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"Les Lais du Beleriand", de J.R.R. Tolkien

Publié le par Nébal

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TOLKIEN (J.R.R.), Les Lais du Beleriand, [The Lays of Beleriand], édition et avant-propos par Christopher Tolkien, traduit de l’anglais par Elen Riot (poèmes) et Daniel Lauzon (commentaires et notes) sous la direction de Vincent Ferré, Paris, Christian Bourgois – Pocket, [1985, 2006] 2009, 794 p. [+ 2 p. de pl.]

 

Suite de ma lecture de « l’Histoire de la Terre du Milieu » avec ce troisième volume – Le Livre des contes perdus comptant pour deux – que je redoutais tout particulièrement. En effet, il s’agit là de polésie. Et vous savez peut-être que la polésie et moi, bon… Je redoutais d’autant plus que je me demandais comment la traduction allait bien pouvoir rendre les vers de Tolkien ; hélas, cette crainte s’est avérée fondée… mais j’y viendrai bien assez vite.

 

Si l’on excepte quelques brefs fragments en milieu de volume, ce gros livre (partiellement bilingue, cependant ; ouf !) comprend pour l’essentiel deux longs poèmes inachevés reprenant des histoires déjà lues dans Le Livre des contes perdus et appelées à connaître bien des états avant leur version « définitive » dans Le Simarillion, etc. Nous avons tout d’abord Le Lai des enfants de Húrin, en vers allitératifs (comme Beowulf, donc, et ce n’est probablement pas un hasard), qui développe l’histoire de Túrin jusqu’à ce que les Orques se mettent à rôder du côté de Nargothrond (dans la version la plus « complète », il y en a une autre plus tardive qui s’arrête à l’arrivée du héros à la cour de Thingol en Doriath) ; ensuite, nous passons au Lai de Leithian, qui rapporte le célèbre conte de Beren et Lúthien, la grande histoire d’amour de Tolkien, en distiques octosyllabiques (dans l’état le plus avancé, le récit s’arrête ici au moment où Carcharoth mord la main de Beren tenant le Silmaril).

 

Il ne me paraît pas opportun de rentrer excessivement dans le détail de ces histoires, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer par ailleurs. On peut cependant noter quelques évolutions majeures, notamment l’insertion de « l’élément Nargothrond » dans les deux lais, qui leur confère une ampleur et une portée plus vastes, et accentue l’importance des Silmarils dans l’histoire par rapport aux Contes perdus.

 

On peut néanmoins, à titre d’exemple, noter quelques-uns de ces changements, frappants dans Le Lai de Leithian. Ainsi, outre « l’élément Nargothrond » déterminant (avec les personnages de Felagund, Orodreth, Celegorm et Curufin), on peut relever quelques autres modifications majeures : notamment, Beren, après moult hésitations, est cette fois un Homme, et non plus un Gnome, ce qui change tout. On notera aussi, par exemple, que l’aspect de « conte animalier » du « Conte de Tinúviel » est ici amoindri, notamment du fait que le chat Tevildo est remplacé par le sorcier loup-garou Thû, qui fait un précurseur plus adéquat au Sauron de l’état final. C’est à vrai dire l’intérêt majeur de ce volume que de permettre d’étudier les variations de Tolkien sur un même thème, son travail méticuleux aboutissant, après bien des textes avortés, à l’histoire telle que nous avons appris à la connaître dans Le Silmarillion. Mais, du coup, comme pour les autres volumes de « l’Histoire de la Terre du Milieu », on en réservera la lecture aux amateurs, non, aux forcenés désireux de se lancer dans l’exégèse tolkienienne.

 

C’est hélas d’autant plus vrai ici que le texte français – je parle des poèmes – ne tient pas la route… Il m’est difficile de porter un jugement en ce qui concerne Le Lai des enfants de Húrin, dans la mesure où je ne dispose pas du texte original, mais c’est tout de même assez moche dans l’ensemble… Cependant, pour ce qui est du Lai de Leithian, nous disposons du texte original en miroir. Et cela permet de confirmer l’ampleur de la catastrophe, pressentie à la seule lecture du texte français. La traductrice a en effet pris le parti – audacieux pour ne pas dire téméraire – de conserver la forme de distiques octosyllabiques du texte anglais. Ce fut à mon sens une mauvaise idée, et il aurait sans doute été plus pertinent de s’en tenir à une traduction plus littérale, surtout étant donné la « fonction » de ce volume. Et il n’est pas certain que l’on y aurait perdu en élégance… En effet, Le Lai de Leithian en français sonne horriblement mal, accumulant les boulettes, et notamment de pénibles erreurs de registre de langue sur lesquelles on ne saurait fermer les yeux. Le texte anglais – que je serais bien en peine de juger en tant que tel – a toute l’apparence que l’on était en droit d’attendre de Tolkien : sérieux, rigueur, registre généralement élevé. Le texte français, lui, qui sacrifie régulièrement l’exactitude au nom du mètre et de la rime, ce qui m’a fait froncer les sourcils plus qu’à mon tour, sonne beaucoup plus « enfantin », et perd ainsi la gravité qui sied à l’œuvre et au propos. Et c’est extrêmement pénible, surtout quand on se retrouve confronté à des traductions « familières » qui rompent brusquement le ton et ne conviennent pas du tout à ce qui est raconté, ou l’emploi de termes malvenus dans ce contexte (« fusiller du regard »…). Bref : lisez-le en anglais sous peine de vous arracher les cheveux… sauf qu’il n’est pas donné à tout le monde, votre serviteur inclus, d’apprécier à sa juste valeur la versification classique anglaise…

 

Une erreur fatale, donc, qui vient considérablement nuire à l’intérêt de ce volume maladroit. Ce n’est probablement pas rédhibitoire, dans la mesure où nous sommes surtout ici pour l’étude, l’exégèse même, et pas tant pour le « style ». Mais tout de même… À revoir.

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"Beowulf"

Publié le par Nébal

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Beowulf, [Beowulf], édition revue, nouvelle traduction, introduction et notes d’André Crépin, Paris, Librairie Générale Française, coll. Le Livre de poche – Lettres gothiques, [2007] 2010, 254 p.

 

Poursuite de mes lectures autour de Tolkien, cette fois avec Beowulf, le célèbre poème en vieil anglais datant au plus tard des environs de l’an mil (c’est en tout cas l’âge de son unique manuscrit), qu’il me paraissait indispensable de lire avant de m’attaquer aux Lais du Beleriand et plus encore à Les Monstres et les Critiques.

 

Bizarrement, je ne savais pas grand-chose de Beowulf, si ce n’est que, bien que le poème soit anglais, on y rencontre le héros du même nom en Scandinavie aux environs du VIe siècle, et qu’on le voit notamment péter sa gueule au monstre Grendel (eh oui, j’avais lu le roman bizarre de John Gardner avant de lire le poème héroïque, ce qui est mal). Mais ça ne s’arrête en fait pas là : la geste de Beowulf, le Gaut qui se rend chez les Danois, consiste en trois affrontements – Grendel, la mère de Grendel, et enfin, chez lui et bien plus tard, le dragon – se soldant par la mort du héros, avec entre-temps moult festins, récompenses et discours d’ordre moral et politique. Ce que je ne savais pas, d’ailleurs, c’est que, malgré son sujet « païen », Beowulf est un poème chrétien, dimension extrêmement importante (et un poil déconcertante, ai-je trouvé, mais j’y reviendrai).

 

Comment, dès lors, interpréter Beowulf ? Les réponses varient avec les exégètes, et il a été tentant d’y voir davantage que le « simple » récit des affrontements du héros contre des monstres aux sources de notre fantasy ; car ce n’est pas sérieux, les monstres, après tout… Et il est vrai que le très important contenu chrétien du poème (qui est tout de même essentiellement le fait du narrateur, commentateur éloigné qui rapporte l’histoire, non des personnages, et notamment des deux les plus importants, Beowulf et Hrothgar) amène à se poser des questions bien légitimes. André Crépin, qui a réalisé cette très belle édition à la traduction fort élégante, propose ainsi, de manière assez convaincante, d’y voir une sorte de « miroir du prince », manuel destiné à l’édification du suzerain, mais peut-être plus encore, trouvé-je, du vassal. On a pu, aussi, traiter Beowulf comme un « simple » document « historique », en le « déconstruisant » et en cherchant à la situer dans le temps…

 

Mais ce traitement, qui consiste plus ou moins à « négliger » le poème pour en privilégier l’aspect allégorique ou de source, ne convenait pas à Tolkien. Je cite ici un passage éloquent – et fort beau, trouvé-je – dans Les Monstres et les Critiques, dont la conférence-titre de 1936 porte justement sur Beowulf :

 

« Je décrirais toute cette affaire au moyen d'une autre allégorie. Un homme hérita d'un champ où se trouvait un amas de vieilles pierres, vestige d'un ancien palais. Une partie de ces pierres avait déjà été utilisée pour édifier la maison dans laquelle il résidait, en vérité, non loin de la vieille demeure de ses pères. Il prit des pierres parmi les ruines et érigea une tour. Mais en arrivant, sans même se donner la peine de monter l'escalier, ses amis virent immédiatement que ces pierres avaient jadis appartenu à un édifice plus ancien. Aussi renversèrent-ils la tour, non sans peine, afin de chercher sculptures et inscriptions enfouies, ou de découvrir où les lointains ancêtres de cet homme s'étaient procuré leurs matériaux de construction. Soupçonnant l'existence d'un gisement de houille dans le sol, certains se mirent à creuser, jusqu'à en oublier les pierres. Tous disaient : « Cette tour est très intéressante », mais aussi, après l'avoir renversée : « Dans quel état la voici ! » Et on entendit même les propres descendants de l'homme, dont on aurait pu s'attendre à ce qu'ils réfléchissent davantage à son entreprise, qui murmuraient : « Quel drôle de bonhomme ! Figurez-vous qu'il a utilisé ces vieilles pierres pour bâtir une tour qui n'avait aucune raison d'être ! Pourquoi donc n'a-t-il pas restauré la vieille maison ? Il n'avait aucun sens des proportions. » Mais du haut de cette tour, l'homme avait pu contempler la mer. »

 

Dès lors, il s’agit d’étudier le poème pour lui-même, en tant qu’objet littéraire, et non de viser à rendre l’allégorie qu’il est supposé porter, ou à en dégager le matériau historique, au mépris finalement des beaux vers allitératifs et de l’histoire qu’ils rapportent (ce qui ne manque bien sûr pas d’entrer en résonance avec l’œuvre fictionnelle de Tolkien lui-même, qui puise par ailleurs régulièrement dans Beowulf entre autres – voyez les vers allitératifs du « Lai des Enfants de Húrin », pour la forme, et l’histoire même qu’il raconte, que l’on retrouve en maints ouvrages : le sort de Túrin face au dragon Glaurung n’est certes pas sans rappeler Beowulf et le dragon s’entretuant, quand bien même la source première d’inspiration pour le personnage de Tolkien semble se trouver dans le Kalevala ; on notera aussi que Tolkien a lui-même traduit Beowulf, le volume vient de paraître – en anglais, of course).

 

Tolkien s’insurge donc contre les critiques « traditionnelles » de Beowulf, et entend montrer l’intérêt du poème, non seulement formel – qui ne fait aucun doute : je ne suis certes pas à même de juger le texte en vieil anglais, mais le rendu de la traduction est fort beau –, mais aussi sur le fond, indépendamment de tout contenu allégorique (la leçon étant que, si la tentation de l’allégorie est bien légitime chez le lecteur, elle ne doit pas nécessairement être envisagée comme l’intention première de l’auteur anonyme – là encore, Tolkien en a fait les frais…). Que sont les monstres, alors ? Des monstres. Et c’est bien suffisant (même si le très chrétien Tolkien succombe peut-être lui aussi un peu à ce jeu-là en s’interrogeant sur leur nature de « diables » ; mais après tout, il ne fait guère que suivre l’auteur, poru le coup, qui fait de Grendel et de sa parentèle des descendants de Caïn ; quant au dragon, l’assimilation est un classique).

 

Aussi, on ne doit pas à ses yeux considérer que « l’histoire principale est faible, et que ce sont les détails à la marge qui importent » – la lecture qui fait de Beowulf un document historique, une source. L’essentiel est bien dans la venue de l’étranger Beowulf au palais du roi danois Hrothgar, dans ses combats successifs contre Grendel et la mère de Grendel, puis, après avoir défait les ogres et être retourné chez lui, au sud de la Suède, quand bien des années ont passé, dans le combat final et fatal contre le dragon. Les sagas et les éléments historiques qui sont évoqués dans les digressions des festins et autres discours ne sont « que » cela : des digressions, certes pas gratuites – leur intérêt littéraire de même que leur contenu moral est important et justifie leur insertion dans la trame principale –, mais des éléments bel et bien « marginaux », sans qu’il faille y voir de jugement de valeur.

 

Dès lors, Beowulf atteint parfaitement son but – et avec adresse, encore. Ce texte aux sources de la littérature anglaise séduit toujours aujourd’hui, même en traduction, et la simplicité (fausse ?) de son histoire en trois temps participe de cet impact.

 

Je serais pourtant réservé sur ce point qui m’a donc tant surpris, et qui est le contenu chrétien du poème en vieil anglais. Il était certes bien naturel pour l’auteur, qui ne vivait plus dans le monde païen qu’il décrit (et dont certains éléments ressortent malgré tout : ainsi, si l’on ne trouve pas d’allusions au dieux nordiques – ce qui n’a rien d’étonnant, du coup –, les funérailles de Beowulf sont un passage éloquent à cet égard), et on ne s’étonnera pas que Tolkien l’ait prisé. Certes, comme Tolkien, je n’y vois pas pour autant la marque de la « confusion » d’un auteur maladroit : l’intention est ici délibérée. Mais elle débouche sur une morale qui, dois-je dire – et cela n’a sans doute rien d’étonnant non plus, le temps ayant filé – ne me parle guère…

 

Cet éloge du fidèle serviteur et plus encore de la bravoure du héros aurait donc naturellement de quoi me laisser de marbre. Et pourtant, pas tout à fait, peut-être parce que le contenu nordique, dans cette bravoure, ressurgit là où on ne l’attend pas (plus) forcément. Pour tout dire, ce sont les dernières pages qui m’ont en effet paru les plus belles, avec ce sacrifice attendu de Beowulf, et, à l’horizon, le sombre avenir qui se dessine… Malgré le triomphe du héros sur ses ennemis – qui sont les ennemis du genre humain –, la victoire du brave sur les monstres, et en dépit du christianisme latent (qui pose en même temps la question très déroutante pour les croyants d’antan : qu’advient-il des « justes » parmi les païens ?), Beowulf porte ainsi, au moins, une atmosphère teintée de pessimisme, tout à fait frappante, et qui fait son petit effet, même si l’on est bien loin des questions qui sous-tendent ce discours.

 

Je rejoins donc dans l’ensemble Tolkien : Beowulf reste encore aujourd’hui un poème puissant, tant dans le fond que dans la forme, surtout dès lors qu’on l’apprécie pour lui-même, pour sa valeur littéraire, qui n’est pas amoindrie par un sujet « faible », mais profite bien au contraire de l’intrusion de ces monstres et de cet ailleurs temporel et géographique. Parce que les ogres et les dragons, c’est chouette. Na.

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"Le Livre des contes perdus", de J.R.R. Tolkien

Publié le par Nébal

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TOLKIEN (J.R.R.), Le Livre des contes perdus, [The Book of Lost Tales], édition établie et avant-propos de Christopher Tolkien, traduit de l’anglais par Adam Tolkien, [s.l.], Christian Bourgois, [1993, 1995, 1998, 2001] 2002, 698 p.

 

Ouf.

 

Je suis enfin venu à bout de ce monstre.

 

Mazette.

 

C’est qu’il ne s’agit pas exactement d’une « lecture récréative », là.

 

J’avais commencé Le Livre des contes perdus (alors en deux volumes) au moment de sa première publication française ; et j’avais craqué… C’était beaucoup trop compliqué dans le fond comme dans la forme pour parler à l’ado que j’étais, qui se croyait authentique petit fan de Tolkien, et découvrait, avec la virulence d’une grosse baffe dans la gueule, qu’il avait encore beaucoup de progrès à faire, jeune padawan. À vrai dire, cette tentative fut même traumatisante, et m’a longtemps dissuadé de poursuivre les tolkienneries, à savoir cette monumentale « Histoire de la Terre du Milieu » qui était ainsi inaugurée. Tentant bêtement de justifier mon échec par la mauvaise foi, je me suis mis à considérer cette vaste entreprise comme étant une escroquerie à base de fonds de tiroir.

 

Erreur de jugement dont je suis bien revenu aujourd’hui. Non, il ne s’agit pas là de fonds de tiroir, mais bel et bien de l’analyse en profondeur d’un processus de création et d’écriture. Ce qui est tout à fait passionnant, mais implique de se trouver dans un certain état d’esprit. En clair, pour lire Le Livre des contes perdus, il faut satisfaire à plusieurs conditions : être fan de Tolkien, certes ; mais aussi avoir du temps devant soi et ne pas redouter l’effort ; vouloir en savoir plus, pas tant sur la Terre du Milieu et compagnie que sur les processus mis en œuvre par l’auteur qui ont en définitive abouti aux chefs-d’œuvre que l’on sait ; enfin, et cela me paraît capital, bien avoir en tête Le Silmarillion et les Contes et légendes inachevés (ceux du Premier Âge, en tout cas). Non qu’il s’agisse ici de la même entreprise : Le Silmarillion, en effet, peut (et doit sans doute) être lu pour lui-même, et ne nécessite pas d’effort particulier ; les Contes et légendes inachevés, déjà, demandent un peu plus une tournure d’esprit d’exégète ; mais il y a un vrai fossé entre la lecture de ces ouvrages accessibles à tous et celle de « L’Histoire de la Terre du Milieu », à réserver aux plus acharnés des lecteurs, « amateurs » au sens le plus positif, prêts à se livrer à une complexe quête archéologique dans les plus archaïques des manuscrits de l’auteur. Cependant, pour que cette quête porte ses fruits, il faut être en mesure de comparer les différents états de la création tolkienienne. Condition nécessaire à mes yeux, donc, mais ça tombe bien : dans le cadre du dossier d’un futur Bifrost (où je ferai une synthèse des volumes traduits en français de « L’Histoire de la Terre du Milieu »), je venais de relire, avec quelle délectation, Le Silmarillion et les Contes et légendes inachevés (je vous en parlerai à cette occasion). Je satisfaisais donc désormais à tous les pré-requis pour m’attaquer au Livre des contes perdus. Taïaut !

 

 

N’empêche que c’est rude. Le traducteur (un certain Adam Tolkien…) a en effet pris le parti, sans aucun doute justifié, de rendre le texte anglais au plus près, préférant la précision à l’élégance. Or ces textes, datant pour les plus vieux de la guerre de 1914-1918, sont écrits dans une langue délibérément archaïque, une langue « autre », pas avare en bizarreries grammaticales et syntaxiques. Je vous balance le début dans la gueule :

 

« Maintenant il se trouva qu’en un temps un voyageur venu de pays lointains, un homme d’une grande curiosité, fut par le désir de pays étranges et d’us et de demeures de peuples inhabituels mené par bateau tant loin à l’ouest que l’Île Solitaire elle-même, Tol Eressëa dans le langage des fées, mais que les Gnomes nomment Dor Faidwen, le Pays de la Libération, et un grand conte s’y rapporte.

 

« Maintenant un jour au bout de longs voyages il vint à l’heure où l’on allumait les lumières du soir à de nombreuses fenêtres au pied d’une colline dans une large plaine boisée. Il se trouvait maintenant près du centre de cette vaste île et avait erré sur ses routes durant bien des jours, s’arrêtant chaque nuit dans telle demeure de gens où il arrivait par hasard, qu’il s’agisse d’un hameau ou d’une ville de bonne taille, vers l’heure du soir où l’on allumait les chandelles. Maintenant à cette heure le désir de nouvelles visions se fait moindre, même chez celui dont le cœur est celui d’un explorateur, et même un fils d’Eärendel tel ce voyageur-ci tourne plutôt ses pensées vers le souper et le repos et la narration de contes avant que n’advienne l’heure du lit et du sommeil.

 

« Maintenant, comme il se tenait au pied de la petite colline, il vint une faible brise suivie d’un vol de corneilles au-dessus de sa tête dans la claire lumière du soir. Le soleil avait depuis quelque temps sombré derrière les branches des ormes qui se dressaient de par la plaine aussi loin que l’œil put percevoir, et depuis quelques temps ses dernières dorures s’étaient évanouies à travers les feuilles et avaient glissé le long des clairières pour dormir sous les racines et rêver jusqu’à l’aube.

 

« Maintenant ces corneilles donnèrent de la voix pour le retour au-dessus de lui, et virant rapidement vinrent à leur demeure dans les cimes des grands ormes au sommet de la colline. Alors Eriol pensa (car ce fut ainsi que le nomma ensuite le peuple de l’île, et sa teneur est « Celui qui rêve seul », mais de ses noms antérieurs le conte ne parle nulle part) : « L’heure du repos est proche, et bien que je ne connaisse même pas le nom de cette ville à belle apparence sur une petite colline, ici vais-je chercher du repos et un logis et je n’irai pas plus loin jusqu’au lendemain, ni peut-être même alors, car l’endroit semble doux et ses brises de bon aloi. Il a pour moi un air à conserver maints secrets de choses anciennes et belles et merveilleuses dans ses trésors et endroits nobles et dans les cœurs de ceux qui demeurent entre ses murs. » »

 

Etc. Encore que non : la suite est pire, car les contes commenceront alors, récités auprès du feu dans la Chaumière du Jeu Perdu, et leur style sera encore plus ampoulé, et le lexique se fera autrement plus complexe, riche en noms propres déroutants et variantes de termes elfiques. Bref : il faut être prêt à se farcir 700 pages du genre (un peu moins, si l’on enlève l’appendice sur les noms), bien tassées, et dont les phrases commencent une fois sur deux par « maintenant » ou « voici ». Et c’est tout de même passablement hardcore.

 

Mais voilà : la magie opère. Et le lecteur de se retrouver dans la position de cet Eriol (ou bien Ælfwine ? La question, extrêmement complexe, est traitée dans le dernier « conte »), voyageur curieux qui a accompli un beau voyage, mais long et périlleux, et découvre émerveillé, de la bouche même des Elfes, les récits des temps anciens. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le développement (plutôt que l’esquisse ; comprenez par là que Le Silmarillion est en fait un abrégé extrêmement condensé…) de ce qui sera ultérieurement connu sous le nom de Premier Âge.

 

Ben oui : dès 1915-1916, Tolkien avait semble-t-il en tête bien des éléments de son « Légendaire », et certains n’ont connu qu’une évolution somme toute limitée. On y assiste donc à la création du monde, à l’établissement des dieux en Valinor, à la rébellion de Melko, à la venue des Elfes, etc. Mais, dans le détail, les changements peuvent être considérables.

 

Prenons ainsi un exemple frappant, le « Conte de Tinúviel » (qui sera connu plus tard comme étant celui de Beren et Lúthien). Beren n’y est pas un Homme, mais un Gnome (c’est-à-dire un Elfe, un Noldor plus précisément), ce qui change radicalement la donne (et, disons-le, enlève une bonne partie de son intérêt au conte, que l’on préfèrera largement dans sa version plus « achevée », mais ce n’est pas toujours le cas, loin de là) ; l’histoire se passe en une époque bien plus rapprochée de la fuite des Noldor que ce que l’on connaîtra ultérieurement (voir plus bas, à propos de Nirnaeth Arnoediad) ; si les Silmarils y apparaissent bel et bien, ce conte fait cependant exception (l’importance des joyaux était alors bien moindre) ; Beren y est nettement moins héroïque que dans les récits futurs, tandis que Tinúviel occupe sans aucun doute le devant de la scène ; le précurseur de Sauron, ici… est un chat, Tevildo ! et le récit prend ainsi des tournures étranges de conte animalier, avec des chiens et des loups en prime ; l’imbrication du récit dans une trame plus vaste, notamment du fait du serment des fils de Fëanor, est quasi inexistante (même s’il y a un lien qui se fait par la suite avec l’histoire de Túrin – on peut noter, dans le même ordre d’idées, qu’il n’est pas ici le cousin de Tuor – et celle du « collier des Nains », le « Nauglafring » – les Nains étant d’ailleurs présentés comme des créatures maléfiques d’origine inconnue, exit le joli mythe de leur création par Aulë) : pour employer les désignations « modernes », Doriath est à peine décrit (même si Thingol et Melian jouent bel et bien un rôle central), et « l’élément Nargothrond » est absent ; last but no least, la résurrection de Beren (un Elfe, rappelons-le…) au terme de la quête de Tinúviel dans les cavernes de Mandos est traitée brièvement dans un épilogue, bien loin de constituer un élément central du récit… Et tout ça fait une sacrée différence.

 

Cela dit, cet exemple ne prêche pas exactement en faveur du Livre des contes perdus : le conte, ici, est à tous les égards – et par nature – moins « achevé » que ce que l’on connaîtra ultérieurement. Mais ce n’est pas forcément toujours le cas, loin de là : bien d’autres récits sont au contraire plus développés (prenez le « Conte du Soleil et de la Lune »), et on a même droit à un très grand morceau du « Légendaire » avec un de ses textes fondateurs, celui de « La Chute de Gondolin », qui n’a à ma connaissance jamais été aussi complet qu’ici. Même si, là encore, on peut noter bien des différences cruciales : Tuor, donc, n’est pas le cousin de Túrin, ainsi que je l’avais déjà noté ; son père (et donc a fortiori « son oncle ») n’a jamais mis les pieds à Gondolin, qui est nettement moins « ancienne » que dans Le Silmarillion (il faut dire que Nirnaeth Arnoediad, à vue de nez, suit presque immédiatement l’arrivée des Noldor dans les « Grands Terres », même si c’est sans doute plus compliqué que ça) ; mais Tuor accède à la cité cachée bien plus facilement que dans le récit des Contes et légendes inachevés, et Turgon l’accueille à peu de choses près à bras ouverts, même si l’on ne trouve pas l’élément proprement « prophétique » de sa venue, avec l’armure qu’Ulmo avait demandé à Turgon de laisser en arrière, etc. Il n’en reste pas moins que le récit de la bataille de Gondolin est fabuleux, sans aucun doute le très grand moment « original » de ce premier état du « Légendaire ».

 

Mais il est encore une autre dimension à noter, fort complexe, et qui correspond à l’intention de Tolkien derrière ses contes : il s’agissait en effet pour lui de « créer » une mythologie propre à l’Angleterre, et il est sans doute bon de garder cette idée en tête lors de la lecture des Contes perdus. Le problème est que cet aspect n’est véritablement traité que dans le dernier conte, réduit même pas à l’état de fragments, mais seulement d’esquisses, qui plus est contradictoires selon que le navigateur est Eriol (Tol Eressëa correspond alors à l’Angleterre) ou Ælfwine (auquel cas il vient d’Angleterre)…

 

Je pourrais continuer très longtemps ainsi, mais il serait sans doute absurde de se livrer à une exégèse érudite sur ce blog interlope, ce n’est guère le lieu. Il ne s’agit ici que d’un compte rendu de lecture. Le bilan, alors : eh bien, ce Livre des contes perdus est aussi fascinant qu’ardu… Répétons-le : c’est tout sauf une lecture récréative, et il y a de quoi écœurer le simple curieux. Mais pour qui veut approcher au plus près le processus de création tolkienien, c’est un régal de bout en bout ; il y faut du sang, de la sueur et des larmes, mais la récompense est au bout du chemin, et quelle récompense !

 

Aussi dois-je ici faire mon mea culpa. Non, « L’Histoire de la Terre du Milieu » inaugurée par ce Livre des contes perdus n’est pas une collection de fonds de tiroir ; l’immense entreprise de Christopher Tolkien (dont la connaissance de l’œuvre paternelle est stupéfiante, et les commentaires sont extrêmement pointus) est parfaitement louable ; à vrai dire, elle présente même un cas à part dans l’histoire de la littérature : une exception, une singularité, à la hauteur de l’œuvre immense de ce génie que fut J.R.R. Tolkien.

 

J’enchaîne avec Les Lais du Beleriand.

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"L'Appel de Cthulhu : Necronomicon & autres ouvrages impies"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Necronomicon & autres ouvrages impies

 

Lieu commun : à l’instar des « héros » de Lovecraft qui passent leur temps le nez dans des livres à établir des rapports, les PJ de L’Appel de Cthulhu font généralement un usage immodéré de la compétence « Bibliothèques » (et ça, c’est quand même pas dans tous les jeux que ça arrive) et, de grimoires poussiéreux en monographies obscures, dévoilent petit à petit la trame de la réalité, qui les conduira inéluctablement, au terme d’une indicible prise de conscience, à la folie ou à la mort. BEWARE ! Lire tue. Ou rend fou. Ou les deux.

 

On pouvait du coup s’étonner que, dans le domaine du jeu de rôle en tout cas, il n’y ait jusqu’à un temps très récent, à ma connaissance en tout cas, pas eu de véritable entreprise de collection de ces « ouvrages impies » qui font les délices sadiques des Gardiens et attisent la curiosité bien légitime de leurs victimes plus ou moins innocentes. Cette étrange lacune a été réparée par une équipe allemande, peu ou prou la même qui, sur un modèle similaire, avait déjà livré en traduction chez Sans-Détour le Malleus Monstrorum et Terra Cthulhiana. Malgré le caractère improbable d’encyclopédie du grobillisme du premier, j’avais trouvé, en tant que Gardien, mais aussi en tant que lovecraftien, beaucoup d’intérêt à ces deux suppléments, et me suis donc en toute logique précipité sur ce Necronomicon & autres ouvrages impies dont j’attendais beaucoup.

 

Je n’en livre cependant le compte rendu qu’aujourd’hui, ce qui est sans doute en soi révélateur. J’ai en effet ramé à la lecture de ce supplément… Certes, le caractère de « catalogue » de cet ouvrage d’environ 250 pages y est sans doute pour beaucoup : des listes, des listes, et encore des listes… Cependant, je tends à penser que la vraie raison est ailleurs (comme dans les X-Files), et justifie bien un petit coup de gueule. Disons-le, en effet : ce supplément est traduit n’importe comment, et n’a de toute évidence pas été relu. Et ça me gonfle, parce que, du coup, il est quasiment illisible par endroits, à tel point, je ne vous le cacherai pas, que j’ai lâché l’affaire sur les dernières pages…

 

J’ai longtemps considéré avec tristesse ce fâcheux phénomène comme une tare inéluctable de l’édition de jeu de rôle. Mais bon nombre de lectures d’ouvrages récents, tant des créations françaises que des traductions, m’ont heureusement persuadé du contraire : à l’évidence, il se trouve des gens consciencieux qui envisagent la publication d’un jeu de rôle ou d’un supplément avec le sérieux que l’on devrait rencontrer dans toute entreprise d’édition. Mais pas, semble-t-il, chez Sans-Détour… Ou, de manière plus exacte, pas systématiquement : je reconnais que les suppléments de L’Appel de Cthulhu ont connu une nette amélioration, globalement, depuis les premières parutions ; et il est certains ouvrages pour lesquels on peut remarquer une juste application et s’en féliciter (j’ai immédiatement en tête Par-delà les Montagnes Hallucinées, dont le caractère irréprochable m’avait du coup frappé ; vu le prix de la chose, ils pouvaient se le permettre, en même temps…). Mais ce Necronomicon & autres ouvrages impies m’a ramené au pire du « travail » de Sans-Détour. Et c’est tout de même bien dommage. Alors répétons-le : un livre, quel qu’il soit, se juge aussi à sa forme, et une jolie iconographie ne fait pas tout ; et, bordel, ce n’est pas parce que L’Appel de Cthulhu est une locomotive aux ventes quasi assurées que vous pouvez vous permettre de saloper le boulot ! Grmbl.

 

(À une époque, j’avais proposé mes services de correcteur, naïvement ; je n’ai jamais eu de réponse. J’imagine que cela ne témoigne de rien, mais c’était juste histoire de dire que je ne fais pas que me plaindre, je veux bien contribuer aussi à ce que la situation s’améliore…)

 

Bon.

 

Et si je parlais un peu du contenu de ce supplément, maintenant ? Oui, il est temps, mais je ne pouvais pas laisser passer l’occasion de ce petit coup de gueule…

 

Après une assez intéressante introduction consacrée à l’histoire des livres et de la lecture, on passe au gros de l’ouvrage : un catalogue raisonné des « ouvrages du Mythe ». On y distingue des ouvrages « majeurs », et d’autres juste un poil moins terrifiants et dangereux. C’est bien évidemment la première catégorie qui suscite le plus d’intérêt, du moins à titre de curiosité : après tout, les joueurs risquent d’en avoir vite marre de tomber sur un exemplaire oublié du Necronomicon, ou du Culte des goules, etc., dans chaque scénario, ce qui est aussi improbable que lassant ; l’artifice ne trompe qu’une ou deux fois. Mais, de temps en temps, presque comme une récompense – je n’ose pas écrire « une friandise » –, l’arrivée impromptue de l’ouvrage impie, qu’il s’agit en outre de dénicher – s’il tombe du ciel, il n’a pas d’intérêt –, peut bel et bien contribuer à la réussite d’une aventure. Du bon usage des « livres maudits »… Ce ne doit être ni un expédient, ni une compilation de sortilèges dévastateurs (pour le grobillisme, voyez ailleurs, merci).

 

Aussi pourra-t-on légitimement oublier certains aspects des livres ici décrits. Pour ma part, en tant que Gardien, je n’ai que très rarement fait appel à la magie : elle me paraît contradictoire avec l’esprit lovecraftien, tant par son aspect irrationnel et fantastique que parce qu’elle vient par trop relativiser le caractère vaguement « quidam » des personnages incarnés par les joueurs, qui est à mon sens un des grands atouts de L’Appel de Cthulhu. Pour la même raison, je ne pense pas faire grand usage des « règles optionnelles » proposées pour les ouvrages majeurs du Mythe, dont la simple lecture entraîne des effets pervers d’ordre clairement surnaturel : même si, à lire, c’est parfois intéressant (voyez les toutes petites « nouvelles » qui introduisent chaque item), ou du moins amusant, et peut apporter de bonnes idées, il me semble que cela ne contribue paradoxalement pas à l’aura de pure malignité de ces « livres maudits », dont la seule lecture, pour ce qu’elle contient, doit être en elle-même suffisamment terrifiante par ce qu’elle implique.

 

Pour le reste, cette compilation est néanmoins du plus grand intérêt, et plutôt bien faite (je parle du fond, hein…). Juste un tout petit regret, émanant plus du lovecraftien que du rôliste : j’aurais aimé que la « source » de l’ouvrage de fiction soit mentionnée, le cas échéant (ce qui est fait, après tout, pour les artefacts du Mythe, plus loin dans le supplément).

 

N’empêche : on se régale au survol de ces « livres maudits », fictifs ou bien réels. On ressent à l’occasion le frisson qu’ils sont supposés susciter chez les malheureux lecteurs. Sous cet angle, Necronomicon & autres ouvrages impies atteint donc son objectif, à l’instar de ses prédécesseurs sus-mentionnés.

 

Le reste du supplément est moins convaincant. En effet, on trouve un peu tout et n’importe quoi dans la section des « Livres occultes », avec qui plus est énormément de références teutonnes (un travail d’adaptation aurait sans doute été nécessaire, ou du moins utile). Quant à la partie consacrée aux artefacts, vous vous doutez bien, eu égard à ce que j’ai écrit plus tôt sur le fantastique et la magie, qu’elle m’a paru dans l’ensemble d’un intérêt plus que douteux…

 

Mais je vais me contredire un peu, une fois n’est pas coutume. Le livre s’achève en effet par une liste de sortilèges ; j’ai déjà dit pourquoi je ne les utilisais guère, mais, à l’occasion, ils peuvent s’avérer utiles… Et j’ai le sentiment, même s’il y a donc un risque de grobillisme, qu’un « grimoire », un supplément consacré au sortilèges rencontrés çà et là dans la littérature rôlistique lovecraftienne, pourrait s’avérer pratique. Sur le modèle, donc, du Malleus Monstrorum, disons… Une idée comme ça, je ne sais pas ce qu’elle vaut.

 

Mais je m’éloigne. En conclusion, Necronomicon & autres ouvrages impies, malgré un caractère un peu bancal et quelques idées plus ou moins bonnes et plus ou moins « orthodoxes », avait tout pour être un bon supplément ; à bien des égards, il l’est ; mais c’est à son tour un « livre qui rend fou », pas tant pour ce qu’il contient à proprement parler que pour sa rédaction parfaitement dégueulasse, qui m’a fait m’arracher des cheveux par poignées entières… J’espère donc que Sans-Détour contribuera à combler le trou de la Sécu en payant de sa poche les frais psychiatriques entraînés par la lecture de ce supplément, et regrette de ne pas avoir conservé les dernières factures de mon coiffeur, parce que bon.

 

Grmbl.

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"Nous sommes tous morts", de Salomon de Izarra

Publié le par Nébal

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IZARRA (Salomon de), Nous sommes tous morts, Paris, Rivages, 2014, 131 p.

 

Ma (très brève) chronique se trouve dans le Bifrost n° 75 (pp. 93-94).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant quelque temps.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

Le jeune Nordnight, second d’un baleinier norvégien en 1927, nous rapporte dans Nous sommes tous morts (OK, pas de spoiler…) le terrible calvaire enduré par son équipage quand ledit bateau s’est retrouvé pris dans les glaces, là où il n’aurait pas dû y en avoir… Un effroyable cauchemar polaire, qui transforme les hommes, et notamment notre narrateur dont on a retrouvé le journal en partie illisible ; Nordnight, mais il n’est pas le seul, tourne ainsi au salaud dans cet enfer glacé, et nous sommes témoins de cette horrible dégradation…

 

Premier roman du jeune Salomon de Izarra, Nous sommes tous morts affiche d’emblée ses références. On parle ainsi de Stevenson, mais aussi de Lovecraft (et ce n’est sans doute pas un hasard si le baleinier cadre de l’intrigue se nomme Providence…) ; on pense, forcément, au Moby Dick de Melville, très tôt cité ; mais, au-delà, ce mélange d’aventure maritime et de fantastique horrifique peut aussi évoquer Les Aventures d’Arthur Gordon Pym d’Edgar Allan Poe, et peut-être plus encore William Hope Hodgson (Les Pirates fantômes, par exemple). Plus récemment, on évoquera également Terreur de Dan Simmons… C’est dire, à la fois, l’ambition de ce très court livre, et en même temps la rude concurrence à laquelle il doit faire face.

 

Et, hélas, il ne se montre pas à la hauteur de ces prestigieux modèles. Le récit relativement convenu, les personnages à peine esquissés (sauf Nordnight et le capitaine) et bien trop caricaturaux, pèsent déjà douloureusement sur la balance… Mais c’est le style défaillant, souvent lourd et perclus de clichés, qui fait en définitive de la lecture de Nous sommes tous morts un calvaire presque aussi terrible que celui enduré par l’équipage du Providence.

 

C’est dommage. Le cadre est fascinant, les bonnes idées émergent de temps en temps, que l’on aurait souhaité voir mieux traitées, le propos est assez intéressant, mais cela ne suffit pas à emporter l’adhésion du lecteur, qui renacle à chaque page ou presque (heureusement, c’est très court… probablement trop, d’ailleurs). Un triste ratage que l’on fera bien d’éviter ; lisez plutôt les modèles cités plus haut…

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Focus lovecraftien

Publié le par Nébal

L'Abomination d'Innswich

 

 

Le Piège de Lovecraft 

 

Les Furies de Boras

 

 

J’ai fait un « focus lovecraftien » sur L’Abomination d’Innswich, Le Piège de Lovecraft et Les Furies de Borås dans le Bifrost n° 75 (pp. 88-89).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant quelque temps.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

Piqûre de rappel après le numéro 73 de Bifrost, et démonstration qu’il y a toujours une actualité lovecraftienne. Trois publications récentes constituent en effet, à titres divers, des hommages au Maître de Providence ou des variations sur son œuvre (et encore, sans compter ce qui s’est publié en numérique, mais ne poussons pas le shoggoth dans les orties…) ; trois approches radicalement différentes, pourtant, de cette matière commune ; et, comme de juste, le résultat est plus ou moins bon…

 

Mythologica, parallèlement à son numéro spécial Lovecraft (eh), a également publié L’Abomination d’Innswich d’Edward Lee, titre ne laissant guère de doute sur l’objet du livre. Il s’agit bien ici de reprendre la fameuse nouvelle de Lovecraft qu’est « Le Cauchemar d’Innsmouth », avec ce riche dilettante, lovecraftien précoce d’une naïveté confondante, qui fait du tourisme en Nouvelle-Angleterre sur les pas du Maître. Il arrive ainsi dans la ville d’Olmstead (nom du narrateur de ladite nouvelle), et y découvre tant de coïncidences que cela ne peut être le fait du hasard ; de toute évidence, Lovecraft est passé par ici, et y a puisé son inspiration. Et sans doute pas seulement pour les noms propres… Un pastiche anecdotique, et certainement pas « pour public averti » en dépit des prétentions de la quatrième de couverture ; ça colle énormément à la nouvelle originale et ne surprendra guère le lecteur, mais se révèle malgré tout honnête, et c’est déjà pas mal ; une lecture distrayante pour amateur de lovecrafteries pas trop exigeant.

 

On passe à quelque chose de bien plus intéressant avec Le Piège de Lovecraft d’Arnaud Delalande, auteur à succès du Piège de Dante. Il s’agit cette fois d’un thriller ésotérique dans lequel le narrateur, confronté à la folie d’un camarade étudiant qui commet un meurtre de masse avant de se suicider sous ses yeux, en vient à s’intéresser à Lovecraft, au « Mythe de Cthulhu » (notamment dans ses variantes ludiques), et tout particulièrement aux « livres maudits », Necronomicon en tête. Bien entendu, se pose très vite la question de l’existence réelle, sous une forme ou une autre, de l’ouvrage de l’Arabe dément Abdul Alhazred… Mais la quête du narrateur va au-delà, baignant dans l’horreur cosmique et visant à circonscrire le mal à l’état métaphysique. On se doute là encore très vite de comment cela va finir, ce qui pourrait être rédhibitoire, d’autant que la pirouette finale, outre son évidence, a quelque chose d’arrogant, pour ne pas dire mégalomane. Et pourtant, ça marche. Car Arnaud Delalande se montre un conteur efficace, qui sait promener le lecteur, à l’aide d’une intrigue malgré tout palpitante et d’une plume agréable. Plus malin qu’il n’en a l’air, et assurément ludique, Le Piège de Lovecraft constitue donc, en dépit de quelques défauts notables, une bonne surprise.

 

 Le plus intéressant de ces trois volumes, cependant, est de loin Les Furies de Borås du Suédois Anders Fager, aux éditions Mirobole. Il s’agit d’une sélection de nouvelles piochées dans trois recueils, et quelle sélection ! On est là, de toute évidence, devant de l’excellente littérature fantastique, comme on n’en avait probablement pas lu depuis longtemps (hélas…). Anders Fager se place bel et bien dans la lignée de Lovecraft (les références ou allusions ne manquent pas, toujours réjouissantes), mais en modernisant sa matière ; aussi peut-on à juste titre le comparer à Stephen King (la quatrième de couverture ne s’en prive pas), mais aussi, sans doute, au Clive Barker des « Livres de sang ». Du sexe, du sang, des tentacules : joli programme pour un superbe recueil qui fait mouche à tous les coups, et dont les textes se répondent habilement. On se régale ainsi de ces jeunes ménades qui vont danser (et plus puisque affinités) dans les bois, de ce gamin qui fait l’apprentissage du mal auprès de « lapins-caca » pas tout à fait innocents, de cette femme (?) entourée d’aquariums et avide de conquêtes, de cet inexplicable suicide collectif de vieillards… ou, dans le passé, de la terrible vengeance d’un homme brisé par l’horreur de la guerre, ou encore de cette séance fondatrice à l’aube de la psychanalyse. Tout le recueil, à vrai dire, pourrait y passer. Répétons-le, ça le mérite : Les Furies de Borås comblera tout amateur d’horreur ; indispensable.

 

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"Le Visage Vert", n° 23

Publié le par Nébal

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Le Visage Vert, n° 23, Cadillon, Le Visage Vert, novembre 2013, 191 p.

 

J’avais pris du retard dans mes lectures du Visage Vert, comportement inqualifiable pour un petit fan tel que votre serviteur. Les habitués de ce blog savent en effet que je n’ai cessé de multiplier les louanges à l’égard de cette revue érudite sans être pédante, nous régalant à chaque livraison de délicieux textes fantastiques, décadents, et plus puisque affinités. Il est d’autant plus étrange que je ne me sois pas précipité sur ce numéro 23 que l’affiche était particulièrement belle, alignant les noms prestigieux : Fitz-James O’Brien, Régis Messac, J.-H. Rosny, Mary Shelley et Jules Lermina, notamment. Et tout de même.

 

 

Mais je dois vous faire une confession. Sans doute est-ce dû en partie aux attentes que je plaçais dans ce numéro particulier du fait de ce sommaire alléchant, mais c’est bien la première fois, je crois, que je suis déçu par Le Visage Vert… Oh, une déception « légère », hein, et qui n’a rien d’insurmontable : la lecture de cet opus reste agréable, et il contient de fort bons textes ; seulement, ce ne sont pas forcément ceux que j’attendais… Suivons donc l’ordre du numéro pour tenter d’expliquer cette vague amertume en bouche.

 

On commence avec un grand nom, Fitz-James O’Brien, traduit et commenté par un autre grand nom, Régis Messac. « Animula » est une nouvelle de proto-science-fiction teintée de policier, histoire complexe et richement élaborée (ou bien partant dans toutes les directions ?) tournant autour d’un microscope et de ce qu’on peut y voir. Ce n’est pas mauvais (encore qu’un brin dispersé, donc), mais n’en déplaise à l’illustre traducteur, je n’en ferais certes pas le sommet de l’œuvre de l’Irlando-américain : voyez plutôt l’excellent Qu’était-ce ?, à mon sens d’une tout autre tenue. Petite déception dès l’entrée en matière, donc.

 

La grosse déception, cependant, vient immédiatement après, et c’est sans doute là ce qui explique mon jugement un chouia négatif sur cette 23e livraison. On y consacre en effet nombre de pages à J.-H. Rosny, le célèbre binôme, et plus particulièrement à J.-H. Rosny aîné. J’avais depuis longtemps envie de découvrir cet auteur fondateur, dont je ne connaissais guère que des échos, La Guerre du feu en tête. Hélas, les commentaires érudits de Fabrice Mundzik ne parleront qu’aux exégètes… ce qui ne serait pas si grave, si les quatre (tout de même) nouvelles ici reprises valaient le coup. Hélas, j’ai un peu eu l’impression que l’on se trouve ici devant une entreprise d’exhaustivité, dénichant des textes oubliés et, on peut bien le dire à mon sens, légitimement oubliés (mais je ne jette pas totalement la pierre, voyez mon goût des lovecrafteries obscures…). Si, des deux frères, « Le Septième Sens » est relativement correct (proto-science-fiction là encore, avec des aveugles qui développent une conscience singulière de leur environnement), les trois textes suivants, dus à l’aîné seul, sont à mes yeux d’une totale absence d’intérêt, d’une fadeur que je ne m’explique pas. Grosse déception, donc…

 

Vient ensuite un texte contemporain, « Un cabinet » d’Yves Letort. Dans un premier temps, le style très ampoulé m’a quelque peu rebuté, et je craignais une nouvelle déception (ce qui aurait commencé à faire beaucoup…). Mais, en définitive, je m’y suis fait, et il y a bien dans tout cela une certaine musicalité finalement très agréable ; et si le fond est peut-être un peu convenu, la forme sur-travaillée emporte pourtant l’adhésion. Ouf.

 

Un autre mystère ensuite, avec la rubrique « En cimaise » de François Ducos, consacrée à l’illustrateur « populaire » Jacques Blondeau. Là encore, je ne vois aucun intérêt à cette brève démonstration d’érudition…

 

Suit un texte de Barry Pain, « Le Défi de la girafe », qui prépare semble-t-il une publication au Visage Vert de l’ensemble du recueil Le Club des défis. Une courte nouvelle humoristique so British, gentiment absurde, mais guère percutante. Ça se lit avec un demi-sourire, mais pas davantage…

 

Heureusement, la fin du numéro rehausse à mes yeux quelque peu le niveau. Nous avons tout d’abord droit à « L’Échange infernal », conte gothique délicieusement boursouflé (oui, pléonasme, je sais, mais justement) de Mary Shelley… ou presque, puisque l’original de l’auteur de Frankenstein a été ici « adapté » plus que traduit par une mystérieuse « Mme de Troyes ». Tout y est, ça en fait des caisses, mais ça se lit avec grand plaisir. On lira de même avec intérêt le bref article de Norbert Gaulard sur les adaptations et plagiats de ce texte (avec un morceau de critique « politique » absolument surréaliste).

 

Et le numéro de se conclure avec un petit conte fantastico-humoristique, faisant plus que loucher vers l’absurde, « Le Pommier » de Jules Lermina, assez amusant.

 

N’empêche : pour la première fois si je ne m’abuse, je ne peux que constater ma légère déception à la lecture de ce numéro du Visage Vert. Je me répète, mais c’est sans doute que j’en attendais trop… et la soixantaine de pages (eh oui, un tiers de la revue…) consacrée à J.-H. Rosny a vraiment douché mon enthousiasme. Bon, pas grave : l’erreur est humaine, comme disait l’autre. Je vous entretiens bientôt du n° 24, que j’espère bien supérieur ; ce qui ne serait que justice, eu égard à la tradition d’excellence de la revue.

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"Eclipse Phase : Ecran du MJ"

Publié le par Nébal

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Eclipse Phase : Écran du MJ

 

Il est enfin là ! Youhou ! Gloire (si j’ose dire…) et transhumanisme ! On peut dire que je l’aurai attendu, cet écran français pour Eclipse Phase, mais ça y est : je l’ai.

 

(Bon, allez : celui de Deadlands Reloaded, maintenant…)

 

Ceci étant, si un écran est toujours utile, il n’y a pas forcément grand-chose à en dire, aussi cette note sera-t-elle forcément très brève.

 

Adonc, nous avons l’écran en lui-même, ainsi qu’un scénario de 24 pages, Gloire.

 

En ce qui concerne l’écran, on peut dire que c’est du beau boulot : quatre volets, rigide, une joulie illustration d’un côté (encore que passablement bourrine, ce n’est pas exactement l’atmosphère que j’espère susciter dans mes parties d’Eclipse Phase), plein de tableaux et, chouette, de résumés de règles de l’autre. C’est dans l’ensemble très bien fait, à vue de nez ; je n’aurais qu’un (tout petit) reproche à lui adresser (et très personnel, qui plus est) : la place à mon sens trop importante accordée à la sécurité informatique (système il est vrai complexe, mais justement : je le trouve trop complexe, et ne pense pas utiliser toutes ces informations), qui aurait pu être employée à meilleur escient, peut-être… même si je ne sais pas vraiment avec quoi, là, comme ça, à vue de nez. Quoi qu’il en soit, c’est avec grand plaisir que je ferai rouler les dés secrètement, en MJ nécessairement fourbe, derrière ce paravent.

 

Et puis il y a le scénario, Gloire. Prévu pour constituer une introduction au complexe univers du jeu, il balance illico les PJ dans une trame impliquant TITANs et menace exsurgente (ce qui me paraît un peu too much pour un début, mais bon). Prévu pour prendre place dans le système extérieur (entre Titan et Locus, en gros), il débute par une phase d’investigation, après quoi les joueurs se retrouvent balancés (probablement en tout cas) dans un gros vaisseau… aux vagues allures de donjon, ce qui, là encore, ne correspond pas vraiment à ce que j’attends de ce jeu. Bon, j’exagère un peu, ce n’est quand même pas du « salle-monstre-trésor », hein, et les PJ qui s’y risqueraient à un assaut brutal et sans préparation ne tarderaient sans doute pas à dire adieu à leur morphe… On s’attend plus à une forme d’infiltration, informatique tout d’abord, puis sans doute physique. Bon, pourquoi pas. Mais j’ai l’impression que ce schéma se répète un peu trop dans les scénarios officiels… Sinon, toujours dans cette intention de présenter l’univers, Gloire prend nettement le parti de l’horreur, viscérale et glauque ; c’est bien fait, il y a de quoi secouer les tripes et augmenter le stress (qui a dit « diminuer la SAN » ?), mais, là encore, je ne suis pas sûr de vouloir vraiment privilégier cet aspect dans mes parties, bien que grand amateur du genre ; bon, ça, on verra… Pas sûr de faire jouer ce scénario, du coup (j’ai prévu une autre forme d’introduction pour ma campagne), mais rien n’est exclu ; si jamais, je ne manquerai pas de vous en faire part.

 

Et donc voilà : le scénario est plus ou moins convaincant, mais l’écran constitue bien un accessoire, peut-être pas « indispensable », mais tout de même très utile, pour les meujeux désireux de faire jouer Eclipse Phase. Après tout, on n’en demandait pas davantage…

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"Inflorenza"

Publié le par Nébal

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Inflorenza

 

Tiens ? On me propose de recevoir des jeux de rôle en service de presse, maintenant ? Ah mais je suis pour, hein ! N’hésitez pas, les gens ! Surtout en ce moment, dois-je dire, où, parallèlement au travail qui m’empêche de tenir à jour ce blog autant que je le souhaiterais, je suis pris de frénésie rôlistique aiguë. Aussi, quand le sieur Thomas Munier, créateur entre autres de cet Inflorenza, m’a proposé de recevoir un exemplaire (façon artisanale), de son dernier opus, je me suis certes renseigné sur le contenu de la chose histoire de, mais n’ai dès lors guère hésité longtemps : c’est que tout cela m’avait l’air diablement intéressant, et, autant le dire de suite – je suis nul pour le suspense –, intéressant ce fut en effet ; intriguant, mais aussi fascinant… et enthousiasmant. Encore que le mot « stimulant » serait peut-être plus juste : il y a là-dedans de quoi se triturer les neurones à grands renforts de concepts novateurs et audacieux (ou du moins qui m’ont semblé tels).

 

Jeu de rôle bicéphale, Inflorenza peut certes ressembler un minimum à ersatz « traditionnel » de notre loisir adoré (quand bien même on est effectivement très loin de Donj’…), si l’on adopte le mode dans lequel le « confident » devient une sorte de meneur de jeu, mais, une fois n’est pas coutume, c’est dans son approche la plus radicalement « narrativiste » (mais je ne suis jamais sûr d’employer ce terme à bon escient) qu’il se montre le plus inventif, déconcertant et intelligent. C’est à vrai dire la première fois qu’un jeu « à narration partagée » (cette appellation serait sans doute plus exacte) me paraît aussi bien foutu ; aussi, j’y ai retrouvé l’enthousiasme qu’avaient suscité chez moi (sur le papier…) Fiasco ou Mnémosyne, sans les quelques préventions qui avaient pu perturber mes comptes rendus pour ces lectures édifiantes ; et ce quand bien même Inflorenza n’est pas exempt de tout reproche, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, hein.

 

D’ailleurs, si le projet m’intriguait suffisamment pour que je m’avoue intéressé par ce service de presse, je n’étais pas pour autant certain d’y trouver mon plaisir. Il est vrai que je ne connais pas grand-chose au jeu de rôle « indépendant » ou « amateur » (comme vous voudrez), et que mon premier contact avec le genre – Monostatos, pub en fin de volume – m’avait laissé au mieux perplexe. Or de perplexitude il est encore question à l’égard des deux autres jeux plébiscités par Thomas Munier, œuvres de ses petits camarades, à savoir Prosopopée et Sens (je suis plein de préjugés…). Mais l’approche d’Inflorenza me paraît à la fois plus pertinente et séduisante. On y trouve en effet aussi bien la description d’un univers très riche et bien conçu – Millevaux, qui peut également servir de cadre pour Sombre – que des principes de jeu novateurs et de toute évidence amplement mis à l’épreuve ; c’est même probablement la première fois qu’un jeu « narratif » me paraît aussi bien foutu, que le système (terme horrible, dans ce cadre précis ?) me paraît aussi convaincant.

 

Bon, et si j’arrêtais de tourner autour du pot, moi ?

 

Millevaux, donc. Une Europe post-apocalyptique (suite à un gros délire conspirationniste qui est bien la seule chose à me laisser de marbre, au mieux, dans toute cette histoire), où la forêt a repris ses droits, et en a même usurpé pas mal d’autres. Millevaux, dans un sens, c’est La Forêt d’Iscambe, mais en glauque ; c’est Malevil qui se prolonge, aussi. Un enfer vert, un monde hostile débordant de bébêtes dangereuses (les Horlas), où la corruption et l’égrégore suscitent le surnaturel. Pas vraiment un petit coin de paradis, donc, d’autant que – et là je ne peux m’empêcher d’en faire mention sur ce blog interlope, ça rejoint une autre de mes passions que je ne cache guère – Shub-Niggurath (surtout), Hastur et même le Necronomicon sont de la partie…

 

Inflorenza nous propose donc de jouer des « héros, salauds et martyrs » dans Millevaux (environ en 2400 après Jean-Claude). Passons à la création des personnages.

 

… Y en a pas.

 

Hein ?

 

Ben non. Dans cette sorte de « psychodrame » (voyez le décevant De Profundis), On crée les personnages en cours de partie. Et ça ne pose aucun problème, puisqu’il n’y a pas vraiment de feuille de personnage non plus.

 

HEIN ?!

 

Ben non. En lieu et place du machin bizarre et compliqué avec plein de cases et de chiffres qu’on nous sert traditionnellement en rôlistie, une feuille vierge tout d’abord, puis sur laquelle on écrit des phrases (mais attention, Thomas Munier nous dit qu’il ne s’agit pas pour autant d’un « jeu littéraire » ; ce en quoi, dois-je dire, il me paraît peut-être ne pas aller tout à fait au bout de sa démarche, mais je dis sans doute des bêtises). Il n’y a véritablement de contrainte que pour la première de ces phrases, qui doit contenir le verbe « vouloir » et être en rapport avec un autre personnage.

 

Ces phrases remplissent plusieurs usages, au moins trois. D’une part, elles contribuent donc à la définition du personnage ; d’autre part, elles déterminent sa marge d’action (pour agir – pour jeter les dés, dirait le barbare –, le joueur doit mettre en avant autant de phrases qu’il le souhaite : il faut qu’elles soient adaptées à la situation de jeu, et c’est tout ; on peut ainsi – et je trouve ça très bien vu – choisir de mettre en avant une phrase constituant un handicap) ; enfin, elles constituent en quelque sorte les « points de vie » du personnage, j’y reviens de suite.

 

Je tente de résumer (ce que je crois avoir compris : les exemples de parties sont ici très utiles). Lors des « conflits », et donc lors de l’utilisation de ces phrases, le joueur jette un dé (à douze faces en principe) pour chaque sentence mise en œuvre. Sur un résultat de 1 ou 2, on dit que c’est un dé de « sacrifice » : l’action réussit, mais au prix d’un sacrifice, et il faut rayer une phrase, qui devient obsolète ; si le joueur n’a plus de phrases à sa disposition, le personnage est retiré de la partie (mais pas nécessairement mort pour autant). Si le résultat est de 11 ou 12, on parle de dé de « puissance », et l’action réussit sans sacrifice. Si le résultat est compris entre ces deux extrêmes, on parle de dé de « souffrance », et l’action échoue (mais, si je ne m’abuse, on écrit une phrase ; on rejette alors le dé pour déterminer un thème orientant sa rédaction). Il y a donc une part de « tactique » dans l’utilisation des phrases, surtout dans la mesure où un dé de sacrifice « tue » les autres dés (dont on ne tient pas compte), et où plusieurs dés de sacrifice « contaminent » le reste de la poignée (arrêtez-moi si je dis des bêtises, ce n’est pas exclu…), ce qui peut très vite susciter une pénurie de phrases, et donc faire gicler le personnage, au moins temporairement.

 

La notion de « sacrifice » est donc essentielle dans Inflorenza, jeu qui fait autant la part belle aux personnages qu’à l’histoire, au sens de « dramaturgie » (le « fusil de Tchekhov »). Et voilà qui me paraît très intéressant, surtout, à vrai dire, au regard de parties récentes dans lesquelles votre serviteur s’est retrouvé impliqué, que ce soit en tant que MJ ou en tant que joueur, sur des jeux autrement plus traditionnels, et où l’on a fini par dégager l’idée d’une certaine « beauté dans l’échec ».

 

Je ne vais pas m’étendre au-delà sur les subtilités du système (les différentes sortes de conflits, les pouvoirs, etc.) ; procurez-vous Inflorenza et voyez par vous-mêmes, ah mais. Il ne me paraît pas non plus utile de développer ici le background plus que de raison, mais c’est assez bien fait (notamment en ce qui concerne les croyances religieuses) ; et ça appelle semble-t-il des développements ultérieurs dans de prochains suppléments (chouette, faudra que je me tienne au courant).

 

L’essentiel est là : l’univers est bon, mais, une fois n’est vraiment pas coutume, c’est le système qui me paraît surtout séduisant en l’espèce. À vrai dire, de tous les systèmes « de narration partagée » que j’ai pu lire (il n’y en a pas beaucoup, certes), c’est de loin ce jeu de rôle « amateur » qui emporte la palme de la pertinence. Et ce n’est pas rien, tout de même.

 

Le bilan est donc sans appel, et Inflorenza s’avère encore meilleur que ce à quoi je m’attendais. Nous avons là un jeu mûrement réfléchi, intelligent et stimulant, sans oublier d’être un jeu pour autant. Mine de rien, c’était une gageure. Félicitations, donc, à Thomas Munier, et longue vie à Inflorenza, que je suis bien curieux d’essayer un de ces quatre (auquel cas je me livrerai peut-être à un compte rendu de partie, on verra).

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"Vermilion Sands", de J.G. Ballard

Publié le par Nébal

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BALLARD (J.G.), Vermilion Sands, [Vermilion Sands], nouvelle édition augmentée établie par Bernard Sigaud, traduction de l’anglais par Paul Alpérine, Laure Casseau, Alain Dorémieux, Alain le Bussy, Robert Louit, Lionel Massun, Arlette Rosenblum, Bernard Sigaud & Franck Straschitz, Auch, Tristram, coll. Souple, [1955, 1971-1973, 1975, 1992, 2008-2009] 2013, 278 p.

 

J’avais bien entendu déjà lu les nouvelles composant Vermilion Sands (à une exception près, l’inédit de 1955 « Le Labyrinthe Hardoon », dont c’est là la première publication ; un texte relativement mineur, sans doute, mais un Ballard mineur demeure plus que plaisant en regard de la médiocrité coutumière) en me régalant de l’intégrale des nouvelles de J.G. Ballard ; mais ces célébrissimes nouvelles étaient réparties sur les deux premiers tomes, une quinzaine d’années s’étant écoulées entre la publication du premier texte du recueil (« Prima Belladonna », qui fut d’ailleurs le premier texte publié de Ballard en général) et celle de la dernière (« Dites au revoir au vent »). En tout – et en comptant donc l’inédit sus-mentionné –, nous avons maintenant dans sa forme augmentée et définitive un livre admirable comportant dix textes d’exception, témoignage éloquent de la virtuosité de Ballard dès le début de sa carrière. Et j’avais sacrément envie de relire Vermilion Sands comme un bloc ; aussi me suis-je procuré dès sa sortie en « Souple » ce beau volume, Tristram ayant parfaitement compris que cette œuvre avait sa propre singularité au-delà de l’intégrale des nouvelles (mais j’ai cru comprendre que ce livre était déjà épuisé…). Ce n’est cependant que maintenant que j’ai enfin trouvé à le (re)lire… et ça tombe bien puisque, demain soir, à l’indispensable librairie Charybde, on va en causer, ainsi que du Portique du front de mer de Manuel Candré qui lui rend hommage.

 

Vermilion Sands est une station balnéaire léthargique, une utopie langoureuse pour milliardaires excentriques (pléonasme ?), artistes plus ou moins poseurs et stars sur le retour. La plage est presque systématiquement hors-champ, et le désert s’insinue bien davantage dans les visions du lecteur, comme si Saint-Tropez se faisait bouffer progressivement par l’Arizona. Là, la civilisation des loisirs a atteint son comble durant l’Intercalaire, « cette dépression mondiale d’ennui léthargique et de chaleur estivale qui nous entraîna allègrement dans dix années inoubliables » ; à Vermilion Sands – et dans la région qui l’entoure, Red Beach, Lagoon West, etc. –, le travail n’est pas une nécessité, et devient même la forme ultime de la distraction.

 

Aussi, tout le monde ou presque se veut artiste, à Vermilion Sands ; on ne compte pas les sculpteurs soniques, les architectes psychotropes, les poètes ou prétendus tels composant leurs œuvres au verséthiseur (jusqu’à ce qu’une muse pointe le bout de son nez arrogant…), les concepteurs et vendeurs de vêtements biotextiles, sans même parler des fameux sculpteurs de nuages de Coral D. Tout un bagage science-fictif accompagne ainsi les textes, des gadgets d’un futur antérieur où tout était possible et rien n’avait d’importance. Et puis, quand on ne produit pas – c’est-à-dire souvent –, on s’amuse comme on peut dans ce lieu unique où le temps semble se figer : on va chasser les raies des sables, on joue au i-Go… On peut, pourquoi pas, danser avec les vagabonds dans un night club abandonné, souvenir d’un bon vieux temps que l’on ne retrouvera plus.

 

Le regard est en effet volontiers nostalgique, mais avec quelque chose d’un sourire béat ; même les regrets sont positifs à Vermilion Sands. Pourtant, le passé peut y laisser des traces sinistres, ainsi dans la maison folle de Stellavista, qui offre à Ballard l’occasion d’une extraordinaire variation SF sur le thème fantastique de la maison hantée… Mais, au fond, c’est parce qu’on le veut bien : personne n’empêche l’acquéreur de couper les souvenirs de la maison, si jamais… mais cela reviendrait sans doute à lui faire perdre une bonne partie de son cachet.

 

On avait sous-titré jadis Vermilion Sands « Le Paysage intérieur », thème évidemment cher à Ballard. Ici, il est bien entendu à l’image de ce désert périphérique, cette mer de sables qui entoure la station balnéaire et semble la couper du monde : étouffant, doucement monotone, peut-être même vaguement ennuyeux, et d’une beauté implacable. Sous le soleil (exactement), le lecteur participe ainsi du quotidien aussi lumineux que désabusé des habitants et estivants ; sous la plume du brillant artiste, il devient peut-être même créateur à son tour, conceptualisant à grands traits un futur temporaire, nettement moins sinistre que ce que la science-fiction nous propose généralement, jusque dans ses versants les plus utopiques.

 

Il faut dire que la SF, ici, au-delà des gadgets précédemment évoqués – tous plus réjouissants les uns que les autres –, est, au sens strict, terre à terre. Cette œuvre magistrale, entamée peu avant Spoutnik, achevée immédiatement après Apollo XI, délaisse les planètes extérieures et une conquête de l’espace vouée à l’échec – autre thème important de Ballard – pour construire un temps immobile, ou presque, car s’écoulant peut-être lentement vers une apocalypse (forcément…) dans tous les sens du terme, à la fois fin d’une époque – le désert gagne, l’Intercalaire s’achève – et révélation ultime (de la vanité de toutes choses ?).

 

Autre aspect non négligeable de Vermilion Sands, et qui participe de la complicité du lecteur avec l’auteur et ses personnages : cet humour presque omniprésent, sous forme de distance ironique et un brin narquoise à l’égard de ces artistes qui n’en sont pas totalement, ces poètes d’un dimanche à jamais prolongé (à l’heure de la sieste, bien sûr) et autres plaisanciers pleins aux as, souvent reliques d’une jeunesse folle et insouciante, en forme de masque artificiel – ainsi le fascinant et sinistre visage d’adolescente éternelle du mannequin de la dernière nouvelle. Derrière la façade, certes, le tableau peut se faire horrible ; on n’apprécie pas forcément ce que le portrait révèle… tout en le recherchant. Car c’est Vermilion Sands : on n’y échappera pas, et on en fera un amusement, quelles qu’en puissent être les conséquences.

 

Œuvre visionnaire, Vermilion Sands ne ressemble finalement à rien d’autre. Un sommet de l’œuvre immense de l’immense Ballard, qui porte à la fois en germe certains de ses thèmes fondamentaux, et revendique pourtant sa singularité pleine et entière. L’auteur aura l’occasion, dans un sens, de tirer un trait sur la station balnéaire léthargique ; ce sera bientôt la folie de La Foire aux atrocités, les périphériques gris et mortels de la « Trilogie de béton »… ou encore, en clin d’œil ironique, la Riviera malsaine d’œuvres plus récentes. Mais Vermilion Sands demeure, brillant témoignage d’un auteur déjà au sommet de son art, aussi intelligent qu’habile ; l’occasion pour le lecteur d’un regard en arrière, béat forcément, sur un temps où tout semblait possible, et en premier lieu le plus vain et le plus absurde.

 

C’est un immense chef-d’œuvre, dans tous les sens du terme.

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