"Poètes de l'Imaginaire", de Sylvain Fontaine (éd.)
FONTAINE (Sylvain) (éd.), Poètes de l’Imaginaire. Fantastique, fantasy, science-fiction, préface de Michel Viegnes, [s.l.], Terre de brume, 2010, 672 p.
Le beau livre que voilà ! Une anthologie
Originale – osons même le mot : unique –
Devant laquelle j’étais cependant sceptique,
Moi, exécrant les pouètes et leur polésie.
Aussi avais-je prévenu le maître d’œuvre :
« Ah ! Fontaine, je ne boirai pas de ton « Ô ! »
« Et je n’avalerai pas non plus tes couleuvres :
« Non, tes arguments ne pourront que sonner faux.
« Les pouètes et moi sommes irréconciliables.
« Certes, on peut bien trouver cela lamentable,
« Mais l’Éducation nationale a bien fait
« Son travail, a profondément enraciné
« En moi le dégoût des vers. » – J’ai été honnête,
Mais le Sylvain rusé n’en a fait qu’à sa tête,
L’ouvrage redouté m’est tombé du ciel.
Volumineux, beau ; il m’apparut bientôt
Que cette lecture serait essentielle,
Et que dans l’histoire j’aurais l’air d’un blaireau…
Mes a priori mis à nu par le perfide,
L’audacieux, le fourbe, le nébalicide,
Las ! Il ne me restait plus qu’à lire la chose,
Commettant une infidélité à la prose,
Et révélant à tous mes contradictions
En me livrant simplement à cette action…
Un projet ambitieux que celui de cette
Somme en vers et contre tous : réunir poètes
Et poèmes sous la si belle bannière
De nos littératures de l’Imaginaire.
Dresser ainsi un pont entre littérature
« Savante » et culture populaire, ce qui,
L’air de rien, n’est certes pas mince gageure.
Le XIXe siècle fut choisi
Pour dénicher des ancêtres à la fantasy,
Au fantastique et à la science-fiction,
Ainsi que – audacieux – aux « transfictions »,
Faisant ainsi le tour de nos genres chéris.
Avec la France pour terrain d’élection,
Notre anthologiste a rempli sa mission.
Trois cents treize poèmes de quarante-trois
Auteurs, des plus prestigieux aux plus obscurs
Rimailleurs, pour une sélection de choix,
Mêlant avec adresse la littérature,
La grande, et les curiosités oubliées.
Oh, Il en résulte de l’inégalité :
Chez les Grands Anciens Hugo trône, exemplaire ;
Mais la perfection s’incarne en Baudelaire,
Et si Rimbaud n’a ici que « Le Bateau ivre »,
Ces géants dominent sûrement tout le livre.
Le reste n’est cependant pas sans intérêt –
J’ai ainsi pu apprécier Jean Richepin –
Et ce beau livre ne manque donc pas d’attraits,
Et il se lit avec plaisir jusqu’à la fin.
C’est l’occasion de bien des découvertes
Dans tous ces genres qui nous intéressent tant :
Il constitue une superbe porte ouverte
Donnant sur les grands visionnaires d’antan.
Tantôt romantiques, tantôt positivistes,
Des « frénétiques » aux symbolistes et décadents,
Ces auteurs nous tissent des poèmes ardents,
Et l’éditeur nous convie à un jeu de piste
À travers les styles et les courants qui ont fait
L’histoire des lettres au long de ces cent années,
Grotesques, macabres, sombres, désenchantées,
Et merveilleuses, scientifiques, louées,
Cent années de progrès, de transformations,
Suscitant l’enthousiasme ou la réaction.
Les poètes, tantôt rêveurs, tantôt lucides,
Tournés vers l’univers ou l’introspection,
Allégorisent, imaginent avec passion
Des futurs que l’écoulement des temps valide,
Et des présents à la fois mornes et forcenés,
Des passés enchantés et mythiques, volés
Aux souvenirs des dieux, des nymphes et des fées.
Et naissent nos genres sous la plume inspirée
Des poètes à la Muse gracieuse, fertile,
Qui ose, l’insensée, faire convoler le style
Et l’idée dans des poèmes léchés. Aussi,
Ne vous fiez pas au piètre imitateur
Qui versifie céans avec un air moqueur :
De cette lecture vous sortirez ravis,
Enchantés par l’art de bien meilleurs poètes,
Et par leurs poèmes aux sonorités parfaites.
Le volume n’est cependant pas sans défauts :
Les catégories peuvent sembler arbitraires,
Les rattachements capillotractés, ou faux ;
Si je crois volontiers l’éditeur sincère,
Le paratexte prête pourtant le flanc à
La critique, et, disons-le, dans bien des cas,
La démonstration ne convainc pas vraiment.
Ainsi des « transfictions », cas très éloquent :
Toute la poésie pourrait y figurer,
À s’en tenir aux définitions données…
Quant aux notes de bas de page, elles ont de quoi
Laisser sceptique : le plus souvent inutiles,
Et autrement presque toujours un peu futiles,
Elles sont si scolaires qu’on en reste coi,
Avec cette impression si désagréable
D’être pris pour un ignare ou un imbécile…
Non, je ne crois pas le lecteur si incapable
Pour qu’on lui inflige ces notes malhabiles.
Mais ce n’est là qu’un détail, pas vraiment gênant ;
Ces notes, le lecteur peut bien faire sans…
Et le bilan est très largement positif :
Ces Poètes de l’Imaginaire séduisent,
Mon scepticisme relevait de la bêtise.
Et maintenant, moi, la polésie, je la kiffe.
…
Enfin, pas tout à fait : c’est que je suis têtu !
Le temps d’un livre, mes préjugés se sont tus.
Si je dois reconnaître qu’il y a pouètes
Et poètes, aussi polésie et poésie,
Pour les poseurs, je conserve tout mon mépris
Bête et méchant, et conclus : poil à la quéquette.
Commenter cet article