"Tau zéro", de Poul Anderson
ANDERSON (Poul), Tau zéro, [Tau Zero], traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Daniel Brèque, avant-propos de Jean-Daniel Brèque, postface de Roland Lehoucq, Saint Mammès, Le Bélial', [1970] 2012, 291 p.
Depuis que j'ai découvert Poul Anderson grâce à Jean-Daniel Brèque et à son Orphée aux étoiles, j'ai pas mal lu cet auteur trop longtemps négligé de par chez nous, et n'en ai été que rarement déçu (une seule fois, en fait). Aussi, quand j'ai appris que les (ben chouettes) éditions du Bélial' allaient publier, 42 ans après sa sortie aux Etats-Unis, Tau zéro, considéré comme un classique de la SF hard science et plus si affinités, je n'ai pas sauté au plafond, mais presque. Et je me suis en toute logique rué sur la bête dès sa parution. L'avant-propos de Jean-Daniel Brèque en a rajouté dans les attentes : il semblerait que Poul Anderson considérait Tau zéro comme ce qu'il avait fait de mieux, ce dont il était le plus fier. Mazette ! Allez, hop, lisons donc.
La Terre au XXIIIe siècle. Une planète dominée... par les Suédois (or nous savons combien les Suédois sont des êtres fourbes et viscéralement décadents). On y a entraîné 50 personnes, 25 hommes et 25 femmes, pour un vol interstellaire à destination de Beta Virginis, à bord du vaisseau Leonora Christina. Contrairement à ce que prétend la quatrième de couv' (qui fait en outre dans le jeu de mots douteux...), ce n'est pas là le premier vol habité hors système solaire. Mais ça reste quelque chose de tout à fait exceptionnel, nécessitant un équipage qui ne l'est pas moins.
Le Leonora Christina, propulsé par un aspirateur de Bussard qui puise l'énergie nécessaire à sa propulsion dans l'espace même, voyage donc à des vitesses relativistes, pour une destination située à 32 années-lumière de la Terre. Mais, du fait des principes relativistes, le temps ne s'écoule pas à la même vitesse selon que l'on se trouve dans le vaisseau en train de se déplacer ou à l'extérieur... Et c'est bien ce qui va constituer l'enjeu fondamental du roman quand, pour une raison que je me voudrais de dévoiler ici, il va y avoir un problème. Et un gros.
Alors ? Alors.
Alors Tau zéro est à l'évidence une franche réussite à bien des égards, et l'on peut comprendre et trouver légitime la fierté qu'en retirait l'auteur. Nous sommes effectivement en présence d'une sacrée SF hard science et, comme chez les meilleurs auteurs du genre (au hasard un Egan ou un Baxter), cela ouvre des perspectives fascinantes débouchant sur ce si délicieux sentiment de vertige qui nous étreint quand, contemplant le ciel étoilé, on cherche petitement à prendre la mesure de tout ça. Le roman, à l'instar du vaisseau, est soumis à une accélération irrépressible, et devient de plus en plus saisissant à mesure que l'on en tourne les pages (après un début qu'on pourra tout de même trouver un peu mou). Cerise sur le gateau, ici : la longue et passionnante postface de l'excellent Roland Lehoucq qui vient éclairer les dimensions scientifiques du roman.
Pourtant, ce Tau zéro fut en ce qui me concerne une déception, et j'ai le sentiment que, à l'instar de Destination ténèbres il y a quelque temps de cela, il est typique de ces livres, classiques ou pas, qui m'amènent à reconsidérer mon rapport à la science-fiction. Parce que oui, voilà, le « sense of wonder », c'est très bien, les étoiles, le vertige, tout ça. Mais avec des personnages et une plume, ben, ça serait mieux. Et sous cet angle, Tau zéro n'est hélas guère brillant...
Les personnages sont de purs archétypes, que Poul Anderson tente vainement d'humaniser en narrant leur galipettes (très libres, c'est l'esprit du temps... ou de la Suède) ; sauf que c'est vite pénible, ces histoires de fesses, et ça ne trompe personne : ces personnages-là dégagent autant de chaleur humaine qu'un glaçon dans le freezer d'un ingénieur. Et encore, ça, c'est au mieux. Au pire, ils sont franchement antipathiques et caricaturaux, tel le gendarme Charles Reymont... qui est pourtant, peu ou prou, le héros du roman. Diantre. Pourtant, on a connu Poul Anderson nettement plus subtil à cet égard, de même que sur le plan du style – dois-je vous rappeler une fois de plus « Le Chagrin d'Odin le Goth » ? Mais ici, absolument aucun effort n'est perceptible de la part de l'auteur, que l'on sent obnubilé par la seule précision scientifique. Est-ce là aussi le témoignage ultime d'une certaine science-fiction ? Tau zéro accuse sur ce plan son âge, c'est le moins qu'on puisse dire...
Aussi aurais-je envie de dire que, si Tau zéro est probablement un très bon roman-de-science-fiction, c'est un roman-tout-court passablement médiocre, et difficile à défendre : c'est presque une caricature de ce que l'on reproche traditionnellement à la SF quand on n'en lit pas... Alors, certes, ce jugement-là, on s'en fout. Mais personnellement, moi, je, me, myself, I, j'ai de plus en plus de mal à me satisfaire de cette science-fiction-là. Je ne suis plus un adolescent candide émerveillé par les étoiles ; c'est sans doute regrettable (encore que), mais c'est ainsi.
Alors c'est vous qui voyez.
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