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"Le Silence de l'Espace", de Tommaso Pincio

Publié le par Nébal

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PINCIO (Tommaso), Le Silence de l’Espace, [Lo spazio sfinito], postface de Luca Briasco et Mattia Carratello, traduit de l’italien par Éric Vial, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2002] 2003, 206 p.

 

Acheté lors d’une séance de dédicace de Tommaso Pincio dans la toute nouvelle toute belle librairie Charybde, cela faisait un moment que Le Silence de l’Espace me faisait de l’œil. On n’avait en effet pas tari d’éloges sur ce court roman sorti directement en poche, à vue de nez totalement délirant comme je les aime.

 

Jugez plutôt. Nous sommes en 1956, et la conquête de l’espace est d’ores et déjà une réalité (à moins que…) : il y a des bases sur la Lune et sur Mars, et on trouve des contrôleurs orbitaux chargés par de grande compagnies telles Coca-Cola ou Walt Disney de vérifier que rien d’incongru ne vient encombrer leur parcelle de Vide. Un certain Jack Kerouac, qui n’est absolument pas un écrivain (encore qu’il lui arrive de composer des haïkus), mais bel et bien un paumé, s’engage ainsi en tant que contrôleur orbital pour Coca-Cola, et part pour neuf semaines dans l’espace, après avoir signé une décharge auprès du chef des contrôleurs pour la célèbre boisson gazeuse, un certain Arthur Miller.

 

Parallèlement, sur Terre, l’ami de Kerouac Neil Cassady tombe follement amoureux d’une caissière de librairie (pardon, une orientatrice) aux lèvres miroir, une certaine Marilyn Monroe. Persuadé que le code du livre acheté par Kerouac correspond à son numéro de téléphone, il multiplie les appels en direction d’une maison sur une cascade, où végète et s’ennuie une certaine Norma Jean Mortensen, épouse du susdit Arthur Miller qu’elle déteste, et qui n’a (bien évidemment) rien à voir avec Marilyn Monroe.

 

Nous suivons en parallèle ces deux trames, et accompagnons Jack Kerouac dans sa confrontation au Silence de l’Espace (encore que…) étrangement dénué d’étoiles, et Neil Cassady et Norma Jean Mortensen dans leur étrange amourette téléphonique. Et des historiens, pour des raisons qui nous échappent, tentent de reconstruire précisément les événements en question, « l’affaire Kerouac », qui est tout autant « affaire Cassady ».

 

On l’aura compris, nous ne sommes pas ici en présence d’un space opera classique. Et malgré la date des événements et l’utilisation de figures célèbres, cliché du genre, on n’avancera pas non plus le terme d’uchronie. Car ces Kerouac, Miller, Monroe, Burroughs, Dean, Grant, etc., ne sont à l’évidence pas ceux que nous connaissons. À bien des égards, ces noms célèbres ne sont que des façades, des masques, qui viennent déstabiliser le lecteur, qui croît reconnaître ces icônes des années 1950, quand il s’agit en fait de tout autre chose. Tommaso Pincio joue ainsi sur les apparences (de même qu’il livre une apparence de science-fiction) pour mieux égarer son lecteur, qui se retrouve pris au piège de ses préconçus, et est amené, bien malgré lui, à déconstruire et reconstruire ces figures.

 

Tout cela donne un roman effectivement délirant, souvent drôle, mais, pourtant, ce n’est probablement pas le sentiment qui domine à la lecture de ce Silence de l’Espace. La solitude de Kerouac, la vacuité de l’amourette téléphonique, le sort inconnu (et peut-être tragique) de Marilyn Monroe, tout cela induit insidieusement une certaine mélancolie chez le lecteur, une fois de plus pris au piège des apparences : à lire la quatrième de couverture, on ne s’attend certainement pas à ça…

 

Peut-on alors parler de détournement, ou plus généralement de situationnisme ? Probablement. Tout cela sent fort La Société du spectacle, et je rejoins Éric Holstein sur ce point. Je me montrerais toutefois moins sévère que lui. Certes, l’histoire est franchement anecdotique, et l’on peut trouver que les procédés comme le fond (?) du roman témoignent d’une certaine « branchitude » que l’on peut à bon droit trouver agaçante. Pourtant, le fait est que ce Silence de l’Espace, servi par une plume alerte et inventive, se lit fort bien. Et je me suis pour ma part pris au jeu de Tommaso Pincio ; je ne suis pas certain que le roman soit d’une grande profondeur, peut-être est-il un peu prétentieux à cet égard, mais il m’a néanmoins semblé intéressant dans sa démarche, et – surtout – je n’ai pu le lâcher une fois entamé. Dès lors, je pourrais difficilement prétendre qu’il s’agit d’un mauvais roman…

 

Non, Le Silence de l’Espace est clairement une lecture de qualité, et mérite bien qu’on y consacre un peu de son temps. Simplement, j’avouerai qu’il m’a semblé moins bon que ce que l’on avait pu m’en dire, et je ne lui confèrerai pas un caractère indispensable. Et si j’ai aimé ce court roman, j’espère être davantage convaincu par Cinacittà, récemment sorti chez Asphalte. On verra bien.

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