"Women in chains", de Thomas Day
DAY (Thomas), Women in chains. Petite pentalogie des violences faites aux femmes, préface de Catherine Dufour, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2012, 194 p.
Chose promise, chose due : après vous avoir fait part de ma déception suite à la lecture du mauvais roman jeunesse qu'est Du sel sous les paupières, je reviens aujourd'hui sur l'actualité de Thomas Day, sous son autre visage, et c'est rien de le dire. Women in chains, c'est autrement plus violent et dérangeant, et, ma foi, intéressant. Le sous-titre nous éclaire sur les intentions de l'auteur : il s'agit ici de livrer cinq nouvelles sur les violences infligées aux femmes de par le monde. Ah, tout de même. Mais en même temps, pourquoi pas ? Pour ma part, je faisais pleinement confiance à Thomas Day pour traiter de ce sujet au mieux. Et il s'avère que j'avais raison d'en attendre beaucoup de bien : Women in chains est peut-être bien la meilleure chose écrite par Thomas Day qu'il m'ait été donné de lire. Sans blague. D'où contraste...
Les hostilités s'engagent sur un texte que j'avais déjà lu dans Utopiales 2010, « La Ville féminicide ». J'en avais pensé et dit beaucoup de bien à l'époque, et il n'y avait pas de raison pour que cela change. Cette plongée dans l'enfer des mortes de Juárez est absolument terrible, mais tout aussi saisissante. Le recueil s'ouvre ainsi sur une nouvelle sans concessions, qui laisse augurer du pire (on se comprend) pour la suite, et laisse déjà planer sur l'ensemble du volume une ombre de fascination sadienne. Une grande réussite, qui, en maniant intelligemment des clichés, éveille chez le lecteur des sensations fortes, aussi troubles qu'intenses.
Suit « Eros-Center », longue novella « déchronologisée » sur la prostitution et la sorcellerie africaines en Europe. Le sujet est aussi fascinant que sordide, et poursuit de la meilleure manière ce tour du monde du sexe glauque que l'on a entamé au Mexique avec la nouvelle précédente ; ici, le récit se partage entre l'Allemagne, la France et le Cameroun. Le résultat ? En ce qui me concerne, c'est là un des tous meilleurs textes de Thomas Day que j'ai jamais lus. Tout simplement bluffant.
La tension redescend d'un cran (à mes yeux en tout cas) avec « Tu ne laisseras point vivre... », nouvelle groenlandaise dotée d'une belle ambiance (enfin, belle, on se comprend...) et d'un personnage principal remarquable. Cette nouvelle, probablement la plus ouvertement pornographique du recueil, est cependant un peu moins efficace que ce qui précède, sans doute du fait de sa thématique fantastique assez classique.
On repasse à quelque chose d'effroyable avec « Nous sommes les violeurs », atroce anticipation afghane sur le viol en tant qu'arme de guerre, que j'aurais normalement déjà dû lire dans Bifrost si je n'avais pas accumulé un tel retard dans ma lecture de la revue... Quoi qu'il en soit, cette nouvelle qui prend la forme de témoignages des violeurs et d'une femme violée devant une commission d'historiens fait froid dans le dos, et réussit parfaitement son coup. Un très bon texte, à n'en pas douter.
Et le recueil de s'achever sur quelque chose de (comparativement) plus léger avec « Poings de suture », courte nouvelle de science-fiction sur les violences domestiques, en forme de revanche. Classique, un peu convenu peut-être, mais néanmoins efficace ; et c'était sans doute la meilleure manière de conclure ce recueil aussi brillant qu'horrible.
La plume de Thomas Day, impeccable, fait des miracles dans chacun de ces cinq textes ; malgré la thématique aisément porno-trash, l'auteur stupéfie par son sens de la mesure ; les textes sont justes, sans jamais sombrer sur les écueils de la complaisance comme de la dénonciation qui ne coûte rien. L'auteur manie ainsi son sujet avec une adresse digne des plus grands, pour un résultat qui ne saurait laisser indifférent.
Au risque de me répéter, c'est là peut-être ce que j'ai lu de mieux de la part de Thomas Day ; un recueil à ne pas mettre entre toutes les mains, probablement ; un recueil ardu, difficile, sans doute ; mais une franche réussite, qui coupe le souffle et laisse le lecteur K.O.
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