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"Monographie de la presse parisienne", d'Honoré de Balzac

Publié le par Nébal

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BALZAC (Honoré de), Monographie de la presse parisienne, postface de Patrick Besson, [s.l.], Fayard – Mille et Une Nuits, [1842] 2003, 127 p.

 

Dans mon inculture crasse, j’avoue n’avoir quasiment rien lu de Balzac. Si mes souvenirs sont bons, je crois bien n’être passé que par la case Eugénie Grandet, sans que cela me fasse beaucoup d’effet. À tort ou à raison, j’ai préféré me tourner vers d’autres auteurs du XIXe siècle français, comme Stendhal (mais à peine aussi), Hugo, Zola, Huysmans ou surtout Flaubert (qui est le meilleur, rappelons-le). Je ne suis donc pas exactement un fanboy dévorant tout opuscule signé Balzac me tombant sous la main. Mais, sans doute du fait de mon intérêt pour l’histoire de la presse, qui a d’ailleurs pu jouer un certain rôle dans mes études avortées, je ne pouvais pas décemment passer à côté de cette Monographie de la presse parisienne, publiée en 1842 dans La Grande Ville, nouveau tableau du Paris comique, critique et philosophique. Outre qu’il s’agissait là d’un texte quasiment contemporain de ma période de prédilection, j’étais curieux de voir le jugement que pouvait bien porter le grand écrivain sur la presse de son temps. Le moins que l’on puisse dire est que je n’ai pas été déçu du voyage…

 

La Monographie de la presse parisienne relève largement du pamphlet satirique, mais revêt pour l’essentiel l’aspect d’une dissertation savante de type zoologique ou botanique, parsemée d’axiomes railleurs. Balzac y dissèque avec un plaisir sadique les travers de « l’ordre Gendelettre (comme gendarme) » de son temps, et établit une taxinomie savoureuse des journalistes et assimilés.

 

Le grand écrivain commence par s’en prendre aux publicistes, sur la moitié de son ouvrage. Il en établit des types et sous-types. Nous avons donc le Journaliste, l’Homme d’État, le Pamphlétaire (le seul à obtenir un tantinet son approbation), le Rienologue, le Publiciste à portefeuille, l’Écrivain monobible, le Traducteur et enfin l’Auteur à convictions. Parmi les Journalistes, il faut distinguer le Directeur-rédacteur-en-chef-propriétaire-gérant, le Ténor, le Faiseur d’articles de fond, le Maître-Jacques et les Camarillistes. Parmi les journalistes Hommes d’État, l’Homme politique, l’Attaché, l’Attaché détaché et le Politique à brochures. Les autres sont « sans variété », voire disparus (le Traducteur), à l’exception de l’Auteur à convictions, qui se subdivise en Prophète, Incrédule et Séide. Balzac tape fort, à droite comme à gauche, mais, disons-le, surtout à gauche quand même… Il n’empêche que la satire est assez souvent bien vue, et emporte régulièrement l’adhésion. Ce tableau a bien vieilli, c’est certain, mais quelques traits peuvent encore s’appliquer à notre molle presse contemporaine, ce qui ne fait qu’accroître l’intérêt de ce petit texte.

 

Mais l’essentiel de cette Monographie de la presse parisienne, comme la Vérité, est ailleurs, dans la seconde partie de l’ouvrage, qui en justifie sans doute aux yeux de Balzac l’ensemble. C’est, en effet, qu’il réserve la moitié de ses attaques à un genre particulièrement exécrable de journalistes : les critiques.

 

Ah, les critiques !

 

SALAUDS !

 

Déjà, hein, ce sont tous des artistes (en l’occurrence surtout des écrivains) frustrés et impuissants, caractérisés avant toute chose par leur médiocrité. Et là, Balzac s’en donne à cœur-joie. Nouvelle classification : le Critique de la vieille roche, le Jeune Critique blond, le Grand Critique, le Feuilletoniste, les Petits Journalistes. Nouvelles subdivisions : le Critique de la vieille roche peut être Universitaire ou Mondain ; le Jeune Critique blond, Négateur, Farceur, Thuriféraire (paradoxalement, c’est peut-être ce dernier que Balzac méprise le plus…) ; le Grand Critique, Exécuteur des hautes œuvres ou Euphuiste ; Balzac n’établit pas de variétés pour le Feuilletoniste, mais y revient pour les Petits Journalistes : le Bravo, le Blagueur, le Pêcheur, l’Anonyme et le Guérillero. Citons la postface de Patrick Besson (pour le reste fort courte et assez dispensable) :

 

« Tous les grands écrivains en veulent à la presse, et surtout à la critique. Pour eux, les journaux servent à emballer le poisson et les journalistes sont des poisons. Lire un journal, c’est mauvais ; écrire dedans, c’est au mieux une perte de temps et au pire une perte de talent. La presse n’a pas bonne presse chez les artistes. Ils ont contre elle une dent du Diable. S’ils étaient au pouvoir, ils feraient comme les dictateurs, puisque ce sont des dictateurs : ils l’interdiraient. Ils sont pour la liberté de la presse, sauf quand elle dit du mal d’eux, et elle dit toujours du mal d’eux, d’une façon ou d’une autre. Ou pas assez de bien. Ou pas le bien qu’il faut. »

 

Ce qui se vérifie encore largement aujourd’hui… Salauds de journalistes ! SALAUDS DE CRITIQUES ! N’en doutons pas : cette critique de la critique est le cœur de la Monographie de la presse parisienne. Aussi est-il difficile, après coup, d’en parler, puisque l’on se retrouverait à faire la critique de la critique de la critique, ce qui a de quoi donner le vertige… Arrêtons-nous là, donc, sur ces attaques perfides mais souvent drôles contre les vilains juges de l’art. Et reconnaissons que la Monographie de Balzac, y compris, voire surtout, dans cette partie, se montre fort drôle, que l’auteur y fait preuve d’un remarquable don pour la parodie, et que l’on sourit plus qu’à son tour, généralement avec le texte… mais parfois aussi de lui.

 

Une chose amusante, donc, que cette Monographie de la presse parisienne, et qui a gardé, au-delà des années et de quelques vieilles charges poussives contre la presse et son odieuse liberté, la majeure partie de son intérêt et de son actualité. Ce qui n’était pas gagné.

CITRIQ

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