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"Méridien de sang", de Cormac McCarthy

Publié le par Nébal

Meridien-de-sang.jpg

 

 

McCARTHY (Cormac), Méridien de sang, ou Le rougeoiement du soir dans l’Ouest, [Blood Meridian, or The Evening Redness in the West], traduit de l’américain par François Hirsch, Paris, L’Olivier – Seuil, coll. Points, [1985, 1988, 1998] 2001, 416 p.

 

Western toujours, avec un monument, mais qui se mérite. On a très tôt attiré mon attention sur ce roman du grand Cormac McCarthy (dont je n’avais lu que La Route jusqu’à présent, je plaide coupable…), avec force louanges, et je ne pouvais pas décemment passer à côté. J’ai donc lu la bête. Et, oui, je l’ai aimé, ce livre. Beaucoup, même. Mais il m’a fait souffrir, aussi. Et je suis bien embêté, maintenant, pour en parler… Parce que si l’on est sans doute ici en présence de ce qui se fait de mieux en matière de western littéraire, aux côtés, disons, de Lonesome Dove de Larry McMurtry et Deadwood de Pete Dexter, l’impact n’est cependant pas le même, l’enthousiasme n’est pas aussi immédiat, et Méridien de sang demande probablement un certain temps de digestion pour être pleinement apprécié. Mais, à mon habitude, j’écris peu ou prou ce compte rendu à chaud… Et ce n’est donc pas sans une certaine perplexité que je tapote sur mon clavier.

 

Pourtant, la digestion a déjà commencé : j’ai, à l’heure où je vous parle, une opinion nettement plus positive de ce roman qu’au moment où je le lisais. Tandis que j’en tournais les pages, j’avais toujours au ventre la crainte de passer à côté de quelque chose, tant ce roman est dense. Et, je ne le cacherai pas non plus, même si j’étais régulièrement fasciné par la plume de l’auteur, louée à juste titre et d’une puissance évocatrice rare, j’étais en même temps quelque peu rebuté par l’austérité, la sécheresse de la prose de McCarthy, mêlant laconisme des dialogues et phrases interminables accumulant les « et ». Pour dire le vrai, j’ai assurément mis du temps à lire ce roman… aussi, sans doute, parce que je m’ennuyais un peu à sa lecture – je le confesse –, entre deux claques magistrales réveillant mon intérêt. Mais Méridien de sang fait partie de ces livres pas évidents qui ne prennent tout leur sens qu’une fois la dernière page tournée, et le temps de laisser un peu mariner tout ça…

 

Roman assez abstrait, il se résume en quelques lignes, malgré sa densité étouffante. Au milieu du XIXe siècle, nous suivons un gamin qui part pour le Texas (et y arrive en l’espace de quelques pages, là n’est pas le propos). Et ce gamin semble baigner dès le départ dans une atmosphère de violence effroyable, qui ne fera que grandir en atrocité au fil des pages, des tueries, des massacres. Car notre gamin se retrouve bientôt à rejoindre une bande d’irréguliers franchissant la frontière pour buter du Mexicain (à ce propos, je vous parlerai prochainement de La Décimation de Rick Bass), puis intègre une milice d’odieuses fripouilles hautes en couleurs vendant leurs services infâmes au plus offrant pour scalper de l’Indien (et plus puisque affinités).

 

On passe ainsi d’un périple individuel à un dérèglement collectif, où la violence devient de plus en plus omniprésente, et où la « cause » des origines ne manque pas de sombrer dans l’oubli, plus rien ne venant au bout d’un temps « justifier » les brigandages, rapines et tueries commis par cette horde sauvage…

 

À la tête de ces tueurs sanguinaires, on trouve une belle brochette de psychopathes, tel le sinistre Glanton. Mais le plus impressionnant, et de très loin, est le juge ; colosse bigger than life, surhomme cynique, le juge exerce la fascination d’un serpent, et marque de son empreinte l’ensemble du roman. Rarement ai-je vu, en littérature, de salaud aussi charismatique. Personnage aussi immonde que terrifiant, le juge incarne toute l’horreur des déchaînements de violence accumulés par Cormac McCarthy. Mais il est à mille lieues des truands de bas étage qui composent le gros de la milice. Ce chasseur-là est un esthète du crime, qui théorise l’horreur à grands renforts de sophismes dérangeants. Figure démoniaque, le juge a la beauté du diable, et ses tours de passe-passe relèvent de la sorcellerie pure. Il est la personnalité centrale de Méridien de sang, une ordure sans commune mesure ; ne serait-ce que pour le juge, il faut lire le roman de Cormac McCarthy.

 

Mais il n’y a pas que le juge, bien sûr. Il y a aussi cette plume extraordinaire, tour à tour lapidaire et baroque ; une plume dense, ainsi que je l’ai déjà signalé, et sur laquelle on peut à l’occasion achopper. Mais sans conteste la marque de fabrique d’un immense écrivain, capable de susciter des visions d’anthologie, à la limite du délire. Tenez, un exemple :

 

« Ils sillonnèrent pendant des semaines les terres frontalières à la recherche d'un signe des Apaches. Déployés sur cette plaine ils se déplaçaient dans une perpétuelle élision, agents consacrés du réel, partageant le monde qu'ils rencontraient et laissant pareillement éteint sur le sol derrière eux ce qui avait été et ne serait plus. Cavaliers fantômes, pâles de poussière, anonymes dans la chaleurcrénelée. Avant tout on eût dit des êtres à la merci du hasard, élémentaires, provisoires, étrangers à tout ordre. Des créatures surgies de la roche brute et lâchées sans nom et rivées à leurs propres rivages rapaces et damnées et muettes rôder comme les gorgones errant dans les brutales solitudes du Gondwana en un temps d'avant la nomenclature où chacun était tout. »

 

Western très noir et ultra-violent – là où, par exemple, Glendon Swarthout dans Le Tireur tétanisait en usant du chirurgical, Cormac McCarthy, lui, alterne avec maestria sécheresse et déferlements de grand-guignol, pour un effet tout aussi frappant –, Méridien de sang n’est pas un livre « facile ». Et je n’en ferais pas non plus un livre « palpitant ». Il se mérite. Mais il est à n’en pas douter d’une puissance qui n’appartient qu’aux meilleurs romans.

CITRIQ

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L
Je constate qu'il n'y a pas que moi qui l'ai mis de coté pour le reprendre plus tard tranquillement.<br /> c'est exactement cela, au début il est difficile de s'y introduire, mais une fois qu'on s'est imprégné de l'atmosphère la seule chose qui peut nous empêcher de poursuivre c'est la tranquilité.<br /> Vivement les prochaines vacances ;)
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E
J'arrive au bout, on se rejoint. Une noirceur atroce et le juge... Monument de crime et de cynisme. A lire.
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N
<br /> <br /> N'est-ce pas ?<br /> <br /> <br /> <br />
D
Putain, lui aussi me fait du pied...<br /> <br /> ( En passant : chouette blog mec ! )
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T
Je confirme, McCarthy ne se lit pas facilement (je m'y suis repris à 3 fois avant d'y arriver avec De si Jolis Chevaux...) : ça sent la terre, la poussière, l'aridité, ça laisse un goût de cendres<br /> dans la bouche et le style tout en accumulation sèche de faits peut lasser autant qu'envoûter.<br /> <br /> Mais une fois qu'on a trouvé la clé, ça ne s'oublie pas de sitôt... Et celui-ci est à mon sens son plus grand livre (avec Le Grand Passage, peut-être).
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N
<br /> <br /> Voilà.<br /> <br /> <br /> <br />