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"Lettres d'Innsmouth", de H.P. Lovecraft

Publié le par Nébal

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LOVECRAFT (H.P.), Lettres d’Innsmouth, suivi de Défense de « Dagon » et de Un mari nommé H.P.L. par Sonia H. Davis, [Uncollected Letters ; In Defence Of « Dagon » ; The Private Life Of H.P. Lovecraft], textes réunis et traduits [de l’américain] par Joseph Altairac à partir des trois volumes composés et annotés par S.T. Joshi, introduction de Joseph Altairac, postface de Christian Bonnefous, illustrations de Jason Eckhardt, Amiens, Encrage, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, [1985-1986] 1989, 174 p.

 

J’entame enfin, avec ces Lettres d’Innsmouth, la lecture des « Cahiers d’études lovecraftiennes », que j’ai pu me procurer grâce à des gens bien. Et pour ce premier volume, la parole est pour l’essentiel donnée à H.P. Lovecraft lui-même, puisqu’il s’agit de la traduction de trois brochures publiées aux États-Unis par S.T. Joshi (qui est, rappelons-le, probablement ZE spécialiste de Lovecraft à l’heure actuelle).

 

Le contenu de cet ouvrage pourrait à première vue paraître disparate, mais est en fait, étrangement, assez cohérent ; il s’en dégage en effet, non seulement un portrait du Maître de Providence jusque dans son intimité, mais aussi une évocation de sa participation au mouvement du « journalisme amateur » et surtout une ébauche, voire davantage, de sa philosophie, farouchement rationaliste, matérialiste et athée.

 

Les Lettres d’Innsmouth (Uncollected Letters), réunies au travers de publications en revue, sont cependant assez diverses, et peuvent probablement être scindées en trois ensembles. Nous trouvons tout d’abord des lettres adressées à des journaux, magazines et fanzines, d’un intérêt variable ; j’en retiens surtout pour ma part – sans surprise ? – les lettres adressées à Weird Tales (et publiées dans la revue), parmi lesquelles figure celle, très célèbre, qui accompagnait les cinq premiers textes (dont « Dagon ») envoyés au célèbre pulp. C’est en tout cas un moyen d’en apprendre davantage sur les goûts de Lovecraft, et un témoignage éloquent tant de sa personnalité épistolaire que de son abondante correspondance. Suivent de nombreuses lettres rédigées dans le cadre du « journalisme amateur », instructives sur cet engagement (avec moult querelles « politiques ») mais sans doute moins intéressantes, faute de vraiment saisir ce que cela pouvait représenter au juste. Le grand moment, cependant, se trouve à la fin de cette brochure, au travers de longues lettres dans lesquelles Lovecraft expose à un de ses correspondants sa philosophie rationaliste, matérialiste et athée, donnant au passage quelques conseils de lecture. C’est tout à fait passionnant, et nous amène directement à la Défense de « Dagon ».

 

(Je noterai juste, avant d’en arriver là, un point qui m’a paru intéressant, et finalement assez peu soulevé dans ce que j’ai pu lire pour l’instant à propos de Lovecraft : si l’auteur est connu pour sa fiction « rationaliste », il se montre néanmoins, dans ces lettres, très sceptique à l’égard de la science-fiction naissante, qu’il distingue résolument de la science à proprement parler – il va jusqu’à traiter Gernsback d’escroc… Pour un auteur que l’on classe traditionnellement « entre fantastique et science-fiction », pour reprendre le titre du célèbre article de Gérard Klein dans le  Cahier de l’Herne consacré à Lovecraft, c’est tout de même à noter, me semble-t-il).

 

Nous passons donc à la Défense de « Dagon », rassemblement de trois lettres en forme d’essais qui dépassent largement le seul texte mentionné dans le titre. Dans « La Parole est à la défense ! », « La Défense revient à la barre ! » et « Le Mot de la fin », Lovecraft détaille en effet l’ensemble de sa théorie esthétique (du moins celle des années 1920-1921) et, surtout, expose sa philosophie (rationaliste, matérialiste et athée, donc, oui, je sais, je me répète) de manière argumentée, au travers d’une vigoureuse polémique. Ces trois lettres furent écrites dans le cadre du « Transatlantic Circulator », sorte de « cercle de lecture » issu du « journalisme amateur » et qui, comme son nom l’indique, réunissait auteurs américains et britanniques. Lovecraft y répond aux critiques adressées à ses textes, et en premier lieu « Dagon » (mais pas uniquement). Il y défend une esthétique de « l’art pour l’art », ne rechignant pas à citer (à juste titre) Oscar Wilde dans sa fameuse préface au Portrait de Dorian Gray. Mais le gros de ces trois « essais » est constitué par une polémique avec un certain Mr. Wickenden, pour sa part idéaliste et théiste convaincu, qui n’avait semble-t-il pas mâché ses mots pour critiquer la philosophie sous-jacente de Lovecraft. Or ce dernier se montre ici (malgré quelques bévues) un polémiste brillant et plus que convaincant. C’est tout à fait passionnant, et très instructif (et ça m’a davantage parlé, à titre d’exemple, que le  Pourquoi je ne suis pas chrétien de Bertrand Russell, que j’avais évoqué il y a peu).

 

La troisième brochure n’est cette fois pas de Lovecraft lui-même, mais de Sonia H. Greene (Davis), qui fut brièvement son épouse. Dans Un mari nommé H.P.L. (The Private Life Of H.P. Lovecraft), elle rapporte ses souvenirs de sa relation avec son époux, avant, pendant et après leur mariage. Ce texte, fort décousu (et du coup d’une lecture parfois un brin pénible), répond à quelques erreurs tôt colportées sur la vie intime de Lovecraft, et notamment ses soucis financiers. Un texte instructif malgré sa lourdeur, dressant un portrait d’autant plus convaincant qu’il ne se montre finalement guère sensationnaliste du pôpa de Cthulhu. On notera au passage que Madame Lovecraft y évoque le racisme et l’antisémitisme de son époux, notamment à la fin de la brochure (censément consacrée à Samuel Loveman, mais c’est bien Lovecraft qui est au centre de ses préoccupations).

 

Reste enfin la postface de Christian Bonnefous, « Entre ciel et terre », sur laquelle je n’ai finalement pas grand-chose à dire. Je ne suis pas vraiment d’accord avec l’auteur quand il trouve Lovecraft mal à l’aise dès l’instant qu’il s’agit pour lui d’exposer sa philosophie autrement que dans ses fictions. Je lui accorde cependant que la vision que Lovecraft avait de la Grèce antique est critiquable, et probablement davantage encore ses références à Nietzsche.

 

Au total, voilà un ouvrage tout à fait intéressant, fort instructif, qui satisfera pleinement les amateurs (je doute qu’il puisse viser un plus large public, toutefois). Une bonne entrée en matière pour ces « Cahiers d’études lovecraftiennes » dont j’attends beaucoup.

CITRIQ

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M
Vous devriez adorer, si vous avez l'occasion de vous procurer d'autres volumes de chez Encrage, les deux volumes de Michel Meurger : "Lovecraft et la SF" ; je pensais déjà tout savoir sur l'apport<br /> de Tonton Théobald sur la littérature SF et Fantastique, mais cette étude m'a permis de découvrir en quoi ses nouvelles s'inscrivaient pleinement dans les courants littéraires de son époque ; c'est<br /> à dire là où Lovecraft n'a rien inventé, mais a su transcender - par son style si particulier - des considérations propres à la culture américaine des années 20-30.<br /> <br /> Merci pour vos articles et votre travail considérable !
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N
<br /> <br /> Oh ben ça c'est gentil, alors, merci.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Sinon, oui, j'ai les deux Michel Meurger, je les lis prochainement, et j'en attends le plus grand bien.<br /> <br /> <br /> <br />