"Moi, Cthulhu", de Neil Gaiman
GAIMAN (Neil), Moi, Cthulhu, ou Qu’est-ce qu’une créature à face de tentacules dans mon genre fabrique dans cette ville engloutie (par 47° 9’ de latitude sud, et 126° 43’ de longitude ouest) ?, [I Cthulhu : Or What’s A Tentacle-Faced Thing Like Me Doing In A Sunken City Like This (Latitude 47° 9’ S, Longitude 126° 43’ W) ?], traduction [de l’anglais], introduction et notes de Patrick Marcel, Aiglepierre, La Clef d’Argent, coll. Fhtagn, [1986-1987] 2012, 47 p.
Aujourd’hui, on va faire bref. Non seulement parce que le bouquin dont je vais vous causer est VRAIMENT tout riquiqui (moins de 50 pages, tout de même), mais aussi parce que, autant le dire tout de suite, il ne mérite guère qu’on s’y arrête plus que cela, ou, sans doute, que l’on dépense 5 € (re-tout de même) pour en faire l’acquisition : mieux vaut en ce qui me concerne boire une pinte, ça dure à peu près aussi longtemps et laisse autant de souvenirs (ou pas).
Moi, Cthulhu, donc (on va se contenter de ce titre raccourci, même si le titre complet est assez charmant), publié dans la collection « Fhtagn » (c’en est le deuxième titre après Les Montagnes hallucinogènes d’Arthur C. Clarke, dont je vous parlerai probablement très bientôt) de La Clef d’Argent (vous aurez compris que ce petit éditeur est lovecraftien s’il en est, ce qui me plaît bien) (je multiplie les parenthèses si je veux), est une nouvelle écrite en 1986 par un tout jeune Neil Gaiman et publiée l’année suivante dans le fanzine Dagon. Elle est ici accompagnée d’une introduction et d’abondantes notes (sans doute histoire de donner – enfin, d’essayer – un peu de corps à l’ouvrage…) du traducteur Patrick Marcel, qui connaît assurément son sujet (il y a de cela quelque temps, je vous avais dit tout le bien que je pensais de ses Nombreuses Vies de Cthulhu).
C’est le premier (à ma connaissance, tout du moins, mais il semblerait bien que) pastiche lovecraftien de Gaiman, qui en commettra quelques autres, à mon sens bien plus intéressants (que ce soit dans sa génialissime BD Sandman, ou sous la forme de nouvelles, reprises en français dans les très recommandables recueils Miroirs et fumée et Des choses fragiles – le pastiche mi-lovecraftien, mi-holmesien figurant dans ce dernier recueil ayant également été repris dans la très sympathique anthologie New Cthulhu, dont je vous avais parlé plus récemment). De même que les suivants, mais avec tout de même nettement moins de brio (ça sent l’auteur débutant), Moi, Cthulhu se veut humoristique, et n’hésite pas à se moquer (gentiment) des outrances du style de Lovecraft et des clichés du Mythe de Cthulhu (sans lui être ici d’une fidélité à toute épreuve, les puristes jaseront peut-être).
Le pitch en est fort simple : il s’agit tout simplement pour la plus célèbre des créations de Lovecraft, le Grand Ancien Cthulhu en personne, de raconter sa vie, ou plus exactement sa jeunesse et les raisons qui l’ont amené à se fixer dans la cité engloutie de R’lyeh sur notre bonne vieille Terre. Et Cthulhu, donc, de dicter ses mémoires à un membre de la décidément peu recommandable famille Whateley (qui ne doit pas oublier de nourrir le shoggoth en partant). Vous imaginez bien qu’il s’agit là d’un document exceptionnel, et qui fait la lumière sur bien des choses que Lovecraft avait laissées dans l’ombre…
Disons-le tout net : ça n’est quand même pas terrible. Parfois sympathique – oui, on esquisse bien un sourire de temps en temps –, mais tout aussi souvent un peu lourdingue… Gaiman s’y amuse avec le canon lovecraftien tout en y prenant ses aises, et le résultat est d’un intérêt variable selon les pages. Et – surtout – c’est fort court…
À la limite, le plus amusant dans tout cela (en dehors du titre interminable), c’est peut-être bien la brève lettre de Neil Gaiman qui accompagne la nouvelle, publiée dans le numéro suivant de Dagon, et dans laquelle l’auteur évoque de méconnues et fort loufoques collaborations entre H.P. Lovecraft et P.G. Wodehouse…
La Clef d’Argent est sympathique. Une collection qui s’intitule « Fhtagn » ne peut qu’être sympathique. Neil Gaiman comme Patrick Marcel sont tout aussi sympathiques. Mais de là à dépenser 5 € pour ce Moi, Cthulhu… Non, je ne peux pas décemment le recommander. Même aux lovecraftiens les plus fanatiques. Vous me direz que je l’ai bien fait, moi. Certes. Et je n’irai pas jusqu’à dire que je le regrette, non ; ça fait une petite pièce de collection, amusante sans plus, qui ne dépareille pas dans mes nombreuses lovecrafteries. Si vous êtes prêts à envisager cette perspective, alors peut-être… Sinon, ma foi, on ne pourra guère parler de perte de temps – c’est vraiment expédié en deux temps, trois mouvements, voire moins –, mais on ne saurait prétendre pour autant que cela en vaille la peine. Il y a beaucoup mieux dans le genre, y compris chez Gaiman lui-même (donc).
Mais ça ne m’empêchera bien évidemment pas de lire prochainement Les Montagnes hallucinogènes (pastiche de ce qui est peut-être ma nouvelle préférée de Lovecraft), ainsi que les nombreux autres petits bouquins que La Clef d’Argent a consacrés à l’auteur de Providence comme à son Mythe de Cthulhu. Parce que oui, sans doute, quand on aime VRAIMENT, on ne compte pas (et puis c’est sale, de compter)… mais de là à vous inciter à participer de mes lubies, il y a un pas que je ne saurai honnêtement franchir.
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