"Utopiales 11", de Jérôme Vincent (dir.)
VINCENT (Jérôme) (dir.), Utopiales 11, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2011, 235 p.
J’avais beaucoup apprécié, en dépit de quelques imperfections éditoriales, la précédente anthologie officielle des Utopiales, déjà publiée, comme l’année d’avant, par ActuSF. Mine de rien, on y trouvait quelques excellents textes, et aucun que l’on puisse véritablement qualifier de mauvais, ce qui n’arrive pas tous les jours. Du coup, c’est avec enthousiasme que j’ai attaqué cette nouvelle livraison, d’une taille comparable, quoique plus restreinte pour ce qui est du nombre des auteurs.
Le festival, pour sa thématique 2011, avait choisi « Histoire(s) ». Les éditeurs ont interprété ceci de manière très large, et y ont vu une sorte de carte blanche pour aller dans toutes les directions. On peut le regretter : le fait est que cette anthologie est du coup très hétéroclite, et n’a absolument aucun fil conducteur. Faite de bric et de broc, elle a pour unique ambition de rassembler des textes relevant plus ou moins de l’imaginaire (à vrai dire, la nouvelle de David Calvo est très clairement de littérature générale…), en espérant que la qualité sera au rendez-vous.
Eh bien, oui, dans l’ensemble, elle est là. Au sens où aucun des sept textes retenus ne saurait véritablement être qualifié de mauvais, ce qui est déjà pas mal. Le résultat n’en est pas moins, autant le dire de suite, largement inférieur à la précédente anthologie, d’un bon cran si ce n’est de deux… D’où une relative déception au sortir de ce bref recueil, dont on apprécie la lecture, oui, mais tout en sachant que l’on n’en conservera pas un souvenir impérissable.
Rayon étranger, nous avons cette fois trois auteurs. On commence très bien avec « Le Radeau du Titanic » de James Morrow, qui est probablement, avec celle de Lucius Shepard, la meilleure nouvelle de l’anthologie. En nous contant l’errance prolongée des 2000 et quelques survivants du plus fameux naufrage de l’histoire, l’auteur n’entend pas un seul instant livrer une uchronie (ou histoire secrète ?) véritablement crédible : il s’agit bien plutôt ici d’une fable, ou d’un conte philosophique, comme vous voudrez, débouchant sur l'utopie. C’est en tout cas tout à fait réjouissant, et, après un début un peu hésitant, cela emporte très vite l’adhésion du lecteur. Un regret, toutefois : le texte aurait gagné à être sévèrement relu… Non que la traduction d’Éric Holstein soit mauvaise, mais elle est bourrée de coquilles agaçantes. Bon, on fera avec…
Tim Powers livre quant à lui, avec « Lignes parallèles », une sympathique et astucieuse ghost story impliquant deux vieilles jumelles et une ado mal dans sa peau. Un court texte qui se lit très bien, même s’il m’a laissé comme une légère impression d’inachèvement…
J’y ai en tout cas largement préféré « Salvador » de Lucius Shepard, nouvelle un peu ancienne mais qui constitue à mes yeux l’autre grand moment de l’anthologie. Une sorte de relecture salvadorienne de Platoon et Voyage au bout de l’enfer, teintée de fantastique et d’une touche dickienne. Ambiance remarquable pour une nouvelle qui ne manque pas de produire son petit effet. Au passage, la présentation de l’auteur est assez savoureuse (disons plus que la moyenne…) : « Lire Lucius Shepard, c’est souvent goûter à l’exotisme de l’ailleurs. » Uh uh…
Passons maintenant aux quatre auteurs français présents à l’affiche. Roland C. Wagner, avec « Le Train de la réalité (fragment) », poursuit sur un mode gouailleur l’exploration de l’univers qu’il a créé pour le très recommandable Rêves de Gloire, en nous contant la destinée d’un groupe (DU groupe) de rock’n’roll. Ça se lit très bien, malgré le style oral parfois un peu too much, mais, pourtant, ça ne convainc pas vraiment : c’est un texte en effet relativement inutile, dans le sens où il n’apporte strictement rien de neuf à Rêves de Gloire… J’ose espérer – mais peut-être suis-je naïf – que le volume destiné à paraître sous peu à L’Atalante se montrera plus enthousiasmant ; parce que s’il faut se contenter de chutes du roman, ça sera sans moi…
Il faut croire, ensuite, que j’ai comme un problème avec Norbert Merjagnan… Certes, à la lecture de « L’Invention du hasard », je ne me suis pas ennuyé autant que dans Les Tours de Samarante, et je ne me suis même pas endormi : il y a donc du progrès. Pourtant, cette histoire d’échange de corps entre une jeune fille et un vieillard, sur fond de montages financiers, m’a laissé totalement froid, en dépit des nombreuses idées – assez bonnes, d’ailleurs – avancées dans ce texte très dense. J’imagine donc que ça aurait pu être très bien… Mais non, ça ne marche pas vraiment, sans être mauvais pour autant ; juste anecdotique, et en train de prendre illico le chemin de l’oubli, sans que je sache trop pourquoi…
Une déception avec le texte d’Éric Holstein intitulé « K**l me, I’m famous ! » : une nouvelle à nouveau très rock, avec Lester Bangs qui vient faire un petit coucou au passage, sur une muse vampirique (décidément) du nom de Bella (aha). Une fois de plus, ça se lit, mais pour ce qui est de l’intérêt, c’est en vain qu’on le cherchera dans ces quelques pages pas désagréables mais franchement convenues.
Finalement, le meilleur texte eud’ chez nous se révèle être « Pragmata » de David Calvo. Pourtant, le moins qu’on puisse dire est que cette tranche de vie toute de procrastination, branlettes et bédos m’a laissé perplexe : moi y’en a pas trop voir où l’auteur vouloir en venir (c’est pas la première fois, avec lui)… Mais c’est formellement irréprochable, et ça marche, indéniablement.
Au final, nous avons donc une moitié de textes tout à fait convaincants, surtout en provenance de l’estranger, le reste étant au pire médiocre ou anecdotique. Pas mal, donc, mais peut mieux faire. Je suis légèrement resté sur ma faim, sans regretter ma lecture pour autant. À vous de voir, donc…
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