"Petite Philosophie du zombie", de Maxime Coulombe
COULOMBE (Maxime), Petite Philosophie du zombie, ou comment penser par l’horreur, Paris, Presses universitaires de France, coll. La Nature humaine, 2012, 151 p.
Ainsi que je l’ai répété plusieurs fois sur ce blog interlope, les zombies sont mes amis. Enfin, peut-être un tout petit peu moins depuis qu’on en voit vraiment partout, jusque dans les rues de nos cités décadentes à l’occasion des Zombie Walks, mais bon. Il n’en reste pas moins que le mort-vivant, surtout dans sa redéfinition par George Romero, est une figure du genre horrifique qui me séduit tout particulièrement.
Aussi, je ne pouvais pas vraiment passer à côté de cette Petite Philosophie du zombie du sociologue et historien de l’art québécois Maxime Coulombe, surtout après la critique élogieuse qu’en avait fait le citoyen Gromovar (et il ne fut pas le seul, ainsi que j’ai eu l’occasion de le constater en parcourant le ouèbe). L’idée de disséquer le zombie et l’engouement contemporain pour ce monstre si particulier avec les outils de la philosophie (et largement ceux de la psychanalyse, aussi) me paraissait en effet fort séduisante.
L’essai est bref (150 pages, bibliographie incluse – une bibliographie purement philo/psycho ; on notera et regrettera l’absence de filmographie, même indicative…), et ne saurait donc prétendre à l’exhaustivité. Mais il y a amplement de quoi dire et faire, même en se limitant, comme ici, aux œuvres les plus célèbres (pour l’essentiel cinématographiques), quitte à faire passer à la trappe le reste (quasiment rien sur la littérature en dehors de quelques lignes sur Je suis une légende, alors qu’elle est tout particulièrement abondante ces dernières années – World War Z, bordel ! –, pas davantage sur les séries TV et BD en dehors de brèves évocations de Walking Dead…).
J’avouerai toutefois que ce caractère lacunaire m’a pas mal gêné, y compris en ce qui concerne le seul cinéma, d’autant qu’il se double d’un certain nombre de fâcheuses approximations : ainsi, quand il traite du zombie haïtien, Maxime Coulombe n’évoque à peu de choses près que le White Zombie de Victor Halperin, là où il me semble que le Vaudou de Jacques Tourneur aurait pu être riche d’enseignements. Bon, là, je veux bien admettre que je pinaille… Plus gênant à mon sens, les zombies des années 1960-1970 sont limités aux seuls Romero, là où quelques mots, au moins, sur la vague zombifique italienne auraient pu être utiles (je ne parle pas nécessairement des nanars à la Mattei ; Fulci, probablement le plus important réalisateur du genre après Romero, n’est pas évoqué une seule fois…). De même, quand il dresse la généalogie des films d’infectés, Maxime Coulombe, qui n’évoque pas les premières adaptations « officielles » de Je suis une légende, fait de même l’impasse sur le premier à être vraiment symptomatique de cette tendance… qui était déjà dû à Romero, à savoir The Crazies (et on rappellera pour le plaisir, comme diraient Herbert Léonard et Julien Lepers, le stupide titre français de ce film ultra-fauché mais néanmoins intéressant, La Nuit des fous vivants). On pourrait noter, d’ailleurs, que la distinction faite entre le zombie à la Romero et l’infecté a quelque chose de spécieux (à mon sens, celle entre zombies « lents » et zombies « rapides », plus contemporains dans l’ensemble, aurait été plus riche d’enseignements, mais bon…). Et puis il y a des qualifications… déconcertantes. Pour ma part, j’ai ainsi du mal à voir dans Shaun of the Dead une « comédie romantique » (Zombie Honeymoon, à la rigueur, OK, mais c’est médiocre). Bon, admettons. Mais dire de La Route (sans parler un seul instant du bouquin de McCarthy, d’ailleurs) que c’est probablement le plus célèbre film de zombies ! Non, franchement, non. Il n’y a ni zombies ni infectés dans La Route, juste (un peu) des cannibales (et à ce compte-là, il aurait pu être intéressant de faire un lien avec la vague de films de cannibales italienne, Cannibal Holocaust en tête, mais non…) ; le cadre post-apocalyptique dépasse largement le seul champ du genre zombie (mais, là encore, pas un mot sur tout cet aspect, en littérature ou ailleurs) ; et puis merde, La Nuit des morts-vivants et Zombie me paraissent quand même nettement plus célèbres, plus importants, et plus à même de rester dans les mémoires…
Petit catalogue non exhaustif des lacunes et approximations « objectives » de cet essai non exhaustif, donc. Vous, je sais pas, mais moi, je trouve ça quand même gênant : pour le coup, il y a tout de même un peu trop « d’oublis »… Bon, certes, vous pouvez trouver que j’exagère, c’est possible. Et j’admets volontiers qu’une analyse intéressante pouvait être construite sans s’embarrasser de toutes ces références (même si… bon, OK, d’accord).
Problème (encore !) : à mon sens, cette Petite Philosophie du zombie ne tient pas ses promesses, en ce qu’elle enfonce un nombre considérable de portes ouvertes… tout en négligeant les plus essentielles (rien sur la critique politique et sociale au lance-pierres chez Romero, qui constitue pourtant le cœur de ses films). Alors on a des considérations somme toute banales sur le double, sur l’inquiétante étrangeté, sur la bios et la zoe, sur l’homo sacer, sur l’abject, sur l’apocalypse, et notamment les villes désertées… Pas de quoi réveiller un mort.
D’autant que certaines conclusions me paraissent infondées : ainsi, dans le genre zombie, l’inquiétante étrangeté me semble jouer un rôle très limité, du moins en regard de la terreur matérialiste de l’abjection et du gore. De même, si j’admets volontiers que le zombie est par essence une figure grotesque, je rejette largement l’idée d’en faire un monstre ridicule et risible (devant un nanar ou un Brain Dead, je dis pas ; mais devant La Nuit des morts-vivants, Zombie ou 28 Jours plus tard, perso, j’ai pas du tout envie de rire… S’il est une figure de l’horreur pessimiste, c’est bien le zombie…). Et puis, décidément, le genre apocalyptique est ici perçu d’une manière beaucoup trop réductrice (voir, même si c’était pas extraordinaire non plus, le bref essai d’Alex Nikolavitch).
Je ne vais pas m’étendre plus que de raison. Je me sens un peu seul sur ce coup, à vrai dire… Mais voilà : en ce qui me concerne, moi, je, me, myself, I, ce court essai de Maxime Coulombe fut une grosse déception. Guère enrichissant sur le plan philosophique, trop léger pour les amateurs de zombies, il me fait l’effet d’une énième production opportuniste qui ne satisfera vraisemblablement que ceux qui ne s’intéressent qu’en surface à la philosophie comme aux zombies. Très dispensable, donc.
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