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Biographie comparée de Jorian Murgrave/Un navire de nulle part/Rituel du mépris/Des enfers fabuleux, d'Antoine Volodine

Publié le par Nébal

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VOLODINE (Antoine), Biographie comparée de Jorian Murgrave. Un navire de nulle part. Rituel du mépris. Des enfers fabuleux, Paris, Denoël, coll. Des heures durant..., [1985-1986, 1988] 2003, 781 p.

 

Si les œuvres d'Antoine Volodine et de ses alias du post-exotisme sont ajourd'hui publiées dans des collections de littérature dite générale, on se gardera cependant d'oublier que c'est dans la mythique collection Présence du futur, et donc en science-fictionnie, qu'il débuta. En témoigne cet omnibus en Des heures durant... (collection dans laquelle on trouve également, à bon droit, la trilogie de béton de J.G. Ballard), qui compile les quatre premiers romans publiés du post-exotisme, dans ladite collection science-fictionneuse. Un des quatre, Rituel du mépris, a d'ailleurs obtenu le Grand Prix de la science-fiction française en 1987 – ce qui m'apparaît assez couillu, tiens, pour une fois.

 

De Biographie comparée de Jorian Murgrave à Des enfers fabuleux en passant par Un navire de nulle part et Rituel du mépris, nous aurons donc droit aux premiers avatars du post-exotisme. Difficile à définir, et pourtant... Difficile aussi à enfermer dans une case : SF ? Pas SF ? Chacun jugera, et personnellement je m'en fous un peu... Disons que les deux classifications se tiennent, et que c'est sans doute affaire de volonté.

 

...

 

Et maintenant, comment suis-je censé vous rendre compte de ma lecture de ça ? Hein ? Franchement.

 

La tâche s'annonce pas évidente. Parce que ces romans (?) n'en sont pas vraiment, ou, en tout cas, ne sont pas très orthodoxes ; difficile de suivre une histoire, et impossible ou presque de résumer leur contenu. C'est comme si ces livres proclamaient haut et fort leur réticence au commentaire et à la critique.

 

Alors comment exprimer le choc esthétique extraordinaire qui a été le mien à la lecture de ces quatre textes ? Le silence serait peut-être préférable ; c'était après tout la solution que j'avais adoptée, par dépit, pour Yama Loka Terminus de Léo Henry et Jacques Mucchielli, recueil qui s'inscrit de toute évidence – on me l'avait assez fait entendre – dans la droite filiation de l'œuvre de Volodine. Effectivement, c'est une sensation assez comparable qui m'a étreint à cette lecture, pour des raisons tant de fond que de forme.

 

Ou bien je pourrais me contenter d'aligner les superlatifs et les exclamations : superbe ! Magnifique ! Grandiose ! Puissant ! Ruinage de cul intense ! Non mais vraiment !

 

...

 

Tout cela est vrai, mais ne nous avance guère. Alors essayons, malgré tout, et un par un.

 

Biographie comparée de Jorian Murgrave, qui m'a collé une baffe d'entrée de jeu, nous raconte (...) le périple d'un individu non terrestre, de son enfance à sa fin. Une histoire rapportée par plusieurs biographes illuminés, qui ont une fâcheuse tendance à périr sitôt leur œuvre accomplie. C'est un véritable festival d'horreurs, d'enfers concentrationnaires, et de folie pure, qui transpire de cette biographie comparée. L'histoire, aussi, d'une traque impitoyable, dans une atmosphère d'insurrection et de guerre civile. Celle, enfin, d'un exil douloureux. Autant de thèmes que l'on retrouvera dans l'ensemble des romans composant cet omnibus, sans que l'auteur ne se répète véritablement pour autant. L'effet est en tout cas remarquable. Le fond est bon, la forme exceptionnelle : c'est avec une plume magnifique et en adoptant divers styles que Volodine nous narre cette biographie hors du commun d'un être qui ne l'est pas moins. Le résultat est un livre-choc, qui frappe un grand coup aux tripes, et qui fascine durablement.

 

Un navire de nulle part, sans être mauvais, me paraît être un bon cran en-dessous. C'est peut-être le plus simple (...) des quatre romans composant cet omnibus, même si je ne suis pas certain que cela veuille dire quelque chose... C'est en tout cas celui où l'univers est à la fois le plus compréhensible et en même temps le plus ouvertement fantaisiste, puisque nous y errons dans une Russie soviétique sous le coup d'un sortilège qui l'a transformée en zone tropicale... On pense beaucoup au Monde englouti de Ballard. La plume est toujours aussi belle, mais il me semble pourtant qu'il manque quelque chose pour atteindre aux sommets du roman précédent.

 

Rituel du mépris attaque en force, par une séquence d'interrogatoire qui noue les tripes. On y retrouve les thèmes et personnages-types des deux romans précédents, mais c'est probablement ce livre qui m'a paru le plus difficile (et son obtention du Grand Prix de la science-fiction française n'en est que plus étonnante), tant les questions sans réponse s'accumulent, dans une absence de trame qui rend le voyage aussi séduisant que périlleux. Très fort.

 

Et de conclure sur Des enfers fabuleux, peut-être le meilleur de ces quatre romans. Tout est dans le titre, ou presque. Nous aurons droit ici à des visions hallucinées de voyages aux destinations improbables, accomplis dans la souffrance sous la houlette de mutants étranges et impénétrables. La première partie du roman est tout simplement parfaite. Le reste est d'un très bon niveau, et le lecteur se régale de l'univers si particulier que Volodine parvient à mettre en place, une construction qui paraît déjà étonnante de maturité.

 

Je crains de ne pouvoir faire mieux, désolé... Mais j'espère avoir transmis un peu de mon enthousiasme dans ce compte rendu bancal : avec Volodine, j'ai découvert un auteur rare, à la production inclassable et puissante, qui m'a parlé comme peu l'ont fait jusqu'à présent. On osera le qualificatif de chef-d'œuvre (au sens strict, d'ailleurs), et on en redemandera.

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