Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

"V", de KTL

Publié le par Nébal

V.jpg

 

 

KTL, V (Mego, 2012)

 

Tracklist :

 

01 – Phill 1

02 – Study A

03 – Tony

04 – Phill 2

05 – Last Spring: A Prequel

 

Je plaide coupable : quand bien même le genre m’intéresse a priori, je ne m’y connais guère en matière de drone. Bon, il y a une exception de taille, certes, et c’est Sunn O))), que j’adore. Ce qui tombe plutôt bien, dans la mesure où KTL est un des innombrables projets de Stephen O’Malley – de Sunn O))), donc –, qui est décidément de tous les bons plans (je vous parlerai sans doute prochainement du premier album d’Ensemble Pearl, à titre d’exemple), cette fois avec Peter Rehberg (Pita). Il s’agissait à l’origine d’un projet d’illustration sonore pour le spectacle Kindertotenlieder de Gisèle Vienne et Dennis Cooper – et même si KTL s’en est relativement émancipé, cela a laissé des traces jusque sur cet album, mais on y reviendra.

 

Problème : comment chroniquer du drone ? Certes, je me suis déjà livré à des comptes rendus d’ambient ou d’indus, mais la tâche m’apparaît encore plus délicate cette fois… Bon, essayons quand même. Et commençons par dire que cet album mêlant habilement électronique et guitares (et plus puisque affinités, voir plus loin) s’inscrit à mon sens dans la filiation du phénoménal White2 de Sunn O))) (on y revient toujours, mais après, promis, j’arrête), ce qui est plutôt un bon début.

 

La pochette de Mark Fell – assez jolie, d’ailleurs, et en tout cas lumineuse – ne doit pas nous tromper : la musique de KTL est dans l’ensemble fort sombre, et constitue – ici, en tout cas, je ne m’engagerai pas pour ce qui est des précédents enregistrements – une bande-son fort adéquate pour spectacle horrifique (à l’exception peut-être de l’extraordinaire « Phill 2 », ma piste préférée de l’album…), ou du moins morbide (après tout, Kindertotenlieder, hein…). Et il y a toujours quelque chose de menaçant dans les drones de KTL, quelle que soit la forme qu’ils adoptent.

 

En témoigne d’emblée l’angoissant et subtil « Phill 1 », qui mêle avec adresse drones vrombissants et notes plus aériennes, mais dans le genre spectral. Le résultat est imparable, et augure du meilleur pour la suite. Un magnifique travail de design sonore, superbement réalisé.

 

« Study A », le morceau le plus court de l’album – ben voui, il fait moins de dix minutes… –, joue sur un registre assez différent. Mettant l’électronique en avant, il est bien plus déstructuré, mais non moins réussi. L’angoisse sourd à nouveau de cette piste pouvant évoquer un orgue malade sur lequel jouerait un (dangereux) schizophrène, qui se complairait dans les notes les plus graves, chtoniennes, et les plus aiguës, crispantes, sans trop s’arrêter sur les intermédiaires. Ça monte, ça monte… et ça s’interrompt brutalement, avant de reprendre, puis de s’interrompre à nouveau, et de repartir une dernière fois sur un mode non moins menaçant. Très bon.

 

Suit « Tony », qui est peut-être (très relativement, hein) la piste la plus « classique » de l’album (ou plus exactement, disons, la plus directement évocatrice de ce groupe que j’ai promis de ne plus mentionner dans ce bref compte rendu), même si elle s’inscrit dans le prolongement de ce qui précède (la cohérence de l’album, jusqu’ici tout du moins, ne saurait faire de doute). Ça n’en est pas moins une indéniable réussite, dans le registre sourdement inquiétant, avec cependant quelques discrètes interventions presque percussives, et en tout cas plus lumineuses, ce dernier caractère annonçant la suite.

 

Et cette suite, c’est un pur chef-d’œuvre… « Phill 2 », pour faire dans le drone, se montre moins inquiétant, et plus planant, que ce qui précède. Mais, surtout, c’est un morceau… interprété pour l’essentiel par l’orchestre philharmonique de Prague, sous la direction de Richard Hein, et sur des arrangements de Jóhann Jóhannsson (même si O’Malley et Rehberg sont là à leurs postes respectifs, bien sûr). Dès les premières notes de contrebasse, d’une profondeur inégalable et fournissant le canevas du morceau, on sent qu’on va se régaler à l’écoute de ce drone atypique, riche de cordes flamboyantes, avec quelques cuivres en prime. Et on a bien raison : ce morceau, d’une richesse rare, d’une subtilité dans les textures inégalée, est une authentique merveille, qui marque durablement. C’est bel et bien, à mon sens tout du moins, le sommet de V.

 

Reste enfin une longue curiosité (la plus longue piste de l’album), ne relevant pas vraiment de la musique (alors que ce qui précède, si, non mais oh). « Last Spring: A Prequel » est en effet un enregistrement d’une installation des théâtreux (marionnettistes, ai-je cru comprendre) mentionnés plus haut, en rapport donc avec Kindertotenlieder. Il s’agit donc pour l’essentiel d’une lecture/interprétation – en français – réalisée par le comédien Jonathan Capdevielle. C’est très sombre – j’aurais même envie de dire « cauchemardesque », croyez-en mon expérience – et porté sur l’emphase. Un texte de polésie cruelle, qui m’a évoqué dans un premier temps Lautréamont ou Artaud (ça situe un peu, tout de même). La voix extraordinaire du comédien (ventriloque, je crois) crée à elle seule une ambiance étonnante. Mais bon : ça reste de l’art/du théâtre/de la polésie (rayez les mentions inutiles s’il y en a), aussi ne serez-vous guère étonnés si je vous dis que ça ne me parle pas plus que ça… surtout après la claque de « Phill 2 ».

 

Ce dernier bémol mis à part – un long bémol il est vrai, mais cohérent dans le projet du duo, alors bon –, il ne saurait faire de doute que V est un excellent album. Je vous le recommande chaudement. Et faites-moi le plaisir d’écouter – au moins… – « Phill 2 » ; si ça ne vous transporte pas, ben, moi, je vous parle plus, na.

Commenter cet article