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"Le Dit de Sargas", de Régis Antoine Jaulin

Publié le par Nébal

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JAULIN (Régis Antoine), Le Dit de Sargas. Mythes et légendes des Mille-Plateaux, illustrations de Lionel Richerand, Saint-Laurent d’Oingt, Mnémos, coll. Ourobores, 2013, 143 p.

 

J’ai toujours été fasciné par l’idée même de création d’univers, ce qui explique mon intérêt tant pour la mythologie que pour les littératures de l’imaginaire ou encore le jeu de rôle. La très recommandable collection « Ourobores » des éditions Mnémos me fait dès lors régulièrement de l’œil – voyez notamment mes comptes rendus de Kadath, ou encore de La Vallée de l’éternel retour d’Ursula K. Le Guin – et je ne pouvais pas passer à côté de cet intrigant petit ouvrage de Régis Antoine Jaulin, joliment illustré par Lionel Richerand (même si, sur ce dernier point, j’aurais sans doute préféré un peu plus de matière).

 

L’auteur, scénariste de son état (et qui a œuvré dans le jeu de rôle), nous livre en effet ici un court récit mythologique puissant, à la fois genèse et apocalypse, puisant énormément mais avec astuce et finalement originalité dans les fonds mythologiques préexistants : même si l’on sent avant tout une prédominance  indienne – le Mahabharatha est justement cité en quatrième de couverture –, on relèvera également des éléments grecs, bibliques, etc. Ah, et en parlant de la quatrième de couverture, sans doute ne faut-il pas attacher trop d’importance au lien établi avec le Silmarillion de J.R.R. Tolkien, qui est d’une tout autre ampleur et puise avant tout dans les sagas (c’est seulement avec l’Ainulindalë que la comparaison est pertinente).

 

Dès lors, pour nous conter son histoire, qui consiste essentiellement en un dialogue entre l’homme Baten-Kaïtos, Celui Qui Dit, et le monstre Sargas, figure de mémoire archaïque et anomalie dans le cours du temps, Régis Antoine Jaulin use d’un style archaïsant et passablement hermétique au premier abord. Voyez plutôt (premier paragraphe du Mahasutra) :

 

« Depuis mille quatre cent trois étoiles, Furud est Yupa du Kamaradjhia. Il en est le pilier et la lumière. Son extase et sa retraite éclairent le peuple de son royaume au prix de son absence : depuis mille quatre cent trois étoiles, Furud n’a pas vu sa femme. Son frère, Baten-Kaïtos, en a la charge. Et depuis mille quatre cent trois étoiles, Baten-Kaïtos veille sur la belle Alhena. »

 

Pas évident, dans un premier temps : on est noyé sous les concepts et les personnages… Mais je déconseillerais pour ma part de recourir immédiatement aux glossaires en fin d’ouvrage, qui en disent trop : mieux vaut donc les lire à la fin, pour éclairer ce qui pourrait encore avoir besoin de l’être, et, en attendant, se laisser porter par la plume délicieusement surannée de Régis Antoine Jaulin (même si l’on peut peut-être, à mon sens tout du moins, relever ici ou là quelques – rares – soucis de registre, c’est dans l’ensemble tout à fait convaincant et sonne authentique).

 

La mythologie traite en principe des rapports entre les hommes et le divin, et Le Dit de Sargas ne déroge pas à la règle. Mais [SPOILER ?] ce que le récit a de particulièrement fort, et qui en fait donc à la fois une genèse et une apocalypse, c’est que, non content de placer les femmes et les hommes au centre de la création, il conte essentiellement l’histoire de la révolte des humains contre les dieux, qui en viennent à mourir et déserter le monde fracassé, dès lors les Mille-Plateaux (je ne sais pas s’il y a véritablement du Deleuze là-dedans ou si c’est une coïncidence, ma culture philosophique est trop maigre…). Une révolte qui réussit : cette mythologie a dès lors quelque chose d’impie qui est particulièrement réjouissant… quand bien même le tableau de l’univers qui en résulte a quelque chose de tragique, avec ses végétaux qui ne sont plus que le triste reflet de ce qu’ils étaient, ses animaux qui ne sont plus que fantômes, et son absence éloquente de soleil. Tragique, en effet, est le récit que fait Sargas à Baren-Kaïtos : bien loin de narrer la création d’un monde parfait, du meilleur des mondes possibles, le monstre appuie là où ça fait mal, sur les drames que connaissent les dieux, les animaux, les femmes et les hommes. La vie naît ici du fratricide et donc de la mort (« Le Yug est ! »), et c’est bien cette inquiétude perpétuelle de la mort et du sort de l’âtmâ qui définit le rapport de l’homme au divin. Les dieux et les héros vivent, se battent et meurent, dans un univers vacillant, probablement plus le fruit du hasard que d’un quelconque « intelligent design »… Une mythologie antithéiste sinon à proprement parler athée, donc (telle est du moins ma lecture) ; mais le portrait de l’homme qui s’en dégage n’est guère flatteur pour autant…

 

En une centaine de pages, portées par un souffle indéniable, Régis Antoine Jaulin démontre ainsi ses grands talents tant de conteur que de créateur d’univers. Le Dit de Sargas est aussi passionnant qu’intelligent, et d’une très grande richesse, d’une très grande densité. On n’en fera peut-être pas un chef-d’œuvre, mais tout de même plus qu’une simple curiosité. Ce petit ouvrage a en tout cas parfaitement sa place parmi les autres « Ourobores », et confirme la très grande qualité de cette collection originale et qui a décidément tout pour me plaire.

 

EDIT : Gérard Abdaloff en cause dans la Salle 101, ici. 

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"Confessions d'un compositeur / A Composer's Confessions", de John Cage

Publié le par Nébal

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CAGE (John), Confessions d’un compositeur / A Composer’s Confessions, [A Composer’s Confessions], traduit de l’anglais par Élise Patton, Paris, Allia, [1948, 1992, 2011-2012] 2013, 49 + 43 p.

 

Je plaide coupable : je n’y connais à peu près rien en matière de musique « savante » contemporaine, et n’ai quasiment jamais fait l’effort d’en écouter. Ce qui ne m’empêche pas de m’y intéresser sous un angle théorique, notamment en ce qu’elle a pu influencer considérablement des groupes et artistes « populaires » que j’apprécie tout particulièrement (en l’espèce, on pourra citer sans grand risque d’erreur Brian Eno, Throbbing Gristle, Einstürzende Neubauten ou encore Sonic Youth). Il y a de ça, ouf, au moins, un citoyen musicologue m’avait d’ailleurs prêté un ouvrage sur la question, que j’avais trouvé tout à fait passionnant (sur le plan théorique, donc), en dépit de mes lacunes en matière de composition et de technique musicales. Et, dans cet ouvrage, si je ne me sentais guère proche de certains compositeurs (notamment l’approche très mathématique de la musique dodécaphonique ou d’un Xenakis), d’autres me parlaient davantage.

 

Et parmi eux John Cage. Autant le dire de suite : je n’ai à peu près rien écouté de John Cage (à part, bien sûr, 4’33), et je doute que sa musique me parle totalement. Mais, là encore, c’est sous un angle théorique que j’entends l’approcher, et je trouve cela tout à fait passionnant. D’où l’acquisition et la lecture de ce petit ouvrage récemment paru chez Allia (où je m’étais également procuré il y a peu L’Art des bruits de Luigi Russolo – la parenté entre les deux est une évidence, et John Cage renvoie directement au manifeste futuriste dans ces Confessions). Ce fut pour moi l’occasion de remettre en cause certaines idées reçues sur le compositeur, d’ailleurs : j’ai ainsi appris, contrairement au souvenir que j’en avais gardé, que sa musique également avait de très fortes et très complexes bases mathématiques. Mais, pour le reste, j’ai retrouvé le « défricheur » qui m’avait tant séduit par son approche résolument inventive de la musique contemporaine ; et si ce texte – présenté ici en version bilingue – n’a pas le caractère révolutionnaire et indispensable de L’Art des bruits, il s’inscrit néanmoins dans sa filiation, et se révèle d’une lecture fort instructive.

 

Ce texte – publié initialement en 1948 – est bien loin de couvrir toute la carrière musicale de John Cage : à l’époque, il n’avait d’ailleurs pas encore « composé » son fameux 4’33 (il en annonce le projet dans les dernières pages, sous le titre A Silent Prayer). Mais les bases sont déjà là.

 

Si Cage s’est mis au piano assez jeune, il n’était de son propre aveu guère doué, et ne s’est tourné que tardivement vers la composition : on le voit d’abord chercher sa place dans des domaines artistiques aussi divers que la peinture ou l’architecture (ce qui est en soi révélateur, je suppose). Puis il franchit le pas ; il commence par faire une musique très mathématisée (donc), plus complexe encore que la musique dodécaphonique. Problème : celle-ci n’est pas forcément très « agréable » à écouter… Et si les bases mathématiques restent présentes tout au long des compositions exposées dans ces Confessions, il n’en reste pas moins que c’est en approchant les choses sous un angle différent que John Cage va se créer une place. Et, dans la lignée de L’Art des bruits, nous le verrons ainsi s’essayer à des compositions pour percussions seules, ou utiliser des radios dans ses compositions, voire les manipulations rendues possibles par le studio pour ses enregistrements. Plus tard, il y aura bien sûr le fameux « piano préparé » qui restera dans cette même optique. Sa musique tendra ainsi à faire usage d’une large gamme de sons, que l’on ne considérait pas « musicaux » en tant que tels jusqu’alors, mais qui le deviennent par le biais de la composition et de l’ordonnancement (même si j’imagine que 4’33, en tant que symbole ultime de « l’œuvre ouverte » – l’ouvrage éponyme d’Umberto Eco m’avait également été prêté, en même temps, par le citoyen musicologue évoqué plus haut –, témoigne d’une part de plus en plus importante de l’improvisation et du hasard dans la musique de John Cage).

 

L’approche de John Cage, dans ces différents aspects, me paraît des plus pertinentes et enrichissantes ; le caractère très novateur de ses « paysages imaginaires », etc., ne saurait faire de doute, et témoigne à mon sens de ce que la musique « savante » contemporaine peut produire de plus intéressant (du moins sur le plan théorique ; j’avoue parfois douter que le résultat soit « agréable » à l’écoute, mais…).

 

Mais il y a aussi un arrière-plan non négligeable dans la musique de John Cage, qui est sa portée « spirituelle » ; le compositeur y revient sans cesse, et semble y voir le cœur de sa musique, et, idéalement sans doute, de la « bonne » musique en général ; ce n’est sans doute pas un hasard, à cet égard, si 4’33 était donc désigné ici comme étant une « prière ».

 

On adhèrera ou pas à ces différentes conceptions de la musique. Peu importe : l’honnêteté implique d’admettre, d’une manière ou d’une autre, l’importance fondamentale de John Cage dans l’histoire de la musique contemporaine, et son rôle de pionnier, que ce soit dans la composition à proprement parler, dans l’usage d’instruments ou de sonorités incongrus, dans les techniques d’enregistrement, etc. J’apprécie tout particulièrement son ouverture d’esprit et son engouement pour les musiques orientales, le jazz, le bruit et les percussions, qui ont influencé son œuvre ; j’apprécie de même sa volonté de ne pas se contenter d’une musique « savante » réservée aux plus reclus et hermétiques des esthètes, mais de livrer ses compositions au public.

 

Aussi ai-je trouvé ce tout petit ouvrage fort instructif. Certes, il n’a pas le caractère indispensable – car séminal – de L’Art des bruits. Il est néanmoins éclairant et d’une lecture agréable. Alors – qui sait ? – peut-être un jour vais-je franchir le pas, et écouter « vraiment » du John Cage…

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"Mariage à l'égyptienne", de Sylvie Miller & Philippe Ward

Publié le par Nébal

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MILLER (Sylvie) & WARD (Philippe), Mariage à l’égyptienne, Rennes, Critic, coll. Fantasy, série Lasser, 2013, 306 p.

 

Mariage à l’égytienne, deuxième tome des aventures de Jean-Philippe Lasser, détective des dieux, est sorti presque immédiatement après Un privé sur le Nil, mais il s’agit cette fois pleinement d’un roman, et non d’un assemblage plus ou moins habile de nouvelles, comme c’était le cas pour le précédent volume. Sa lecture reste néanmoins très probablement un préalable indispensable, dans la mesure où l’univers cartoonesque élaboré par le « Noir Duo » repose en bonne partie sur un ensemble de personnages secondaires apparus dans le tome inaugural et qui refont tous ou presque leur apparition ici (de manière parfois un peu forcée, d’ailleurs).

 

Le roman débute – sans surprise – sur les chapeaux de roue, au bar de l’hôtel Sheramon, où Lasser sirote un whisky au milieu des murmures des pachas. C’est à nouveau la déesse Isis qui vient l’embaucher pour une enquête qu’il ne peut pas refuser : il s’agit pour lui de retrouver en l’espace d’une semaine environ Aglaé, une des filles de Zeus, afin qu’elle épouse comme prévu Horus, fils d’Isis, opération de rapprochement entre les panthéons grec et égyptien qui n’est pas du goût de tout le monde, loin s’en faut.

 

Lasser se rend donc à Alexandrie pour entamer son enquête, au volant d’une superbe voiture – cadeau divin –, mais manque se planter sur la route du fait de la très séduisante Médée, « journaliste » grecque qui lui colle aux basques… et s’avère être en fait une concurrente au service de Zeus. Lasser, qui est également embauché par Seth dans le cadre de cette enquête afin d’établir son innocence – il est évidemment le premier suspect –, a donc fort à faire, pressé qu’il est de toutes parts. Heureusement pour lui, ce loser achevé ne manque pas d’amis prêts à lui venir en aide… d’autant qu’il s’agit de faire la nique aux Grecs.

 

Les amateurs d’Un privé sur le Nil seront probablement emballés par Mariage à l’égyptienne, qui en reproduit les principaux personnages et gimmicks. Et, oui, le fait est que tout cela est fort sympathique. À condition d’accepter de poser son cerveau un moment, on peut effectivement passer un bon moment devant ce divertissement honnête et sans prétention.

 

Pourtant, objectivement, ce n’est sans doute pas très bon. Si les bons points du premier volume ont été repris, les mauvais ont également fait le voyage : on retrouve donc à nouveau quelques soucis de cohérence, notamment, et le moins que l’on puisse dire est que l’enquête ne casse pas des briques (on peut même trouver l’intrigue, ou plus exactement sa résolution, totalement invraisemblable, ce qui est tout de même un tantinet gênant…). Tout cela est en effet un peu trop simple, voire simplet, pour pleinement convaincre. Et si les rebondissements abondent, le rythme du roman étant même frénétique – tout va très vite, et sans doute trop vite –, il s’en dégage néanmoins une regrettable impression de facilité, à tous les niveaux : Lasser, pourtant un loser, surmonte toutes ses épreuves les doigts dans le nez, et on a quand même un peu l’impression d’un roman en roue libre, peut-être un peu baclé…

 

Et c’est dommage. Parce qu’il y a sans doute ici matière à faire bien mieux, de quoi passer du simplement « sympathique » au réellement enthousiasmant, voire jubilatoire. L’univers, les personnages, les gimmicks, tout cela pourrait être exploité plus à fond, pour livrer davantage que ces enquêtes plutôt mal fichues, qui se lisent certes sans déplaisir, mais sans grand plaisir non plus.

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"Un anarchiste", de Joseph Conrad

Publié le par Nébal

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CONRAD (Joseph), Un anarchiste. Un conte désespéré, [An Anarchist. A Desperate Tale], traduction de l’anglais, notes et postface par Pierre-Julien Brunet, [s.l.], Fayard – Mille et Une Nuits, [1906, 1908] 2013, 61 p.

 

Je poursuis petit à petit ma découverte de l’œuvre de Joseph Conrad. Après Au cœur des ténèbres, Jeunesse et Le Duel, voici donc une intrigante nouvelle « française » parue initialement aux États-Unis en 1906, et trouvant son inspiration tant dans des faits réels que dans la littérature préexistante (voir la postface, éclairante, à ce sujet). Un texte longtemps considéré « mineur », semble-t-il, mais qui se révèle bien vite d’une richesse indéniable, d’une densité tout à fait remarquable.

 

Nous sommes sur une île au large de l’Amérique du Sud, appartenant à la compagnie (« multinationale », déjà ? c’est ce qu’on nous dit, en tout cas, et il est vrai qu’il y a de ça) B.O.S., qui fabrique de « l’extrait de viande ». Le narrateur – amateur de papillons – y fait la rencontre d’un singulier personnage, un mécanicien que le répugnant maître des lieux s’empresse de qualifier comme étant « un anarchiste de Barcelone ». Celui-ci a beau être de Paris, il répète sans cesse – à la manière d’un Bartleby, ai-je cru comprendre – « Je ne nie rien ».

 

Tant pis pour Barcelone. Mais, un anarchiste ? C’est à voir. Et le narrateur, se liant avec ledit personnage, aura de quoi réfléchir à ce sujet. En effet, celui qui porte ce stigmate d’infamie – et c’est là le cœur du problème – s’est semble-t-il contenté de brailler un « Vive l’anarchie ! » dans un café parigot quand il avait un coup de trop dans le nez… C’était, alors, amplement suffisant (Conrad écrit peu après la grande vague de terrorisme anarchiste en France, et sa répression – « lois scélérates », etc.). Ce cri séditieux lui vaut une condamnation, et de mauvaises fréquentations – les « anarchistes » ou prétendus tels, qui ne sont bien souvent que des canailles (voir la « reprise ») –, ce qui l’amène finalement à la Guyane : oui, notre « anarchiste » est un forçat évadé, de toute évidence. Et il va raconter son histoire « désespérée » au narrateur (la construction du récit est à cet égard remarquable).

 

Un anarchiste n’est pas vraiment un récit sur l’anarchisme ou sur sa répression, même si ces dimensions entrent en jeu. Ce qui intéresse avant tout Joseph Conrad ici, et le lecteur par la même occasion, c’est de s’interroger sur l’aliénation d’un individu, dans tous les sens du terme ; et, parallèlement, sur la notion de liberté. Le stigmate – l’étiquetage – ruine la vie de « l’anarchiste », qui, pour avoir un peu trop bu en une unique occasion, passe du statut de mécanicien bien intégré à la société de son temps à celui de paria, de voyou, puis de bagnard, avant de se retrouver esclave du propriétaire de l’île, par le seul jeu de l’étiquette qui lui colle définitivement à la peau. Ce « conte désespéré » est ainsi celui d’une descente aux enfers, ne laissant aucune échappatoire. C’est aussi, en même temps, une réflexion habile sur le sens des mots, sur leur pouvoir, et on peut probablement y voir une mise en abyme de la création littéraire.

 

En une quarantaine de pages, Conrad brasse ainsi une multitude de thèmes, sans que la nouvelle ne perde de son unité ou de sa cohérence pour autant. Le récit est d’une construction exemplaire, aussi poignant que perturbant, et d’une intelligence admirable. Conte philosophique mâtiné d’aventure exotique, tristement visionnaire et par là même toujours d’actualité, Un anarchiste ne m’a certes pas fait l’effet d’un texte « mineur » ; et si je n’irais pas jusqu’à crier au chef-d’œuvre, j’admire néanmoins la pertinence du propos comme l’adresse de l’écriture. Très intéressant.

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"Waylander II", de David Gemmell

Publié le par Nébal

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GEMMELL (David), Waylander II : Dans le royaume du loup, [Waylander II – In The Realm Of The Wolf], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Alain Névant, Paris, Bragelonne – Milady, [1992, 2000, 2004] 2010, 443 p.

 

Ben voui. J’étais en Dordogne, j’avais fini les « Livres de sang » de Clive Barker, et je me suis dit : Dordogne = David Gemmell = BEUAAAAAAAAAAAAARH. Alors j’ai lu Waylander II : Dans le royaume du loup, suite de Waylander (ah bon ?), faisant partie, plus largement, du cycle « Drenaï ».

 

 

Par les couilles de Shemak (comme aime à jurer un des personnages du roman), quelle purge ! Certes, c’est du Gemmell, alors je ne m’attendais pas exactement à un chef-d’œuvre, mais j’espérais du moins une bourrinade divertissante (BEUAAAAAAAAAAAARH, quoi). Mais non. Non, là c’était vraiment pas possible. Je crois que c’est le pire Gemmell que j’ai lu (oui, je sais, je dis ça presque à chaque fois, mais, pour le coup…). Entendez par-là que ce roman absolument dénué d’originalité reproduit tous les défauts des précédents en les accentuant. Tout y passe, absolument tout.

 

Mais voyez plutôt. Nous sommes une dizaine d’années après Waylander. L’assassin devenu gentil, de son vrai nom Dakeyras, vit avec sa fille (adoptive) Miriel dans un trou perdu de Drenaï. Son épouse Danyal est morte cinq ans plus tôt, et il la pleure toujours, bouhouhou. Mais il va être contraint de sortir de sa réserve quand un contrat va être placé sur sa tête : la Guilde des assassins s’est vu confier pour mission d’abattre Waylander par un mystérieux commanditaire, et la prime est conséquente. Aussi, tout un tas de vilains se ruent sur les traces de notre héros et de sa fille ; seulement voilà, les deux savent ach’ment bien se battre (même si la petite est amenée à prendre des leçons d’un ex-gladiateur bourru), et massacrent tous ceux qui approchent… ou s’en font des alliés, tout compte fait, hop, comme ça, fastoche.

 

Mais la meilleure défense, c’est l’attaque, hein. Alors Waylander, Miriel et leurs petits amis sortent de leur trou perdu et, suite à un imbroglio politique pour le moins confus et riche en coïncidences qui tombent super bien, se retrouvent – comme d’hab’ – impliqués dans une trame plus complexe, qui les dépasse nécessairement, mais dans laquelle ils auront un sacré rôle à jouer, parce que bon. Et puis il faut bien des grosses scènes de bataille, après tout, sinon ça ne serait pas du Gemmell… Alors hop : de se rendre chez les Nadirs.

 

Tous les clichés sont là, du héros nécessairement vieillissant (y en a même deux, tant qu’à faire) à la conclusion forcément bâclée, en passant par les amitiés improbables, la philosophie de comptoir, les méchants très très méchants, les Trente, les « il n’était pas vraiment mort, en fait » et le siège intenable. Plus un peu de cul pour la forme.

 

Et le résultat est parfaitement navrant. David Gemmell, dans le cycle « Drenaï » tout du moins, écrit toujours la même chose, et là ça ne passe tout simplement pas, tant le caractère artificiel de l’intrigue saute aux yeux. Alors, non, pas de BEUAAAAAAAAAAAAAAARH : juste un mauvais roman, chiant comme la pluie, mal écrit, encore plus mal construit, absolument dénué du moindre intérêt. Faut vraiment que j’arrête de perdre mon temps avec ça, moi ; au début, c’était rigolo, mais là ça devient pénible…

 

Beuarh mon cul, tiens.

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Black Mambo

Publié le par Nébal

 

 

Quand j'étais jeune et insouciant (j'étais à la fac, mais je ne sais plus en quelle année au juste), j'avais passé une annonce complètement débile pour tenter de monter un groupe (débile) plus ou moins dans la mouvance disco-punk. Un guitariste et une chanteuse avaient répondu (j'ai hélas oublié leurs noms...). L'expérience a vite pris l'eau, essentiellement par ma faute, et on a juste eu le temps d'enregistrer ça sur mon PC (le guitariste et votre serviteur).

 

Nostalgie...

 

Entre 17 et 25 ans en gros, j'avais aussi écrit pas mal de morceaux, dans des genres très variés, sur un tracker tout con. Je les ai toujours. S'il y en a parmi vous que ça intéresse (je n'y crois pas trop, mais bon...), je les chargerai peut-être un de ces jours.

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Quinze... non, TRENTE films de fantastique et/ou d'horreur qui éviscèrent ta meuf

Publié le par Nébal

Chose promise, chose due. Sauf que, quand j’ai commencé à élaborer cette liste, je me suis retrouvé confronté à une fâcheuse difficulté. C’est que fantastique et horreur ne sont pas synonymes, quand bien même ils se recoupent largement… Il est des films fantastiques qui ne sont pas des films d’horreur, et inversement. Une difficulté supplémentaire tient au caractère « flou » de la notion de fantastique, l’ambiguïté en étant souvent caractéristique. D’où ce choix, finalement, de livrer deux listes de quinze films : la première comprend des films où l’élément fantastique (voire SF, mais je n’ai pas repris les films de ce genre que j’avais déjà cités dans mon précédent article) est prédominant ; la seconde se consacre aux films d’horreur non fantastiques (et là c’est la distinction avec le thriller qui peut poser problème, parfois…). Du coup, ces deux listes sont passablement arbitraires (enfin, plus que prévu, quoi). Mais bon. Hop.

 

On commence par les films fantastiques à proprement parler.

 

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Les Autres, d’Alejandro Amenabar

On pense très fort au Tour d’écrou dans ce très beau film d’Alejandro Amenabar, à la photographie somptueuse. Et Nicole Kidman y est tout simplement exceptionnelle. Un magnifique film fantastique « à l’ancienne », par certains côtés, doté d’une très chouette ambiance. Quant au scénario, il est remarquablement bien ficelé (oui, je me suis fait avoir, je plaide coupable). Irréprochable.

 

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Candyman, de Bernard Rose

J’adore cette adaptation de Clive Barker (voyez ici), qui figure probablement parmi les premiers films d’horreur que j’ai vus (et m’avait alors passablement traumatisé). Bien réalisé, correctement interprété, mais surtout magnifiquement écrit et nettement plus subtil qu’il n’y paraît (et accessoirement accompagné d’une très chouette partition de Philip Glass), Candyman reste à mes yeux un film culte.

 

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Dark Water, de Hideo Nakata

Si je ne devais en retenir qu’un seul, ce serait probablement celui-ci. Le chef-d’œuvre de Hideo Nakata, qui brode à partir d’une nouvelle très anodine de Koji Suzuki un film très personnel, film d’auteur assurément, mais non moins flippant pour autant. Excellente bande originale de Kenji Kawai (forcément) pour ce film aussi émouvant qu’effrayant. Un chef-d’œuvre.

 

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The Descent, de Neil Marshall

Probablement le meilleur survival fantastique de ces dernières années, The Descent est un film finalement assez original et en tout cas très fort. L’ambiance est remarquable (les claustrophobes apprécieront), et le film moins couillon qu’il n’y paraît. Une sacrée réussite.

 

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Dracula, de Francis Ford Coppola

On pourrait dire bien du mal du film de Coppola, critiquer par exemple sa mégalomanie, la romance un peu niaise, la lourde parabole sur le sida… Mais je m’en fous : ce film, c’est le sommet de l’imagerie gothique. Chaque plan est d’une beauté plastique incomparable, Gary Oldman est excellent, la bande originale de Wojceh Kilar marque durablement… Un film que j’ai vu et revu des dizaines de fois, jusqu’à l’overdose à vrai dire (et le doubler intégralement avec des potes était une très mauvaise idée…).

 

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L’Exorciste, de William Friedkin

« Le film le plus terrifiant de tous les temps » ? Certainement pas. Mais un vrai jalon dans l’histoire du cinéma fantastique, qui a rarement connu un tel succès, à tous points de vue. Le film de Friedkin a sans doute un peu vieilli, mais il reste encore aujourd’hui très fort, très efficace.

 

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Fog, de John Carpenter

Un de mes Carpenter préférés… même si j’ai pu constater qu’il ne faisait pas le même effet sur tout le monde, quelques amis à moi y ayant vu un gros nanar. Mais moi, j’adore. Superbe ambiance, exellente musique, un film que je trouve très efficace et que je ne me lasse pas de revoir.

 

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Kwaïdan, de Masaki Kobayashi

J’en cause en détail ici.

 

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La Maison du diable, de Robert Wise

On préfèrera le titre original, The Haunting. Fantastique ou pas ? Eh eh… c’est ambigu, justement. Mais c’est bel et bien un chef-d’œuvre, très moderne dans son approche. Le film de maison hantée par excellence, indémodable.

 

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Le Masque du démon, de Mario Bava

J’en cause en détail ici.

 

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La Nuit des morts-vivants, de George A. Romero

J’en cause en détail ici.

 

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Ring, de Hideo Nakata

Un des très rares films d’horreur à m’avoir fait cauchemarder… et aucun autre n’a été aussi traumatisant pour moi, à vrai dire. Cette adaptation de Koji Suzuki n’est pas parfaite, elle a un fort côté « série B », mais je la trouve d’une efficacité incomparable. Chef-d’œuvre de la J-Horror, pour le meilleur et pour le pire, Ring comprend nombre de séquences extrêmement fortes. Et la musique de Kenji Kawai est délicieusement brrrrrrrrrrrrrrr…

 

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Rosemary’s Baby, de Roman Polanski

Ambigu, là encore, mais tellement bon… Superbe adaptation du roman d’Ira Levin, sommet du fantastique psychologique, magnifiquement interprété et réalisé, un des plus grands chefs-d’œuvre de Roman Polanski.

 

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Shining, de Stanley Kubrick

Kubrick. Alors forcément… Peu m’importe que Stephen King n’ait pas reconnu son roman dans cette adaptation : c’est un film génial, évidemment d’une beauté plastique exceptionnelle, et très efficace. Mention spéciale pour l’interprétation de Jack Nicholson, qui cabotine comme un taré, mais c’est ça qu’est bon.

 

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Zombie, de George A. Romero

Dawn Of The Dead… Quand je l’ai vu pour la première fois, j’étais jeune et ignorant, et m’attendais à un petit nanar (jetez-moi des cailloux dessus) ; mais j’ai très vite compris (la superbe introduction y étant pour beaucoup) que j’étais complètement à côté de la plaque. Chef-d’œuvre du film de zombie, dont il constitue sans doute le type-idéal, Zombie est un film brillant, intelligent (même si Romero ne présente pas exactement son message politique et social avec le dos de la cuillère, mais plutôt à la faucille et au marteau), qui n’a jamais été égalé.

 

Passons maintenant aux films d’horreur non fantastiques

 

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Black Christmas, de Bob Clark

Le premier véritable slasher… et, à mon sens, c’est encore aujourd’hui le meilleur. Halloween (voir plus bas) en est un pompage intégral. Mais ce qui est fabuleux, dans le film de Bob Clark, c’est qu’on a l’impression qu’il pulvérise les codes en même temps qu’il les instaure… Un film qui gagnerait à être beaucoup plus connu.

 

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Calvaire, de Fabrice du Welz

Le premier long-métrage du belge Fabrice du Welz est probablement le meilleur survival non fantastique de ces dernières années. Remarquablement réalisé, il bénéficie en outre de l’interprétation extraordinaire de Jackie Berroyer, qu’on n’attendait pas vraiment dans ce genre de film. J’aime vraiment beaucoup.

 

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Cannibal Holocaust, de Ruggero Deodato

Le film de cannibale ultime, et probablement le seul qui présente un intérêt, à vrai dire ; c’est que, derrière la provocation mondo, les séquences de snuff animalier, etc., le film de Ruggero Deodato porte en lui une vraie réflexion, et se montre très astucieux. Et puis, bien sûr, c’est un film qui m’a mis remarquablement mal à l’aise… Et j’adore la musique à contre-emploi.

 

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Les Dents de la mer, de Steven Spielberg

Ce film, qu’on présente souvent comme le premier blockbuster de l’histoire du cinéma, reste inégalé dans son genre. Authentiquement flippant, et même étrangement gore pour un film au tel succès populaire, c’est à coup sûr un des meilleurs films de Steven Spielberg, et il n’a pas pris une ride.

 

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La Dernière Maison sur la gauche, de Wes Craven

Wes Craven m’a toujours fait l’effet d’un réalisateur surestimé, mais j’aime beaucoup ses premiers films. J’ai hésité avec La Colline a des yeux, mais c’est finalement La Dernière Maison sur la gauche qui a intégré cette liste ; parce que ce film emblématique du rape and revenge est incroyablement malsain, et m’a mis terriblement mal à l’aise. Aussi peut-on fermer les yeux sur les nombreux défauts du film (techniques ou scénaristiques) : malgré tout, il fait indéniablement son effet.

 

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Duel, de Steven Spielberg

Le premier film de Steven Spielberg (un téléfilm à l’origine), et probablement toujours son meilleur. Pitch diabolique (merci monsieur Matheson), dont on se demande bien comment il est possible de faire un film entier avec ; mais Spielberg y parvient avec brio. Indispensable.

 

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Freaks, de Tod Browning

Oui, je sais, Freaks n’est sans doute pas à proprement parler un film d’horreur – sauf à la fin, bien sûr –, mais il use de ses codes avec maestria. Là encore, le film, dans son principe même, a de quoi mettre mal à l’aise. Pourtant, il sait adroitement éviter les écueils du pathos comme du voyeurisme, ou plus exactement l’excès dans ces deux risques. Très fort.

 

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Halloween, de John Carpenter

Un pompage, donc (voir plus haut), mais c’est quand même le slasher de référence. Un des meilleurs Carpenter, avec tous les atouts dont il est capable. Et un des méchants les plus énigmatiques du cinéma de genre (d’ailleurs, son côté « intuable » lorgne vers le fantastique, mais il m’a quand même semblé plus approprié de le mettre dans cette seconde liste).

 

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Martin, de George A. Romero

La plus intelligente des variations sur le vampire. Le film de Romero, injustement méconnu, est beau et fort à bien des égards. Pour ma part, j’adore, et je ne m’en lasse pas.

 

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Massacre à la tronçonneuse, de Tobe Hooper

J’ai mis beaucoup de temps avant d’apprécier Massacre à la tronçonneuse. Au premier visionnage (sur une bande pourrie…), j’ai même été sacrément déçu, d’autant que je m’attendais à de l’ultra-violence, alors qu’en fait non pas du tout. Mais, aujourd’hui, je reconnais pleinement les qualités de ce film séminal ; Tobe Hooper n’a jamais, par la suite, atteint ne serait-ce que la cheville de ce coup d’essai, coup de maître (sauf peut-être avec le rigolo Crocodile de la mort).

 

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May, de Lucky McKee

Un premier long-métrage époustouflant, et une preuve supplémentaire qu’un film de genre peut parfaitement être un film d’auteur. La réalisation est irréprochable, et l’interprétation bluffante. Parmi les meilleures surprises du cinéma d’horreur récent.

 

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Misery, de Rob Reiner

Pas sûr que ce soit un film d’horreur – on parlerait sans doute plus justement de thriller –, mais je ne me sentais pas de faire cette liste sans y inclure ce petit bijou d’adaptation de Stephen King. Intelligent, angoissant comme c’est pas permis, le film de Rob Reiner bénéficie en outre d’une excellente interprétation, Kathy Bates en tête.

 

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Psychose, d’Alfred Hitchcock

Là encore, c’est sans doute plus un thriller qu’un film d’horreur à proprement parler, même si Hitch en use des codes, notamment par le choix du noir et blanc et des décors. Mais il me paraissait indispensable de le faire figurer ici, tant ce film est de toute évidence l’ancêtre du giallo comme du slasher. Un chef-d’œuvre, bien sûr ; et mention spéciale à l’époustouflante musique de Bernard Herrmann.

 

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Saw, de James Wan

Eh oui, Saw. Je ne parle que du premier, hein, pas des guignolades qui ont suivi… Mais celui-ci m’avait vraiment plu, à sa sortie. Je l’avais trouvé assez original, et avais beaucoup apprécié son sadisme. Une série B de qualité, inventive et astucieuse. Probablement pas un chef-d’œuvre, mais il me semblait néanmoins avoir sa place ici.

 

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Les Yeux sans visage, de Georges Franju

Est-ce un film d’horreur ? Il y a un peu de ça, tout de même (pour l’époque, c’est même étrangement teinté de gore)… Très beau, en tout cas. Un film qui marque durablement. Et pourtant, il est français… dingue, ça…

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"La Mort, sa vie, son oeuvre", de Clive Barker

Publié le par Nébal

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BARKER (Clive), La Mort, sa vie, son œuvre, [Clive Barker’s Books Of Blood, Vol. 6], traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction – Fantastique, [1985, 1992, 1996] 2003, 250 p.

 

La boucle est bouclée, avec ce sixième et dernier « Livre de sang », comportant cinq nouvelles (ou, peut-être plus exactement, quatre nouvelles et un épilogue, pour la forme).

 

On commence avec « La Mort, sa vie, son œuvre » : l’héroïne, Elaine, vient de subir une ablation de l’utérus, et ça ne va pas très fort… Elle ressent une attirance morbide pour une église en voie de démolition, où elle fait la rencontre du mystérieux Kavanagh. Se pourrait-il que cet homme austère soit la Mort en personne, et qu’elle en devienne la maîtresse ? Une nouvelle très correcte ; la fin est assez prévisible, mais l’ambiance est bien pensée, et Elaine est un personnage complexe tout à fait réussi.

 

On change de registre avec « Le Sang des exploiteurs », où trois abjects connards d’Occidentaux s’approprient des terres dans la forêt amazonienne au mépris des droits des Indiens qui y vivent. Tous les moyens sont bons pour faire dégager la tribu… mais celle-ci ne manque pas de ressources, et lancent sur leurs adversaires cyniques au possible une malédiction particulièrement gore. Pas mal : les personnages sont d’authentiques salauds, et l’effet de la malédiction est des plus horribles ; ça suit son cours de manière un peu téléphonée (ou, de manière moins péjorative, fataliste), mais c’est efficace.

 

Suit « Entre chien et loup ». Bon, le titre est assez explicite quant au thème fantastique dont Clive Barker use dans cette nouvelle… Ce qu’il ne dit pas, c’est que l’auteur s’amuse en outre avec les codes du roman d’espionnage, et qu’il fait ça plutôt bien : c’est paranoïaque à souhait, on s’y perd volontiers, mais ça marche.

 

Une grosse déception ensuite, par contre, avec « La Dernière Illusion », longue nouvelle à l’origine de la sympathique série B, réalisée par Clive Barker himself, qu’est Le Maître des illusions ; c’est-à-dire que l’on y retrouvera les mêmes personnages, si l’histoire est passablement différente. L’auteur mêle donc fantastique et polar « hard boiled » d’une manière qui aurait pu être jubilatoire (et l’est relativement sur l’écran), mais, hélas, ici, ça ne passe pas. L’impression générale qui se dégage de ce trop long texte – débutant par la mort de l’illusioniste Swann, le détective Harry D’Amour étant engagé par sa veuve Dorothea pour veiller son corps (?) – est celle d’une pénible confusion ; on a l’impression que Clive Barker s’emmêle les pinceaux à force de retournements de situation plus ou moins crédibles et plus ou moins surprenants, d’autant que la nouvelle – fort logiquement – use et abuse des faux-semblants. Une seule véritable réussite à mon sens, ici : le personnage de Valentin. Pour le reste, hélas, j’ai trouvé que c’était là le moins bon texte de l’ensemble des « Livres de sang »…

 

Et le recueil de s’achever tout naturellement sur « Le Livre de sang (épilogue) : Jerusalem Street », qui fait écho à la première nouvelle de Livre de sang. Pas grand-chose à en dire, finalement : il s’agit de conclure l’entreprise, et cette courte nouvelle n’a en tant que telle pas forcément de très grande valeur.

 

Bilan global : très positif, vous vous en doutez (et ce quand bien même cet ultime volume m’a semblé un peu plus faible que les autres) ; je pensais au début alterner « Livres de sang » et autres lectures, mais, pris par le talent de Clive Barker, je n’ai finalement pu m’empêcher de lire les six volumes à la suite. Et s’il y a du bon et du moins bon – forcément, pour une somme de cette ampleur –, l’ensemble constitue néanmoins une fort belle collection de nouvelles horrifiques, variées et stimulantes. Il est des textes qui sont de véritables petits chefs-d’œuvre, et, à deux ou trois exceptions près, le moins bon reste très lisible. Une lecture idéale pour mes vacances, donc, à laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir, et qui m’a donné envie de lire davantage d’œuvres de Clive Barker.

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Quinze films de science-fiction qui désanussent les Ewoks

Publié le par Nébal

Ces derniers temps, au sein de la blogosphère SF, chacun ou presque y est allé de sa liste de quinze films de science-fiction à voir absolument. Je n’ai certes pas été tagué pour ce faire, mais la chose me disait bien… Alors voilà, hop, par ordre alphabétique, mes quinze films de SF préférés.

 

2001 l'odyssée de l'espace

2001 : l’odyssée de l’espace, de Stanley Kubrick

S’il ne devait en rester qu’un, ce serait très probablement celui-là, bien sûr… Un film totalement mégalomane, mais heureusement visionnaire et d’une intelligence qui n’a d’égale que son incroyable beauté plastique. Le film de SF par excellence (sans explosions, pourtant). Bon, certes, Kubrick fait partie de mes réalisateurs préférés (voire est mon préféré), ça aide. Mais n’empêche : quelle richesse ! Un chef-d’œuvre, un vrai. Et incomparablement meilleur que le roman d’Arthur C. Clarke écrit en parallèle, qui m’a toujours fait l’effet d’un fâcheux mélange entre scénario mal dégrossi et notice explicative.

 

 Alien

Alien, le 8ème passager, de Ridley Scott

J’adore la série « Alien » (c’est-à-dire les trois premiers…), et je ne pouvais pas décemment passer à côté du film inaugural, datant de l’époque où Ridley Scott était vraiment brillant. Ambiance et interprétation parfaites pour ce superbe film mêlant astucieusement science-fiction et horreur, et créant pour l’occasion le plus beau monstre de toute l’histoire du cinéma. Évidemment indispensable.

 

Aliens

Aliens, le retour, de James Cameron

Ben voui, je vous l’ai dit, j’adore la série « Alien » (donc), et ce deuxième opus signé James Cameron (c’est probablement son meilleur film, d’ailleurs) me paraît presque aussi bon que le premier, quoique dans un genre très différent – où ça pète de partout. Sigourney Weaver est toujours au top, l’ambiance excellente – c’est probablement le film qui crée le plus la « mythologie » de l’Alien. Tonitruant, mais irréprochable.

 

L'Armée des 12 singes

L’Armée des 12 singes, de Terry Gilliam

Oui, j’aurais pu mettre ici La Jetée… Mais j’ai préféré m’en tenir aux longs-métrages, et celui-ci (que j’ai vu avant l’original) a beaucoup compté pour moi (à tel point que je l’ai vu et revu je ne sais combien de fois, et que, du coup, je ne suis pas certain de pouvoir à nouveau le regarder aujourd’hui). Scénario génial, interprétation brillante… Ce n’est certes pas le film le plus « personnel » de Terry Gilliam (je crois même que c’était un film de commande), mais il figure néanmoins parmi ses meilleurs.

 

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A Scanner Darkly, de Richard Linklater

Tout simplement la meilleure adaptation de Philip K. Dick. Le roman est génial, et – ô surprise ! – le film aussi, pour une fois. Je me suis pris une énorme baffe à sa sortie, et en suis devenu un ardent propagandiste. C’est que l’on tient là un petit bijou qui arrive à être vraiment dickien sur le fond et sur la forme. Wa. C’est tellement bon et tellement bien fait qu’on a l’impression que Keanu Reeves est un acteur, c’est dire…

 

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Blade Runner, de Ridley Scott

Encore une adaptation de Philip K. Dick, mais très libre, cette fois. Et un deuxième film de la grande époque de Ridley Scott. Ce qui est très fort, dans Blade Runner, c’est la création méticuleuse d’un univers où le moindre détail est réfléchi. Le résultat est évidemment mythique ; l’ambiance noire au possible de ce film est un modèle indépassable. Passons sur les innombrables versions du film Redux Final Ultimate Director’s Cut Really For Real : c’est de toute façon une merveille.

 

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Brazil, de Terry Gilliam

Oui, encore un Terry Gilliam, et cette fois je crois bien que c’est son meilleur film. Un modèle de dystopie, teintée d’onirisme déjanté, qui s’est inscrit durablement dans l’inconscient collectif. Aussi jubilatoire que terrifiant, c’est là le meilleur héritier cinématographique de Zamiatine, Huxley et Orwell.

 

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Mad Max 2, de George Miller

Un petit plaisir un peu pervers, là… C’est que ce film, bien plus que le premier de la franchise (qui ne m’a pas plus emballé que ça), est le type-idéal du post-apo, pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Mais ne jugeons pas ce film à l’aune de sa postérité peu glorieuse : en tant que tel, il est très bon, parfaitement réjouissant, un peu con con, certes, mais diablement efficace. Et le costume du méchant, fallait oser, quand même.

 

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Orange mécanique, de Stanley Kubrick

Eh oui, un deuxième Kubrick – je l’aime, vous dis-je. De nouveau un film mythique, donc, et proche de la perfection. Cette adaptation d’Anthony Burgess, riche en séquences inoubliables à tous points de vue, reste encore aujourd’hui d’une pertinence indéniable (quand bien même l’ultra-violence a pris de nouveaux atours entre-temps). C’est baroque, c’est drôle, c’est horrible, c’est génial.

 

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Ouvre les yeux, d’Alejandro Amenabar

Si A Scanner Darkly est la meilleure adaptation de Philip K. Dick, nombre de films sont néanmoins très dickiens de manière inavouée (ou parfois sans le savoir). J’aurais pu citer ici, par exemple, L’Échelle de Jacob, mais je préfère celui-ci. Un très grand film, très beau, intelligent et référencé, qui méritait mieux qu’un bête remake hollywoodien. J’adore.

 

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Planète interdite, de Fred M. Wilcox

Le sommet du film de SF du prétendu « âge d’or ». D’ailleurs, la preuve que c’est un chef-d’œuvre de la SF : y a Leslie Nielsen dedans, et il ne fait même pas le guignol… Certes, ça a pris un coup de vieux, et l’adorable Robby, entre autres, est passablement kitsch aujourd’hui, mais ça n’en rend le film que plus délicieux. Le scénario est remarquable, et l’ensemble a un côté visionnaire qui le place bien au-dessus de la concurrence de l’époque, et justifie sa pérennité.

 

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Starship Troopers, de Paul Verhoeven

J’en parle en détail ici.

 

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The Thing, de John Carpenter

Le meilleur film de Carpenter assurément. Un remake brillant, à l’ambiance superbe (Antarctique teintée de Lovecraft, miam) et aux effets spéciaux toujours forts. Une fois de plus un parfait hybride entre science-fiction et horreur, un monument de paranoïa cinématographique qui ne saurait vous laisser froid (aha).

 

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THX 1138, de George Lucas

J’en parle en détail ici.

 

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Videodrome, de David Cronenberg

Sans aucun doute un des meilleurs films de Cronenberg, et celui qui développe le plus la mythologie de ses premières réalisations : longue vie à la Nouvelle Chair ! C’est génialement glauque et malsain, et irréprochable de bout en bout. J’aimerais bien que le réalisateur canadien revienne à ce genre de choses, moi…

 

Allez, bientôt, je vais tenter une liste de quinze films de fantastique et/ou d’horreur, je trouve que ça manque.

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"Prison de chair", de Clive Barker

Publié le par Nébal

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BARKER (Clive), Prison de chair, [Clive Barker’s Books Of Blood, Vol. 5], traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction – Fantastique, [1985, 1991, 1995] 2003, 251 p.

 

Et un « Livre de sang » de plus, un ! Seulement quatre nouvelles, cette fois, mais d’une très grande qualité dans l’ensemble.

 

En témoigne d’emblée « Lieux interdits » : Helen, une sociologue, prépare sa thèse sur les graffitis d’une cité délabrée ; ce faisant, elle tombe sur un fascinant portrait dans un immeuble abandonné, et on lui raconte des histoires sordides sur ce qui se serait produit dans les environs. Réalité, mensonge, légende urbaine, hallucination collective ? Helen se retrouve confrontée au terrible pouvoir de la rumeur, dans une ambiance de conspiration… Vous l’aurez compris, il s’agit là, de manière certes moins étoffée mais peut-être plus subtile, de la source primordiale de l’excellent film Candyman. Et c’est bel et bien une superbe nouvelle, d’une richesse peu commune, et aussi intelligente que palpitante. Je n’hésite pas à la faire figurer parmi les plus belles réussites des « Livres de sang ».

 

Le reste, à mon sens, n’atteint pas ces sommets, mais reste plus que recommandable ; à vrai dire, après une petite baisse de régime, j’ai eu le sentiment, à la lecture de Prison de chair, de retrouver l’enthousiasme qui m’avait saisi à la lecture de Livre de sang

 

« La Madone » est ainsi une nouvelle tout à fait remarquable. Jerry, un paumé qui a quelques problèmes dans son couple, aimerait bien réussir un projet dans sa vie, et est prêt à tout pour cela ; même à s’associer avec le truand Garvey, pour restaurer de vieux Bains-Douches. C’est compter sans la paranoïa dudit caïd, et les superbes femmes nues qui hantent le bâtiment… et ont de bien curieux nourrissons. Les images sont fortes, les personnages magnifiquement campés, le propos intelligent. Rien à redire, c’est de la bonne.

 

On change radicalement de registre avec « Les Enfants de Babel » ; peut-être (probablement ?) trop, d’ailleurs : cette nouvelle, qui ne relève ni du fantastique, ni de l’horreur, fait un peu tache dans les « Livres de sang »… Elle n’est pas mauvaise pour autant, loin de là, et a même un certain côté jubilatoire. On prend beaucoup de plaisir à suivre les mésaventures de cette touriste anglaise dans les Cyclades, qui – ah, la curiosité féminine ! – tombe sur d’étranges nonnes barbues avec des gros flingues, et se retrouve emprisonnée avec de sympathiques petits vieux complètement fêlés… à moins que ? Sans doute la nouvelle la moins forte du recueil, elle se lit néanmoins très bien.

 

Retour à une tonalité plus typique des « Livres de sang » avec « Prison de chair », nouvelle carcérale dans laquelle Billy, un jeune délinquant qui fait son premier séjour en prison, est placé sous la tutelle de Cleve, un petit trafiquant de drogue. Mais Billy est un étrange bonhomme, qui s’intéresse de près au sort des condamnés autrefois pendus dans l’enceinte de la prison ; il faut dire qu’il porte en lui un lourd secret, dont les conséquences pour Cleve seront terribles… J’émettrais un petit bémol sur un des aspects de la conclusion (l’avant-dernière séquence, en gros), qui me paraît peu crédible ; ceci excepté, c’est là un très bon texte, doté d’une ambiance remarquable, et d’une humanité admirable. C’est en même temps sombre, très sombre…

 

Au final, Prison de chair me paraît digne de figurer parmi les meilleurs des « Livres de sang », aussi ai-je pris beaucoup de plaisir à la lecture de ce recueil témoignant de la multiplicité des talents de Clive Barker.

 

Suite et fin de la série avec La Mort, sa vie, son œuvre.

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