"Le Vent dans les saules", de Kenneth Grahame
GRAHAME (Kenneth), Le Vent dans les saules, [The Wind in the Willows], préface par Alberto Manguel, traduit de l’anglais par Gérard Joulié, illustrations d’Arthur Rackham, Phébus – Libella, coll. Libretto, [2006] 2011, 215 p.
Pardon du lieu commun, mais il en va de certains livres comme de la pop ou de l’humour : ils acquièrent une saveur toute particulière du simple fait qu’ils sont définitivement anglais. C’est assurément le cas pour Le Vent dans les saules de Kenneth Grahame, immense classique de la littérature enfantine et du merveilleux animalier que je souhaitais lire depuis une éternité.
Entendons-nous cependant sur les termes : quand je parle ici de « littérature enfantine », c’est de la meilleure qu’il s’agit, celle qui réjouit les adultes autant (si ce n’est plus…) que leurs bambins. Kenneth Grahame s’inscrit ici dans la tradition, par exemple, d’un Lewis Carroll ou d’un James Matthew Barrie. La présentation de l’auteur tient d’ailleurs à en faire « le seul alter ego crédible de Lewis Carroll », mais c’est à mon sens faire un peu fausse route : au non-sense des aventures « d’Alice » ou de Sylvie et Bruno s’oppose ici assez radicalement une apologie du solide « bon sens », tout aussi britannique (et très conservateur, mais c’est une autre histoire…).
De même, quand on parle ici de « merveilleux animalier », il ne faut pas s’attendre à une débauche d’effets spéciaux de fantasy : le merveilleux réside dans les caractères anthropomorphes des personnages animaux et dans leur parfaite intégration, « naturelle » dans un sens, dans le monde des humains (un peu comme dans Le Roman de Renart, par exemple) (si j’veux) (ah mais).
Le Vent dans les saules – joli titre, au passage ; il faut dire que la plume de l’auteur est de manière générale du meilleur goût, mais on y reviendra – nous dépeint les itinéraires de quatre amis, au sens le plus fort (et le plus britannique) du terme. Nous faisons tout d’abord la connaissance de Mr Taupe, qui, un jour, las de son nettoyage de printemps, l’envoie paître et se décide pour une promenade au soleil, qui l’amènera sur la berge de La Rivière, où il rencontrera Mr Rat d’eau, qui deviendra bientôt son meilleur ami. Mais à ces deux amateurs de canotage et de pique-nique, il faut encore ajouter deux personnages que tout oppose : Mr Blaireau, paternaliste, sévère mais juste, incarnation d’une certaine amitié sage et quelque peu moralisatrice, et, de l’autre côté du spectre, Mr Crapaud, l’excentrique et égocentrique Mr Crapaud, toujours possédé par les plus folles des lubies – en ce moment, c’est surtout celle des automobiles, pour son plus grand malheur, et celui des autres aussi, d’ailleurs.
L’œuvre entière est parcourue par une tension entre deux tentations incompatibles : le désir d’aventure, et le confort du chez-soi. L’aventure… C’est qu’il y a, au-delà de La Rivière, la Forêt sauvage, et au-delà le Vaste Monde ! C’est essentiellement Crapaud, l’intrépide et inconscient Crapaud, qui incarnera ce goût pour l’aventure. Mais Taupe joue également ce rôle dans les premiers chapitres, et Rat est bien près de succomber à l’appel lors du très beau chapitre intitulé « Les voyageurs ». Mais « Ah ! Regagner ses pénates… » En fin de compte, il n’y a rien de meilleur qu’un bon chez-soi, avec un intérieur cosy (of course) et de quoi faire de bons repas (car voilà bien une occupation qui revient souvent dans ce court roman : MANGER).
La fable est belle et savoureuse, portée à l’occasion par des pages magnifiques, où la plume de l’auteur se révèle tout à fait délicieuse. L’humour est également au rendez-vous, bien entendu, qui tend à l’occasion vers le burlesque – merci Mr Crapaud ! –, avec peut-être de temps à autre une brin de satire (mais juste un brin).
Le Vent dans les saulesest une lecture succulente, et l’on comprend sans peine pourquoi on lui a tressé des lauriers de classique. So British, certes, et en même temps universel, il s’agit bien là d’un « livre magique », comme le dit Alberto Manguel dans sa préface. Envoûtant et beau, il a l’intemporalité des chefs-d’œuvre.
Sur ce, je m’en vais réécouter The Piper at the Gates of Dawn, tiens…
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