contacter ces « Chanteurs », dans le système d’Alpha du Centaure. Mais cette idée est en premier lieu l’apanage, non pas des Nations Unies, qui se perdent en tergiversations, mais des Jésuites… Et d’un Jésuite en particulier, le père Emilio Sandoz, charismatique et sympathique comme c’est pas permis – mais c’est là une caractéristique propre à la plupart des personnages du roman, remarquablement bien campés. Le père Sandoz engage ses amis les plus proches sur le projet, et c’est là – de la préparation à l’exécution – une première trame du roman.

 

Mais il y en a une deuxième. En effet, aux environs de 2060 – relativisme oblige – le père Sandoz est de retour. Seul… C’est que l’expédition a tourné au fiasco le plus total, et que tous les autres membres de l’expédition ont péri sur la planète des Chanteurs – chose que l’on apprend dès le début du roman, je ne spoile rien. En outre, on accuse le père Sandoz, qu’on aurait pu imaginer en d’autres temps comme un héros de l’exploration spatiale, d’avoir commis le pire : de s’être prostitué, d’avoir commis un homicide, et probablement – horreur glauque – d’avoir perdu la foi… Aussi se retrouve-t-il, dans un état déplorable – mutilé, dépressif – entouré d’une kyrielle de Jésuites amenés à enquêter sur les étranges événements qui se sont produits au cours de cette expédition, et, dans un sens, à « juger » Sandoz…

 

Le roman, modèle de construction intelligente, alterne entre ces deux trames avec un brio peu commun, et ce n’est pas là le moindre atout du Moineau de Dieu, qui se révèle un page turner des plus efficaces. Ce qui suffirait probablement à en faire un bon roman.

 

Mais il est d’autres éléments qui contribuent à en faire un excellent roman. Les personnages, notamment, tous plus sympathiques les uns que les autres, dans tous les sens du terme : on se prend très vite d’affection pour eux tous, et on souffre avec eux – mais on connaît aussi la joie la plus pure, celle de la science, celle de la foi, celle de l’amitié, voire de l’amour. Le Moineau de Dieu est à cet égard une réussite remarquable, et on ne peut que témoigner de la plus forte empathie (eh oui) à l’égard de ces personnages qui en viennent à former une sorte de « famille » idéale, où les liens de l’affection la plus authentique remplacent ceux, si fragiles, du sang.

 

Autre réussite notable, et qui rapproche donc à mon sens Mary Doria Russell d’Ursula K. Le Guin : la création d’une écologie extraterrestre diablement complexe et fascinante. On se prend nécessairement d’intérêt pour la vie des Chanteurs (et… mais je n’en dirai pas plus, aha), et c’est avec un plaisir sans borne que l’on participe littéralement à l’exploration et la découverte de Rakhat. L’auteur nous livre ici une très belle performance de science-fiction « ethnologique », rappelant les plus belles réussites du genre.

 

Et puis il y a l’intelligence du propos, et notamment de ce questionnement judicieux et juste de la foi, au travers notamment du personnage d’Emilio Sandoz. Traiter de Dieu et de la croyance en Lui et en Ses œuvres n’est guère chose aisée, mais Mary Doria Russell sait aborder tous les angles du problème avec une délicatesse et une finesse telles que l’on ne peut – oui, même un agnostique forcené tel que votre serviteur – que se prendre d’intérêt pour la chose, et trouver à vrai dire toutes ces considérations proprement passionnantes.

 

Mais s’il est un point, donc, qui fait à mon sens la force du Moineau de Dieu, c’est bien, au risque de me répéter, ses personnages. J’en ai rarement lu d’aussi beaux, en science-fictionnie comme ailleurs. On les aime, oui, littéralement. Ils sont tous, avec leurs défauts, tellement sympathiques…

 

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, cependant : si je me suis régalé à la lecture de ce premier roman, je n’en ferais pas pour autant un chef-d’œuvre (encore que, au sens strict…). Il souffre en effet de quelques menus défauts : la crédibilité de l’intrigue n’est pas toujours très convaincante, notamment – dès le postulat de cette mission jésuite dans l’espaaaaaaaaaaaace, quand bien même elle renoue avec une longue tradition que l’on connaît bien, mais aussi dans certains développements ultérieurs ; en outre, le roman se montre à l’occasion quelque peu bavard, et, malgré toute l’affection que l’on voue aux personnages, on peine à l’occasion devant quelques évocations de leur quotidien, notamment sur le chapitre des relations humaines, a fortiori amoureuses – avec d’inévitables et parfois un brin pénibles considérations sur la chasteté.

 

C’est peu de choses, néanmoins, et cela ne vient certainement pas bouleverser le premier sentiment que l’on ressent presque nécessairement pour ce Moineau de Dieu : nous tenons en effet là un roman de science-fiction tout simplement brillant, d’une intelligence rare, d’une empathie (oui) peu commune, une vraie réussite dans son genre et sans doute au-delà – ce qui explique probablement sa première publication en « blanche ».

 

Il semblerait qu’il existe une suite, non traduite, à la réputation pas terrible – il faut dire que ce Moineau de Dieu se tient parfaitement tout seul. Bon, ma curiosité étant ce qu’elle est, je la lirai peut-être un de ces jours… Mais, en attendant, et quoi qu’il en soit, je ne peux que vous encourager à lire ce superbe roman, témoignage éloquent de ce que la science-fiction peut produire de plus intelligent et sensible.

CITRIQ

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J
J'approuve vos compliments envers ce roman.<br /> <br /> En revanche, je ne suis pas d'accord avec les bémols que vous apportez, car les aspects que vous critiquez sont au contraire très bien vus et cohérents avec le propos du roman.<br /> <br /> D'abord, l'idée que, grâce à leurs réseaux puissants, les Jésuites organisent cette mission spatiale est à la fois crédible (l'audace exploratrice a précisément été le crédo et la grande<br /> caractéristique des Jésuites à travers l'histoire !) et très intrigante et amusante.<br /> À la rigueur, cette simple idée est tellement originale par rapport aux postulats habituels de la SF qu'elle justifie le livre à elle seule ! En tout cas, elle permet de poser le cadre : c'est<br /> d'abord un livre sur une mission religieuse, c'est une confrontation extraordinairement fertile, celle de la foi et de la science.<br /> <br /> Ensuite, les considérations sur la chasteté n'ont vraiment rien d'excessives ni de déplacées. L'objet du roman est annoncé dès les premiers chapitres : il s'agit de comprendre qui est Emilio Sandoz<br /> ! Tout est là, il s'agit d'essayer de comprendre s'il est un prêtre "par nécessité" mais désinvolte voire ironique, ou s'il est un mystique profondément religieux. Et sa difficulté à envisager une<br /> relation amoureuse est d'une part un premier indice sérieux de son mysticisme (lequel mysticisme explique sa destruction morale radicale et terrible, une fois rentré sur Terre), et d'autre part une<br /> occasion pour l'auteure de nous confronter à l'univers mental d'un religieux. Ces épisodes sont au contraire extrêmement importants, et relèvent de la même démarche que les questionnements<br /> linguistiques ou ethnologiques : essayer de nous faire percevoir "l'autre".<br /> <br /> J'ai envie de dire, en plaisantant un peu, que si ces passages sur le refus de l'engagement amoureux (car c'est ça qui pose problème bien plus que la chasteté physique) vous ont paru excessifs,<br /> c'est que vous n'avez pas complètement compris le cœur et la tension qui dirigent Emilio Sandoz... et qu'il serait donc judicieux que vous relisiez le roman :-).<br /> <br /> En tout cas, l'un des ressorts essentiels du Moineau de Dieu est tout simplement de dérouler une enquête sur un homme, mais vraiment sur l'âme profonde d'un homme (j'emploie ce terme dans son sens<br /> profane et pas forcément religieux, je suis moi-même athée). Qui est vraiment Emilio Sandoz ? Une telle enquête oblige à l'empathie, puisque c'est une enquête humaniste et ouverte (de la part de<br /> l'auteure), une enquête sur l'étincelle intime.<br /> <br /> À la rigueur, si j'avais une critique à formuler, ce serait envers... la sympathie générale que le lecteur éprouve à l'égard de tous les membres de l'expédition (et même d'une partie des Jésuites<br /> interrogeant et soignant Emilio à son retour). Trop de personnages sympathiques, voilà qui pourrait être un peu "bisounours". Mais je modère immédiatement cette critique en notant que pour autant<br /> les personnages ne sont pas simplistes, c'est surtout que l'auteure nous apprend à les aimer "malgré" leurs défauts et non pas en cachant leurs défauts. C'est là une démarche assez extraordinaire<br /> et vraiment brillante. En outre, la violence psychologique des chapitres qui se situent après le retour d'Emilio (certains, notamment vers le début, sont vraiment très noirs, très durs) impose<br /> certainement cette empathie générale pour équilibrer notre regard.<br /> <br /> Bon, je pourrais parler longtemps de ce chef-d’œuvre (car pour moi, c'est bien un chef-d’œuvre), alors j'arrête là.
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T
Merci pour ce conseil de lecture, suivi. Un excellent roman de SF, en effet. Deux bémols lors de la lecture : un peu trop de pages sur la chasteté et le sacerdoce. La frustration d'en savoir<br /> finalement très peu sur la société des Chanteurs (moins que sur...); est-ce l'un des objets de la suite... ?
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N
<br /> <br /> D'accord sur le premier bémol ; mais pas vraiment sur le second, ça me paraît justifié par le cours du récit. Je ne sais absolument rien de la suite, c'est possible ; mais ça n'a pas très bonne<br /> réputation, donc...<br /> <br /> <br /> <br />
C
Bon, m'en vais l'acheter après manger, c'est tout-à-fait mon genre de bouquin : intéressant, intelligent, ET avec des personnages sympathiques (sinon, je suis comme les gosses, j'y arrive pas...)
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N
<br /> <br /> Ben j'espère que ça te plaira, hein.<br /> <br /> <br /> <br />
T
Bizarrement, un roman quasiment jamais cité dans les innombrables listes des meilleurs livres de SF. Alors que, pourtant, quelle merveille !
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L
Un excellent livre de S.F. que j'ai chroniqué il y quelques temps.<br /> <br /> Le Papou
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