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"Plop", de Rafael Pinedo

Publié le par Nébal

Plop.jpg

 

PINEDO (Rafael), Plop, [Plop], traduit de l’espagnol (Argentine) par Denis Amutio, Talence, L’Arbre vengeur, [2002, 2007, 2010] 2011, 170 p.

 

Plop.

 

C’est comme ça que la vieille Goro l’a nommé, parce que c’est le bruit qu’il a fait en tombant dans la boue, à sa naissance.

 

Plop.

 

Il a commencé dans la boue, et finira dans la boue. Plop incarnera la boue. Car il n’y a à vrai dire rien d’autre. Il n’y a jamais eu rien d’autre.

 

Plop est le premier roman de l’Argentin Rafael Pinedo (1954-2006), et a obtenu le prix Casa América 2002. Et il fait dans le post-apocalyptique. Mais on n’y cherchera pas l’humour de Fallout, la mystique de La Route, pas plus que l’aventure débridée de La Terre sauvage. Plop œuvre dans un tout autre registre, une sorte de naturalisme cru et sec comme un coup de trique, barbare et sauvage (j’ai pu penser, dans un autre genre, à La Ballade de Narayama…). Plop, en dépit de son nom innocent, est un cauchemar à l’état pur, tout en teintes de noir et de gris, le cauchemar d’une humanité dénuée de tout, et qui survit au prix d’atrocités perpétuelles.

 

Il y a le Groupe, semi-nomade, divisé en Sections. Parfois, le groupe est obligé de migrer, sous la pluie perpétuelle, peinant dans la boue. Il se rend de temps à autre dans un Lieu d’échange ; il cherche autrement des Lieux de chasse (on chasse les chats dans Plop… et, non, ce n’est pas drôle). Il rencontre parfois d’autres Groupes, ou de ces individus qui vivent presque seuls ; parfois, alors, on échange ; d’autres fois, on tue.

 

Le Groupe, avec à sa tête un Commissaire général, a ses rites, et ses coutumes. Dans le Groupe de Plop, ainsi, il ne faut jamais montrer sa bouche : on ne tire pas la langue, on parle en baissant la tête, on mange bouche fermée. Des fois, il y a des fêtes, aussi. Mais l’existence du groupe n’est guère joyeuse, malgré l’alcool ou le sexe (on « s’utilise », dans Plop). Car nous sommes dans un monde qui n’a pas d’avenir. Un monde où l’on meurt vite, et souvent à cause du Groupe lui-même, que l’on soit dans la terrible section Volontaires 2, pour cause de faiblesse, d’idiotie, ou tout autre raison qui pourrait menacer à terme la survie du groupe, ou, tout simplement, que l’on se trouve au mauvais endroit au mauvais moment (mais y a-t-il de bons endroits ? de bons moments ?). On est alors souvent recyclé. La mère de Plop, Chanteuse, a ainsi été recyclée, et Plop en a hérité un fémur, pour y tailler une flûte. Ce qu’il n’a jamais fait.

 

La vie de Plop est dure. Sans affection – la vieille Goro est rude. Plop, à bien des égards, n’aurait pas dû survivre. Mais Plop est un battant. Et il compte bien sortir de la boue, s’élever, gravir les échelons. Il connaît bien la loi du plus fort. Et il est rusé, et manipulateur. Plop est un salaud.

 

Mais comme il est né dans la boue, il mourra dans la boue.

 

Plop.

 

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’on ne fait pas dans la dentelle, ici. J’ai rarement lu roman aussi systématiquement noir et horrible, tableau aussi répugnant de l’humanité. On est bien loin, sous cet angle, des clichés du genre (même si l’on peut penser, à l’occasion, à quelques titres particulièrement forts, je songe notamment à l’excellent Génocides de Thomas Disch). Impossible de rire, dans Plop. Ici, on ne fait pas vraiment dans la 125 maladroitement customisée post-Mad Max. Impossible non plus de croire en quelque chose de meilleur : la réalité, sordide, est toujours là, et la réalité, c’est la boue. Ou le sang…

 

Plop est un court cauchemar, d’une âpreté impitoyable. Chacun de ses très brefs chapitres contient une nouvelle abomination ; les atrocités se succèdent ainsi dans une farandole infernale (un Karimbo autiste…), ne laissant jamais le moindre répit au lecteur. Et l’humanité, dans ce qu’elle a de plus odieux, est impitoyablement disséquée, sous le scalpel rouillé d’un anthropologue sadique et froid. Plop n’est pas le livre à lire si vous voulez croire en votre prochain…

 

Et, en dépit d’une traduction qui m’a parfois paru douteuse, son style, entre naïveté et sécheresse, fait mouche. Impression de primitivisme remarquable. On prend chaque phrase comme un coup de poing. En même temps, on ne s’attarde jamais sur l’horrible ; ce qui lui donne d’autant plus un air de réalisme familier, de vécu au quotidien.

 

On souffre avec Plop et ses congénères. Mais de là à parler de « sympathie », il y a pourtant un grand pas. Tout juste si l’un des survivants, Urso, parvient à susciter notre commisération quand il en vient à secourir envers et contre tous une petite mongolienne. Certes, au début, on veut croire que le trio formé par Plop, Urso et Tini vaut mieux que les autres, qu’il est possible de les aimer, de les prendre en pitié. Mais bien vite, l’accent est mis sur Plop et son ambition destructrice. Et il n’y a alors plus d’espoir. Y en a-t-il jamais eu ?

 

Si l’on ne fera peut-être pas de Plop un chef-d’œuvre, il est incontestablement de ces livres qui marquent. Glauque et répugnant, il fait son petit effet (et, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, j’ai tendance à considérer, dès lors, qu’il ne peut par principe être mauvais, loin de là). Plop soulève l’estomac, et fascine à chaque page. On en ressort éreinté, déprimé, et en même temps convaincu d’avoir lu quelque chose de très fort.

 

Plop.

CITRIQ

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