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"Le Poète", de Yi Munyǒl

Publié le par Nébal

Le-Poete.jpg

 

 

YI (MunyǒI), Le Poète, [Shiin], traduit du coréen et préfacé par Ch’oe Yun et Patrick Maurus, Arles, Actes Sud, coll. Babel, [1992] 2001, 244 p.

 

Le citoyen Bidibulle (que son nom soit sanctifié), considérant ma méconnaissance totale de la littérature coréenne et désireux d’y remédier, a abandonné le temps d’un cadeau sa vile propagande en faveur de la Chine communiste ; c’est donc à lui, grand parmi les grands, que je dois la lecture de ce Poète de Yi Munyǒl, et qu’il en soit mille fois remercié. Car ce livre, autant le dire de suite, malgré un titre qui a de quoi faire peur à la Nébalie tout entière, était fort bon. Dingue, ça.

 

Le Poète, c’est Kim Sakkat (1807-1863), de son vrai nom Kim Byǒngyǒn. Un personnage authentique, qui figure parmi les grands noms de la poésie coréenne, et incarne une sorte de type-idéal du rimeur vagabond. Le roman biographique de Yi Munyǒl prend prétexte de la vie fascinante de ce personnage d’exception pour s’interroger sur une multitude de thèmes, des plus intimes aux plus globaux.

 

Kim Byǒngyǒn est tout d’abord un aristocrate déclassé. Petit-fils de Kim Iksun, gouverneur de la ville-garnison de Sǒnch’ǒn, qui s’est rendu face au rebelle Hong Kyǒngnae avant de pactiser avec ce dernier, et est donc devenu ainsi un criminel d’État, le futur poète fait les frais d’une loi scélérate qui condamne les héritiers de tels criminels sur trois générations. Son père parvient cependant à sauver la vie de ses enfants en les envoyant auprès d’un ancien esclave, qui se fait passer pour leur géniteur. Plus tard, la sanction sera levée, mais les ennuis des descendants de Kim Iksun ne seront pas finis pour autant : ils doivent toujours porter ce lourd fardeau d’avoir pour ancêtre un traître au régime.

 

Si le frère de Byǒngyǒn semble se contenter de la vie simple d’un citoyen lambda, notre ambitieux héros, en conformité avec les attentes de leur mère, souhaite par contre retrouver une position enviable dans la société coréenne, et passer les concours qui la cimentent. Il s’exerce pour cela à la poésie de style de concours, dans laquelle il connaît quelques succès… mais, un jour, il doit traiter dans un poème de la trahison de son grand-père, et l’expérience se révèle pour le moins traumatisante.

 

Abandonnant l’idée des concours – mais pas, pour l’instant, ce style poétique très normé –, Kim Byǒngyǒn devient vagabond, abandonnant femme et enfants. C’est au cours de ses errances qu’il va faire la rencontre du Vieillard Ivre, qui va l’amener à remettre en cause ses préjugés artistiques, avant qu’une autre rencontre ne débouche sur une autre prise de conscience, de nature politique cette fois. Kim Sakkat deviendra dès lors un poète « populaire », mais aussi, dans une perspective passablement nihiliste, un grand destructeur des formes poétiques, pour le meilleur et pour le pire.

 

En s’attachant aux pas du Poète, Yi Munyǒl livre tout d’abord un très beau roman d’apprentissage. De sa plume élégante (qui m’a fait penser à certains auteurs nippons, mais c’est peut-être idiot, voire hérétique), il dresse un tableau édifiant d’une vie exceptionnelle, faite de révélations successives, de prises de conscience éventuellement contradictoires. Kim Sakkat est à cet égard un superbe personnage, et les autres ne sont pas en reste, que l’auteur parvient à faire vivre en quelques lignes. Le Poète est déjà, dans cet ordre d’idées, un très beau roman, très émouvant et juste.

 

Mais il gagne encore en force dans son tableau critique de la société coréenne corrompue… et, déjà, d’une forme de partition entre le Nord et le Sud. Cet aspect prend d’autant plus de force que – merci la préface, pour une fois – les destins parallèles de Kim Byǒngyǒn et Yi Munyǒl se font étrangement écho, dans la mesure où le père de l’auteur du Poète a quitté la Corée du Sud pour le régime communiste du Nord… Le Poète est ainsi un roman particulièrement poignant, douloureux parfois, sur les rapports conflictuels qu’entretiennent les générations, et le pouvoir destructeur de certains choix sur des enfants qui n’ont rien choisi. Entreprise « autobiographique par procuration », le roman de Yi Munyǒl s’interroge sur le « meurtre symbolique du père »… et en même temps sur sa rédemption éventuelle.

 

Et ce qui vaut pour l’intime et pour le politique, vaut aussi pour l’art. Le roman de Yi Munyǒl constitue en effet une très belle réflexion sur la poésie, et au-delà la littérature voire l’art en général ; l’auteur confronte en un unique personnage conformisme et nihilisme, colère et apaisement, expérimentation et démagogie… Remarquable.

 

 Aussi intelligent que beau, émouvant et subtil, Le Poète est donc une très grande réussite. Sans doute faudra-t-il que j’approfondisse la découverte de l’œuvre de Yi Munyǒl ; en attendant, je remercie une fois de plus le citoyen Bidibulle – gloire à son nom –, et vous encourage chaudement à partager l’errance de Kim Sakkat.

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"Plouk Town", de Ian Monk

Publié le par Nébal

Plouk-Town.jpg

 

 

MONK (Ian), Plouk Town, introduit par Jacques Roubaud, Paris, Cambourakis, coll. Poésie, 2011, 183 p.

 

PLOUK TOWN c’est à Charybde que Nébal en a entendu parler

PLOUK TOWN c’est Nicolas Richard qui en a parlé

PLOUK TOWN il en a lu des extraits éloquents

PLOUK TOWN son bouquin il était tout ruiné tant corné

PLOUK TOWN ça a fait son petit effet

PLOUK TOWN je crois les gens ont bien kiffé

PLOUK TOWN en tout cas Nébal a aimé alors

PLOUK TOWN Nébal l’a acheté pourtant

PLOUK TOWN y a écrit polésie dessus et même si c’est

PLOUK TOWN Nébal la polésie il a quoi comme quoi comme des préjugés mais

PLOUK TOWN ça avait l’air bien pour un truc de pouète alors

PLOUK TOWN Nébal l’a acheté et l’a lu hop hop pourtant

PLOUK TOWN c’est même de l’Oulipo et bon là Nébal il tremblote mais bon c’est

PLOUK TOWN alors faisons comme

PLOUK TOWN c’est de Ian Monk

PLOUK TOWN c’est introduit par Jacques Roubaud et

PLOUK TOWN dès cette introduction c’est très rigolo mais

PLOUK TOWN c’est pas que rigolo non en fait

PLOUK TOWN c’est plus souvent triste que rigolo

PLOUK TOWN c’est sordide voilà mais c’est ça qu’est bien

PLOUK TOWN c’est en France

PLOUK TOWN c’est dans le nord de la France

PLOUK TOWN c’est des beaufs des gens quoi à

PLOUK TOWN on picole sévère un mi un skywhi un baby un rosé à

PLOUK TOWN on court après les allocs enfin des fois à

PLOUK TOWN on vote FN ou on vote pas

PLOUK TOWN c’est glauque c’est français c’est bien

PLOUK TOWN c’est une gorgée de bière de Kro sur un parking

PLOUK TOWN c’est de la Villageoise qui tache

PLOUK TOWN c’est des Kleenex qui collent

PLOUK TOWN c’est des magazines qui collent

PLOUK TOWN c’est des putes des vieilles putes

PLOUK TOWN c’est des cons mais des gentils cons

PLOUK TOWN c’est aussi des vrais cons les cons

PLOUK TOWN ça suinte la misère

PLOUK TOWN ça dégouline la haine

PLOUK TOWN ça sonne la franche camaraderie virile à

PLOUK TOWN on aime le LOSC allez allez à

PLOUK TOWN on aime le foot ouais mais

PLOUK TOWN qu’est-ce qu’il y fout le British ben comme

PLOUK TOWN il boit il rame il colle mais en plus il écrit

PLOUK TOWN et il l’écrit bien l’enculé

PLOUK TOWN vit et meurt dans ses carnets

PLOUK TOWN chiale et se marre dans ses carnets

PLOUK TOWN bouffe des kebabs comme les vrais gens

PLOUK TOWN boit trop comme les vrais gens

PLOUK TOWN a pas de boulot comme les vrais gens

PLOUK TOWN aime pas les vrais gens mais en fait

PLOUK TOWN c’est les vrais gens comme Ricard et Œil Crevé

PLOUK TOWN c’est aussi la ville du British quoi et

PLOUK TOWN donne pas envie non mais sonne vrai alors

PLOUK TOWN ça se dévore quoi

PLOUK TOWN ça scande incantatoiresque

PLOUK TOWN c’est une liste de courses à Champion sauf qu’à

PLOUK TOWN t’as pas les thunes alors tu voles un peu de

PLOUK TOWN pour le boire sur le parking ou dans un troquet de

PLOUK TOWN où tu perds ce que tu gagnes au grattage merde

PLOUK TOWN d’ailleurs ça dit merde

PLOUK TOWN ça dit chier con pute

PLOUK TOWN ça dit beaucoup pute

PLOUK TOWN c’est de la polésie oui mais qui sent la merde de

PLOUK TOWN et c’est ça qu’est bien tu vois quoi merde allez

PLOUK TOWN ça se répète mais tu t’en branles parce que

PLOUK TOWN c’est hypnotique ta mère d’ailleurs

PLOUK TOWN je vais redire que c’est drôle mais

PLOUK TOWN je vais redire que c’est triste

PLOUK TOWN c’est dégueulasse en fait mais

PLOUK TOWN putain c’est beau

PLOUK TOWN ça colle une baffe voire deux voire trois

PLOUK TOWN en fait tu comptes pas

PLOUK TOWN tu comprends pourquoi il était tout ruiné celui du Richard

PLOUK TOWN c’est une pute moche qui racole avec des mots vrais

PLOUK TOWN t’as envie de tout corner tellement c’est bon

PLOUK TOWN t’as envie de tout citer tellement c’est bon

PLOUK TOWN ben Nébal a aimé quoi

PLOUK TOWN même si c’est de la polésie parce que

PLOUK TOWN c’est juste très bon le reste on s’en fout

PLOUK TOWN du coup je peux pas faire autrement qu’en citer voilà du

PLOUK TOWN lisez

PLOUK TOWN parce que

PLOUK TOWN

 

je t'aime comme le RMI qu'on touche là

je t'aime comme le silence enfin rien quoi toi

je t'aime comme la bière et son énième gorgée

je t'aime comme les pigeons aiment le pain perdu

je t'aime comme la voiture écrase le pigeon naze

je t'aime comme une cigarette se brûle toute seule

je t'aime comme l'euro glisse dans le Caddie

je t'aime comme ciel qui brille dans des flaques

je t'aime comme bagnole qui bouffe la route imaginaire

je t'aime comme bouteille de pinard là ce soir

je t'aime comme la caissière de Champion est belle

je t'aime comme les encombrants qui apportent les merveilles

je t'aime comme une promotion de moules frites surgelées

je t'aime comme ma carte de fidélité chez Champion

je t'aime comme une carte bleue volée qui crache

je t'aime comme une star de porno qui avale

je t'aime comme le au revoir de la concierge

je t'aime comme bonjour de la concierge de rue

je t'aime comme pipe taillée par pipeuses du monde

je t'aime comme un magazine de cul avec adresses

je t'aime comme une vidéo qui me fait gicler

je t'aime comme bible qui se raconte toute seule

je t'aime comme une belle Mercedes volée achetée cash

je t'aime comme une BMW après changement de plaques

je t'aime comme le prix des clopes en Belgique

je t'aime comme une bouteille cassée dans une benne

je t'aime comme une crotte de kien au pied gauche

je t'aime comme une bonne frite molle et grasse

je t'aime comme un gros cornichon polonais ou russe

je t'aime comme de la mayo sur mes frites

je t'aime comme les câpres dans un filet américain

je t'aime comme une moto jaune conduite sans casquette

je t'aime comme une carte de grattage gros lot

je t'aime comme la télévision la télévision la télévision

je t'aime comme le LOSC allez le LOSC allez

je t'aime comme le foot là à la télé

je t'aime comme cette pétasse blonde à la télé

je t'aime comme un pack de Kro au frigo

je t'aime comme un chariot de Champion bien rempli

je t'aime comme un tir au but serré réussi

je t'aime comme la coupe du monde des bleus

je t'aime comme du fromage mais aussi du dessert

je t'aime comme de la vodka dans mon colonel

je t'aime comme une bouteille d'Avesnes qui suinte

je t'aime comme une bouteille de Villageoise qui tache

je t'aime comme une deuxième bouteille de Villageoise tachant

je t'aime comme une bouteille de Villageoise rosé maintenant

je t'aime comme une bouteille de Villageoise blanc enfin

je t'aime comme une bouteille de whisky écossais volé

je t'aime comme une bouteille de whisky breton acheté

je t'aime comme le silence des voisins après minuit

je t'aime comme les musulmans aiment leur maman papa

je t'aime comme les musulmans peuvent battre leurs femmes

je t'aime comme les voiles qui cachent les bleus

je t'aime comme les bouches qu'on voit pas

je t'aime comme les nez qu'on voit pas

je t'aime comme les oreilles qu'on voit pas

je t'aime comme les cheveux qui dépassent un tchador

je t'aime comme un couscous royal pois chiches compris

je t'aime comme le harissa touillé dans la louche

je t'aime comme la coriandre sur un mouton égorgé

je t'aime comme les gadgets qu'on achète bêtement

je t'aime comme un jeu de Millionnaire putain oui

je t'aime comme un pastis un whisky peu importe

je t'aime comme mes fenêtres naze qu'on remplace

je t'aime comme la fuite à la cave finie

je t'aime comme la fuite par le toit finie

je t'aime comme kebab comme sandwich comme bouffe quoi

je t'aime comme mon plume mes draps mon oreiller

je t'aime comme la musique la peinture des cons

je t'aime comme les collabos aiment la police détestée

je t'aime comme le junkie épouse son dealer haï

je t'aime comme le cocaïne bourre une narine bourgeoise

je t'aime comme le crack et l'ecstasy crachouillent

je t'aime comme ma mère comme papa bou hou

je t'aime comme mes enfants me trouvent vieux con

je t'aime comme un parking qui arrive vlan là

je t'aime comme une pute de rêve ses cuisses

je t'aime comme putain on se calme ce soir

je t'aime comme merde je t'aime quoi voilà

je t'aime comme le long couloir noir des obscénités

je t'aime comme le court passage blanc des béatitudes

je t'aime comme un mariage mignon de gens adorables

je t'aime comme le bonheur pour les autres cons

je t'aime comme le malheur pour les vrais cons

je t'aime comme ni l'un ni l'autre

je t'aime comme une réception merdique à la con

je t'aime comme le champagne qui nique l'estomac

je t'aime comme des funérailles d'un dictateur latin

je t'aime comme une blague dégueulasse nullissime et vieille

je t'aime comme les criminels de guerre tombent malades

je t'aime comme les bouteilles tombent dans leur benne

je t'aime comme un enfant perdu un parent bistro

je t'aime comme trou noir mystère le bon dieu

je t'aime comme cette musique ratata pratata zinzin ouais

je t'aime comme ce portable qui scintille sur moi

je t'aime comme des baskets qui scintillent toutes seules

je t'aime comme tes yeux qui parlent tout seuls

je t'aime comme j'sais pas moi merde enfin

je t'aime comme ça comme je t'aime comme

 

PLOUK TOWN

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"Six Photos noircies", de Jonathan Wable

Publié le par Nébal

Six-Photos-noircies.jpg

 

 

WABLE (Jonathan), Six Photos noircies, [Paris], Attila, 2013, 193 p.

 

C’est un fait : je suis influençable. Le concert de critiques élogieuses, vantant l’originalité du projet et la maestria du style, et brandissant en guise de figures tutélaires d’immenses noms de la littérature en général et du fantastique en particulier (Borges en tête), le fait qu’Attila ne m’ait jamais déçu jusqu’alors, quelques avis autorisés, enfin, m’affirmant sans l’ombre d’un doute que ce livre était fait pour moi, tout cela justifiait, j’imagine, ma lecture de ces Six Photos noircies, premier « roman » (?) du jeune Jonathan Wable.

 

Je suis influençable, oui ; mais il y a des limites. Et après avoir longuement peiné sur ces moins de 200 pages, je ne peux que m’inscrire en faux : non, ce n’est pas spécialement original (mais bon, ça, c’est pas dramatique) ; non, le style n’a franchement rien d’exceptionnel (et souffre même à mon sens de quelques fâcheuses maladresses…) ; les influences ont bon dos, mais ne justifient rien ; et, oui, Attila, pour une fois, m’a déçu. Bilan : non, désolé, ô avis autorisés, mais ce livre n’était très probablement pas pour moi… Je n’irais peut-être pas jusqu’à le qualifier de « mauvais » dans l’absolu, mais voilà : moi, je, me, myself, I, je me suis fait chier comme un rat mort à la lecture de ces Six Photos noircies ; et même davantage, sans doute, puisque ledit rat, étant mort, n’a pas à s’infliger ce genre de pensum.

 

‘tain, j’ai niqué le suspense, là…

 

Bon. Essayons quand même de dire quelques mots de ce livre, à mi-chemin entre roman et recueil de nouvelles, dans la mesure où il est constitué de vingt tableaux (je crois avoir lu ici ou là le terme « vignette », qui me paraît très pertinent) largement indépendants les uns des autres, quand bien même on y retrouve presque systématiquement deux personnages, le biologiste Valente Pacciatore (qui prend toujours six photos de ce qui l’intrigue, donc) et le médecin Tirenzio Perochiosa, confrontés à chaque fois à des phénomènes étranges, et régulièrement funèbres, aux quatre coins du monde (chaque vignette est désignée par un toponyme), à une époque que l’on supposera être la fin du XIXe siècle. Nos deux « héros » – bien grand mot pour des figures aussi vides, pardon, « abstraites » – observent ainsi (ils ne font guère plus) créatures bizarres et morts glauques dans une succession d’images tenant sans doute plus du surréalisme et du grotesque que du fantastique au sens courant.

 

Il y a quelque chose de très visuel dans Six Photos noircies – mais après tout le titre est en lui-même assez éloquent à cet égard. C’est là la force de ce « roman », j’imagine (et cela n’a sans doute rien d’étonnant, les premiers textes le composant ayant été rédigés pour accompagner des peintures d’Hélène Delprat). Je l’admets : oui, il se dégage parfois de ces pages une certaine beauté macabre pas désagréable, évoquant finalement plus des poèmes en prose qu’autre chose.

 

Mais je n’ai pas saisi l’intérêt de la chose. Ce « roman » décousu au possible, où le récit est réduit à peau de chagrin, passe d’image en image, ou plus exactement de photo en photo, comme un antique projecteur de diapositives (on est très loin du cinéma). Alors, oui, de temps en temps, c’est joli… Mais, je sais pas vous, moi j’ai toujours trouvé ça chiant, les sessions diapos… Et c’est bien l’effet que Six Photos noircies m’a fait.

 

Ce qui aurait pu sauver à mes yeux ce premier livre, en accord avec le projet global, c’est évidemment le style. Et j’ai entendu et lu beaucoup de belles et bonnes choses à propos de la plume de Jonathan Wable. Ce qui dépasse franchement ma compréhension (mais voyez l’adresse de ce blog). Non, je ne comprends pas l’enthousiasme affiché de nombreux critiques pour l’écriture de Six Photos noircies ; pour ma part, elle m’a paru bien terne, au mieux : parfois balourde, à vrai dire… et peut-être aussi un tantinet prétentieuse, ou disons m’as-tu-vu.

 

Impression qui s’applique à l’ensemble du « roman », au fond comme à la forme. À ce propos, le « résumé » auquel je me suis livré plus haut ne doit pas vous tromper : Pacciatore et Perochiosa ont beau faire dans l’investigation de l’étrange, ils n’ont guère en commun avec les plus fameux enquêteurs occultes de la littérature fantastique (a fortiori celle des pulps). Ils n’ont à vrai dire ni assez d’âme ni assez de corps pour évoquer qui que ce soit. Je n’ai rien, dans l’absolu, contre la littérature en creux, mais là, j’ai tout de même le sentiment que Jonathan Wable a poussé la chose un peu trop loin…

 

Aussi n’ai-je au final pas grand-chose à dire de positif quant à ce premier roman survendu, et qui n’était décidément pas pour moi. Non, je ne comprends pas l’enthousiasme pour ce truc plein de vide, qui abuse d’effets de manche pour rien. Pire : je me suis emmerdé comme c’est pas permis à la lecture de ces Six Photos noircies, que je n’ai poussée jusqu’au bout qu’en raison de mon masochisme littéraire.

 

Mais ayé, fini ! Je vais enfin pouvoir passer à autre chose !

 

Ouf.

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"La Bombe", de Peter Watkins

Publié le par Nébal

Culloden - La Bombe

 

 

Titre original : The War Game.

Réalisateur : Peter Watkins.

Année : 1965.

Pays : Grande-Bretagne.

Genre : Documentaire / Docu-fiction / Science-fiction / Drame / Guerre.

Durée : 48 min.

Acteurs principaux : Michael Aspel, Peter Graham, Kathy Staff, Peter Watkins…

 

Suite de mon cycle Peter Watkins avec La Bombe, un de ses films les plus célèbres. Il faut dire que ce second métrage réalisé par Watkins pour la BBC a été censuré pendant une vingtaine d’années… ce qui n’a à vrai dire pas grand-chose d’étonnant au vu de son sujet.

 

Le réalisateur, toujours aussi engagé, livre encore un « docu-fiction », certes – et dans la lignée de Culloden, dont il reprend bon nombre de procédés –, mais verse cette fois également dans la science-fiction (ou fiction spéculative, si l’on préfère). Il imagine ainsi un brusque « réchauffement » de la guerre froide : la Chine envahit le Sud-Vietnam, les États-Unis sont prêts à riposter avec des armes atomiques, la tension monte à Berlin… et la guerre nucléaire éclate (Watkins supposant d’ailleurs que les forces de l’OTAN seraient les premières à appuyer sur le bouton ; on ne se refait pas). La Bombe, dès lors, après nous avoir rapidement présenté ce contexte international, imagine ce qui se produirait dans le Kent, au sud-est de l’Angleterre, en cas de bombardement nucléaire.

 

Un film impitoyable – et sacrément couillu ; rien d’étonnant, une fois de plus, à ce que la BBC ait finalement décidé, peut-être sous pression, d’ailleurs, de ne pas le diffuser – qui dénonce tout d’abord l’impréparation de la Grande-Bretagne en cas de conflit atomique (ce qui, là encore, fait penser à Culloden ; sauf que pour le coup c’est le pays entier qui se retrouve dans la position des Highlanders…), impréparation débouchant sur des scènes surréalistes et des commentaires pour le moins cyniques (notamment au travers « d’interviews » inspirées de déclarations de membres de l’Église anglicane ou de spécialistes de la guerre nucléaire). La Bombe se situe entre Docteur Folamour et Atomic Café, mais sans en reprendre l’humour, quand bien même très noir ; ici, tout est horrible… Et le plus horrible est sans doute le réalisme, finalement, de la projection de Watkins, qui s’est inspiré de ce qui s’était produit à Hambourg, Dresde (et là, forcément, voir Abattoir 5), et bien sûr Hiroshima et Nagasaki.

 

On n’ose imaginer le traumatisme que ce film aurait pu susciter si la BBC l’avait projeté à l’époque. Le tableau que dresse Watkins de l’Angleterre d’alors est pour le moins édifiant… Et sa dénonciation, plus généralement, de la folie nucléaire de la guerre froide porte assurément. Le film a sans doute perdu un peu de sa force aujourd’hui, dans la mesure où son scénario-catastrophe ne s’est heureusement pas produit, mais il reste un documentaire fascinant sur l’état d’esprit de l’époque. Mais il n’a du coup pas « l’intemporalité », si j’ose dire, de Culloden, que j’ai, je crois un poil préféré.

 

Cela vaut également pour la réalisation : Watkins reprend ici ses procédés inspirés des actualités télévisées, et sa « caméra liberté » fait des miracles, notamment lors des scènes les plus frénétiques ; je le trouve cependant moins pertinent dans l’usage des voix-off et des interviews, sans trop savoir pourquoi – mais cela vient peut-être du moindre « décalage » : ce qui était particulièrement surprenant et audacieux dans Culloden semble ici couler de source…

 

La Bombe est bel et bien un bon film, et même un très bon film, a fortiori si on le replace dans son contexte ; mais il ne parvient que difficilement à s’en dégager, ce qui le rend un peu moins bon à mes yeux que ce qu’on a pu en dire. Il va néanmoins de soi que je vous encourage fortement à le regarder, d’autant qu’il a quelque chose d’unique, et se montre singulièrement glaçant… Quant à moi, je vais poursuivre mon cycle, probablement avec Punishment Park.

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RIP Jack Vance

Publié le par Nébal

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Je viens d'apprendre le décès, dimanche 26 mai dernier, de Jack Vance. Un auteur qui a beaucoup compté pour moi. Bon, il aura eu une longue vie... Mais tristesse tout de même.

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"Fukushima. Dans la zone interdite", de William T. Vollmann

Publié le par Nébal

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VOLLMANN (William T.), Fukushima. Dans la zone interdite. Voyage à travers l’enfer et les hautes eaux dans le Japon de l’après-séisme, [Into The Forbidden Zone – When The Wind Blows From The South], traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Paul Mourlon, Auch, Tristram, coll. Souple, [2011-2012] 2013, 86 p.

 

J’avais déjà pu apprécier l’œuvre de William T. Vollmann en tant que romancier, avec le très bon Les Fusils et l’extraordinaire Central Europe, et ne compte pas m’arrêter là. Mais j’étais aussi curieux de découvrir l’autre facette de Vollmann, à savoir ses travaux de journaliste. La réédition dans la collection « Souple » de Tristram de ce fort mal titré Fukushima. Dans la zone interdite (Vollmann, autant le dire de suite, ne se rend pas à Fukushima même, et ne fait qu’approcher les limites de la zone interdite) me fournissait donc l’occasion d’envisager cet aspect de l’auteur.

 

Je dois dire que j’en étais d’autant plus curieux que, à l’époque des faits – le tremblement de terre et le tsunami qui ont débouché sur la catastrophe de Fukushima, depuis considérée comme le plus grave accident nucléaire civil depuis Tchernobyl –, pour tout un tas de raisons sans doute très mauvaises, je ne m’étais guère tenu informé de ce qui s’était produit ; j’avais bien entendu conscience de la gravité de ces événements, mais, sans que je puisse vraiment dire pourquoi (l’absence de matraquage télévisuel a dû jouer, cependant), tout cela est resté très flou à mes yeux. Il y eut tout de même une conséquence notable, à titre personnel : l’accident m’a fait réviser ma position quant au nucléaire civil, dont j’étais plutôt partisan auparavant (sans en être un ardent propagandiste, hein…).

 

Bref : envie d’en savoir plus. Mais, autant le dire tout de suite, il n’est pas certain que ce très petit livre de Vollmann m’ait été d’un grand secours en la matière… C’est que l’auteur adopte une approche « intimiste » et ultra-subjective de son reportage ; bien loin de rapporter les faits dans leur globalité, il tendrait presque à les occulter au bénéfice de son propre périple dans la zone sinistrée (mais, comme je l’ai noté plus haut, il ne se rend pas dans la zone interdite à proprement parler ; on ne saurait bien entendu le blâmer pour cela, mais le fait que le livre, lors de sa deuxième édition américaine, ait changé de titre est sans doute révélateur). Il se refuse ainsi à livrer des statistiques, par exemple (ou, plus exactement, ne le fait que très indirectement, et en citant toujours ses sources), celles-ci étant si contradictoires qu’elles ne révèlent guère à ses yeux que la confusion de ceux qui les fournissaient, voire leurs mensonges délibérés.

 

En fait, Vollmann se contente essentiellement de tenir un journal de son bref voyage, en interrogeant des Japonais de rencontre sur les événements et leurs conséquences pour eux. Avec toujours deux obsessions derrière la tête : le niveau de radiations indiqué par son dosimètre, et le précédent, non pas tant de Tchernobyl que de Hiroshima et Nagasaki – ce dernier point me paraît d’ailleurs hautement critiquable…

 

Et, au final, on n’apprend à peu près rien, ni sur le drame, ni sur ses conséquences véritables pour la population de la zone sinistrée. Vollmann – c’est triste à dire – se livre en définitive à une forme de « tourisme catastrophe » particulièrement stérile. Ça sent à vrai dire la commande exécutée sans grande conviction… On déambule dans les ruines et les champs inondés, on tape la causette avec quelques rescapés, on regarde le dosimètre, et hop ! fini.

 

Enfin, pas tout à fait ; c’est que, malgré la brièveté de ce reportage – on est ici très loin des effrayants pavés coutumiers de l’auteur –, Vollmann n’a tellement rien à dire que l’on s’ennuie à mourir… Dès lors, pas la peine de s’étendre outre mesure : ce livre est tout simplement inutile. Et, de toute évidence, seul le nom de Vollmann « justifie » sa publication, sa traduction et sa réédition. Ce qui est triste, donc, et peut-être même un peu puant… Passez votre chemin : il n’y a décidément rien à voir.

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"Culloden", de Peter Watkins

Publié le par Nébal

Culloden---La-Bombe.jpg

 

 

Titre original : Culloden.

Titre alternatif : La Bataille de Culloden.

Réalisateur : Peter Watkins.

Année : 1964.

Pays : Grande-Bretagne.

Genre : Documentaire / Docu-fiction / Drame / Guerre.

Durée : 69 min.

Acteurs principaux : Olivier Espitalier-Noel, George McBean, Robert Oates, Peter Watkins…

 

J’ai récemment fait l’acquisition d’un coffret comprenant cinq films de Peter Watkins : Culloden, La Bombe, La Commune, Punishment Park et The Gladiators. Je pensais tout d’abord me contenter d’un compte rendu générique de ces cinq titres, mais la richesse du matériau (et la peur qui m’étreint quand je pense au visionnage de La Commune, que je vais sans doute faire durer…) m’a convaincu qu’il était plus opportun d’en traiter séparément.

 

Cela faisait très longtemps que je voulais voir ces films. J’avais entendu dire le plus grand bien, notamment, de La Bombe et de Punishment Park, et j’avais tenté le visionnage de La Commune (il me semble que c’était lors de sa première diffusion sur Arte ; je me souviens avoir tenu environ trois heures sur les 345 minutes de ce film monstre…), qui m’avait fait une forte impression. Un auteur au service du documentaire (engagé, c’est rien de le dire…) : telle est l’impression que m’avait dès lors fait Peter Watkins. Rien d’étonnant à ce que j’aie voulu en savoir davantage.

 

J’ai donc décidé de commencer par Culloden, premier film pour la BBC du réalisateur, et pierre fondatrice de son œuvre. On y trouve en effet déjà bien des éléments qui figureront plus tard dans La Commune, pour m’en tenir au seul que j’avais déjà vu. Il s’agit en effet d’un documentaire d’un genre très particulier – un « docu-fiction », pour dire les choses comme elles sont, et sans doute un, voire le film fondateur du genre –, brillante reconstitution historique sous la forme d’un film à thèse, usant des techniques du reportage télévisé (avec caméra libre et interviews des personnages en voix off) et reposant sur l’interprétation de comédiens amateurs « impliqués » : en l’occurrence, ici, d’une part des Anglais et des Écossais des Lowlands, d’autre part des Écossais des Highlands, pour certains descendants des combattants de Culloden.

 

Culloden est un nom qui n’évoque probablement pas grand-chose au spectateur français, mais ce fut la dernière bataille livrée en Grande-Bretagne, et l’écrasement de la dernière tentative de rébellion contre la couronne britannique. Nous sommes en avril 1746. La rébellion jacobite menée par Charles Édouard Stuart (qui deviendra, par un étrange jeu de l’histoire, le fameux « Bonnie Prince Charlie »…) est acculée dans les Highlands, où a été recruté l’essentiel de ses forces. Face à lui, le duc de Cumberland, 25 ans, troisième fils du roi… qui gagnera suite à la répression ayant frappé les Highlands après sa « glorieuse victoire » le surnom de « Boucher ».

 

Le film commence sur le champ de bataille même, où l’armée des Highlands, désorganisée, sous-équipée et mal dirigée par une triste brochette d’incompétents, s’apprête à se faire massacrer par les forces loyalistes autrement disciplinées. Peter Watkins se promène parmi les troupes, qu’il interviewe, du chef au clampin, et use volontiers d’un montage éloquent mettant en parallèle les conditions de vie de tout un chacun. Sa démonstration est impitoyable, et Culloden constitue bien – dans un premier temps – un réquisitoire féroce contre la sottise militaire et l’idiotie du « bon droit », de même que la brutalité du système des clans présidant à « l’organisation » de l’armée rebelle. Au soir de la bataille, reconstituée quasiment en temps réel (il faut dire qu’elle a duré à peine plus d’une heure), pour chaque mort de l’armée anglaise, on en comptera 24 dans les rangs jacobites…

 

Mais Watkins ne s’arrête pas là, et, si son film est déjà une brillante réussite dans sa reconstitution historique originale de la bataille de Culloden, plus vraie que nature, il entend dans un second temps aller plus loin, et dénoncer plus généralement les atrocités impliquées par la guerre et les opérations dites de « pacification ». Le contexte n’y est pas pour rien : nous sommes alors en pleine guerre du Vietnam, et Watkins entend bien dénoncer, par un parallèle sans doute évident pour les spectateurs de l’époque (même s’il n’est pas une seule fois souligné dans le film), les exactions perpétrées par l’armée américaine, les assimilant à celles qui valurent à Cumberland son surnom pour le moins évocateur. Car la bataille marqua le début d’une opération d’éradication de la culture des Highlands, passant d’abord par la brutalité « policière » puis par les lois…

 

Le résultat est une charge aussi brillante qu’audacieuse, un « docu-fiction » très fort (Watkins ne rechigne certes pas à tirer sur la corde sensible, j’imagine qu’on pourrait le lui reprocher, mais cela fait indéniablement son petit effet…), qui porte en germe l’œuvre future d’un auteur à nul autre pareil. Remarquable.

 

Suite des opérations bientôt avec La Bombe.

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"Coté cour", de Leandro Ávalos Blacha

Publié le par Nébal

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ÁVALOS BLACHA (Leandro), Côté cour, [Medianera], traduit de l’espagnol (Argentine) par Hélène Serrano, Paris, Asphalte, [2011] 2013, 153 p.

 

Attention : j’ai vraiment du mal à rédiger des comptes rendus en ce moment, et j’ai bien conscience que celui-ci est quelque peu piteux… Que cela ne vous empêche pas de vous régaler à la lecture du très bon livre qui en fait l’objet, et qui mérite sans doute mieux que ça. Là.

 

Adonc. De Leandro Ávalos Blacha, j’avais bien aimé la précédente publication, déjà chez Asphalte, le délirant, jubilatoire et féroce Berazachussetts. C’est donc avec un enthousiasme non dissimulé que je me suis lancé dans la lecture de Côté cour, pour une fois (qui n’est pas coutume) par la quatrième de couverture alléché. Celle-ci promettait en effet un roman pour le moins déconcertant, riche en personnages et situations saugrenus.

 

Un roman ? J’imagine que cela prête à débat, cela dit. On pourrait assez légitimement y voir un fix-up, sans doute, les chapitres n’étant reliés entre eux que par un même cadre (et quelques personnages, rarement), sans qu’il y ait véritablement de trame à proprement parler. Mais bon, peu importe. Parlons plutôt de ce cadre, justement. Enfin, essayons… C’est qu’il n’est pas très clairement défini. Où sommes-nous ? Dans un quartier anonyme, très pavillons de banlieue, et on n’en saura guère plus. Quand ? On ne le saura pas davantage, même si on peut supposer une légère anticipation (très, très légère). Mais c’est peut-être là encore faire fausse route : la tonalité générale de Côté cour renvoie plutôt à une forme d’absurde plus ou moins kafkaïen (en plus ouvertement sarcastique et rigolard, probablement), qui ôte toute pertinence à l’idée de localisation. On s’en tiendra donc là.

 

Si ce n’est qu’il y a Phonemark, puissante compagnie de téléphonie mobile, qui a installé une antenne dans ce quartier. Et tous les habitants sont sous la coupe de Phonemark : ils ont leur quota de SMS à utiliser, et, surtout – c’est sur ce point qu’est mis l’accent –, ils offrent leurs services à la compagnie afin qu’elle accomplisse une importante mission de service « public » : la réclusion de délinquants. Ces derniers sont donc envoyés chez l’habitant, oui madame, pour y être confiés à la bonne garde des consommateurs, rémunérés.

 

Vision cynique de la privatisation de la justice qui a de quoi faire peur… mais rire tout autant. Il faut dire que cette situation pour le moins absurde n’est pas sans générer des à-côtés plus ou moins attendus. Fany, ainsi, tombe nécessairement amoureuse de « son » délinquant, tandis qu’un improbable couple de voisins (le mari est supposé décédé…) organise des combats de gladiateurs, opposant détenus et molosses particulièrement agressifs (grâce à un régime de privations et de coups savamment étudié).

 

Tout cela est déjà passablement étrange en soi, mais Leandro Ávalos Blacha ne s’arrête pas en si bon chemin, et infuse dans son livre quelques éléments de fantastique, phénomènes surnaturels semble-t-il provoqués par l’antenne de Phonemark, laquelle, par exemple, anime et fait vivre une poupée abandonnée dans une cour faisant office de décharge…

 

Les quelques exemples que je viens de citer ne dévoilent guère plus que ce qui est annoncé dans la quatrième de couverture, et c’est à dessein : le mieux reste de découvrir par soi-même le reste, et de se baigner avec délices dans l’ambiance remarquable élaborée par l’auteur, où farce, grand-guignol et satire sociale mordante s’allient heureusement pour générer rire, effroi, fascination et réflexion.

 

C’est que, derrière la blague et les merveilles – qui suffiraient probablement à faire un bon livre, cela dit –, pointe la critique acérée d’une société de consommation aberrante (pardon pour le pléonasme), qui n’est après tout guère plus absurde que celle dans laquelle nous vivons : quelques traits, simplement, en sont soulignés au stylo rouge, et la charge porte d’autant plus qu’elle ne se montre pas pour autant péniblement didactique. Il y a donc du roman politique dans Côté cour, mais sans que celui-ci ne vire pour autant à l’essai romancé. Ce qui n’était pas gagné d’avance, avec un thème pareil… Mais non (ouf) : l’auteur nous laisse juges – et encore pourrait-on se demander si le lecteur est véritablement en position de juger – en nous exposant simplement le quotidien de sa « colonie pénitentiaire ». Un quotidien dans lequel s’infiltrent donc, s’insinuent par petites touches, le merveilleux comme le grotesque (dans le meilleur sens du terme).

 

Servi par une plume qui coule toute seule, étonnante de fluidité et d’attrait, et par des personnages hauts en couleurs, Côté cour est une nouvelle fois la preuve du grand talent et de l’inventivité de Leandro Ávalos Blacha (et du bon goût d’Asphalte). Ce livre inclassable, à la fois drôle et fort, se dévore avec un enthousiasme indéfectible, et je ne peux que vous le recommander chaudement.

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"Die Farbe", de Huan Vu

Publié le par Nébal

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Titre original : Die Farbe.

Réalisateur : Huan Vu.

Année : 2010.

Pays : Allemagne.

Genre : Fantastique / Science-fiction / Horreur.

Durée : 85 min.

Acteurs principaux : Marco Leibnitz, Michael Kausch, Erik Rastetter, Ingo Heise…

 

Adapter l’œuvre de H.P. Lovecraft au cinéma est un exercice particulièrement délicat, et bien rares sont ceux qui sont parvenus à obtenir un résultat correct ce faisant ; finalement, si l’on excepte les films qui n’ont qu’une inspiration lovecraftienne, lesquels peuvent être tout à fait réussis (par exemple, The Thing ou L’Antre de la folie, tous deux de John Carpenter), et tout en accordant le bénéfice du doute aux rigolos Re-Animator de Stuart Gordon et Dagon de Brian Yuzna (en fait une adaptation du « Cauchemar d’Innsmouth »), je n’ai véritablement trouvé mon bonheur en la matière qu’avec les films pourtant très « amateurs » des joyeux drilles de la HPLHS (voyez mon compte rendu de The Whisperer In Darkness).

 

Mais j’avais entendu dire plutôt du bien de Die Farbe, adaptation teutonne de « La Couleur tombée du ciel », qu’un aimable citoyen a bien voulu me prêter. Pari risqué, cependant : « La Couleur tombée du ciel », très certainement une des plus belles réussites de Lovecraft, me paraissait à la base un texte particulièrement difficile à adapter, en ce qu’il repose énormément sur une ambiance magistrale, qui suinte avec délices du papier, mais qu’on pouvait douter de retrouver sur pellicule… Mais bon, fallait bien voir, hein.

 

Nous sommes au milieu des années 1970 : Jonathan Davis, un jeune Américain d’Arkham, Massachusetts, se rend en Allemagne, dans une région paumée près de la frontière française, pour y retrouver la trace de son disparu de père, qui y avait été en garnison à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Là, il tombe sur le fermier Pierske, qui se souvient d’avoir vu son père à cette époque… et se met à lui conter l’étrange histoire survenue à ses voisins les Gärtener, après qu’une météorite des plus mystérieuses s’est écrasée non loin de leur ferme, suscitant moult événements déconcertants…

 

Pas besoin d’en dire vraiment plus ici, vous avez reconnu la nouvelle originale (avec les noms germanisés). L’adaptation est ensuite assez fidèle, en dehors de quelques manipulations justifiées par le contexte, dont on peut se demander si elles étaient vraiment nécessaires. Reconnaissons cependant que le riche matériau lovecraftien est plutôt bien employé dans ce cadre-là, qui vaut bien les recoins les plus bouseux de la Nouvelle-Angleterre.

 

Maintenant, s’agit-il d’une bonne adaptation ? J’imagine que cela dépend de ce qu’on en attend… Mais j’avoue, au sortir du visionnage, avoir un sentiment plutôt mitigé. L’impression, en fait, que si le film tient la route – et il tient relativement la route –, cela vient du fait que le texte source est excellent, et que le scénario lui fait passer la frontière des arts avec une certaine astuce. Mais le film, hélas, me paraît dénué de qualités qui lui soient propres…

 

Dès les premières images, en effet, quelques fâcheux défauts font leur apparition, et ne lâcheront plus le spectateur tout au long du métrage : la réalisation est plus ou moins inspirée (même si certaines scènes d’horreur sont plus que correctes – quand elles ne sont pas gâchées par de vilains effets spéciaux numériques…), la photographie plutôt dégueulasse, et la direction d’acteurs franchement approximative (le cabotin Pierske – surtout dans sa version « jeune » –, Nahum Gärtener et son épouse étant heureusement ceux qui s’en tirent le mieux, mais c’est un mieux tout relatif).

 

Tout cela, en fait, renforce l’impression générale d’amateurisme de ce film. À l’évidence, Die Farbe est un film de fans, sincèrement intéressés par le matériau original pour le transporter à l’écran avec un minimum de bonheur, mais pas forcément très compétents pour autant, et flirtant parfois – bien malgré eux sans doute – avec le mauvais goût… Et, à ce compte-là, j’avoue préférer le « mythoscope » autrement plus ludique des productions de la HPLHS ; certes, Die Farbe est probablement l’adaptation de Lovecraft la plus « sérieuse » que j’aie jamais vue. Un bon point pour ce film, assurément. Je ne le qualifierais d’ailleurs pas de mauvais… Mais je maintiens : si Die Farbe se regarde, c’est parce que « La Couleur tombée du ciel » est une nouvelle excellente.

 

Sentiment mitigé, donc. Et je ne peux que regretter une fois de plus l’absence, à l’heure actuelle, d’une adaptation de Lovecraft véritablement réussie ET professionnelle.

 

Bon, alors, quelqu’un les fait, ces Montagnes hallucinées ?

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Rencontre avec Yves & Ada Rémy à bord du Zéro de Conduite

Publié le par Nébal

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