"Les Exploits du Colonel Clay", de Grant Allen
ALLEN (Grant), Les Exploits du Colonel Clay, [An African Millionaire. Episodes in the Life of the Illustrious Colonel Clay], traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, introduction de Jean-Daniel Brèque, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Baskerville, [1896-1897] 2011, 222 p.
Deuxième titre de la collection « Baskerville » dirigée par Jean-Daniel Brèque après une Ville enchantée en demi-teinte, Les Exploits du Colonel Clay de Grant Allen joue dans un tout autre registre : ici, rien de fantastique ou de science-fictif ; mais un remarquable précurseur d’Arsène Lupin, diablement astucieux, voleur et escroc spécialiste du déguisement, qui a décidé de s’en prendre à un millionnaire sud-africain, transformant ainsi le capitaliste en vache à lait bien malgré lui… Aussi, s’il fallait à tout prix ranger ce roman-feuilleton très rocambolesque dans une catégorie, devrions-nous sans doute parler de « policier satirique », ou quelque chose du même genre. Mais peu importe, à vrai dire.
Tout commence sur la côte d’Azur, quand l’homme d’affaires Sir Charles Vandrift entend dénoncer l’imposture d’un voyant mexicain fort à la mode dans la bonne société niçoise et monégasque. Bien sûr, tel est pris qui croyait prendre… Et si le voyant est bel et bien un imposteur, il ne quitte pas la région sans avoir escroqué notre capitaliste de quelques milliers de livres. On « identifie » (façon de parler…) bientôt le faux voyant : il s’agit en fait de l’homme que l’on connaît sous le nom de Colonel Clay, un escroc protéiforme, que la police française n’espère pas appréhender de sitôt : « Arrêter le Colonel Clay ? Mais, monsieur, nous ne sommes que de simples mortels ! »
L’affaire pourrait s’arrêter là. Mais le Colonel semble vouer une affection toute particulière à la fortune de Sir Charles, et va dès lors multiplier les attaques, chaque fois sous un déguisement différent, et avec une audace à faire peur. Ce qui ne va pas manquer de plonger notre millionnaire sud-africain dans une paranoïa bien légitime : bientôt, il verra le Colonel Clay partout… à tort ou à raison. Ce qui est certain, c’est qu’il n’a pas fini d’en entendre parler…
Aussi se met-il en tête de tout mettre en œuvre pour capturer enfin le gredin : après tout, le financier, s’il fait preuve d’une propension impressionnante à tomber dans les pièges que lui tend son « parasite », ne manque pas non plus de ruse, et à canaille, canaille et demi…
Succulent portrait en creux d’une adorable fripouille façon « gentleman cambrioleur », Les Exploits du Colonel Clay remplit parfaitement son office de divertissement enjoué et jubilatoire, très prenant, et franchement drôle. Oh, certes, il n’est pas sans défauts – l’intrigue est à vrai dire cousue de fil blanc, un tantinet répétitive, et parfois un peu « grosse » –, mais, au final c’est bien l’enthousiasme qui domine à la lecture de ce roman frénétique et bourré d’astuce, qui livre en outre une fort amusante comédie de mœurs, où les capitalistes en prennent pour leur grade. Qu’on en juge à cette lettre du Colonel (qui en signe une autre en se qualifiant de « socialiste pratiquant »…) à sa victime :
« Considérez-moi, cher monsieur, comme le microbe des millionnaires, le parasite des capitalistes. Vous connaissez ce poème :
« La grande puce a sur le dos une petite puce qui la mord,
« Et la petite en a une autre, bien plus petite encore,
« Et ad infinitum !
« Eh bien, c’est ainsi que je me considère. Vous êtes un capitaliste et un millionnaire. À votre façon, un parasite de la société. […] Vous videz le monde de son sang et de son argent. À l’instar du moustique, vous possédez une trompe des plus efficace […] qui vous permet de pomper le surplus monétaire de la communauté. À mon humble façon, je vous déleste à mon tour d’une partie de ce butin. Je suis le Robin des Bois de mon époque ; et comme je vois en vous un type de millionnaire particulièrement exécrable – en même temps qu’un type de pigeon particulièrement facile à plumer –, j’ai décidé, pour ainsi dire, de faire mon nid dans le vôtre.
« […] Sir Charles Vandrift, nous formons une belle paire de canailles, vous et moi. La loi vous protège. Elle me persécute. C’est toute la différence. »
Et il est vrai que, dans ce roman, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre : canailles, tous des canailles ! Mais il en est une pour emporter notre affection, et c’est à n’en pas douter ce prétendu « Colonel » insaisissable, railleur et astucieux, qui tyrannise avec brio le détestable Sir Charles et son gredin de secrétaire, notre narrateur.
Roman débordant d’idées et roulant à un train d’enfer, Les Exploits du Colonel Clay, avec son charmant parfum suranné, relève de l’idéal du bon divertissement. J’ai été pleinement conquis par ce titre relevant de la meilleure littérature populaire. Il semblerait, à en croire le directeur de collection et traducteur, que deux autres romans de Grant Allen pourraient voir le jour dans la collection « Baskerville ». S’ils sont de la même veine, je suis preneur.
Commenter cet article