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"Le Voyage imaginaire", de Léo Cassil

Publié le par Nébal

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CASSIL (Léo), Le Voyage imaginaire, [Schwambrania], traduit du russe par Véra Ravikovitvh et Henriette Nizan, dessins de Julien Couty, appareil (auto)critique de Vladimir Tchernine et Benoît Virot, Paris, Attila, [1931, 1937] 2012, 253 p.

 

De temps à autre, les décidément ben chouettes éditions Attila exhument des perles injustement sombrées dans l’oubli. Parmi les dernières en date, on retiendra notamment ce Voyage imaginaire de Léo Cassil, jamais réédité en France depuis 1937. Premier constat : l’objet est aussi beau que déconcertant. Maquette en deux colonnes, polices originales, illustrations sous forme d’images autocollantes en couleur (si), etc. Du beau travail, comparable à celui qui avait été effectué par le même éditeur pour Gog (notons d’ailleurs que Le Voyage imaginaire, à l’instar de Gog un an plus tôt, était en lice pour le prix Nocturne, qu’il n’a cependant pas remporté).

 

Nous sommes en Russie, au début du XXe siècle. Deux enfants, deux frères, Lolia et Osska (comprendre, largement : Léo Cassil et son frère), fils de médecin, donc petit-bourgeois, à Pokrovsk, inventent pour se distraire un pays imaginaire, la Schwambranie en forme de molaire. Ils élaborent son histoire et sa géographie, et le peuplent de héros et autres personnages moins signifiants.

 

Mais les événements extérieurs ont bientôt de l’influence sur le destin de la Schwambranie : la Première guerre mondiale, les révolutions de février et octobre 1917, la guerre civile… Lolia et Osska, qui vivent au quotidien tous ces bouleversements, les répercutent sur leur création. Le récit, dès lors, s’il est essentiellement centré sur le vécu des deux enfants, mêle réalité (dans ce qu’elle a parfois de plus sordide) et imaginaire.

 

Question, cependant : peut-on vraiment se fier à ce titre français dû à André Malraux, et parler d’imaginaire pour Schwambrania ? La Schwambranie est-elle véritablement comparable au pays des merveilles d’Alice, à Neverland, Oz ou Narnia, comme le suggère Benoît Virot dans l’appareil (auto)critique qui conclut l’ouvrage ? Pour ma part, je ne le pense pas. Ne serait-ce que parce que Lolia et Osska ont pleinement conscience du caractère imaginaire de la Schwambranie. Mais, plus prosaïquement, le récit est de toute façon centré sur Pokrovsk ; rares sont les chapitres purement schwambraniens, et donc purement imaginaires, dans le livre de Léo Cassil. Aussi me semble-t-il quelque peu abusif de mettre ce roman dans la même catégorie que Gulliver ou Alice au pays des merveilles, pour citer les deux titres évoqués en quatrième de couverture.

 

Bien entendu, cela n’enlève rien à sa valeur, et je m’en voudrais de donner cette impression ! Le Voyage imaginaire – on voit ce que ce titre a de contestable – est à n’en pas douter un très bon roman, plus ou moins tourné vers la jeunesse, et dont on peut très bien comprendre le retentissement, en Russie où c’est devenu un classique, mais aussi de par chez nous où, malgré l’absence de rééditions, l’ouvrage est semble-t-il devenu culte pour les situationnistes, notamment. Cette ode à l’imagination enfantine, inscrite dans son temps, regorge de douceurs et de merveilles, qui en font un livre résolument à part, un petit bijou sans véritable rival.

 

Mais voilà : ce qui fait l’intérêt de Schwambrania, ce n’est pas tant la fiction géographique de Lolia et Osska que l’impact global des événements extérieurs sur le vécu des deux enfants. Et si l’on passe bien, de temps en temps, quelques pages avec Jack le Compagnon des marins ou le sinistre capitaine Urodonal, c’est néanmoins assez anecdotique, en comparaison du temps passé à Pokrovsk, chamboulée par la Révolution et la guerre. Mais les personnages « réels » ne sont pas moins pittoresques que les inventions des deux enfants, ainsi le commissaire « Un point c’est tout ! ».

 

C’est avec un plaisir constant que le lecteur, à l’instar de Lolia et Osska, joue à la Schwambranie. Mais c’est aussi, sans doute, avec un regard différent : sous la fantaisie perce la comédie de mœurs, voire la satire, très libre et enthousiasmante. Léo Cassil livre une peinture pittoresque de la Révolution russe, qui ne manque pas de piquant. À ce titre, la lecture du Voyage imaginaire est des plus instructives sur l’esprit du temps et les implications parfois farfelues des bouleversements politiques et sociaux.

 

On recommandera donc chaudement la lecture de ce Voyage imaginaire, avec toutefois les précautions qui s’imposent quant à son contenu. Et, pour ma part, j’attends avec une certaine impatience l’édition prochaine du Cahier de conduite, roman antérieur à Schwambrania et qui vient le compléter, en dépeignant l’école de Pokrovsk sous le tsarisme et la Révolution de Février…

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