"In God We Trust", de Winshluss
WINSHLUSS, In God We Trust, Bègles, Les Requins Marteaux, 2013, [n.p.]
Je le confesse : je ne connais vraiment pas grand-chose en matière de BD bien eud’ chez nous. Au-delà des classiques franco-belges de mon enfance, et de quelques Humanoïdes et autres Fluides plus tard, j’ai de sérieuses lacunes. Aussi ai-je dû à maintes reprises me reposer sur le bon goût d’aimables concitoyens pour piocher ici ou là tel ou tel machin qu’il est bien.
C’est comme ça que j’ai découvert Winshluss, grâce à un aimable concitoyen, donc (et dont c’est d’ailleurs l’anniversaire aujourd’hui, vieillis heureusement, l’ami) qui, constatant mon ignorance de la BD bien eud’ chez nous, a fortiori à une époque où je lisais surtout des histoires de tapettes en collants, m’a glissé régulièrement un Ferraille entre les pattes. Et ça me plaisait bien, ça, la revue des Requins Marteaux. C’était ben drôle, ça oui, et ça trépignait d’enthousiasme juvénile délicieusement régressif et de bon mauvais goût qui tache ; tout pour me plaire, quoi, et remplacer avantageusement Fluide Glacial qui me paraissait alors en sévère perte de vitesse (sans parler du reste). Et Winshluss, donc, y était, qui nous contait avec Cizo les aventures de Monsieur Ferraille, rien que ça. C’était bien.
Quelques années plus tard, j’ai – comme beaucoup de gens semble-t-il – redécouvert Winshluss à l’occasion de la sortie, toujours chez les Requins Marteaux, du fantabuleux Pinocchio, lu chez un autre aimable concitoyen, de bon goût lui aussi malgré son humour déficient car planchapinesque. Et disons-le tout net, sans faire preuve d’originalité : Pinocchio est un chef-d’œuvre, d’une ambition démesurée, qui expérimente volontiers, mais garde toujours le ton absurdo-trash et frais qui faisait tout l’intérêt de Ferraille en général et de Winshluss en particulier.
Une émission de radio – mais mérite-t-elle seulement ce nom ? –, à savoir la Salle 101, est depuis revenue maintes fois sur la carrière de Winshluss, par le biais de l’ignoble et répugnant Raoul Abdaloff. Le bougre ne tarrissait pas d’éloges sur chaque nouvelle sortie du créateur de petits mickeys, et c’est comme ça que j’ai fini par entendre parler de In God We Trust (toujours chez les Requins Marteaux). Le projet – revisiter la Bible, épisodes I et II, à la sauce Ferraille – me plaisait bien, et, dès que l’opportunité s’en est présentée, j’ai donc acheté puis lu la chose.
Adonc, nous avons saint Franky, patron des amateurs de boublon et des bandes dessinées (un type bien, donc), qui nous rapporte pour notre plus grand plaisir quelques fameux épisodes des deux testaments, de la Genèse à l’Apocalypse, même si un peu dans le désordre, mais on s’en fout. C’est que Winshluss a une mission, dans In God We Trust : sauver nos âmes pécheresses et ignorantes en nous disant ce qu’il y a au juste dans le Livre des livres, histoire de mourir moins bête, et si possible d’aller faire un saut au Paradis plutôt qu’en ENFER. Ambition louable, qui va s’exprimer dans des cases avec des bulles, parce que lire vraiment la Bible, c’est quand même sacrément chiant (pour ma part, dans l’Ancien Testament, j’ai jamais pu franchir les Nombres ; j’ai lu le Nouveau, mais quel pensum…).
On s’en doute : dans sa mission d’édification religieuse, Winshluss va adopter un ton absurde et blasphématoire. Certes, le blasphème, c’est foncièrement puéril, et peut-être même un peu ambigu (après tout, un agnostique convaincu comme votre serviteur, et a fortiori un athée, n’a pas besoin de blasphémer…), mais ça peut être vach’ment rigolo.
Ça peut.
Mais là, c’est triste à dire, le plus souvent, ça ne marche pas.
Oh, il y a bien quelques bons gags – comme celui de la tequila paf, crétin comme on les aime –, et les pubs sont toujours aussi hilarantes, mais on sourit plus qu’on ne rit, généralement. Pour une raison toute simple : la plupart des gags composant In God We Trust sont sacrément éculés, voire carrément faciles. Et, du coup, malgré quelques bonnes idées ici ou là, quand l’absurde l’emporte sur le blasphème (ou quand l’auteur fait intervenir Conan et Superman, ce qui marche forcément bien sur moi…), dans l’ensemble, on tourne les pages sans grande passion. Et plutôt qu’un bon Ferraille, on a parfois le triste sentiment de parcourir d’un œil distrait un mauvais Charlie Hebdo (oui, je sais, c’est un pléonasme)…
Graphiquement, on peut de même être un peu déçu : certes, c’est bien fait, et il y a bien un peu de variation de styles, mais on est quand même très loin de la maestria de Pinocchio, album mégalomane qui montrait toute la palette du talent de Winshluss.
Bref : ce n’est pas foncièrement mauvais, mais ça n’est pas bon pour autant ; et j’ai le sentiment d’avoir un peu gaspillé mes sous avec cet album dont j’attendais trop… On sait que Winshluss est capable de faire bien mieux ; alors, même en tant que fanboy, on ferait mieux de ne pas s’encombrer de cette pochade inutile. Déception…