"Le Peuple du tapis", de Terry Pratchett
PRATCHETT (Terry), Le Peuple du tapis, [The Carpet People], traduit de l’anglais par Patrick Marcel, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1992] 1997, 188 p.
Le Peuple du tapis est le premier roman de Terry Pratchett, qui l’avait écrit à l’âge de dix-sept ans. L’auteur, qui avait entre-temps connu le succès avec « Les Annales du Disque-monde », a révisé ultérieurement ce péché de jeunesse longtemps indisponible pour le soumettre à nouveau à publication, devant les demandes insistantes de ses fans. Et c’est en quoi ce livre a bel et bien deux auteurs, ainsi que Pratchett l’explique lui-même dans une brève note précédant le roman.
Quoi qu’il en soit, on trouvait déjà dans ce premier ouvrage bien des traits typiques du créateur de Rincevent et compagnie. Le goût pour la fantasy parodique, bien sûr, ici particulièrement exacerbé peut-être puisque c’est la high fantasy à la Tolkien qui trinque, dans un sens ; le goût pour les univers inattendus, aussi, le Disque-monde étant ici présagé par un simple tapis où se nichent entre les poils bien des êtres farfelus ; et puis, déjà (à moins que ce soit l’effet de la révision ?), ce ton très particulier, où des considérations fort sérieuses (notamment d’ordre religieuses, philosophiques et politiques) se mêlent à l’humour le plus fantasque et burlesque, pour donner au final un roman éminemment pratchettien.
Nous sommes donc dans un tapis, au milieu des poils et de la poussière ; des cendres y tombent, du sucre, des pièces de monnaie. Mais c’est aussi un écosystème très riche, où vivent bien des êtres intelligents (ou presque). Le tapis est largement sous la domination de l’empire dumii (qui a inventé un truc aussi phénoménal que l’argent pour maintenir sa domination, ça aide). La tribu des Munrungues n’en subit à vrai dire pas vraiment le joug, se contentant de se faire recenser de temps à autre et de verser un impôt à cette occasion, ce qui satisfait tout le monde. Mais, un jour, les agents du recensement ne se présentent pas ; il faut dire que leur ville a été ravagée par le grand Découdre, bien étrange phénomène de destruction massive, qui entraîne dans son sillage des hordes de moizes chevauchant des snargues (ce qui peut effectivement rappeler quelque chose…).
Les frères Glurk et Snibril Orkson, à la tête de la tribu, secondés par le chaman excentrique Forficule, philosophe rationaliste, conduisent donc leur peuple dans un long et dangereux périple, et entendent bien faire la lumière sur les agissements des moizes et la nature du grand Découdre. En chemin, ils tomberont sur des compagnons remarquables, tels le général dumii Fléau ou le roi des Fulgurognes Brocando (parce que Terry Pratchett croyait encore à l’époque que la fantasy devait s’embarrasser de rois et tout le baltringue ; mais ils prennent cher, quand même…). Et, sous le regard apaisé des Vivants qui se souviennent du futur, ils vont contribuer à changer le monde, en construisant eux-mêmes leur destin et en écrivant l’histoire ; et pour ça, il faut survivre. Ce qui n’est pas gagné.
Le Peuple du tapisest ainsi, sous ses dehors incongrus et burlesques, une épopée, une véritable saga, du genre de celles qui ont inspiré Tolkien pour Le Seigneur des Anneaux et plus encore Le Silmarillion. Rien n’y manque, absolument rien ; quelques glissements du vocabulaire ne sauraient dissimuler les influences profondes de ce court roman, pas plus que l’humour omniprésent, qui ne fait cependant pas toujours mouche. On prend cependant dans l’ensemble beaucoup de plaisir à participer à cette grande aventure microscopique, et l’on s’attache volontiers aux pas des protagonistes (avec en ce qui me concerne une mention spéciale pour le philosophe Forficule et l’excité Brocando ; tous les personnages n’ont pas leur épaisseur, si j’ose dire).
Mais, à l’évidence, donc, tout Prachett est déjà là, ce qui est en soi assez impressionnant. L’univers est foisonnant, même s’il n’a sans doute pas l’originalité du Disque-monde ; il est cependant tout à fait charmant, et l’on s’amuse bien à fouler le tapis, dénicher une allumette au milieu des poils, ou escalader une pièce à l’effigie d’Elizabeth II. L’histoire, donc, n’est en elle-même pas vraiment originale, mais peu importe ; à vrai dire, comme souvent chez Pratchett, c’est ailleurs que se situe l’intérêt, et notamment dans ce ton très particulier que j’évoquais plus haut, et qui, à certains égards, fait davantage de l’auteur un science-fictionneux qu’un fantaisiste (une histoire de boulons…).
À titre documentaire, Le Peuple du tapis est donc tout à fait intéressant, et il y a fort à parier qu’il saura convaincre les fans du Disque-monde et compagnie. On n’en fera certes pas du très grand Pratchett, on ne prétendra pas que ce coup d’essai était déjà un coup de maître, mais cela reste une lecture des plus sympathique, passablement rafraîchissante. Pour ma part, je n’en demandais pas davantage. Et comme davantage il y a malgré tout…
Commenter cet article