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"The Dog and the Wolf", de Poul & Karen Anderson

Publié le par Nébal

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ANDERSON (Poul & Karen), The King of Ys : The Dog and the Wolf, New York, Baen, coll. Fantasy, 1988, 531 p.

 

Pour tout un tas de raisons, plus ou moins mauvaises, ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai achevé la lecture du « Roi d’Ys » de Poul & Karen Anderson avec The Dog and the Wolf ; ce qui confirme sans doute une chose, c’est que je n’étais vraiment pas en état, comme prévu initialement, d’en livrer la critique pour le Bifrost consacré à l’auteur, entre autres, de « La Patrouille du temps »… De même qu’on ne se fiera pas à cette couverture hideuse et ridicule pour juger de la qualité de ce quatrième et dernier volume, on ne déduira rien de mon retard : The Dog and the Wolf (le titre joue, habilement d’ailleurs, sur l’expression « entre chien et loup » qui revient régulièrement dans ce volume, chargée de divers sens) est assurément un bon livre (même si je l’ai trouvé peut-être un poil moins bon que les trois précédents) ; ce n’est que pour des raisons personnelles que j’ai autant tardé à le lire et à le chroniquer.

 

Un livre étrange, cependant, que ce quatrième et dernier tome : en effet, le cœur de la légende « classique » d’Ys – avec la submersion de la ville et la personnalité maléfique de Dahut, encore qu’elle soit plus complexe sous la plume de notre couple d’auteurs que dans les récits traditionnels – faisait l’objet du tome précédent (de sa fin, bouleversante, plus particulièrement). Pour reprendre les mots de quelqu’un qui s’y connaît, The Dog and the Wolf fait du coup quelque peu figure d’ « anti-climax ». Ce gros roman, au rythme sans doute un peu plus lent que les précédents, et à la trame sans doute plus dispersée, a ainsi de quoi désarçonner quelque peu. On n’en conclura pas, cependant, qu’il s’agit d’un tome de trop : il est parfaitement cohérent avec le projet d’ensemble de Poul & Karen Anderson, qu’il vient éclairer d’une manière assez subtile.

 

Nous sommes donc au tournant des IVe et Ve siècles, en pleine chute de l’Empire romain d’Occident, alors que la ville merveilleuse d’Ys vient d’être ravagée par les flots, suite à la traîtrise (et/ou la naïveté) de la belle Dahut et au désir de vengeance de Niall aux Neuf Otages. Colère des dieux de la ville, envers le roi Gratillonius blasphémateur ? Colère de Dieu, celui des chrétiens qui gagnent de jour en jour plus d’emprise ? Quoi qu’il en soit, Ys n’est plus, et ne sera plus jamais. Elle tombera progressivement dans l’oubli, jusqu’à ce qu’on en perde toute trace, si ce n’est dans d’obscures légendes bretonnes christianisées…

 

Le roi d’Ys Gratillonius – sauvé d’extrême justesse par Corentinus (qui amalgame les figures de saint Corentin et de saint Guénolé) – ne règnera pas sur des ruines, cependant. Et s’il a tôt fait de se libérer de son encombrant titre de monarque, l’ancien centurion romain n’abandonne pas pour autant ses responsabilités. Sous son commandement, les survivants, qui se mêlent aux tribus armoricaines, aux légionnaires bannis de Drusus et aux Bagaudes de Rufinus, fondent une nouvelle ville, Confluentes (Quimper). Mais ce n’est pas si facile que ça, surtout dans le contexte général de déliquescence de l’Empire romain d’Occident aux abois, soumis à de récurrentes invasions barbares (qui culmineront bientôt avec le sac de Rome par les Wisigoths d’Alaric) et à de tout aussi fréquentes guerres civiles, notamment quand les troupes stationnées dans la Bretagne natale de Gratillonius (la Grande-Bretagne, donc, pas l’Armorique, suivez un peu) ne cessent de hisser à la dignité d’Empereur des généraux tentant d’usurper le pouvoir du faible Honorius et du Vandale Stilicon qui tire les ficelles dans l’ombre. À vrai dire, la situation ambiguë de Confluentes et le statut incertain de Gratillonius font de Rome un ennemi de taille, et les autorités locales, avides de taxes et terrifiées par le risque d’insurrection, représentent une sacrée épine dans le pied de l’ancien roi d’Ys. Ses difficultés ne s’arrêtent cependant pas là : Gratillonius doit aussi faire face, lui-même, aux incursions barbares, et notamment aux menées de Niall, toujours obsédé par un désir de vengeance qui n’a pas été satisfait par la submersion d’Ys… Si l’on y ajoute des troubles d’ordre religieux – dans un contexte de conversion en masse au christianisme, auquel Gratillonius à son tour finira par se plier, ayant rejeté tant les dieux d’Ys que son Mithra au lendemain de la catastrophe – et des problèmes personnels – ses amours contrariées, sa sorcière de fille Nemeta… –, on comprendra que Grallon a encore bien du pain sur la planche. Ceci sans compter le poids du passé, qui se refuse à disparaître, incarné en l’occurrence par la sinistre ombre blanche de Dahut…

 

Tout ceci fait de The Dog and the Wolf un roman à la trame quelque peu dispersée, et en tout cas fort complexe. Son rythme étrange, son caractère d’ « anti-climax », n’en rendent à vrai dire pas la lecture plus aisée (outre que les auteurs usent d’un style très travaillé, quelque peu archaïsant, beau mais pas toujours facile à s’approprier). Mais qu’on ne s’y trompe pas : si Ys n’est plus, l’histoire de The Dog and the Wolf n’a pourtant rien de superflu, et vient mener à son terme logique cette longue et puissante saga. Et ce terme, c’est sans doute la description sur le vif de la fin d’un monde, pas tant celui d’Ys que celui de Rome. À l’heure entre chien et loup, l’Empire s’effondre, et pointe à l’horizon le Haut Moyen-Âge ; c’est aussi la fin du monde païen, et l’avènement du christianisme – personnalisé ici par la figure charismatique de Corentinus, et qui trouve son point d’orgue dans la conversion hautement symbolique de Gratillonius. Avec Ys qui repose sous les flots et dont les pierres sont pillées petit à petit, c’est enfin le crépuscule des légendes, qui laissent plus que jamais la place à l’histoire.

 

Beau projet, parfaitement mené à terme, dont l’intelligence est admirable, tout comme la documentation abondante qui le sous-tend, et parvient à la constitution d’un monde crédible et réaliste, à mi-chemin du mythe et du concret. Lire à tout prix, à ce sujet, la passionnante postface des auteurs, qui expliquent comment ils ont créé « leur » Ys, parfois bien éloignée de celle des légendes bretonnes et chrétiennes… mais sans doute d’autant plus belle.

 

Projet qui a aussi, notons-le au passage, des résonances religieuses et politiques. Je ne sais quel était au juste le rapport du couple Anderson au christianisme, et ne m’avancerai donc pas sur ce terrain, mais c’est là un thème majeur du roman – du cycle en son entier, même –, qui décrit en définitive le triomphe du Christ sur le monde païen (dans la douleur, certes). Le propos politique peut par ailleurs laisser un goût amer en bouche au lecteur français gauchiss’ : je n’ai pu m’empêcher en effet de voir quelque chose de, disons, « libertarien » dans ce roman (dimension peut-être pas absente des précédents, mais très flagrante dans cet ultime volume) : il n’y a sans doute rien d’innocent dans ce plaidoyer contre une « autorité » centrale d’autant plus faible et perverse qu’elle est corrompue, qui fait crouler le quidam sous des taxes injustes sans lui apporter de réelle protection en échange ; ce qui aboutit à une justification de l’auto-détermination, passant notamment par l’auto-défense… Bon, on ne va pas se pincer le nez non plus, hein, mais il me paraissait important de relever cette dimension.

 

« Le Roi d’Ys » constitue en tout cas un très beau morceau de fantasy, riche et réaliste ; un modèle du genre, à vrai dire. On regrettera d’autant plus que seuls les deux premiers tomes aient été traduits…

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