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"Slogans", de Maria Soudaïeva

Publié le par Nébal

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SOUDAÏEVA (Maria), Slogans, traduit du russe par Antoine Volodine, [s.l.], Seuil / L’Olivier, 2004, 107 p.

 

Maria Soudaïeva (1954-2003), poète et romancière russe, fondatrice d’un éphémère mouvement anarchiste après la fin de l’URSS, est…

 

 

Bon, d’accord, c’est une « voix du post-exotisme », et donc un des multiples avatars d’Antoine Volodine, qui en a plus d’un dans son sac. Et une voix des plus singulières, oh ça oui. Quand bien même on retrouve dans ces déconcertants Slogans l’univers propre au romancier que j’avais découvert en son temps avec l’omnibus reprenant ses quatre premiers titres en Denoël « Des heures durant… », poussé en cela par Léo Henry et Jacques Mucchielli, dont le « cycle » bâti autour de la ville de Yirminadingrad doit beaucoup audit maître et à ses procédés d’écriture.

 

Je dois cependant dire que je me retrouve du coup ici un peu dans la même situation qu’avec Yama Loka Terminus et compagnie. Comme les plus fidèles d’entre vous s’en souviennent peut-être, l’excellent premier recueil de Yirminadingrad m’avait tellement séduit… que je ne savais pas quoi en dire. Je ne voyais honnêtement pas comment communiquer mon enthousiasme autrement qu’à coups de superlatifs, ou autres « Lisez cette merveille, je le veux, c’est un ordre, il le faut ». Aussi ce maudit livre génial m’avait-il conduit à mettre ce blog en pause… Et je n’avais pas davantage su trouver les mots pour parler des quatre premiers romans de Volodine. Qui m’avaient également passionné et fasciné, hein ; seulement j’étais donc incapable d’expliquer pourquoi ; et à vrai dire, je ne sais même pas au juste de quoi ils parlaient, ce qui rendait même le résumé impossible. C’est là une marque du talent de Volodine, qui, à mon sens, est avant tout un peintre et un poète ; or je ne suis le plus souvent guère sensible à la peinture et à la poésie… Quand c’est le cas, c’est que l’œuvre est particulièrement marquante ; mais, inévitablement, les mots me manquent…

 

Or, pour le coup, les Slogans de Maria Soudaïeva, c’est très clairement de la poésie. Et de la meilleure, mais dans un versant qui le plus souvent me laisse pourtant perplexe ; à savoir que l’auteur verse ici régulièrement dans le surréalisme, et même sans doute dans l’écriture automatique, procédé qui m’a toujours paru friser l’escroquerie.

 

Mais pas cette fois.

 

Non.

 

Parce qu’Antoine Volodine, avec ses injonctions folles en capitales, toujours exclamatives, parvient étonnamment, avec une grâce proprement stupéfiante, à construire tout un imaginaire extrêmement fort. On n’y comprend rien, mais ce n’est pas grave, tant cela va à vrai dire au-delà de la compréhension. Si le poète doit se faire voyant, comme disait l’autre jeune couillon (que j’aime beaucoup par ailleurs…), son art est à son sommet quand il parvient à communiquer ses visions au lecteur le plus rétif. Et Volodine y parvient ici magnifiquement. Ses slogans n’ont le plus souvent ni queue ni tête, mais on voit quelque chose, pourtant. Un monde en guerre, des régiments féminins dans un Est déliquescent, qui se battent contre Marx sait quoi. Créatures étranges, concepts frelatés.

 

C’est une poésie de l’imaginaire, oui, et, autant lâcher le mot : une poésie science-fictive à bien des égards. Volodine/Soudaïeva nous transporte dans un monde secondaire que l’on perçoit plus intuitivement qu’intellectuellement ; ce qui n’empêche pourtant pas le lecteur, au fil des injonctions, de chercher – et peut-être de trouver – du sens à tout cela. Les ordres farfelus, parfois contradictoires, les litanies incantatoires de suggestions et conseils, les appels, les programmes, les instructions de dernière minute dessinent un paysage fascinant.

 

Formellement d’une étrange beauté, à la fois cauchemardesque et non dénuée d’humour (le citoyen Kafka est convoqué d’urgence au bureau number 21308), les Slogans de Maria Soudaïeva bouleversent ainsi sans que l’on sache vraiment ni pourquoi, et avec toujours au fond du crâne cette crainte insidieuse que l’auteur se foute un peu du monde, mais toujours aussi cette réponse inéluctable : « Ta gueule, on s’en fout, c’est puissant, alors admire ! »

 

Une bien étrange odyssée, qui laisse un brin perplexe à l’arrivée – mais qu’est-ce qu’on a lu, bon sang ? –, tout en convainquant intimement qu’il y a là bien plus de travail et de maîtrise qu’il n’y paraît au premier abord.

 

Bref, je ne sais pas vraiment pourquoi, mais j’aime (pas au point d’en faire une lecture indispensable, c’est quand même spécial…). Et je n’en ai de toute évidence pas fini avec Volodine et toutes ses « voix du post-exotisme ».

 

Comment conclure, sinon ? Ben tiens ! Dans l’optimisme, ou, au choix, l’ironie désabusée : « LES MAUVAIS JOURS FINIRONT ! »

CITRIQ

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T
A ce jour, probablement l'incarnation la plus radicale du post-exotisme (encore que je soupçonne le bien nommé Haïkus de prison d'être pas mal dans le genre).<br /> <br /> En partant d'un postulat presque absurde tant la contrainte formelle paraît insurmontable, on arrive à un petit miracle de "poésie politique post-apocalyptique" (je n'ai pas mieux comme<br /> descriptif...).<br /> <br /> Il paraît qu'il existe aussi une adaptation théâtrale (!) de la chose : elle doit valoir le détour.
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