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"Signal/Bruit", de Neil Gaiman & Dave McKean

Publié le par Nébal

Signal-Bruit.jpg

 

GAIMAN (Neil) & McKEAN (Dave), Signal/Bruit, [Signal to Noise], traduit de l’anglais par David Calvo et Charles Recoursé, Vauvert, Au Diable Vauvert, [1992, 2007] 2011, [n.p.]

 

Il est des duos qui ont marqué l’histoire de l’art. Bien sûr, on pensera en priorité à Stone & Charden, ou encore Ringo & Sheila. Pour autant, celui formé par Neil Gaiman & Dave McKean n’est pas à négliger, et on lui doit quelques fort belles réussites. Leur collaboration a d’abord donné le jour à quelques superbes bandes-dessinées : que l’on songe par exemple à Violent Cases ou à l’excellentissime Mr Punch ; dans un registre un peu différent, on pourrait d’ailleurs évoquer Sandman, qui reste à mes yeux le chef-d’œuvre de Gaiman tous médias confondus, dans la mesure où McKean a maquetté les albums et fourni les illustrations de couverture. Et puis leur association s’est poursuivie ailleurs, McKean illustrant les livres de Gaiman, ce dernier scénarisant le film du premier Mirrormask (à voir ; c’est pas parfait, loin de là, mais très intéressant).

 

Ce qui nous amène à Signal/Bruit, tout récemment publié en français par Au Diable Vauvert. Une BD, à l’évidence.

 

 

Ou pas. Enfin, un truc qui se dévore des yeux et qui se lit, en tout cas. Mais dans un registre assez expérimental, bien plus que les œuvres citées précédemment. Tout est dans le titre, dans un sens. Il y a le signal, et le bruit qui le perturbe. Signal/Bruit est une œuvre perturbée, qui fait notamment dans le collage et la découpe – on ne s’en étonnera pas de la part de McKean, mais Gaiman également se plie (…) à l’exercice –, pour ne pas dire (mais pourquoi ne pas le dire ?) le cut up.

 

Tout est parti du magazine The Face, pour lequel McKean avait déjà réalisé trois courtes œuvres dans le genre, dont une écrite par Gaiman, qui sont ici reprises en guise d’introduction. Mais Signal/Bruit, bien qu’assez bref, est en comparaison une œuvre de bien plus longue haleine, qui fut publiée par le magazine en feuilleton, puis en recueil en 1992, avant de faire l’objet d’une édition augmentée en 2007, celle qui nous est ici proposée.

 

« L’histoire » (un bien grand mot, peut-être, mais rien de péjoratif là-dedans) est fort simple : c’est celle d’un homme en train de mourir d’un cancer. Un réalisateur, en l’occurrence. Qui ne pourra pas tourner son dernier film, du coup. Mais qui le travaille néanmoins, dans sa tête tout d’abord, puis à l’écrit. L’histoire d’un village dans les dernières heures de l’an 999, à la veille de ce que tout le monde s’attend être l’apocalypse.

 

(Eh oui. Déjà.)

 

L’œuvre est presque nécessairement triste, évidemment morbide ; mais elle est aussi lumineuse, dans un sens ; et en même temps cryptique. Elle perturbe autant qu’elle est perturbée, en tout cas.

 

Perturbée par la forme, ces brèves séquences « narratives » (faut le dire vite, juste au cas où) entrecoupées d’intertextes façon cut up naturellement abscons, mais dont il se dégage pourtant une indéniable poésie. Parallèlement, les illustrations s’enchevêtrent, se fondent, se substituent, se génèrent, dans un magnifique chaos merveilleusement organisé. Perturbante, du coup, sur le seul plan formel ; mais aussi, bien sûr, au fond des choses, par son thème : la mort, sublimée et rendue plus atroce encore par l’expectative. Si Signal/Bruit est une histoire, c’est celle d’hommes qui attendent l’inéluctable ; mais il est bien des manières d’attendre, et notre héros n’a pas la passivité de ses personnages, figures égarées dans la brume et la neige. Aussi, en dépit de tout, construit-il son œuvre ultime sous nos yeux, peut-être à notre seule intention. L’attente de l’apocalypse : la mort, comme la révélation.

 

Signal/Bruit forme un tout indissociable, et on aurait sans doute tort de vouloir à tout prix séparer le travail de Neil Gaiman de celui de Dave McKean. Les deux sont à vrai dire exemplaires. Je ne cacherai pas, cependant, que, si la narration et le texte de Gaiman brillent par leur délicatesse, leur subtilité et leur émotion, c’est – comme souvent – avant tout le graphisme de McKean qui m’a séduit dans cette BD hors-normes. Il est ici à son sommet, ai-je le sentiment, meilleur encore (ou en tout cas aussi bon, cela au moins ne fait pas de doute) que dans les œuvres précitées, ou d’autres de ses réussites les plus marquantes, comme Batman : Arkham Asylum avec Grant Morrison ou, en solo, le monumental Cages. Signal/Bruit est sur ce plan une véritable merveille, conçue avec un art unique pour un résultat qui dépasse toutes les attentes. En d’autres termes : putain, que c’est BEAU !

 

À tomber par terre. À en mourir. Dieu, que la mort est belle, ainsi creusée, travaillée jusqu’au dernier souffle, au dernier battement de cœur… Malgré l’injustice, malgré la douleur, malgré l’inachèvement. Malgré le bruit qui vient perturber définitivement le signal, ou peut-être (sans doute) grâce à lui. On aura rarement lu cadavre plus exquis.

 

Précipitez-vous.

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