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CR Barbarians of Lemuria : La Tour d'Ajhaskar (03)

Publié le par Nébal

CR Barbarians of Lemuria : La Tour d'Ajhaskar (03)

Troisième et dernière séance du scénario « La Tour d’Ajhaskar », pour Barbarians of Lemuria. Il est dû à Vincent Basset, et figure dans le supplément Chroniques lémuriennes, pp. 76-101.

 

Vous trouverez la première séance ici, et la deuxième .

 

L’illustration en tête d’article provient de ce scénario (p. 96), et est due (forcément) à Emmanuel Roudier.

 

Il y avait six joueurs, qui avaient déjà participé aux premiers scénarios, à savoir « Mariage amer », « Les Larmes de Jouvence » et « Un ennui mortel ». Ils incarnaient Kalev, originaire des marais de Festrel (Batelier 1 – Mendiant 0 – Voleur 1 – Ménestrel 2) ; Liu Jun-Mi, un Ghataï d’ascendance xi lu (Barbare 0 – Mercenaire 1 – Dresseur 1 – Gladiateur 2) ; Myrkhan, originaire de Tyrus (Gamin des rues 1 – Chasseur 3 – Forgeron 0 – Soldat archer 1) ; Narjeva, originaire d’Urceb (Esclave 0 – Courtisane 1 – Assassin 2 – Prêtresse de Nemmereth 3) ; Nepuul Qomrax, originaire de Zalut (Scribe 2 – Alchimiste 4 – Marchand 0 – Médecin 1) ; et enfin Redhart Finken, de Parsool (Docker 0 – Matelot 1 – Mercenaire 3 – Marchand 1).

 

Voici le compte rendu de cette séance, sur la base des notes de Maître Nepuul Qomrax :

 

Le village des Xaliir

 

Un chemin sinue dans la vallée vers le village, qui doit abriter deux cents personnes au maximum. Il faut environ une demi-heure pour le rejoindre par la route, mais, même si le village semble calme – à peine peut-on distinguer quelques silhouettes isolées d'habitants de petite taille et à la peau sombre qui passent nonchalamment d'une hutte à l'autre –, Redhart préfère le couvert des bois. Myrkhan et Narjeva partent en avant, suivi de près par le reste du groupe ; mais à l'approche du village, Kalev s'empêtre et chute lourdement : le groupe est repéré, et le village s'anime ; des hommes, des femmes et des enfants sortent des maisons et examinent les aventuriers de loin, avec perplexité. Dans leur étrange sabir, Nepuul reconnaît le mot « Xaliir », qui, dans la langue des Rois-Sorciers, signifie « esclave ».

 

Une vieille femme, qui semble détenir une certaine autorité sur les villageois, s'avance et interroge les aventuriers : ont-ils eux aussi été envoyés par le Maître ? Kalev, qui maîtrise relativement bien leur dialecte dérivé du lémurien ancien, sert d'interprète ; Redhart demande donc au barde de répondre que le groupe est envoyé par le Maître pour trouver Ajhaskar. La vieille femme semble impressionnée : depuis des générations sans nombre, les Xaliir attendent le retour du Maître, et bâtissent pour lui la demeure parfaite. Mais personne n'était encore venu, jusqu'à ces derniers jours...

 

Moins méfiante qu'au premier abord, elle coopère volontiers avec le groupe, et évoque un puissant mage, certainement Ajhaskar, qui est venu quelques jours auparavant, envoyé lui aussi par le Maître ; mais le village a été attaqué par les Démons de la Lune, venus de la carrière de marbre, des serviteurs ailés de la reine et déesse Labashaah, qui ressemblent à des hommes, mais affublés de grandes ailes semblables à celles des chauves-souris – ils seraient les enfants de Labashaah, laquelle, une fois par génération, les envoie lui chercher un amant dans le village des Xaliir... Le mage a fait la démonstration de ses pouvoirs, des éclairs jaillissant de ses mains pour anéantir les attaquants. Mais les villageois craignent que Labashaah désire se venger... Et ils ont demandé au mage de quitter le village pour leur laisser le temps d'amadouer la déesse, et de comprendre ce qui se passait. La vieille femme indique le chemin à suivre pour le retrouver, et propose les services de Rirtu, un jeune garçon qui mènera le groupe à travers la forêt qui entoure le village.

 

Nepuul comprend que les Xaliir ne peuvent pas quitter cette vallée : quel que soit le chemin qu’ils prennent, il les ramène systématiquement à leur point de départ. Perplexe, l’alchimiste remarque, sur l'épaule de chaque villageois, une rune démonique évoquant l'esclavage, qu'il avait déjà observée dans la copie du Codex d'Yggdar empruntée au premier étage de la tour d’Ajhaskar : cette rune démonique exprime l'idée d'emprisonnement.

 

Avant de quitter le village, les aventuriers examinent les cadavres des monstres qui l'ont attaqué, et que les Xaliir ont jeté dans une fosse commune : les Démons de la Lune ressemblent à des chauves-souris vaguement humanoïdes. Les Aînés de Labashaah sont les plus imposants : le moindre coup infligé par leurs puissantes griffes paraît capable de provoquer de graves blessures. Les Rejetons de Labashaah, beaucoup plus petits, semblent relativement inoffensifs pris un par un, mais, s'ils s'organisent en nuées, leurs attaques pourraient s'avérer autrement préoccupantes. Tous les cadavres présentent des traces de sévères brûlures, conséquences de la puissante magie d'Ajhaskar.

 

La clairière

 

Le groupe se laisse guider par le jeune Rirtu, dont les explications, noyées dans un bavardage incessant, ne clarifient pas vraiment la situation ; il indique tout de même que sa propre sœur, Nyssa, qui n'est sans doute pas insensible aux charmes de Robos, l'apprenti du mage, a mené les deux hommes jusqu'à une clairière bien connue des Xaliir, où coule une cascade d'eau claire.

 

À peine arrivés sur place, après quelques heures de marche, les aventuriers remarquent Ajhaskar : assis près de la cascade, impressionnant, il est entouré de Robos et de Nyssa, qui sont visiblement très proches ; la jeune femme toise le groupe avec méfiance, prête à encocher une flèche. Redhart se hâte de saluer le mage avec jovialité, ragaillardi à l'idée de remplir enfin son contrat. L'ombrageux Ajhaskar, étonné que des aventuriers soient parvenus à déjouer les pièges de sa tour, les sonde un à un, puis leur fait une offre : le seul moyen de quitter cette vallée est d'abattre Labashaah, un démon autrefois au service du Roi-Sorcier Shrinazor Shamaaraz, et qui, en son absence, a décidé de se faire passer pour une déesse. Robos semble tiquer quand son maître souligne qu'il n'existe aucun autre moyen de quitter la vallée ; cette réaction n'échappe pas à ses interlocuteurs, qui tentent d'en savoir plus ; mais le mage refuse de leur livrer le véritable motif de sa présence en ces lieux.

 

Le groupe décide de passer le reste de la nuit sur place. Pour laisser à Kalev le temps d'interroger plus précisément Robos hors de l'influence de son maître, Nepuul tente de faire diversion en engageant le dialogue avec Ajhaskar. Le sorcier, agréablement surpris de se retrouver avec un initié, sympathise volontiers avec l'alchimiste, et lui dévoile certains secrets liés au Codex d'Yggdar ; c'est un véritable puits de science, et la conversation se prolonge bien au-delà des espérances de Nepuul. Ajhaskar va jusqu'à lui proposer, quand ils auront quitté la vallée, de devenir son apprenti : un alchimiste de son niveau gagnerait énormément à s'initier à la magie. Pendant ce temps, Kalev tâche de soutirer des informations à Robos sur un éventuel code qui permettrait un retour à Lysor, sans avoir à affronter Labashaah ; mais Robos semble trop loyal (ou trop effrayé par le sort réservé à Nyssa comme à lui en cas de trahison) pour se confier, et le barde n'en apprend pas davantage.

 

La carrière

 

Nyssa a congédié Rirtu, mais suit elle-même le groupe vers le repaire de Labashaah, tout comme Robos et Ajhaskar. Ce dernier a proposé à trois aventuriers une protection magique contre les sortilèges de la prétendue déesse : Nepuul, Redhart et Liu sont désignés pour en bénéficier.

 

La carrière est déserte, tout comme l'entrée de la grotte au fond de laquelle est censée se terrer Labashaah. Les aventuriers hésitent à y entrer, mais la configuration des lieux semble peu propice à une tentative d'enfumage ; après quelques tergiversations, ils optent pour l'entrée discrète. Redhart ouvre la marche, suivi de Narjeva, Kalev, Nepuul, et Myrkhan ; Liu vient en dernier, suivi à distance par Ajhaskar et Robos ; Nyssa reste à l'extérieur.

 

Une première pièce plus vaste que le boyau d'entrée semble n'abriter que des caisses et des tonneaux abandonnés ; mais, un peu plus loin, le groupe affronte une première nuée de Rejetons de Labashaah. Une flèche meurtrière de Kalev, un moulinet de la hache de Parsool de Redhart ou un coup de poing de Liu suffisent à les anéantir ; mais les Aînés qui se présentent ensuite se montrent autrement plus coriaces, et si Redhart parvient à pourfendre le premier d'un coup de hache bien placé, Narjeva est mise à mal, et doit s'employer, avec l'appui à distance de Kalev et de Myrkhan, pour en mettre un deuxième hors d'état de nuire. Redhart hurle à ses camarades de rester en arrière : les créatures affluent vers le groupe ! Quatre Aînés font face à Liu et à Narjeva, et les nuées de Rejetons s'épaississent... Nepuul demande à Narjeva de reculer pour qu’il la fasse bénéficier de ses soins ; tandis que Redhart s'occupe des Rejetons qui menacent l'arrière du groupe,  Liu s'interpose pour couvrir sa retraite, mais se retrouve isolé au milieu de quatre Aînés qui le malmènent. Un essaim plus large de Rejetons s'en prend à Redhart et commence à le déborder... C'est alors qu'intervient Ajhaskar, qui était jusque-là resté en retrait : Narjeva et Liu esquivent de justesse l'éclair qui désintègre un Aîné (le sorcier, de toute évidence, n'est pas du genre à se soucier des dommages collatéraux...), tandis que le colosse du Khanat, blessé, entre dans une rage destructrice, et parvient à tuer coup sur coup deux des ennemis qui le harcèlent. Le combat se poursuit sur un seul front, Ajhaskar ayant réduit à néant les derniers Rejetons qui retenaient Redhart à l'arrière. Les deux robustes guerriers font face à quatre adversaires imposants qui coordonnent leurs attaques. Le barde décoche une flèche enflammée qui blesse l'adversaire direct de Liu ; ce dernier l'assomme d'un coup de tête, tandis que Redhart et Narjeva contre-attaquent : le groupe reprend le dessus sur ses assaillants, et le dernier Aîné tombe sous les coups redoublés des aventuriers, non sans avoir sévèrement blessé Redhart.

 

Labashaah

 

Nepuul a à peine le temps d'administrer son dernier onguent de soin à Redhart pour le remettre sur pied : la déesse des Xaliir, Labashaah, apparaît devant les aventuriers ! Le démon semble presque invulnérable : les premières attaques ne lui font aucun effet. Liu sollicite l'aide d'Ajhaskar, qui lui rend une partie de sa force vitale. Redhart et Narjeva font face au démon, dont les griffes plus tranchantes que des éclats de verre atteignent le marin. Mais une flèche de Myrkhan perce enfin ses défenses ; Kalev, enhardi par cette belle réussite, lui décoche un trait enflammé qui la blesse encore davantage. Nepuul, en revanche, se révèle toujours aussi malhabile avec son bâton – c'est à se demander s'il a compris qu'il s'agissait d'une arme ! Labashaah met Narjeva en fâcheuse posture ; mais une nouvelle flèche de Myrkhan atteint l’œil de la déesse, et la tue.

 

L'alchimiste prodigue ses soins à ses camarades, tandis que Kalev et Myrkhan décident d'explorer la pièce suivante… où les attend une dizaine de momies qui s'animent très lentement : les amants de Labashaah ! En vérité, ces créatures sont d'une telle lenteur qu'il suffit aux aventuriers de marcher vers la sortie pour être hors de danger...

 

Ajhaskar, Nyssa et Robos les attendent à l'extérieur. Nyssa a pris ses distances avec Robos ; le mage, quant à lui, est visiblement satisfait, et s'apprête à rentrer à Lysor. Il dit envisager, à la demande du groupe, de libérer les Xaliir de l'emprise du Roi-Sorcier.

 

Épilogue

 

De retour à Lysor, Ajhaskar s'apprête pour son audience auprès du roi Colmus, et quitte enfin sa tour, suivi de l'ensemble du groupe qui traverse sans encombre le champ de protection enfin levé.

 

Comme promis, le capitaine Dramik verse aux aventuriers une forte somme d'argent. Après tout, personne, avant eux, n'avait pu mener à bien cette périlleuse mission, ni même sortir vivant de la tour d'Ajhaskar... Comme quoi, marmonne le capitaine dans un soupir en suivant des yeux les cinq compagnons, la cellule de dégrisement recèle parfois un potentiel insoupçonné.

 

Et voici la vidéo de ce compte rendu :

J'ai utilisé, en guise d'illustration sonore, diverses musiques dont je n'ai comme de juste pas les droits, qui demeurent à leurs propriétaires respectifs. Durant cette séance, j’ai eu recours aux morceaux de Lustmord « Aldebaran of the Hyades » (sur l’album The Place Where the Black Stars Hang) et « Babel » (sur The Word as Power), au morceau « bassAliens » de Sunn O))) (sur l’album White2), au morceau « Saltarello » de Dead Can Dance (sur l’album Aion), à la bande originale du film Apocalypto de Mel Gibson par James Horner, et (surtout) aux bandes originales des jeux vidéo The Elder Scrolls V : Skyrim et Darkest Dungeon. Comme d’habitude, j’ai réservé l’immortelle bande originale de Conan le Barbare de John Milius par Basil Poledouris pour la préparation de la partie et son debrief…

 

Et voici l’enregistrement de cette séance :

C’est fini pour « La Tour d’Ajhaskar ». Mais nous allons jouer sous peu un cinquième scénario de la gamme officielle de Barbarians of Lemuria. Et donc…

 

À suivre…

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Lords of Chaos, de Jonas Åkerlund

Publié le par Nébal

Lords of Chaos, de Jonas Åkerlund

Titre : Lords of Chaos

Réalisateur : Jonas Åkerlund

Année : 2018

Pays : Royaume-Uni – Suède

Durée : 118 min.

Acteurs principaux : Rory Culkin (Euronymous), Emory Cohen (Varg Vikernes), Jack Kilmer (Dead)…

PRÉAMBULE ULTRA PERSO : LE BLACK METAL ET MOI

 

Je viens de voir le film Lords of Chaos, réalisé par Jonas Åkerlund, sorte de biopic musical (mais avec du gros fait-divers dedans tout de même, on peut le dire) centré sur le groupe de black metal norvégien Mayhem et les trucs dingues qui se sont passées autour au début des années 1990. J’étais bien curieux de voir ça, parce que je ne suis pas insensible à cette question. Toutefois, avant de chroniquer le film à proprement parler, je crois qu’il peut être utile que je me situe par rapport à tout ça, dans un long (long…) préambule ultra personnel concernant mon rapport au black metal – parce que mon regard sur le film en sera forcément affecté, et de manière significative. Mais j’ai scindé cet article en deux parties, du coup : si vous vous en foutez (ce qui serait compréhensible) et voulez passer direct à la chronique, y a qu’à scroller jusqu’à l’intertitre…

 

Adonc, premier point en forme d’aveu : je ne suis pas, et n’ai jamais été, et ne l’ai jamais prétendu, un VRAI, un TRVE, black métalleux. Et on aura l’occasion de voir ce qualificatif resurgir à maintes reprises dans le film. C’est plus que tribal, à ce stade : il y a une scission hermétique entre les « vrais » et les « poseurs », qui constitue le cœur de l’argument de Lords of Chaos – et, à regarder quelques docs, à lire quelques articles, on peut constater que cet aspect persiste encore. Je tends à croire que la scène est globalement plus sereine aujourd’hui qu’à l’époque (parce que les gens ont vieilli ?), mais c’est tout de même un point important.

 

En tout cas, j’en ai eu un aperçu très personnel, vers 2000, par-là, quand, à la fac, arborant un T-shirt de Marduk, j’ai été abordé par un grand type aux longs cheveux, très sec, bracelets de cuir clouté, le regard noir – il pointe mon T-shirt, et : « Est-ce que tu es un VRAI black métalleux ? » J’ai un petit gloussement timide (ce qui constituait déjà une réponse) : « Je ne pense pas, non. » Et lui, après un bref instant figé : « OK. » Son regard est encore un peu plus noir. Ceci dit, dans les mois qui ont suivi, il nous est arrivé de causer un peu de musique – mais pas tant de black metal, pour le coup (je me souviens qu’il était ultra fan de Berlioz). Le contact est cependant demeuré très froid, et… politiquement ? Le bonhomme m’avait l’air plus que douteux – et ça n’était pas vraiment une surprise, en même temps. Hélas. Ce qui fait putain de partie du problème. Bref, ça n’a pas duré.

 

Je n’étais pas un VRAI, donc. Mais j’avais bien un T-shirt de Marduk – pas seulement pour la joie puérile de me balader dans un amphi de droit avec sur le torse un démon doté d’un engin qu’on qualifiera de conséquent (même s’il y avait de ça, hein), mais parce que, sans être un connaisseur bien pointu, très loin de là, j’aimais cette musique, sa radicalité et les visions noires et extrêmes qu’elle m’inspirait.

 

Et il en reste quelque chose aujourd’hui. J’ai fait le tri dans ce que j’écoutais alors, parce que, il faut bien le dire, la « loi de Sturgeon » paraît plus que timorée quand on parle de black metal… Mais certains trucs demeurent, que j’écoutais alors et réécoute régulièrement (Emperor en tête), je me fais parfois un fix bien intense de pur maléfice musical (et souvent avec du Mayhem, pour le coup), et occasionnellement j’apprécie des albums plus récents de groupes comme, mettons, Blut Aus Nord, The Great Old Ones, Rotting Christ ou Anaal Nathrakh – sans même parler de choses qui viennent du black metal mais s’en sont pas mal éloignées, comme mettons Ulver ou Alcest (je mets à part le cas de Zeal and Ardor). Non, je ne fais pas exactement dans le pointu ultra obscur, là… Je le sais. Et c’est pas grave.

 

Ceci étant, j’avais neuf ans quand Dead s’est suicidé, onze quand Varg Vikernes a assassiné Euronymous – ce que j’écoutais de plus « extrême » à cette époque, c’était Nirvana, hein… Le black metal (et le metal en général, d’ailleurs), je n’y suis arrivé que plus tard – vers 1996. Or, à cette époque, pour quelque raison que ce soit, le black metal était censément partout… mais pour le coup ça n’était pas du VRAI – je veux dire : vraiment pas. On ne peut pas décemment mettre dans le même panier le gogoth bouffon vampiro-truc parfaitement inoffensif de Cradle of Filth et la furie extrême et extrêmement méchante de Mayhem, ça n’a tout simplement pas de sens (si ça ne m’empêche pas de réécouter de temps à autre Dusk… and her Embrace avec un certain plaisir régressif et un sourire en coin de complicité pour cette bonne blague). Mais, à en croire les brèves pages dédiées sur fond forcément noir de la presse metal mainstream, c’était pourtant ce qu’il fallait faire – quand bien même elle ne rechignait guère à tirer des posters de Dany Filth dégoulinant de ketchup et des morceaux de fraises Tagada coincées entre les canines en plastoc, ce qui était autrement éloquent. Metallian avait sans doute un avis différent – mais, en contrepartie, cette revue (qui a compté, pour moi – ne serait-ce qu’en me faisant comprendre que ce que j’appelais « rock indé » ou « alternatif » ou truc n’avait jamais été qu’une imposture, même si j’adore bien évidemment beaucoup de groupes ou d’artistes associés à ce faux genre – bon, c’est pas le propos de cet article… En même temps, Metallian restait un peu en surface, il y avait, tout spécialement concernant le black metal, un underground de l’underground, avec des fanzines et des cassettes audio tirées à 20 exemplaires max ou truc, c’était encore un autre monde, et, n’étant pas un VRAI, je ne l’ai pas le moins du monde connu), cette revue donc… eh bien, ne s’embarrassait pas toujours de trier, faut l’avouer : les galettes de Metallian regorgeaient de merveilles, mais au moins dans une égale mesure de trucs parfaitement risibles… Ici ou ailleurs, quantité de groupes alors prétendaient faire du « symphonique » ou de « l’atmosphérique » sans en avoir les moyens (« Hop, là tu appuies sur cette touche du synthé Bontempi, puis sur celle-là cinq secondes après, nickel, et puis, hop, par-dessus, on colle une chanteuse, parce qu’une chanteuse c’est atmosphérique, tu vois… ») ; d’autres voulaient sonner méchants, mais… eh bien, pas mal ne savaient tout simplement pas jouer de leurs instruments ; ce qui peut avoir son charme punk, notez, mais… oui… je crois qu’il y a quand même des limites.

 

Cela dit, à l’époque, je bouffais tout ça. Je ne triais pas. C’était ma came, c’était différent, j’étais un ado qui aurait aimé être beaucoup plus rebelle qu’il ne l’était, le petit intello, alors c’était forcément bien. Ce qui m’a amené à trier, et radicalement pour le coup, ç’a été, en 1997, la sortie de deux albums… eh bien, TRVE, et même parfaitement norvégiens : Anthems to the Welkin at Dusk d’Emperor, surtout, qui, bien qu’affublé de synthés relativement cheap (et d’un clip parfaitement ridicule pour « The Loss and Curse of Reverence »), m’a aussitôt fait dégager de la chaîne tous ses pathétiques ersatz prétendument symphoniques ; et, pour le coup « absolument-pas-du-tout-putain-de-symphonique », Wolf’s Lair Abyss… de Mayhem – surtout via des morceaux comme « I Am Thy Labyrinth » ou « Ancient Skin » : moi qui croyais écouter du black metal, j’ai alors pris conscience que, euh, non, absolument pas… Si j’avais du mal (et en ai toujours un peu) avec les miaulements épileptiques de Maniac, j’avais le souffle coupé par la brutalité, la rapidité et la précision de la frappe d’Hellhammer, et par ces riffs caractéristiques tout en allers-retours, plutôt simples mais très efficaces et bien épais, notamment en raison d’une basse (de Necrobutcher – j’adore ces noms…) davantage en avant que d’habitude (ai-je l’impression). Et il y avait cette ambiance, qui suintait le mal, la haine et la misanthropie à l’état pur… À une époque où, ce que je recherchais dans le metal dit « extrême », c’était des visions, cette écoute a aussitôt rehaussé la barre – beaucoup, beaucoup plus haut.

 

Mais voilà : mes premiers contacts avec Mayhem aussi bien qu’Emperor, c’était donc quatre ans après tout ce qui est narré dans Lords of Chaos. Sur Wolf’s Lair Abyss, le seul membre fondateur de Mayhem était Necrobutcher – qui avait eu le bon sens de s’éloigner du groupe pendant un temps ; Hellhammer était bien le batteur emblématique du groupe, mais il ne l’avait rejoint qu’après Deathcrush – grosso merdo en même temps que Dead ; lequel était mort (eh), le leader Euronymous aussi, tandis que Varg Vikernes alias Count Grishnackh, qui avait remplacé Necrobutcher à la basse, était en prison pour avoir tué le précédent… Alors, TRVE Mayhem ? Eh bien, oui, mais…

 

À vrai dire, je ne savais alors pas forcément grand-chose de tout ça – du moins rien de bien précis. Initialement, le nom d’Euronymous, je ne l’avais vraiment croisé que dans les crédits… eh bien, d’Anthems to the Welkin at Dusk, en fait, comme ayant pondu le riff d’intro de « Ye Entrancemperium » (qui demeure probablement mon morceau de black metal préféré à ce jour, ou en tout cas celui d'Emperor). Il me fallait donc revenir en arrière – mais, à cette époque, je ne l’ai fait véritablement que pour Emperor, en me régalant avec le séminal In the Nightside Eclipse (qui était probablement meilleur encore que l’excellent Anthems to the Welkin at Dusk).

 

Les temps ont changé, cependant. Il y a eu des polémiques – des « reportages » à la télé faisant un portrait à charge de cette scène sataniste et forcément nazie… J’étais écœuré, et la blague sur le gentil Nébal qui serait en fait un profanateur de sépultures à moitié skin (parce que à moitié chevelu en même temps – ou « chevreuil », comme disaient les rugbypèdes dans ma cambrousse) ne m’a fait rire qu’un temps. Il y a eu, aussi, indéniablement, une prise de conscience que, si ces « documentaires » étaient des impostures démagogiques jouant du scandale à peu de frais et sans la moindre déontologie, du tabloïd à la télé en somme, je ne devais pas me voiler la face pour autant : condamner la scène en bloc, un genre musical en bloc, qui me faisait tant vibrer, parce qu’il y avait des connards dans le tas, était absurde, mal informé et désinformant, mais le fait est qu’il y avait eu, autour du black metal norvégien, des dérives qu’il serait bien tiède de qualifier de « problématiques », et qu’en France comme ailleurs il y avait bel et bien des gros connards dans tout ça – pour l’essentiel des gamins qui se la jouaient « art total », aimant à manier des concepts trop grands pour eux, car ils se prenaient bien trop au sérieux, à l’instar de leurs modèles norvégiens, et étaient par ailleurs incapables de tirer les leçons de ce qui s’était produit là-bas ; rien d’étonnant de la part d’ados forcément rebelles qui se la jouaient meuchants pour faire chier leurs vieux et leurs profs (je n’y ai pas échappé, hein !). Seulement, dans les faits, aussi toxique soit le discours, ils accordaient finalement plus d’importance à la posture qu’à la musique, gobant tout en masse et sans discernement, le racisme et le fascisme faisant pour eux partie de l’attirail dans la même mesure que le satanisme/paganisme/occulto-mes-couilles ou le corpse paint alors systématique, et au fond bien avant les riffs ou les blast beats. Comme un tout indissociable qu’il serait hérétique de vouloir amender – même si la dimension politique du concept était déjà largement biaisée, en vérité.

 

Et ce goût pour la façade maquillée (si j’ose dire) en concept sophistiqué (manière de se démarquer du metal plus mainstream qui a certes toujours eu une composante théâtrale bien envisagée comme telle) persiste encore chez quelques irréductibles, s’ils prétendent qu’il s’agit de tout autre chose. Je me souviens, regardant assez récemment sur YouTube un concert d’Emperor reprenant l’intégralité d’In the Nightside Eclipse sur scène, de cet ex-fan outré par ce groupe qui était TRVE avant mais ne l’était forcément plus : brandissant Wagner comme un totem, ou comme d’autres citent les Évangiles ou Marx, il vomissait Ihsahn peu ou prou pour la seule raison d'avoir abandonné le corpse paint, à ses yeux le signe évident de ce que le musicien avait trahi la Cause, et n’était donc plus rien d’autre qu’un hipster à génocider. Et là… Un point pour ce commentateur agacé : avec ses petites lunettes, sa petite barbe et son petit catogan, oui, Ihsahn avait vraiment une dégaine de hipster, pour le coup ! Mais, bordel, la musique, c’était la même… Elle était toujours aussi géniale… Et ça devrait être ce qui compte vraiment, non ? Sauf que c’est compliqué, avec le black metal… Et ça, pour le coup, c’est au cœur du sujet du film.

 

Mais j’en avais marre de tout ça – pas seulement des polémiques et de la puérilité de tant d’acteurs de la scène, tout autant de l’exploitation absurde d’un genre toujours plus saturé de faiseurs sans talent tentant vainement de reproduire toujours les mêmes formules, et des séances photo embarrassantes avec des guignols en corpse paint brandissant des haches en mousse dans la forêt. Mais, oui, les polémiques ont joué – qui me fatiguaient. J’avais l’impression que tous mes goûts, dans tous les domaines, suscitaient ce genre de polémiques à la con – la fantasy, le jeu de rôle, le black metal… Les échappatoires clichées de l’ado mal dans sa peau, hein ? Putain. Alors je me suis mis à écouter pas mal de musique industrielle – un genre notoirement dépourvu de nazillons, hein ?

 

 

Putain.

 

Quoi qu’il en soit, j’ai mis le black metal de côté pour un temps (et peu ou prou tout le metal, à vrai dire). Mais j’y suis revenu plus tard – pas avec le même enthousiasme passionnel, pas vraiment avec nostalgie non plus : une saine curiosité pour des sons qui me parlent, des ambiances qui me transportent. Car ils le font toujours. Je suis retourné aux meilleurs (seulement) de mes vieux albums, j’ai écouté occasionnellement des trucs plus récents, mais aussi, et peut-être surtout, je me suis tardivement penché sur ce qui avait précédé les enthousiasmes de mon adolescence – et notamment en ce qui concerne Mayhem : au fond, je n’ai vraiment écouté un album aussi séminal (et, euh, un peu affecté quand même, aheum, par son line-up, disons...) que De Mysteriis Dom Sathanas qu’assez récemment, disons dans la dernière décennie – et je l’ai adoré (Deathcrush, par contre, faut pas déconner, hein… Tiens, une autre preuve que je ne suis décidément pas un VRAI). De même, je n’ai véritablement écouté Darkthrone que ces dernières années…

 

(Et j’ai essayé, réessayé, etc., Burzum, pour le principe – mais, non, je n’y arrive pas. Pas seulement parce que je vomis l’idéologie nauséabonde et le personnage même de Varg Vikernes, incarnation de tout ce qui déconne dans le black metal : sa musique m’emmerde. Il faut croire qu’il y a quelque chose là-dedans, plein de gens absolument fréquentables le disent, mais je ne le trouve pas.)

 

Et tout ça (or Burzum donc) me parle toujours – cette esthétique musicale qui affiche son maléfice en des termes extrêmement radicaux, cette agression sonore qui produit des visions frénétiques qu’aucun autre genre n’est en mesure de susciter.

 

Je ne suis pas un VRAI, je ne l’ai jamais été, et je suis trop vieux pour ces conneries. Mais la musique, elle, me parle toujours, oui – à mon niveau de béotien un peu distant, sans doute, mais qu’importe ?

ET MAINTENANT, LE FILM

 

Allez, passons au film.

 

 

Ou plutôt d’abord aux événements réels sur lesquels il se fonde, j'imagine que ça pourrait être utile pour un certain nombre de lecteurs ne connaissant pas plus que ça le black metal et son histoire. Adonc, Mayhem est un groupe norvégien formé à la fin des années 1980, sous le leadership du guitariste Euronymous. Il développe un son très particulier, même s’il emprunte initialement à la première vague dite black metal (Bathory, Venom…), avec des éléments de thrash, de death, mais aussi de punk, de crust… Tout cela débouche sur l’idée d’un « true Norwegian black metal » assez singulier, avec un discours très radical et nihiliste. Après quelques changements de line-up cruciaux, le groupe prend de l’ampleur. Le nouveau chanteur, Dead, est un gamin assez perturbé, d’une morbidité pathologique, connu pour s’automutiler sur scène de manière particulièrement extrême. Il se suicide le 8 avril 1991 (à l’âge de 22 ans) – le cadavre est trouvé par Euronymous… qui le prend en photo. Le bassiste Necrobutcher, affecté par le suicide, et écœuré par le comportement d’Euronymous, quitte le groupe, ce qui met Mayhem entre parenthèses pour un temps. Euronymous ouvre alors un magasin de disques, qu’il veut associer à son propre label, ce qui fédère une petite communauté autour du concept de black metal (l’existence réelle d’un « Black Circle » ou « Inner Circle » est semble-t-il débattue). C’est ainsi qu’il fait la rencontre de Varg Vikernes, dont le one-man band Burzum l'impressionne. Mais Varg prend tout cela très au sérieux, et les choses commencent à déraper quand il se met à foutre le feu à des églises (en Norvège, bon nombre sont en bois, ce qui est pratique…). Et elles dérapent plus encore quand un autre membre associé à ce petit cercle, Faust, le batteur d’Emperor (c’est lui qui joue sur In the Nightside Eclipse), assassine un homosexuel rencontré dans un bar en le poignardant à de multiples reprises… Les autres savent, mais se taisent, et Faust n’est pas inquiété par la police, qui n’a aucune piste. Varg a beau intégrer Mayhem sous le nom de Count Grishnackh, les relations entre Euronymous et lui se détériorent toujours un peu plus. Finalement, Varg assassine Euronymous le 10 août 1993. Il est bientôt arrêté par la police, avec un complice, mais aussi Faust – qui avait échappé aux flics pendant plus d’un an. Ils sont tous trois condamnés. La peine de prison la plus lourde en Norvège est cependant de 21 ans – et, en fait, à cette heure, ces gens très charmants sont tous sortis de prison (prématurément même pour Varg, qui vit aujourd’hui en France, est toujours aussi nazi, a écrit un jeu de rôle nazi, et n’éprouve pas le moindre remords).

 

C’est une histoire totalement dingue, oui. Si c’était présenté comme une fiction, on n’y croirait pas vraiment – mais, dans les grandes lignes (le flou persiste sur pas mal de points, et pas toujours de détail, concernant notamment les motivations des protagonistes), dans les grandes lignes, donc, tout ceci a bien eu lieu. Ce qui en fait un bon sujet, hein ? Les articles et reportages sont nombreux, certains relativement sérieux, d’autres simplement racoleurs et jouant sur la panique que pareil fait-divers ultra sordide ne pouvait pas manquer de susciter. Il en est notamment résulté un livre, paru en 1998, titré Lords of Chaos : The Bloody Rise of Satanic Metal Underground, écrit par Michael Moynihan et Didrik Søderlind (il est disponible en français chez Camion Noir, mais je n’ai aucune envie de filer de la thune à Camion Noir) – et c’est ce livre qui a inspiré le film Lords of Chaos.

 

Un projet… controversé, on s’en doute. Le sujet même l’impliquait – en raison du fait-divers traité en lui-même, mais aussi de toutes les polémiques qui avaient pu suivre. Par ailleurs, si deux des protagonistes étaient morts (c’était bien le souci), les autres étaient et sont tous bien vivants, et continuent de faire de la musique – Mayhem tourne toujours. Je me cogne de ce que ce connard de Varg Vikernes peut bien penser de tout ça, mais, les autres… Ils étaient pas très chauds, à vue de nez – voire un peu plus impolis que ça, quand des journalistes leur ont demandé leur avis… Et les fans… Ouais. C’est compliqué. D’autant qu’on pouvait se douter que pareil métrage s’adresserait à un public assez large, pas forcément très conscient de ce que pouvait bien être le black metal, et la caricature était donc à craindre – le racolage dans une égale mesure : que le bouquin Lords of Chaos ait fini chez Camion Noir en France en témoigne, d’une certaine manière – et nous parlons d’un film produit par Vice… Eh, bon, Vice, quoi…

 

Mais j’étais quand même curieux.

 

Alors que Bohemian Rhapsody, perso…

 

Pardon.

 

Mais oui, j’étais quand même curieux – parce que le sujet était ce qu’il était. Le projet remonte à quelques années, cela dit – et a beaucoup changé de forme depuis. Initialement, figurez-vous que c’était Sono Sion qui était supposé le réaliser ! J’aurais été curieux de voir ça… Mais, pour quelque raison que j’ignore, ça ne s’est pas fait. D’autres réalisateurs ont récupéré le projet, et, en dernier ressort, c’est finalement le Suédois Jonas Åkerlund qui s’en est chargé. Et, en fait, ça a fait partie des trucs qui m’ont incité à tenter le coup – le réalisateur (et surtout clippeur : on lui doit notamment le célèbre « Smack my Bitch up » pour The Prodigy, mais aussi beaucoup, beaucoup de choses pour des stars très, très mainstream, incluant Madonna, Lady Gaga, Beyoncé ou, bien pire, Metallica – en fait, le clip de « ManUNkind » a été réalisé dans le cadre du tournage de Lords of Chaos et avec ses acteurs…), le réalisateur, adonc, avait pour lui d’avoir été le batteur de Bathory au début des années 1980, groupe ayant considérablement influencé Mayhem, et Åkerlund connaissait d’ailleurs personnellement plusieurs des protagonistes de cette histoire ; je suppose que cela lui conférait comme une caution, et une plus grande légitimité pour prendre en charge ce projet.

 

Qui, en définitive, ne se montre pas racoleur – du moins, je ne le perçois pas comme tel. Malgré Vice. Le film joue avec son sujet, bien sûr, et il y a forcément une part non négligeable de fascination morbide dans tout ça – comment pourrait-il en être autrement ? Mais le dosage me paraît judicieux – et la caricature globalement évitée ; globalement – pas toujours non plus, hein…

 

Ce qui tient peut-être aux nécessaires simplifications que le projet même du film implique : il a une histoire à raconter, dans une optique narrative, ou dramatique, ce n’est pas un documentaire – alors, faut élaguer. À titres d’exemples, le film passe presque immédiatement au line-up légendaire avec Dead et Hellhammer – celui qui précède est vite expédié, et Deathcrush même pas mentionné ; le film tend à cantonner l’histoire à la Norvège – là où le seul enregistrement officiel avec Dead était pourtant Live in Leipzig (posthume et cultissime) ; on assiste au meurtre commis par Faust, mais on ne nous parle pas du tout d’Emperor – ou (hors les nombreuses références à ce que les protagonistes écoutaient, j'y reviendrai) de quelque groupe que ce soit en dehors de Mayhem et Burzum… Mais je suppose que tout cela n’est pas vraiment problématique. La question des acteurs et surtout de la psychologie des personnages, c’est autre chose…

 

Quoi qu’il en soit, le film est « Based on truth… and lies… and what actually happened. » Le ton est donné, d’emblée. Mais, en même temps, cette note d’intention pourrait être celle de bien des biopics musicaux… À vrai dire, cette impression est renforcée par la manière de narrer l’histoire, tout spécialement dans les toutes premières séquences, avec quelques stock-shots d’une Norvège de carte postale (avec des pulls improbables) sur lesquels plane la voix plutôt enjouée de Rory Culkin dans le rôle d'Euronymous (Culkin, oui, un des frères de – Satan, j'ai pas été raté par le nazillon...). Je ne savais pas trop que penser de cette approche au départ : j’avais un peu l’impression de regarder, mettons, 24 Hour Party People, et si j’adore cet autre biopic, qui affiche lui aussi d’emblée qu’il s’autorisera quelques mensonges, je me demandais si le ton était vraiment pertinent pour causer de Mayhem et tout ce qui s’en est suivi… En même temps, j’ai lu une chronique qui faisait le rapprochement avec Sunset Boulevard, et, à y réfléchir, ça me paraît pertinent, effectivement – d’autant que nous savons parfaitement que cet Euronymous joyeux en même temps que sarcastique mourra à la fin du film (la conclusion est par ailleurs très brusque).

 

En définitive, adopter le point de vue d’Euronymous était probablement bien vu – y compris, je suppose, dans ce choix de la voix off. Maintenant, il oriente nécessairement la manière de raconter cette histoire, d’autant qu’il incite, mais assez logiquement dans une perspective dramatique, à mettre en avant, passé la première partie du film, se concluant sur le suicide de Dead, la rivalité entre Euronymous et Varg Vikernes – qui est une lutte de pouvoir, au fond assez archétypale, et peut-être un peu trop.

 

Ceci étant, je crois que le film s’en tire plutôt bien, et notamment du fait que Rory Culkin m’a paru très convaincant dans le rôle d’Euronymous – et qu’importe si cet Euronymous colle effectivement au vrai ou pas. Il brosse le portrait d’un jeune type intelligent, doué, charismatique, mais certainement pas sans défauts – en fait, il inspire aussi bien la compassion que le mépris, parfois l'admiration, et une bonne quantité de facepalms… « TRVE » ou « poseur », c’est lui-même qui met en place cette rhétorique pernicieuse qui se retournera en définitive contre lui ; et, d’une certaine manière, il provoque ce vilain coup du karma par ses comportements les moins flatteurs – pas seulement son nihilisme affiché (immédiatement après le suicide de Dead, notamment – mais un flashback réussi laissera entendre qu’il y avait bien de la façade dans tout ça, sans que cela excuse quoi que ce soit), mais aussi et peut-être surtout son narcissisme, qui lui fait revendiquer la paternité aussi bien que les lauriers de tout ce qui se fait autour de lui – la musique aussi bien que les incendies d’églises, mais même, dans les moments les plus extrêmes, le suicide de Dead ou le meurtre commis par Faust… Il n’est pourtant pas stupide. Seulement, ce control-freak perd le contrôle, et c’est tout naturellement ce qu’il redoutait par-dessus tout. C’est ainsi qu’il se retrouve toujours plus contraint à la fuite en avant : il sait que ça merde grave et de plus en plus, et qu'il est putain de temps d'arrêter les conneries, mais il en rajoute toujours plus dans l'escalade de crainte d'être laissé en arrière. Et c'est très à propos. Je ne sais pas si c'est vrai, mais en tout cas c'est juste.

 

Je suis un peu plus sceptique pour le choix d'Emory Cohen dans le rôle de Varg Vikernes (enfin, je suis très content du choix de le faire incarner par quelqu'un qui s'appelle Cohen, ça, bravo !). Qu'il ne ressemble pas à son modèle n'est pas important, mais, en prenant des airs de méchant, il ne parvient jamais à être aussi inquiétant que le vrai connard (la fameuse photo où il sourit au tribunal, brrr...). Lui, pour le coup, est sans doute un peu trop caricatural – outre qu’il n’a pas vraiment un charisme de taille à lutter contre celui d’Euronymous/Rory Culkin, ce qui rend leur affrontement, pourtant central, un peu bancal à l’occasion.

 

Enfin, c’est un peu plus secondaire, mais le choix de Jack Kilmer avec son faciès de minot pour incarner l'éphémère Dead est sans doute pertinent (ces types avaient à peine vingt ans pour la plupart, c'est un truc qui m'a toujours marqué...).

 

La réalisation est plutôt bonne, je trouve. Jonas Åkerlund a acquis en clippant un certain sens du montage qui s’intègre tout naturellement à son approche narrative, sans en faire trop non plus. Il y a bien, cela dit, quelques fautes de goût en l’espèce : notamment, à deux reprises je crois, heureusement assez brèves, on assiste à des sortes d’hallucinations, ou plus exactement de cauchemars, d'Euronymous, qui m’ont paru de trop – le montage est certes réussi, la technique remarquable, mais introduire de la sorte l'idée d'un Euronymous hanté par le souvenir de Dead est un peu trop démonstratif, et le métrage se montre davantage convaincant quand il se montre plus sobre ; et, donc, la brève réminiscence, presque en forme d'aveu, du bonhomme pleurant comme il devait le faire devant le cadavre de Dead, avec sa manière moins virtuose, arrive au bon moment et de manière autrement juste. Rien de rédhibitoire cela dit – et j’ajouterai que la photographie est bonne, tout spécialement dans les scènes d’incendies d’églises, qui oscillent entre le vandalisme juvénile et le rituel autrement signifiant avec une pertinence appréciable au regard du propos, et une imagerie infernale parfaitement adéquate.

 

Une autre question porte sur l’utilisation de la musique. Pour le coup, il semblerait qu’il y ait eu des bisbilles, Mayhem (et Vikernes de son côté) ne voulant pas que le film utilise leurs enregistrements – à vrai dire, je ne sais pas exactement où on en est à ce sujet : j’ai lu quelque part qu’Attila Csihar avait, au nom du groupe, adressé un gros « Fuck you ! » à la production, mais, en même temps, il est remercié dans les crédits du film… et, dans la scène de l’enregistrement de De Mysteriis Dom Sathanas, la seule où son personnage apparaît, il est incarné… par son propre fils, Arion Csihar, lui-même réalisateur ! #Old… Mais passons.

 

Le truc, c’est que j’ai tout de même bien l’impression qu’on entend du Mayhem dans le film – s’agit-il de versions réenregistrées ? Je ne sais pas, je n'ai pas suffisamment tendu l'oreille pour ça – que ceux qui savent n’hésitent pas à éclairer ma lanterne. Cela dit, pour un biopic musical, la musique n’est effectivement pas si présente – pardon : la musique de Mayhem n’est pas si présente, et la narration met incontestablement le fait-divers en avant ; c’est une pratique qui m’agace souvent, mais, en l’espèce, je trouve que ç’a été fait avec la mesure qui convient – et, après tout, la majeure partie du film, soit après la mort de Dead (car jusque-là la musique était omniprésente), porte bien sur une époque durant laquelle Mayhem n’enregistre que peu, et ne fait pas de concerts… Alors ça va.

 

Il y a de toute façon d’autres usages de la musique qui comptent au moins autant : d’une part, et de manière assez rigoureuse, le film abonde en citations, non pas donc de la musique que jouaient les protagonistes, mais de celle qu’ils écoutaient, de Motörhead à Tangerine Dream en passant par Venom et Scorpions (aha – non – enfin, si, d’une certaine manière, mais…), ce qui me paraît globalement bien vu. On peut relever qu’il y a un peu quelque chose du même ordre au regard des citations filmiques, cette fois – quantité de films gores généralement plutôt rigolos (dont Brain Dead, de manière appuyée), ce qui fait sens au regard de la question fatidique du ridicule et du terrifiant, sur laquelle je reviendrai. Mais le film ne comprend pas que de la musique de stock – il y a une partie « bande vraiment originale », confiée figurez-vous à Sigur Rós ! Maintenant, là encore, même si plutôt exceptionnellement je crois, le film commet quelques fautes de goût à cet égard : j’adore ce morceau, mais, honnêtement, les gens, je crois qu’il faut arrêter de jouer « The Host of Seraphim » de Dead Can Dance dans des films, maintenant…

 

Reste un dernier point – et finalement peut-être le plus problématique en ce qui me concerne : les scènes de meurtre – et celle du suicide de Dead. Elles sont… très bizarres. Notamment en ce que des personnages pissant le sang (c’est assez graphique, avis aux âmes sensibles) après avoir été lardés de coups de couteaux sont encore en état de se mouvoir, de parler même… Ouais, ça fait un effet assez bizarre. Notamment pour ce qui est du meurtre d'Euronymous, en fait, qui négocie en saignant... Maintenant, je ne suis pas un médecin, je ne sais pas comment ça se passe « en vrai » ; et en même temps je me souviens du Rideau déchiré d’Hitchcock, et de cette scène de meurtre délibérément interminable visant à montrer aux spectateurs qu’il n’est pas si facile que cela de tuer quelqu’un… Et, oui, il semblerait que l’acharné Dead a bel et bien trouvé le moyen de se faire sauter le caisson au fusil de chasse après s’être ouvert les bras et même s’être égorgé…

 

Le truc… C’est que je ne sais pas si ces scènes (enfin, seulement celles de meurtre, pour le coup) sont avant tout horribles ou ridicules.

 

...

 

Et je me dis en l'écrivant que, d'une certaine manière...

 

C'est le truc avec cette histoire, au fond. Le moment où ce qui est ridicule (la séquence de l'interview est à se pisser dessus, et Varg Vikernes n’en sort pas exactement grandi) devient terrifiant. Et, en même temps, tout cela ne peut se produire qu’à la condition que les protagonistes soient avant tout… humains. Ce qu’ils sont bel et bien. Des gamins qui se prennent trop au sérieux sans doute, mais cela fait partie de leur humanité. Jusque dans le crime.

 

Parce que l’humanité n’est pas toujours belle – si seulement elle l’est parfois (allez, je suppose que oui, rarement, mais oui, parfois – rappelez-vous, hein, je ne suis pas un VRAI…).

 

Quoi qu’il en soit, avec des défauts marqués çà et là, des partis-pris qui convaincront ou répugneront, Lords of Chaos m’a plutôt fait l’effet d’une réussite. Je n’en ferais certainement pas un chef-d’œuvre, un film à voir à tout prix, ou que sais-je, il n’est rien de tout cela. Et je comprendrais très bien qu'on le déteste – et pour des raisons diamétralement opposées, le cas échéant : parce qu’on aime trop Mayhem ou le black metal pour ça, ou parce qu’on n’y connaît absolument rien et qu’on trouve tout cela seulement navrant – ou pour bien d’autres raisons encore, tenant à la réalisation, aux acteurs, que sais-je.

 

Mais, oui, pour ma part, j’ai plutôt bien aimé. Et, sérieux, ça n’était vraiment pas gagné d’avance.

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Le Journal de Tosa

Publié le par Nébal

Le Journal de Tosa

Le Journal de Tosa, suivi de Poèmes du Kokin-shû, [Tosa nikki 土佐日記], traduit du japonais et présenté par René Sieffert, Lagrasse, Publications Orientalistes de France – Verdier, [935, 1993] 2018, 73 p.

Une fois n’est pas coutume, je vais vous entretenir d’un texte qui, tout grand classique de la littérature japonaise qu’il soit (et là je parle vraiment de littérature du Japon ancien, vers 935), s’avère extrêmement bref : dans ce petit volume très aéré, il tient en une trentaine de pages seulement. Qu’importe : je vous ai déjà fait part, et à plusieurs reprises, de mon adoration des Notes de l’ermitage de Kamo no Chômei, qui sont probablement plus brèves encore…

 

Et je trouve Le Journal de Tosa fascinant – simplement, cette fois, je ne suis pas certain qu’il produira le même effet sur tous ? Le petit opuscule de Kamo no Chômei a d’une certaine manière quelque chose d’universel, potentiellement du moins – mais Le Journal de Tosa ne peut probablement être pleinement apprécié qu’à la condition cette fois impérative de le replacer dans son contexte. Cela ne signifie certainement pas que le contexte fait tout – mais je crois qu’en avoir au moins un aperçu est nécessaire pour savourer pleinement la beauté, l’élégance, la tristesse, l’audace, l’astuce de ce bref texte – et sa saveur poétique. Et, notamment, il faut avoir au moins une idée de son importance pas seulement historique et littéraire mais… linguistique ? Je ne suis certainement pas le plus calé dans ces matières, cela dit. Mais je vais tenter le coup, en espérant ne pas trop écrire de bêtises...

 

Et, d’abord, quelques mots sur l’auteur. Son nom n’apparaît pas sur la couverture, pour quelque raison que ce soit, mais nous savons sans l’ombre d’un doute qu’il s’agit de Ki no Tsurayuki (ca. 872-ca. 945), un bonhomme assez fascinant et c’est peu dire. Au Japon, il est considéré sans l’ombre d’un doute comme étant le plus grand poète de son temps – et un des plus grands poètes de toute l’histoire du Japon.

 

Mais son importance en matière de poésie ne réside pas seulement dans sa production personnelle, par ailleurs pléthorique. En effet, jeune homme encore, il a été désigné par l’empereur pour superviser la compilation de la première anthologie impériale officielle de la poésie japonaise, le Kokin Wakashû, ou Kokinshû. Si le Man.yôshû, antérieur, avait pour lui d’exprimer les vertus d’une poésie japonaise davantage « primitive » et formellement variée, et si d’autres anthologies impériales suivront, sur lesquelles travailleront d’autres poètes illustres comme Teika, le Kokinshû est souvent considéré, et encore aujourd’hui, comme l’expression la plus pure de la poésie japonaise classique.

 

Mais Ki no Tsurayuki ne s’est pas contenté de compiler des poèmes. D’une part… eh bien, il figure lui-même dans le Kokinshû – en fait, avec 105 poèmes retenus, il est le poète le plus cité dans l’anthologie qu’il a lui-même compilée ! On n’est jamais mieux servi que par soi-même ? À moins que les responsables ne soient les autres compilateurs…

 

Mais il y a plus : d’autre part, en effet, Ki no Tsurayuki a également livré une préface au Kokinshû – et, aussi brillante soit sa poésie, cet essai est probablement plus important encore au plan historique. Vu de loin, c’est une dissertation sur l’esthétique poétique, savante et compétente, mais ce n’est pas là ce qui fait la valeur du texte – c’est qu’il a par ailleurs une dimension qu’on pourrait être tenté, de nos jours, de qualifier de « militante » (et René Sieffert, dans sa brève présentation, avance que ce texte a probablement suscité un certain « scandale », ajoutant que Ki no Tsurayuki avait nécessairement en cette affaire le soutien préalable de l’empereur, si déterminer qui se trouvait à l’origine de cette initiative n’est peut-être pas aussi assuré).

 

En effet, Ki no Tsurayuki y fait l’éloge de la poésie japonaise, mais aussi de la langue japonaise. Et, allant plus loin encore, il fait cet éloge en employant une écriture spécifiquement japonaise : les kana.

 

Ici, un petit rappel s’impose peut-être, pour mémoire et sans rentrer dans les détails. Adonc, premier point : les langues chinoise et japonaise n’ont rien de commun, et n’appartiennent pas le moins du monde à la même famille, elles sont aussi différentes que le français et le japonais le sont. Cependant, l’écriture chinoise a été progressivement importée au Japon, assez tardivement – le problème est qu’elle ne permet en fait pas d’écrire le japonais : parce que la phonologie n’a rien à voir, la grammaire est on ne peut plus différente, etc. Les lettrés japonais se sont escrimés pendant des siècles pour contourner cette difficulté, avec des expérimentations plus ou moins couronnées de succès, comme le Kojiki (on le présente souvent comme « le premier livre de la littérature japonaise », mais il était en fait peu ou prou illisible, et ne sera véritablement redécouvert et sublimé que bien plus tard, vers notre XVIIIe siècle) ou le Man.yôshû – l’idée étant de recourir à certains caractères, non en tant qu’idéogrammes, mais en tant que phonogrammes, ce qui est indispensable pour le japonais. Et, au fur et à mesure, on développera ainsi au Japon les kana (hiragana et katakana), qui sont des syllabaires purement phonétiques, dérivés des idéogrammes, ou kanji, mais sous une forme simplifiée.

 

On peut écrire le japonais intégralement en kana – ils ne sont indispensables que pour la grammaire, en gros, mais là n’est pas la question. Seulement, si c’était possible, ça n’était pas ce que l’on faisait pour autant – ne serait-ce que parce que l’écriture chinoise, mais aussi la langue chinoise, bénéficiaient d’un statut de « prestige », toutes choses égales par ailleurs comparable au latin dans la France médiévale (avec tout de même une nuance importante, d’ordre politique : le Japon n’a jamais été soumis à la Chine). Kana ou pas, le chinois demeurait la langue de l’administration, largement dérivée dans son principe même du modèle chinois, mais c’était aussi une langue de la littérature.

 

Le cas de la poésie est cependant plus ambigu. Les poètes japonais devaient être en mesure de composer des « poèmes chinois », ou kanshi, et Ki no Tsurayuki lui-même en avait composé de nombreux. Maintenant, la tradition des « poèmes japonais », ou waka, les poèmes du Yamato, était ancienne et s’était maintenue : le Kokinshû compile bien des waka – et ils sont rédigés en kana, une solution autrement pratique que les expérimentations complexes du Man.yôshû. Mais on considérait par principe que tout ce qui ne relevait pas des waka à proprement parler – en y incluant donc le paratexte de pareille anthologie – devait être rédigé en chinois, en kanbun, et il ne pouvait pas en être autrement.

 

Le fait pour Ki no Tsurayuki d’écrire sa préface en kana avait donc quelque chose de révolutionnaire, qu’on ne pèse peut-être pas très bien aujourd’hui, a fortiori en France – mais le contenu de la préface y était lié : pour Ki no Tsurayuki, l’admiration pour la culture chinoise, la langue chinoise, la poésie chinoise, aussi fondée soit-elle, ne devait pas contraindre les Japonais à juger leur propre culture, leur propre langue, leur propre poésie, comme étant d’essence inférieure – la poésie japonaise peut être aussi raffinée et sensible que la poésie chinoise, elle peut même l’être davantage ; et la langue et l’écriture japonaise (entendre : les kana) sont parfaitement en mesure d’exprimer la sensibilité poétique, et, en l’espèce, du fait de leur caractère pratique et cohérent, bien mieux qu’un chinois d’importation tant bien que mal bricolé.

 

Mais ces questions liées au Kokinshû ont d’autres implications – qui nous amènent au Journal de Tosa : oui, j’y arrive enfin ! Mais, honnêtement, je crois ces longs développements préalables indispensables…

 

Kana ou pas, préface du Kokinshû ou pas, le chinois demeurait la langue de l’administration – et donc des hommes (nous parlons bien sûr de la très haute société, hein…). Ils rédigeaient notamment en chinois des « journaux », ou nikki, qui n’avaient pas spécialement de valeur littéraire, leur contenu était essentiellement pratique. Et les femmes ? Exclues de l’administration, elles n’avaient pas à maîtriser les complexes kanbun… On ne les leur enseignait donc pas – et, semble-t-il, cela allait au-delà, il était interdit pour elle de les apprendre (on rapporte parfois une anecdote, dont je ne garantis pas l’authenticité, selon laquelle la grande Murasaki Shikibu avait appris les kanbun en assistant en secret aux leçons données à ses frères, je crois…). Pas d'idéogrammes chinois pour les femmes, donc ; mais libre à elles de s’amuser avec les kana, si ça leur chantait !

 

On en a parfois dérivé l’image d’une société dans laquelle il y avait une « langue des hommes » et une « langue des femmes » (au passage, il y a de ça, ou il y avait encore tout récemment de ça, dans la langue japonaise contemporaine, mais ce sont d’autres aspects de la langue qui sont concernés que ceux que j’évoque dans cette chronique) ; c’est peut-être un peu exagéré… mais, de fait, on désignait alors parfois les kana comme étant onna moji, « l’écriture des femmes » (l'écriture masculine, en kanji, étant otoko moji). Et cette dichotomie aura bien des conséquences notables : là encore, ou plus encore, la formule est peut-être un peu excessive, mais on a parfois dit qu’à l'apogée de l'époque de Heian, tout particulièrement au regard de la prose, les hommes faisaient de la mauvaise littérature en mauvais chinois, et les femmes de l’excellente littérature en excellent japonais. Et de fait, si le cas de la poésie est donc un peu à part, les grandes gloires littéraires de l’apogée de l’époque de Heian, vers l’an mil, sont toutes des femmes : Murasaki Shikibu, donc, mais aussi Sei Shônagon, Izumi Shikibu, l’autrice anonyme du Journal de Sarashina

 

Mais nous avons sauté une étape, déterminante – et c’est Le Journal de Tosa. Ki no Tsurayuki, s’il était un grand poète et brillait de mille feux du temps de la compilation du Kokinshû, avait ensuite eu une carrière administrative passablement médiocre. Il avait fini par être nommé gouverneur de la (pauvre) province de Tosa, sur l’île de Shikoku – ce qui ressemblait tout de même pas mal à une mise au placard. Il y a séjourné plusieurs années, et y a été très affecté par le décès précoce de sa fille. En l’an 935, il est rappelé à la capitale, Heian (l’actuelle Kyôto) ; le voyage de retour, en bateau, durera… cinquante-cinq jours : la distance est somme toute assez courte, mais c’est que la mer est dangereuse, les tempêtes fréquentes, la piraterie endémique – on se montre donc extrêmement prudent, on a recours au cabotage, et on ne se risque à prendre le large que si les conditions sont parfaitement idéales. Au fond, ce voyage n’a donc absolument rien d’une odyssée, et, pour dire les choses, il respire l’ennui...

 

Ki no Tsurayuki, cependant, a envie de raconter son voyage ; car il y a bien des choses à en dire, malgré tout. Seulement voilà : il est un homme – en tant qu’homme, et membre de l'administration impériale, il lui faudrait recourir aux kanbun… C’est ainsi, après tout, que l’on devait rédiger ces ennuyeux nikki. Mais il n’en a aucune envie : il veut écrire ce « journal » à sa façon – en japonais, en kana.

 

Et il a donc recours à un stratagème : il se fait passer pour une femme – car, pour une femme, l’emploi des kana est non seulement légitime, mais c’est en fait la seule possibilité. Le récit s’ouvre donc sur ces mots (p. 15) : « Ce que font les hommes et qu’ils appellent "journal", une femme va tenter de le faire à sa façon. »

 

Mais ce stratagème a quelque chose de plus ambigu, « l’imposture » va au-delà : Ki no Tsurayuki ne se fait pas passer pour n’importe quelle femme, mais pour une servante… de Ki no Tsurayuki – il ne se désigne jamais ainsi, mais, qu’importe si le texte a circulé sans nom d’auteur, peu de temps après le voyage en lui-même, ses lecteurs n’éprouvaient certes aucune difficulté à identifier ce gouverneur qui rentrait de Tosa… Et, à vrai dire, Le Journal de Tosa étant abondant en waka brillants, avec peut-être une certaine patte caractéristique, il ne faisait absolument aucun doute pour les lecteurs d’alors que « l’autrice » était Ki no Tsurayuki lui-même.

 

« L’imposture » était donc très relative – mais de manière délibérée ; et là on est clairement confronté, pour partie du moins, à un procédé littéraire de romancier, je le crois, qui peut avoir un certain caractère ironique. Et je suis tenté de mettre en regard de l’incipit… eh bien, la dernière phrase du Journal de Tosa (p. 46) : « De toute manière, je ne vais pas tarder à détruire ces griffonnages. » Un ultime pieux mensonge, dont la littérature connaîtra bien des avatars…

 

Le choix d’endosser le rôle d’une femme a donc mille implications, littéraires aussi bien que prosaïques. Mais cet artifice a une autre fonction essentielle dans Le Journal de Tosa, qui est moins flagrante, mais a probablement son importance. Ki no Tsurayuki, donc, avait été très affecté par la mort de sa fille pendant son séjour à Tosa. Le voyage retour à Heian la lui rappelle sans cesse, et il veut en témoigner ; cependant, un homme tel que lui était supposé conserver une certaine réserve dans l’expression de son chagrin – les sentiments sont très utiles à la poésie, et on ne compte pas les poèmes galants où tant d’hommes dévastés par le chagrin amoureux mouillent leurs manches, mais, en dehors des particularismes de l’activité poétique, les femmes sont plus libres d’exprimer leur douleur. La servante qui est supposée prendre la plume témoigne donc du digne chagrin de Ki no Tsurayuki, mais, en tant que femme, elle peut se permettre d’exprimer son propre chagrin d’une manière plus vibrante.

 

Et tout cela aura son importance sur la suite des événements. Très vite, Le Journal de Tosa sera lu et admiré – et il suscitera à terme des émules… à ceci près qu’ils seront cette fois véritablement écrits par des femmes ! En fait, le nikki deviendra un des genres les plus florissants de la littérature de Heian – et, en mettant un peu à part Le Journal de Tosa du fait de son statut particulier à plus d’un titre, nous pouvons en citer notamment trois exemples particulièrement célèbres, Le Journal de Sarashina (d’une autrice anonyme – pour ce que j’en ai lu, le plus beau, le plus touchant des nikki), Le Journal de Murasaki Shikibu, l'autrice du Dit du Genji, et Le Journal d’Izumi Shikibu (tous trois figurent dans le recueil Journaux des dames de cour du Japon ancien, traduit de l’anglais cependant – les deux premiers se trouvent séparément chez Verdier, dans une traduction du japonais de René Sieffert). Et si les fabuleuses Notes de chevet de Sei Shônagon ne relèvent pas techniquement du nikki (on parle plutôt de zuihitsu), elles puisent pour partie dans les mêmes thèmes et les mêmes modèles.

 

Mais il y a éventuellement un autre aspect à prendre en compte, plus généralement, et c’est que, même si la forme du Tosa nikki mêle constamment prose et poésie, à la manière de ce que l’on appellera ultérieurement les uta monogatari (comme par exemple les Contes d’Ise ou Le Dit de Heichû), il n’en reste pas moins que le récit en prose y revêt une importance bien supérieure – et peut-être était-ce pour le coup déterminant, de sorte à paver la voie pour les grandes œuvres en prose qui suivraient, et au premier chef le roman-fleuve de Murasaki Shikibu, Le Dit du Genji.

 

À peu près à la même époque que Le Journal de Tosa commence par ailleurs à circuler le Taketori monogatari, ou Conte du coupeur de bambou (également connu sous le nom de Conte de la princesse Kaguya, titre de son adaptation en dessin animé par Takahata Isao), qui est considéré comme étant « le texte narratif japonais le plus ancien » (formulation à prendre avec quelques pincettes, j’imagine). À vue de nez, on ne sait pas avec certitude quel texte a précédé l’autre, mais peut-être faut-il en déduire tout bonnement qu’il y avait quelque chose dans l’air du temps…

 

Maintenant, Le Journal de Tosa, si c’est bien un récit, est donc perpétuellement entrelacé de poèmes – tous des tanka, le poème court classique (obéissant à une structure rythmique 5-7-5/7-7). Ki no Tsurayuki est probablement l’auteur de la majorité sinon de tous, mais, là aussi, il profite de son procédé littéraire pour contextualiser les poèmes et leur donner une saveur et une signification supplémentaires.

 

De fait, tout au long des cinquante-cinq jours que dure le voyage de Tosa à Heian, avec ces très longues escales décrétées par le pilote, toujours à l’affût de l’évolution du vent et de la pluie, les passagers s’ennuient à mourir. Ils ont donc recours à tous les moyens qui leur sont disponibles pour se distraire – et la poésie est probablement le principal d’entre eux. En fait, Le Journal de Tosa exprime bien, à sa manière un peu ambiguë, combien la création poétique était centrale dans la vie d’alors (et pas seulement des aristocrates ?) : tout le monde y compose des poèmes – les hommes comme les femmes, les hauts gradés de l’administration comme les marins, les vieillards et jusqu’aux enfants.

 

Cela ne signifie pas que tous ces poèmes sont bons – et Ki no Tsurayuki, joueur peut-être ? pointe plus qu’à son tour sous son déguisement d’humble servante, quand elle se livre à des critiques parfois acerbes des vers des autres… qui pourraient donc très bien être les siens. Les figures plates sont impitoyablement dénoncées comme telles – mais les efforts sont relevés, et la narratrice n’est pas la dernière à louer les charmants waka, un peu naïfs, de tel gamin qui contemple la mer… Et certains sujets touchent plus particulièrement – au premier chef, bien sûr, tout ce qui renvoie au douloureux deuil de Ki no Tsurayuki.

 

Et c’est ainsi que ce long voyage – bien trop long –, cette anti-odyssée placée sous le signe de l’ennui et de la lassitude, acquiert une certaine beauté, souvent mélancolique, qui lui est propre. Ou peut-être n’est-ce pas tout à fait le mot ? Car il y a peut-être là quelque chose de plus essentiel, que d’aucuns plus tard considéreraient comme révélateur d’une certaine « âme japonaise », une sensibilité au temps qui passe, à l’éphémère, au caractère fuyant et impermanent du monde – ce que, bien plus tard, au XVIIIe siècle, l’érudit Motoori Norinaga étudiant Le Dit du Genji qualifierait de mono no aware… Il faut se méfier de ces discours essentialistes, mais la poignante évocation de l’enfant trop tôt partie produit bien des sentiments de cet ordre – tout spécialement quand les personnages, retrouvant tel lieu qu’ils avaient fréquenté bien des années plus tôt en compagnie de la petite fille, ont le cœur serré par le constat implacable de son absence.

 

Cette édition se conclut sur une sélection de poèmes du Kokinshû ; la formulation est un peu ambiguë, mais je suppose qu’il s’agit bien de poèmes de Ki no Tsurayuki lui-même.

 

C’est peut-être d’ailleurs l’occasion de relever que, passé la présentation de René Sieffert, et un très bref lexique en fin de volume, cette édition, comme toujours dans ces volumes de littérature japonaise classique repris chez Verdier, est autrement dépourvue de notes, etc. – je le regrette un peu parfois…

 

Le traducteur, par ailleurs, a sans surprise recours à son procédé habituel en la matière, dont j’ai donné bien d’autres exemples sur ce blog, et sa plume a donc quelque chose de délibérément archaïsant – c’est généralement très beau, mais peut-être parfois un peu forcé ? Et certains poèmes en deviennent peut-être un peu obscurs à l’occasion…

 

Quoi qu’il en soit, ces poèmes, classés par thèmes (d’abord les saisons, mais ensuite des choses comme « Séparation », « Amours », « Élégies », etc.), et parfois introduits par une brève phrase de contextualisation, donnent un aperçu séduisant de la poésie japonaise classique sublimée dans le Kokinshû. On pourrait y relever bien des belles pièces, par exemple celle-ci (p. 53) :

 

Fleurs de cerisier

Du vent qui les dispersa

Je garde regret

Et des vagues qu’il dressa

Dans un ciel dépourvu d’eau

 

Un complément de choix pour le très bref Journal de Tosa à proprement parler.

 

Voilà – je me suis étendu sur le contexte, trop peut-être, mais Le Journal de Tosa me paraît un exemple typique de ces œuvres qui peuvent certes séduire de prime abord et pour elles-mêmes, mais qui séduisent bien davantage, bien plus profondément, quand on les replace dans leur contexte historique et littéraire. Un point de vue très discutable, j'en suis conscient…

 

Quoi qu’il en soit, ce texte me fascine et me parle – toujours un peu plus à chaque relecture (oui, tiens, je ne l’avais pas mentionné, ça, mais j’avais déjà lu ce texte à plusieurs reprises, dans une tout autre traduction, dans l’anthologie Mille Ans de littérature japonaise), ce en quoi je pourrais être tenté de l’associer aux Notes de l’ermitage de Kamo no Chômei, même si ces dernières constituent une de mes œuvres littéraires favorites de manière générale, que je place tout au sommet. Mais, toutes choses égales par ailleurs, Le Journal de Tosa est un grand texte – aussi important qu’il est beau.

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Blame! Deluxe, t. 2, de Tsutomu Nihei

Publié le par Nébal

Blame! Deluxe, t. 2, de Tsutomu Nihei

NIHEI Tsutomu, Blame! Deluxe, t. 2, [Buramu! ブラム!], traduction [du japonais par] Yohan Leclerc, Grenoble, Glénat, coll. Seinen Manga, [1998-2003, 2015] 2019, 373 p.

Retour à Blame!, le manga culte de Nihei Tsutomu, dans sa récente réédition « Deluxe » chez Glénat – avec ce grand format si appréciable pour s’immerger totalement dans les planches virtuoses dépeignant la Mégastructure. Plus précisément avec le tome 2 (sur six prévus), sachant que le tome 3 sortira en principe dans une dizaine de jours.

 

Le premier volume m’avait collé une sacrée baffe – en même temps qu’il m’avait déstabilisé, ce qui, généralement, est plutôt une bonne chose. Le dessin tout en effet d’échelles, la narration mutique, l’absence de scènes d’exposition de quelque ordre que ce soit, tout cela contribuait à rendre ce tome 1 passablement cryptique – et une deuxième lecture s’était avérée précieuse pour ordonner un peu tout ça.

 

Ce trait caractéristique demeure dans le tome 2, mais sur un mode un chouia atténué : l’environnement comme le périple de Killee sont toujours plutôt obscurs, ou hermétiques, mais, avec la longue mise en place du premier tome, certains aspects, sans certes devenir limpides pour autant, sont désormais au moins vaguement de l’ordre du compréhensible.

 

Je suppose que cela doit beaucoup à ce que ce tome 2 est beaucoup moins elliptique que le premier. En effet, là où celui-ci consistait essentiellement en séquences juxtaposées sans vrai liant, avec des rencontres de passage qui ne se prolongeaient pas outre-mesure, une narration plus construite se dégage désormais, notamment du fait que Killee n’arpente plus seul les niveaux interminables de la Mégastructure : à la fin du premier volume, en effet, Killee a fait la rencontre de Shibo, une scientifique au passé un peu trouble (forcément) : le périple n’est dès lors plus solitaire, car les deux personnages voyagent désormais ensemble – et, si Killee demeure essentiellement taciturne, le simple fait d’avoir une compagne de voyage implique davantage de dialogues. La narration mutique du premier volume persiste dans les grandes lignes, mais sur un mode donc un tantinet atténué (les phylactères me paraissent à vue de nez au moins deux fois plus nombreux que dans le tome 1, qui était particulièrement extrême à cet égard). Et un troisième personnage les rejoint bientôt, Sanhakan, qui a ici un rôle de premier plan – et contribue largement, là encore, à faire basculer le récit, de la SF crasseuse et angoissante, à l’horreur pure et simple. Par ailleurs, et c’est lié, ce tome 2 commencera à dévoiler quelques éléments concernant la nature de Killee lui-même, ou son passé.

 

Et, enfin, les communautés rencontrées par les voyageurs ne sont plus nécessairement évacuées dans le sang et les explosions sitôt apparues. Killee et ses compagnes rencontrent ainsi un « village » dont les habitants sont de petite taille, et qui survivent tant bien que mal à proximité d’un immense chantier qui a pour eux quelque chose d’un mystère d’essence religieux. C’est que ces humains (?) ont oublié beaucoup de choses : ils ne savent plus fabriquer les redoutables armes qu’ils utilisent pour leur défense, des sortes de harpons, et ils ne savent pas lire les idéogrammes qui apparaissent çà et là à proximité des Industries : Shibo, elle, en est parfaitement capable, ce qui chamboule la vie de la communauté. On s’en doute cependant : cette révélation aura son coût, et l’utopie tant souhaitée, avec ses mystères, réclamera son lot de cadavres…

 

Mais cela tient aussi à ce que les conflits endémiques à la Mégastructure deviennent un tout petit peu moins hermétiques – car le tome 2 se montre ici plus formel, disons, que le tome 1. Deux factions (au moins – il y en a probablement une troisième) s’opposent en effet – de toute éternité ? Il y a, d’une part, l’Agence Gouvernementale, qui est intimement liée à la mystérieuse Netsphère – elle entend contenir la croissance folle de la Mégastructure, mais à besoin pour cela d’humains se connectant à la Netsphère en disposant des gènes adéquats – ce qui ne se produit tout simplement plus depuis longtemps à ce stade ; l’Agence gouvernementale est ainsi liée à la quête de Killee, à la poursuite de gènes d’accès réseau. Le problème, c’est que l’absence de ces gènes favorise la prolifération des Contre-Mesures attachées à la perpétuation de la Mégastructure et de sa croissance folle ; les objectifs des deux factions s’avèrent donc radicalement antagonistes, et irréconciliables ; or les humains sont pris entre les deux feux… ainsi que nos voyageurs.

 

Les Contre-Mesures sont clairement du côté de l'horreur. Pour autant, je crois que cette opposition fondamentale ne devrait peut-être pas être lue au prisme de l’eschatologie – les choses sont plus complexes que cela, et nos héros seront le meilleur vecteur de cette prise de conscience. Par ailleurs, la vie au sein de la Mégastructure n’est pas entièrement dépendante de cet affrontement, et, peut-être surtout, le développement de la Ville, via les Contre-Mesures mais aussi, de manière plus éloquente, via les titanesques Bâtisseurs (décidément très shoggoths en ce qui me concerne), le développement de la Ville donc ne saurait véritablement être envisagé selon une lecture d’ordre morale : c’est bel et bien toujours l’absurde qui domine, et il serait trop réducteur, je crois, de l’envisager sous un jour unilatéralement négatif, quand bien même il constitue à n’en pas douter un moteur essentiel du malaise, de l’angoisse, voire de l’horreur, qui suintent littéralement de ces pages.

 

J’imagine que certains lecteurs pourraient regretter que Nihei Tsutomu, dans ce tome 2, « explicite » un peu plus aussi bien son univers que ses personnages – une opinion qui se tiendrait parfaitement : l’abstraction absurde et elliptique du premier tome en constituait probablement une force, même si une deuxième lecture pouvait être dans l’ordre des choses pour vraiment apprécier ce que nous racontait l’auteur. Cependant, je crois quant à moi que Nihei a su « doser » ses révélations, tout en conservant l’ambiance hermétique du premier volume, et a ainsi atteint une forme d’équilibre que je trouve appréciable.

 

Mais, bien sûr, ce tome 2 de Blame! brille probablement surtout, ou en tout cas de manière plus immédiatement saisissante, par son graphisme tout bonnement exceptionnel. La Mégastructure est toujours aussi bluffante dans sa démesure, d’autant que les Industries mystérieuses que tentent d’explorer les personnages permettent d’en rajouter une couche, là encore dans les effets d’échelle, mais aussi d’autres manières, par exemple en jouant sur la gravité – et on pense plus que jamais à Escher. Mais il faut aussi prendre en compte ces créatures toutes plus étranges que les autres, dont la nature biomécanique renvoie plus que jamais à Giger outre Mœbius (et à Clive Barker en prose – avec aussi un peu de Lovecraft, décidément). La démesure est là aussi de la partie, qui produit des planches hallucinées et hallucinantes, que le grand format de cette réédition « Deluxe » sublime de manière très appréciable.

 

Les combats sont toujours très présents, mais, là encore, je crois que Nihei Tsutomu est parvenu à une forme d’équilibre dans ce tome 2 – d’autant qu’ils me paraissent un peu plus lisibles, à vrai dire. Le cadrage, dans ces séquences d’action, est toujours aussi génial, et la dynamique davantage palpable à mes yeux. L’auteur succombe peut-être parfois à quelques gimmicks (on ne compte pas les cases où Killee est emporté par le recul de son arme), mais le résultat est de toute beauté, et véritablement fascinant.

 

Ce deuxième tome, même sur un mode un peu différent, s’avère donc à la hauteur du premier – au moins. Je me suis régalé à sa lecture, et j’ai presque autant apprécié, à vrai dire, d’y revenir après coup en l’envisageant cette fois comme un artbook. Hâte donc de passer à la suite, avec le troisième tome, très bientôt.

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L'Autre Côté, de Léo Henry

Publié le par Nébal

L'Autre Côté, de Léo Henry

HENRY (Léo), L’Autre Côté, Paris, Payot & Rivages, 2019, 118 p.

L’Autre Côté est un (très) court roman de Léo Henry, et d’aucuns diraient, à vue de nez du moins, sa première publication dans une collection de « littérature générale » affichée comme telle (en vérité, ça se discute). Mais le le titre serait alors particulièrement adéquat, hein ? À tout prendre, peut-être surtout dans la mesure où, placement éditorial ou pas, il donnerait au public de « blanche » un aperçu de ce qui peut se passer dans les collections « de genre » ? Car ce livre relève bien de l'imaginaire, s'il renvoie à des drames très réels. Ceci étant, situer Léo Henry et ses ouvrages, romans et recueils de nouvelles, en solo ou en collaboration, dans une taxonomie parfaitement sûre d’elle, bien calibrée, avec des jolis traits bien noirs et bien droits pour séparer des registres impossibles à concilier, serait très probablement absurde (tout récemment encore, Hildegarde semble en avoir témoigné – et, bordel, depuis le temps, il faut que je le lise).

 

Et d’une certaine manière c’est peut-être de cela dont témoigne avant tout L’Autre Côté : Rivages ou pas, cette novella (disons) résonne avec des œuvres antérieures de l’auteur, et Kok Tepa, la ville qui comme toutes les villes ou presque s’arroge le titre de « plus vieille ville du monde », pourrait évoquer sans peine Yirminadingrad ou éventuellement, je suppose, Point-du-Jour (même si je n’avais rien panné à cette dernière, aheum). Ceci d’autant que L’Autre Côté traite d’un thème bien particulier, renvoyant sans ambiguïté à la crise des migrants, et ces thématiques de l’exil, du déracinement, etc., étaient déjà, de manière très flagrante, au cœur de Tadjélé, et je crois même qu’il y en avait déjà quelque chose à l’occasion dans Yama Loka Terminus et Bara Yogoï (et je crois que Point du Jour pourrait aussi intégrer cette liste ?). « Autre Côté » ou pas, Léo Henry demeure Léo Henry – ça ne signifie pas qu’il radote, certainement pas (lui dont la production est notoirement très diverse), plutôt qu’il approfondit quelque chose, et l’intègre en même temps toujours un peu plus, en demeurant lui-même. Il y a quelque chose d’un peu familier, presque intime, dans cette novella, oui – mais pas redondant. Un peu, disons, comme dans l’œuvre d’Antoine Volodine, à laquelle renvoient les récits autour de Yirminadingrad.

 

Et, de Yirminadingrad à Kok Tepa, la distance n’est peut-être pas si grande ? Et pourtant infranchissable – c’est bien le propos. En tout cas, vouloir situer Kok Tepa sur une carte terrestre serait une entreprise vaine – et si elle suscite des réminiscences chez le lecteur, celles-ci ne sont pas toujours mutuellement compatibles. Qu’importe.

 

Kok Tepa est une théocratie : de toute éternité, du moins à ce qu’ils prétendent, et cela suffit à forger le réel, Kok Tepa est dirigée par des moines, qui disposeraient du secret de l’immortalité. Mais Kok Tepa connaît aussi un système de castes, peut-être pas le plus rigide, mais bien assez pour étouffer toutes les velléités d’ascension ou même simplement de mixité sociales.

 

Ceci dit, on se débrouille – ainsi Rostam, notre « héros », le passeur. Car il y a des gens à faire passer : Kok Tepa est sous le coup d’une terrible épidémie, et les moines gardent jalousement pour eux seuls les antidotes à même d’y mettre un terme. Et Kok Tepa est enfermée derrière un épais cordon sanitaire : l’Outre-Mer par essence lointain et même utopique, un Autre Côté plus concret mais donc probablement pas le seul, n’a aucune intention d’accueillir toute la misère du monde (ding !), et délègue à des cités-États qui sont autant d’États-tampons la tâche de contenir les citoyens de Kok Tepa fuyant la mort. C’est là qu’interviennent des gens comme Rostam – qui assurent à leurs clients désespérés les moyens de quitter Kok Tepa et de rallier l’Outre-Mer ; contre une rémunération conséquente, bien sûr – mais comment pourrait-elle être trop élevée quand il s’agit de s’assurer ainsi la perpétuation de la vie même ?

 

Mais voilà : Türabeg, la fille de Rostam, tombe malade – de la maladie. Et Rostam découvre subitement que sa fortune, ou ses relations, ne lui sont d’aucune utilité en l’espèce – il demeure d’une caste inférieure, et enfermé dans Kok Tepa. Le passeur est bientôt contraint de passer lui aussi… et découvre ainsi l’envers du décor.

 

Ici, la quatrième de couverture… m’a fait un peu peur. Ça arrive, hein… C’est qu’elle qualifie en dernier ressort L’Autre Côté comme « un roman poignant sur l’exil et le déracinement » (OK), et « sur l’amour infini d’un père prêt à briser les règles et braver tous les obstacles ». Oh… Serait-ce donc un avatar méta-post-transfictionnel-truc de, je sais pas, mettons Jamais sans ma fille ? Avec des violons qui dégoulinent, et… Tom Hanks dans le rôle principal… Nan, plutôt Liam Neeson. Ou Mel Gibson. Takatak-boum (violons).

 

 

Pardon.

 

Mais ne vous en faites pas : L’Autre Côté, ça n’est pas du tout ça. Ou du moins je n’en ai vraiment pas eu le sentiment. Parce que, SPOILERS si jamais c'est pertinent ici, c’est une histoire qui empile avant tout échecs et déconvenues, prises de conscience bien tardives et ultimes pulsions autodestructrices. C’est une histoire où tout se passe mal – et comment cela pourrait-il se passer autrement ? Et c’est une histoire qui finit mal – parce qu’elle ne pouvait pas finir bien. Ce que l'on sait depuis le début, le serpent se mord nécessairement la queue.

 

Rostam n’est pas un héros. Est-il un connard, en tant que passeur ? Probablement d’abord un type un peu naïf alors qu’il se croyait très malin – il affichait sa confiance envers ses « subordonnés », et découvre bien tardivement que ça n’était pas exactement fondé ; éventuellement parce qu’il se voilait la face, plus probablement parce qu’il ne ressentait aucunement le besoin de se renseigner à cet égard. Naïf au mieux, donc – mais d’une naïveté parfois criminelle. Et aussi un peu trop mou, un peu trop terne – passé les copinages dorés auprès de l’élite monacale de Kok Tepa et des ambassades d’Outre-Mer, qui ne lui sont d’aucune utilité en dernier ressort. Sa femme Hadda est autrement active, autrement déterminée, véritablement prête à tout pour sauver Türabeg. Rostam, lui… est « à côté », disons – sempiternellement « à côté ». Comme un dépressif tout au fond du fond du seau, atone, apathique – et quand, après mille déconvenues, mille brimades, mille tragédies, etc., Rostam se lance enfin dans l’ultime traversée, l’objectif affiché de retrouver sa femme et sa fille (et dans quelles circonstances ils se sont retrouvés séparés...) ne convainc pas plus que cela, et on a bien plutôt le sentiment d’un passage à l’acte suicidaire (à supposer qu'il y ait une différence).

 

Pour autant, il constitue un point de vue des plus pertinent pour aborder la terrible réalité de l’enfer vécu par les migrants – et ceux qui tentent de fuir Kok Tepa pour l’Outre-Mer réveillent forcément des images de ceux qui quittent l’Afrique ou le Moyen-Orient pour l’Europe, ou l’Amérique latine pour les États-Unis. Or Rostam est tout à la fois la victime de ces horreurs, et, en raison de son statut initial, un symptôme sinon une cause. Sa tendance à se voiler la face, sans même pour l’heure envisager son activité de « passeur » dans ce qu’elle a de plus tragiquement concret, interpelle le lecteur – elle le confronte à ses propres tendances à simplement refuser de se poser certaines questions, pour se réfugier, si l’on ose dire, dans une ignorance par essence confortable… mais pas moins précaire, peut-être.

 

Et c’est là que L’Autre Côté se montre très fort, je trouve. Les premières pages de la novella, à Kok Tepa, se lisent très bien, mais ne chamboulent pas vraiment – un roman poursuivi jusqu’à son terme de la sorte aurait été une lecture agréable (si l’on ose dire, avec un sujet pareil), mais peut-être un peu médiocre. En revanche, quand Rostam se retrouve confronté à la réalité des mouvements de migrants, et tout spécialement quand sa famille se dissout, le roman touche bien davantage, mais précisément parce que Rostam n’est pas un héros, et parce que Léo Henry ne fait pas non plus péter les violons. C’est ici que le roman serre les tripes, ou les défonce au travers d’un vicieux coup de poing dans le bide, en mettant en scène un très douloureux sentiment d’impuissance – sans véritable appel. On tente bien des gestes, mais...

 

Et, pour y parvenir, le roman se fonde sur une plume parfaitement adéquate. Léo Henry sait écrire – je ne vous apprends rien. Je ne vous apprendrai rien non plus en relevant qu’il est porté aux expérimentations stylistiques, qui peuvent parfois rendre certains de ses textes un peu obscurs (et ce d’autant plus quand le fond est aussi de la partie, comme de juste – oui, Point du Jour, voilà…). L’Autre Côté est cependant d’un abord plus direct – le style parle immédiatement, d’autant qu’il fonctionne un peu à l’économie, ce dont le format même du livre est une autre illustration. Il en résulte une plume parfois un peu brute, délibérément, et pourtant pas sans mélodie – une poésie, même, se dégage de ces phrases arides en apparence, et qui du coup les transcende ; l’effet est remarquable, d’autant que c’est là aussi un moyen très bienvenu d’éviter de sombrer dans le pathos – car le sujet pouvait le laisser craindre, a fortiori tel que présenté sur la quatrième de couverture, donc.

 

Par contre, quand le même argumentaire fait état d’un roman « poignant »… Eh bien, oui. L’Autre Côté est un roman poignant – parce que c’est un roman juste. À lire, donc.

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Peleliu, Guernica of Paradise, vol. 3, de Kazuyoshi Takeda

Publié le par Nébal

Peleliu, Guernica of Paradise, vol. 3, de Kazuyoshi Takeda

TAKEDA Kazuyoshi, Peleliu, Guernica of Paradise, vol. 3, [Peleliu – Rakuen no Guernica ペリリュー~楽園のゲルニカ~], avec le concours de M. Masao Hiratsuka, traduction [du japonais par] Satoko Fujimoto, [s.l.], Vega, coll. Seinen, [2017] 2019, [208 p.]

Troisième tome de Peleliu, Guernica of Paradise, le manga de guerre de Takeda Kazuyoshi, qui narre les horreurs de la bataille de Peleliu, durant la guerre du Pacifique, en employant un trait enfantin caractéristique, naïf et « super-deformed », qui pourtant n’atténue en rien la violence et l’horreur des événements, l’absurdité scandaleuse de cette boucherie au cours de laquelle le haut commandement japonais a sacrifié des milliers de ses soldats de réserve en ayant parfaitement conscience que la bataille ne pouvait en aucun cas être gagnée.

 

Quand ce tome 3 débute, cela fait bien longtemps que la bataille a commencé – et s’agit-il à vrai dire encore d’une bataille ? Les soldats japonais qui survivent tant bien que mal, par petits groupes, dans les complexes réseaux de grottes de l’île, ne sont pas ravitaillés – cela vaut pour les armes comme pour les vivres ou les médicaments. Vers la fin du volume, un rapport du quartier général fait état de ce que les soldats supposés assurer sa défense ne disposent plus que de pistolets et de vingt balles… Dès lors, dans ce troisième tome, nous ne voyons en fait jamais, sauf erreur, les soldats japonais faire usage de leurs armes contre leurs adversaires américains ; en fait, de manière assez caractéristique, nous ne les voyons vraiment sortir leurs armes que contre eux-mêmes – parce qu’ils se disputent entre eux de la nourriture, notamment, ou parce qu’ils se suicident, en fin de compte.

 

Nous voyons en revanche les soldats américains tirer au canon, à la mitrailleuse ou au lance-flammes sur les soldats japonais – mais on aurait bien tort d’en dériver une lecture manichéenne ou quoi que ce soit du genre : le propos n’est tout simplement pas là. En fait, si le soldat Tamaru et ses camarades sont horrifiés de découvrir que des soldats américains ont mutilé des cadavres japonais pour leur dérober leurs dents en or, ce qui va dans le sens de la propagande impériale qui présente les Américains comme des barbares cruels et sans honneur (un moyen de dissuader les soldats nippons de se rendre à l’ennemi – un parmi tant d’autres, en fait, mais la question est abordée à plusieurs reprises dans ce tome 3, s’il s’agit toujours de conclure à l’impossibilité de ce geste), mais ils découvrent presque immédiatement ensuite des cadavres de soldats américains mutilés par des soldats japonais – qui leur ont tranché la bite et la leur ont enfoncée dans la bouche… L’horreur exprimée (en anglais) par les soldats américains devant ce spectacle répugnant vaut bien celle de Tamaru devant le cadavre japonais dont on a agrandi le sourire...

 

Et ce qui terrifie le plus Tamaru dans cette histoire, au fond, c’est peut-être la prise de conscience que lui-même, le gentil garçon un peu gauche, timide, incapable de faire du mal à une mouche, pourrait se transformer en une brute de cet ordre – la faim, tout spécialement, pourrait lui faire perdre la tête. Jusqu’à présent, il a eu « de la chance », si l’on ose dire, en trouvant régulièrement de quoi boire et de quoi manger – mais il sait parfaitement que cela ne durera pas éternellement, et il a croisé sur son chemin nombre de soldats japonais paniqués, des jeunots qui n’ont jamais connu le feu et qui ne savent absolument pas quoi faire. La possession d’un sac de riz génère l’envie, parfois l’agressivité ; même avec des larmes dans les yeux, on peut menacer son camarade pour l’en délester – on peut même l’attaquer. Et il y a aussi ces personnages plus cyniques, comme surtout le caporal-chef Kosugi, qui survit seul depuis le début de la bataille – il n’est pas à un stratagème près pour prolonger encore cette situation, ne ressent rien pour les autres soldats japonais, et n’hésiterait pas un seul instant à les sacrifier.

 

Mais, à terme, la mort est une certitude – et les soldats japonais, quand ils ne se préoccupent pas de trouver quelque chose à manger, se préoccupent de mourir « de la bonne manière », de sorte que leur famille touche une pension ; ils y reviennent sans cesse, et on a l’impression, à ce stade, qu’ils veulent mourir, pour que les leurs touchent cette dérisoire compensation (un thème qui me renvoie, d’une certaine manière, à l’essai Morts pour l’Empereur de Takahashi Tetsuya). Une situation absurde, qui justifie la mise en scène de tant de morts absurdes, comme dans les deux premiers tomes.

 

L’absurdité de la situation, à vrai dire, frappe de plein fouet Tamaru dans cette scène particulièrement éprouvante au cours de laquelle, retournant dans la vaste grotte où il s’était longtemps réfugié en compagnie de nombreux autres soldats japonais, il découvre qu’elle a été prise d’assaut et qu’il n’y reste absolument rien : ce qui n’a pas « disparu » a brûlé, et cela inclut notamment ces lettres mensongères qu’il avait rédigées en tant qu’attaché au mérite…

 

Tamaru, à son niveau de soldat de première classe, est ainsi bien placé pour entrevoir l’absurdité révoltante de la propagande impériale – s’il n’est certainement pas en mesure de se rebeller : c’est tout bonnement impensable. Mais le QG de Peleliu est dans la même situation : il savait pertinemment que la bataille était perdue d’avance, mais cela fait alors des semaines que les soldats japonais se font massacrer sans être le moins du monde ravitaillés, en armes, en vivres, en médicaments… Depuis quelque temps déjà, le QG réclamait aux autorités impériales l'autorisation de procéder à un « honorable effacement ». Mais le commandement impérial ne veut pas en entendre parler : oui, tous les soldats japonais de Peleliu mourront – mais ils doivent retarder cette mort aussi longtemps que possible : le bon soldat de Sa Majesté Impériale souffre sans se plaindre. En compensation, parfaitement dérisoire, le contingent de Peleliu reçoit les « Félicitations Impériales », un honneur recherché – mais que ces félicitations soient adressées onze fois aux soldats de Peleliu, un nombre record, en dit en fait long sur ce qui se passe sur cette île des Philippines…

 

Quand ce troisième tome s’achève, cependant, le nom de code a été lâché : « Sakura, sakura », soit la fleur de cerisier, symbole traditionnel du Japon, la fleur qui n’est jamais aussi belle que quand elle meurt, et dont le caractère éphémère même contribue à la beauté… Et se dessine dès lors une autre horreur : celle d’un contingent bientôt contraint de marcher de lui-même vers sa propre mort… à vrai dire envisagée comme une délivrance par beaucoup ; mais le sera-t-elle toujours, au moment d'accomplir véritablement le geste fatidique ?

 

La lecture de ce troisième tome est au moins aussi éprouvante que celle des deux premiers. En fait de manga de guerre, c’est l’antithèse de la soupe que le sujet militaire suscite bien trop souvent, notamment dans un certain cinéma américain : Peleliu ne parle pas, jamais, d’héroïsme – car il n’y a rien d’héroïque dans tout cela ; il ne sort jamais les flonflons patriotiques, parce que le dévouement à la patrie y est présenté pour l’horrible et irrationnelle imposture qu’il est toujours.

 

Mais cela ne signifie pas que l’émotion en est absente, sur d’autres modes – dépressifs, dérisoires, drôles mais absurdement. Le dessin de Takeda Kazuyoshi y participe, d’ailleurs – pas aussi simple qu’il en a l’air, et certainement pas simpliste : l’épuisement moral de Tamaru découvrant la grotte ravagée au lance-flammes a de quoi vous serrer le cœur.

 

Mais, en une occasion, le propos se fait un tout petit peu plus léger – quand les soldats égarés découvrent que Tamaru est un dessinateur (lui-même, à ce stade, s’est rendu compte qu’il arrivait au bout de son carnet, et cette perspective l’abat presque aussi sûrement qu’une balle américaine, ou la faim lui brûlant le ventre), et lui demandent de leur faire des dessins… de femmes. Nues. Blanches, blondes… Un camarade, pourtant, lui demande un autre dessin : celui de son père décédé, de sa mère, de sa sœur à la constitution fragile ; ses photos sont passées, elles sont en train de disparaître – le dessin de Tamaru contribuera à préserver leur image…

 

Et c’est bien entendu ce que fait le manga de Takeda Kazuyoshi. Ce troisième tome de Peleliu, Guernica of Paradise est à la hauteur des deux premiers : terrible, poignant, révoltant, déprimant.

 

Juste.

 

Nécessaire.

 

À suivre, donc.

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Noir sur blanc, de Tanizaki Jun'ichirô

Publié le par Nébal

Noir sur blanc, de Tanizaki Jun'ichirô

TANIZAKI Jun’ichirô, Noir sur blanc, [Kokubyaku 黒白], roman traduit du japonais par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré, Arles, Philippe Picquier, [1928] 2018, 251 p.

Tanizaki a beau être un des grands écrivains japonais les plus assidûment traduits en français (notamment au travers de deux gros volumes de la Bibliothèque de la Pléiade), son œuvre est si pléthorique (et diverse) qu’elle réserve encore quelques surprises, ainsi de ce Noir sur blanc présenté comme un roman « inédit ». Plus précisément, ce roman, publié en feuilleton au Japon en 1928, n’avait jamais été édité en volume, ou seulement tardivement dans le cadre des œuvres complètes de Tanizaki (j’ai trouvé les deux versions sur le web, et ne saurais trancher). En tout cas, il n’avait jamais été traduit – mais il est paru début 2018 en anglais sous le titre In Black and White, puis dans la même année en français, chez Philippe Picquier, sous ce titre de Noir sur blanc (qui biaise peut-être un peu l’interprétation – le titre anglais est a priori plus fidèle à l’original), dans une traduction à quatre mains de Ryoko Sekiguchi et Patrick Honnoré (l’éditeur ayant aussi publié dans ces eaux-là une nouvelle traduction du fameux Éloge de l’ombre sous le titre Louange de l’ombre).

 

On aurait sans doute bien tort, à ce compte-là, d’en déduire que ce roman serait un fond de tiroir – ce n’est probablement pas un des titres majeurs de Tanizaki (comme La Clef, mettons ?), mais il n’est pas moins de qualité et tout à fait enthousiasmant. Cette même année 1928, certes, le prolifique auteur livre d’autres textes qui font un peu d’ombre à celui-ci, comme Le Goût des orties ou Svastika – mais Noir sur blanc se singularise de par son registre, étant une sorte de roman policier, et en même temps, s’il faut employer cette expression, de méta-roman policier, ou méta-roman tout court. À vrai dire, la référence à l’année 1928, pour le coup, m’incite, à tort ou à raison, à mettre en avant une œuvre qui n’est pas de Tanizaki, mais à laquelle Noir sur blanc m’a beaucoup fait penser : le court roman policier/méta-policier La Proie et l’ombre, d’Edogawa Ranpo, paru cette année précisément (mais je ne saurais dire si l’un a précédé l’autre). Durant ces années 1920, le genre policer à l’occidentale, à l’école d’Edgar Allan Poe, d’Arthur Conan Doyle, de Gaston Leroux, etc., rencontre un certain succès au Japon, mais il me paraît intéressant de noter combien ces auteurs, et d’autres sans doute (Kyûsaku Yumeno, peut-être ?), s’attachent d’emblée à décortiquer le registre pour en extraire une sève bien particulière, l’art interrogeant l’art, sans jamais cependant oublier de livrer un divertissement efficace, souvent calibré pour le feuilleton. En tout cas, dans La Proie et l’ombre comme dans Noir sur blanc, des auteurs de romans policiers sont au cœur de l’intrigue, qui renvoient de manière très ludique aux auteurs qui les mettent en scène, et se confrontent à la réalité sordide du crime, tout en y cherchant des soubassements théoriques d’essence diabolique, au travers de mécaniques narratives d’une complexité confinant à l’absurde. À vrai dire, le rapprochement entre ces deux textes doit aussi beaucoup à la perversité caractéristique des deux auteurs et/ou de leurs œuvres, dans des registres pas toujours si éloignés, étrangement ou pas : de fait, Tanizaki se projette dans son « héros » comme Edogawa le fait avec le sien (ou peut-être plus encore son antagoniste ?) dans La Proie et l’ombre, et Noir sur blanc s’étend non sans délices sur la réputation « démoniaque » de l’auteur-personnage, une réputation qui doit beaucoup à celle de l’auteur tout court, qui s’amuse bien…

 

L’auteur-personnage, c’est Mizuno – et il a tout d’un médiocre un peu vain. Il enchaîne les feuilletons pour une revue littéraire de seconde catégorie, qui le paye une misère – la critique s’est lassée de ses écrits tous semblables, dans lesquels il se complaît à se mettre en scène, lui et les rares personnes qu’il fréquente (au premier chef sa femme – enfin, son ex-femme, qu'il assassine en prose livre après livre...), en soulignant d’un trait grossier son immoralité ou son nihilisme. Tous les écrivains, sans doute, puisent dans leur vécu, mais la barrière est au-delà du poreux avec Mizuno – dans un contexte littéraire japonais où « l’autobiographie », ou l’autofiction, disons le « roman du moi » (watakushi shôsetsu) était en vogue (voyez par exemple, plus tardif certes, La Déchéance d’un homme, de Dazai Osamu – mais aussi, contemporains cette fois de Tanizaki, certains textes d’Akutagawa Ryûnosuke dans La Vie d’un idiot et autres nouvelles ; il semblerait que les deux auteurs et amis aient débattu de la question, Tanizaki se montrant plutôt hostile à cette approche de la littérature ? Je vous renvoie à cet article…). Bien sûr, cette question se redouble d’une certaine manière, en ce que Mizuno doit de toute évidence beaucoup à Tanizaki lui-même…

 

Mizuno, donc, s’inspire de gens qu’il connaît – et, dans son dernier chef-d’œuvre, Jusqu’au meurtre, il a jeté son dévolu sur Kojima, un médiocre qui le vaut bien, journaleux essentiellement associé à la presse féminine et fricotant pour cette raison avec le monde de l’édition. Fainéant, l’auteur ne maquille qu’à peine le nom de son modèle, Kojima devenant Kodama dans son roman. Et le démoniaque Mizuno se délecte du triste sort qu’il inflige à son personnage (via son propre personnage d'écrivain) ; il reporte tout naturellement cette destinée tragique sur son modèle, dont il n’a pas exactement une image très flatteuse (pp. 17-19) :

 

Pour dire les choses franchement, si le personnage de l’écrivain du roman choisissait Kodama pour victime sans y mettre aucune implication personnelle, ce n’était pas en revanche sans une certaine animosité que Mizuno avait choisi Kojima pour modèle. Certes, un type avec « une tête à se faire assassiner », ça n’existait pas, on ne pouvait pas dire ça d’un seul individu dans le monde entier, mais si cela avait été, eh bien, Kojima aurait assez bien correspondu à la description. Depuis quelque temps, ce genre de fulgurance lui venait parfois. Évidemment, la gravité d’un crime ne dépend pas de la personnalité de la victime. Mais, toute pensée rationnelle mise à part, s’il fallait en tuer un, eh bien oui, sans doute celui-ci plutôt que celui-là… ou bien, si un type dans son genre se faisait assassiner, eh bien, ma foi, cela ne serait pas si grave… Voilà ce qu’il en venait à se dire. Comme au théâtre, dans la scène avec Mitsugi, le sabreur en série, lorsque se pointe un type en simple kimono de coton qui se fait d’emblée couper en deux par le tueur, pour la seule raison qu’il a croisé sa route. À tous les coups, ce genre de personnage est un maigrichon à la peau mate, au physique ingrat, visage et corps affligeants, bref, ce n’est pas gentil à dire, mais le genre de type, tu souffles dessus, il s’envole. La dignité d’un insecte. Mizuno lui-même n’avait rien d’un bel homme, il était malingre et chétif. À l’époque où il fréquentait le salon de thé Kadoebi, après plusieurs jours sans décoincer, quand il traînait jusqu’à midi assis devant le brasero de la grande salle, la tête prise dans la gueule de bois de la veille, il se disait à lui-même : « Si maintenant entre un type qui a perdu la tête comme Mitsugi et fait un carnage, je figurerai parmi les morts qui se prendront un coup de sabre sans même l’avoir cherché. » Voilà, en un mot, Kojima, c’était ce genre-là. Dès la première fois qu’il l’avait rencontré, quand il était venu le voir avec Suzuki, vraisemblablement, oui, dès le premier rendez-vous, à peine avaient-ils échangé quelques mots que cela lui était venu à l’esprit : « Pauvre type… » Il y a des visages sans intérêt qu’on oublie généralement une heure ou deux après les avoir quittés. Mais Kojima, c’était pire que ça, c’était un visage tellement insignifiant qu’il s’était au contraire imprimé dans son souvenir. Il ignorait de quelle région il était originaire, en tout cas il n’était pas de Tokyo. Vous ne trouverez pas de Tokyoïtes avec un visage aussi plat et aussi mièvre. De complexion, il aurait pu être carrément noir, cela aurait mieux valu que ce teint vaguement bistre comme le cuir d’une vieille godasse. Un nez bas, une lumière étique dans les yeux, une face sans le moindre relief ni la moindre dynamique, comme si elle n’était que bajoues, et en même temps un maniérisme affecté dans les moindres détails. Bref, autant dire que ce n’était pas seulement son teint, c’était dans son ensemble que son visage ressemblait à une vieille chaussure. Et avec ça, une voix opaque, sèche, dénuée de charme, mâchant les mots de façon incompréhensible. On entendait une voix, mais quand on le regardait, les mouvements de sa bouche ne correspondaient pas, bref, une chaussure qui parle, il n’y a pas d’autre mot.

 

Seulement voilà : Mizuno réalise un peu tard qu’emporté par ses futiles fantasmes homicides, il a, dans ses derniers feuillets, régulièrement appelé son personnage Kojima et non Kodama – et, la revue étant ce qu’elle est, ces coquilles sont passées sous le nez du correcteur, et il est trop tard pour y changer quoi que ce soit. Dès lors, les lecteurs ne manqueront pas de reconnaître le modèle qui a inspiré Mizuno, c’est certain… Et l’auteur, qui se délectait initialement de son génie et de sa philosophie meurtrière transcendée par cette idée d’un assassinat sans mobile, parfaitement gratuit (il peut faire penser à cet égard aux jeunes gens de La Corde d’Alfred Hitchcock), en vient à craindre que son inattention ne lui joue un bien mauvais tour. Appliquant à « la vraie vie » les mécaniques narratives au cœur de son métier, il développe progressivement un délire paranoïaque forcené dans lequel Kojima sera bel et bien assassiné, dans des circonstances proches de celles décrites dans son roman, et ceci à seule fin de lui faire porter le blâme du crime ! Et c’est bien de paranoïa qu’il s’agit – un fantasme égocentré, dans lequel le monde entier conspire contre l’auteur, qui se révèle plus que jamais, dans ces instances, pour le médiocre qu’il est. Pour se prémunir de ce genre d’accusations, Mizuno décide d’une certaine manière de jouer le jeu à fond : il entame la rédaction d’une suite à Jusqu’au meurtre, intitulée, attention, Jusqu’à ce que l’auteur de Jusqu’au meurtre meure – autrement dit, Mizuno se lance dans l’écriture d’un méta-roman sur la base de son propre roman (qui avait déjà quelque chose d'un méta-roman), ceci dans le méta-roman écrit par Tanizaki qui les englobe tous (ouch) ; et il pousse en même temps le jeu de l’autofiction jusqu’à ses extrêmes, dans une mécanique cependant de feuilleton. Mais, non, Mizuno n’est pas paranoïaque, voyons : le monde conspire bel et bien contre lui ! Et c’est comme chez Pratchett : le narrativium implique que les pires craintes de Mizuno ne manqueront pas de s’avérer fondées et de se réaliser sans qu’il ne puisse rien y faire… encore qu’un certain masochisme particulièrement morbide soit probablement de la partie.

 

D’ici-là, cependant, nous suivons Mizuno dans ses vaines tentatives d’assurer sa défense, et avons plus qu’un aperçu de son quotidien d’écrivain. Paresseux et panier percé, Mizuno se livre à mille stratagèmes, à peu près aussi délirants que sa conviction de ce que Kojima sera assassiné et qu’on le lui reprochera, afin de soutirer à son éditeur quelques yens – de quoi voir venir, ou simplement survivre… Mais la revue le connaît bien, et a adopté une politique personnalisée le concernant : plus d’avances ! On paye les feuillets livrés, et au poids ! Or Mizuno n’avance pas suffisamment vite… Son imagination délirante le paralyse, d’une certaine manière. Sa ruse puérile lui permet bel et bien d’extorquer quelques yens,  en y consacrant beaucoup d'efforts (bien plus qu'il n'en fait pour écrire son livre), mais au prix de sa surveillance poussée par Nakazawa, un jeunot de la rédaction (une situation éminemment paranoïaque là encore).

 

Mizuno s’en défait pourtant… et, parce qu’il n’a visiblement rien de mieux à faire, s’empresse de boire cette avance, ou surtout d’en dédier la majeure partie à l’acquisition des charmes d’une jeune femme dont il ne connaît même pas le nom – va pour « Fräulein Hindenburg », cette moga archétypale est intarissable sur ses expériences en Allemagne. Des jeux érotiques assaisonnés de mystère font tourner la tête à Mizuno, qui conclut un pacte avec ce fantasme fait chair – et, oui, vous vous en doutez, d’une manière ou d’une autre elle fait partie du complot…

 

Noir sur blanc, décidément pas un fond de tiroir, joue dès lors sur plusieurs tableaux – mais, au premier chef, il m’a surtout fait l’effet d’être très drôle ! Ou en tout cas très joueur… De fait, le délire paranoïaque de Mizuno, s’il est bavard, est véritablement hilarant – ceci alors même qu’il n’y a au fond pas forcément de quoi en rire (et je devrais bien m’en rendre compte) ; en fait, la situation est assez terrible… et pourtant drôle – jusque dans cette conclusion étonnamment brutale, et qui achève le roman sur une scène de Grand-Guignol.

 

En même temps, Tanizaki s’amuse visiblement beaucoup à mettre en scène son personnage dans des situations cocasses, et, oui, toujours à la limite de l’absurde. Les tractations monétaires avec l’éditeur ou plus encore Nakazawa, sentent à vrai dire le vécu ! Et le personnage de Mizuno est toujours plus risible – même si, à terme, il apparaît plus navrant que véritablement drôle… Il faut dire qu’il a tout pour qu’on aime le détester, de la fatuité à l’indolence, ses prétentions artistico-philosophiques s’accordant mal avec son quotidien on ne peut plus terre à terre. Et pourtant, il suscite en même temps une forme de sympathie pleinement complice, si j’ose employer ce terme – tout spécialement dans sa futilité caractéristique.

 

Ses rapports avec « Fräulein Hindenburg » jouent peut-être dans une autre catégorie ? C’est à débattre. Mais ces scènes ne manquent pas de force pour autant, et Tanizaki, sans vraie surprise pour le coup, y déploie son talent habituel pour l’érotisme délicatement subverti par quelque chose de toujours un peu vicieux…

 

En fait, à tous ces égards, et en y associant le caractère fondamentalement ludique du roman, en même temps que la manière dont il décortique le genre, Noir sur blanc m’a parfois fait penser à un autre roman de Tanizaki, l’Histoire secrète du sire de Musashi. Il ne brille probablement pas autant par la forme, cela dit : Noir sur blanc m’a fait l’effet d’un roman assez « direct », pour le coup – et qui est comme de juste parfaitement adapté au propos. On n’y trouvera donc pas spécialement de ces descriptions virtuoses qui, tout récemment encore, m’avaient foutu par terre à la lecture du Pied de Fumiko, mettons.

 

Mais la saveur du roman est indéniable – et son astuce délicieuse. Noir sur blanc est un livre drôle et malin, un policier et un regard sur le policier, en même temps qu’un tableau ludique en forme d’exutoire du quotidien d’un écrivain, qui aime à se moquer de lui-même et de son monde, de son métier et de son art, non sans une certaine satisfaction masochiste, pas exempte d’ailleurs d’autres perversions joueuses qui imprègnent délicieusement chaque page. Pas un fond de tiroir, décidément – pas un des chefs-d’œuvre de Tanizaki non plus, mais une lecture qui vaut bien le détour : l’auteur s’y amuse au moins autant que le lecteur, et cette complicité constitue à sa manière la plus enthousiasmante des récompenses.

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CR Barbarians of Lemuria : La Tour d'Ajhaskar (02)

Publié le par Nébal

CR Barbarians of Lemuria : La Tour d'Ajhaskar (02)

Deuxième séance du scénario « La Tour d’Ajhaskar », pour Barbarians of Lemuria. Il est dû à Vincent Basset, et figure dans le supplément Chroniques lémuriennes, pp. 76-101. Le compte rendu de la première séance se trouve ici.

 

L’illustration en tête d’article provient de ce scénario (p. 87), et est due (forcément) à Emmanuel Roudier.

 

Il y avait six joueurs, qui avaient déjà participé aux premiers scénarios, à savoir « Mariage amer », « Les Larmes de Jouvence » et « Un ennui mortel ». Ils incarnaient Kalev, originaire des marais de Festrel (Batelier 1 – Mendiant 0 – Voleur 1 – Ménestrel 2) ; Liu Jun-Mi, un Ghataï d’ascendance xi lu (Barbare 0 – Mercenaire 1 – Dresseur 1 – Gladiateur 2) ; Myrkhan, originaire de Tyrus (Gamin des rues 1 – Chasseur 3 – Forgeron 0 – Soldat archer 1) ; Narjeva, originaire d’Urceb (Esclave 0 – Courtisane 1 – Assassin 2 – Prêtresse de Nemmereth 3) ; Nepuul Qomrax, originaire de Zalut (Scribe 2 – Alchimiste 4 – Marchand 0 – Médecin 1) ; et enfin Redhart Finken, de Parsool (Docker 0 – Matelot 1 – Mercenaire 3 – Marchand 1).

 

Voici le compte rendu de cette séance, sur la base des notes de Maître Nepuul Qomrax :

 

La cave (suite)

 

L’aventure reprend en plein combat contre un xolth, toujours vivant malgré la blessure importante que lui a infligée Redhart. La créature s'avère étonnamment résistante, notamment aux attaques à distance, et pourrait bien engloutir tout le groupe sans sourciller, en commençant par Redhart, toujours au corps-à-corps. Liu tente d'amadouer l'animal et le repousse à l'aide d'une torche qu'il a récupérée près de la noria. Maintenant qu'il y repense, Nepuul le crie à ses camarades : les xolths ont peur du feu. Quelques coups bien placés de Narjeva, Myrkhan et Kalev finissent le travail commencé par Redhart, et le xolth disparaît au fond de l'étang souterrain.

 

Maintenant que la tension est redescendue d'un cran, les aventuriers s'intéressent de plus près à la noria actionnée par le squelette, qui se passe régulièrement la main sur le front et semble accomplir cette tâche depuis des années, voire des décennies ; Narjeva croit déceler dans son attitude une certaine souffrance, bien qu'il ne réagisse à aucune interpellation. La prêtresse de Nemmereth s'approche encore davantage, et formule une prière pour le repos de cette âme suppliciée, dont l'effet ne se fait pas attendre : le squelette s'éparpille au sol, et la noria s'arrête.

 

Le groupe remonte au rez-de-chaussée et, après un court échange avec les serviteurs terrifiés, se dirige vers le premier étage, où est supposé se terrer le démon Krulak.

 

Le premier étage

 

L'exploration de l'étage ressemble à celle du rez-de-chaussée : aucun mouvement n'est perceptible depuis la première chambre. L'éclairage, sans doute magique, est diffusé par des torches, qui ne semblent jamais se consumer, et par des sphères rocheuses suspendues au plafond. Redhart ouvre la marche dans un couloir en enfilade qui dessert plusieurs pièces : une chambre utilisée récemment, où Kalev remarque des manuscrits étranges couverts de ce que Nepuul peut identifier comme des runes démoniques (mais le sens de l'ensemble lui échappe ; il s'agit d'interpolations, comme pour un code peut-être) ; et la bibliothèque attenante, remarquablement bien rangée, dans laquelle un singe cornu sirote tranquillement un verre de vin. Il se retourne, et, apercevant les aventuriers, tombe à la renverse et pousse un cri strident : « Interdiiit ! »

 

Le cri vrille les tympans de Narjeva, qui s’écroule au sol, la tête entre les mains. Ce n'est pas tout, puisque Krulak, d'un simple mouvement des mains, se démultiplie : ce sont désormais six copies parfaitement identiques du démon qui s'apprêtent à se jeter sur le groupe. Kalev et Myrkhan blessent grièvement les plus proches de leurs traits acérés ; Narjeva s'est ressaisie, mais elle est aux prises avec deux ennemis qui la griffent avec férocité et lui infligent de profondes blessures ; Redhart est également touché, mais Liu, souple comme une anguille, parvient à éviter leurs attaques. Myrkhan transperce deux singes d'une seule flèche, tuant le premier, qui se dissout en une sorte de fumée qui se dirige vers le fond de la bibliothèque. Redhart en tue un second, qui s'évapore dans la même direction, tout comme le troisième, achevé d'un coup de rapière par Narjeva. Nepuul et Liu ont remarqué ces étranges fumées : l'alchimiste interpelle ses camarades pour le leur signaler ; tandis que Liu et Redhart s'occupent des deux singes restants, Narjeva se dirige vers le point de convergence des fumées. Redhart pourfend le dernier exemplaire de Krulak, qui s'évapore comme les autres. Immédiatement après le combat, les aventuriers identifient la destination de ces fumées : une statuette d'obsidienne à l'effigie de Krulak, que Redhart parvient à briser à l'aide d'un marteau et d'un burin. Il prend une partie des miettes, et en donne l'autre moitié à Nepuul, qui enferme les fragments dans une fiole hermétique. Le scribe profite de ce répit pour soigner les blessés. Remis d'aplomb, le groupe peut reprendre son exploration.

 

La chambre attenante à la bibliothèque, plus luxueuse, semble être celle d'Ajhaskar. Les lieux ont été fouillés récemment, ou leur propriétaire a dû les quitter précipitamment. Explorant à nouveau la bibliothèque, Nepuul découvre, sur un lutrin, une copie inestimable d'une partie du fameux Codex d'Yggdar : la page ouverte relate l'histoire d'un vieux Roi-Sorcier du nom de Shrinazor Shamaaraz, qui était l'un des plus célèbres, et qui, peu avant la chute de ses congénères, s'était constitué, dit-on, un repaire secret, dont la situation exacte demeure inconnue, même s’il vivait dans la région qui est aujourd'hui celle de Lysor. Nepuul ne peut laisser un tel trésor derrière lui : il convainc Myrkhan de lui prêter son sac, et y glisse le livre précieux. Encouragé par ce larcin, Myrkhan vole des bourses d'or dans la chambre du sorcier... Après la visite d'une magnifique serre, le groupe se dirige, par l'escalier de service, vers le deuxième étage.

 

Le deuxième étage

 

Le second étage est occupé par un grand laboratoire évoquant à la fois la magie et l'alchimie. Deux cadavres de pigeons décapités, dans un coin de la pièce, dégagent une légère odeur de putréfaction. Nepuul identifie des potions d'une grande valeur, et récupère quelques flacons ; Kalev peut également évaluer l'immense richesse de ce lieu. Redhart et Nepuul s'approchent d'un miroir posé contre un mur, au-dessus duquel des runes, identiques à celles que l'alchimiste avait identifiées dans la chambre de Robos, peuvent être déplacées. Redhart et Nepuul, avec prudence, examinent la glace, qui reflète leur image, et diffuse de lointains chants d'oiseaux ; à l'arrière-plan, on peut distinguer la forme d'un bâtiment. Les aventuriers se disputent pour savoir qui va toucher la surface du miroir ; tous se tournent vers Nepuul, persuadés qu'il est capable de déchiffrer les runes ou d'identifier le sortilège à l’œuvre. L'alchimiste a beau leur répéter qu'en tant que scientifique, il ne comprend rien à ce galimatias, rien n'y fait ; agacé, il finit par avancer la main vers la glace... et disparaît de l'autre côté. Ses camarades hésitent, mais finissent par le suivre, un par un, sauf Myrkhan, qui n'ose franchir le pas, et reste seul dans le laboratoire du sorcier… avant de se résoudre à suivre malgré tout ses compagnons.

 

De l'autre côté du miroir

 

Nepuul est au sommet d'un bâtiment de marbre blanc, d'une réalisation exquise, comme il n'en a jamais vu. Mais ce qui le frappe le plus, c'est qu'il se trouve dans une vallée, en pleine nuit, alors qu'il faisait jour à Lysor, et que la lune, pleine, semble anormalement proche. Seraient-ce les montagnes de l'Axos ?

 

Ses compagnons s'émerveillent de même devant la magnificence du palais : il faudrait des centaines d'ouvriers exceptionnels, sur une durée correspondant à plusieurs vies humaines, pour réaliser une telle prouesse architecturale. Derrière eux se trouve un miroir identique à celui d'Ajhaskar, mais il semble infranchissable. Myrkhan décide d'explorer les alentours immédiats : on discerne du mouvement dans un village proche, et des sculptures et des escaliers de marbre environnent les aventuriers de toutes parts. Le palais semble inhabité, quelques échafaudages suggèrent que son édification se poursuit depuis des siècles, dans l'attente de son occupant. Narjeva examine une frise : elle reconnaît un Roi-Sorcier (sans doute le fameux Shrinazor Shamaaraz, pense aussitôt Nepuul), adoré par une foule d’humains, mais y apparaît également un démon ailé aux traits féminins.

 

Les six compagnons descendent dans la vallée, et se dirigent vers le village…

 

Et voici la vidéo de ce compte rendu :

J'ai utilisé, en guise d'illustration sonore, diverses musiques dont je n'ai comme de juste pas les droits, qui demeurent à leurs propriétaires respectifs. Durant cette séance, j’ai eu recours au morceau de Lustmord « Aldebaran of the Hyades » (sur l’album The Place Where the Black Stars Hang), au morceau « bassAliens » de Sunn O))) sur l’album White2, et aux bandes originales des jeux vidéo The Elder Scrolls V : Skyrim et Darkest Dungeon. Comme d’habitude, j’ai réservé l’immortelle bande originale de Conan le Barbare de John Milius par Basil Poledouris pour la préparation de la partie et son debrief…

 

Voici enfin l’enregistrement de cette séance :

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Adventures in Middle-Earth : Bree-Land Region Guide

Publié le par Nébal

Adventures in Middle-Earth : Bree-Land Region Guide

Adventures in Middle-Earth : Bree-Land Region Guide, Sophisticated Games – Cubicle 7, 2018, 128 p.

BREE ET ALENTOURS

 

Et j’en arrive sauf erreur au dernier supplément publié (pour l’heure) dans la gamme d’Adventures in Middle-Earth ; c’est en même temps le premier supplément (de contexte et de scénarios) de cette gamme que je lis sans avoir lu au préalable sa première itération dans la gamme de L’Anneau Unique – qui existe bel et bien, sous le nom plus lapidaire de Bree (mais ce supplément n’a pas été traduit en français).

 

Bree ?!

 

Bree.

 

On avouera que c’est un choix un peu étonnant, que de consacrer un supplément de contexte à Bree et à ses alentours immédiats (incluant en fait essentiellement les trois autres villages d’Archet, Combe et Staddle). La région couverte est infiniment plus resserrée que dans les deux précédents Region Guides de la gamme, à savoir le Rhovanion Region Guide, qui couvrait toutes les Terres Sauvages à l’est des Monts Brumeux, et le Rivendell Region Guide, lequel portait sur l’Eriador oriental. En fait, le Bree-Land Region Guide est intimement lié à ce dernier, qu’il prolonge un chouia vers l’ouest, pour s’arrêter un peu avant les limites de la Comté – sans s’étendre cependant sur les environnements les plus spécifiques qui se trouvent entre les deux, on repassera notamment pour ce qui est de la Vieille Forêt (et ça je le regrette quand même un peu).

 

Ce lien avec le Rivendell Region Guide peut d’ailleurs éventuellement se redoubler d’un autre avec Eriador Adventures, le recueil de scénarios qui en dérivait, dans la mesure où le Bree-Land Region Guide, plutôt que de se scinder en deux suppléments, un de contexte et un de scénarios, comme il était d’usage autrement dans la gamme, comprend trois aventures destinées à des personnages de bas niveau (1 à 5), qui forment une mini-mini-campagne et peuvent être envisagées comme un prologue aux scénarios autrement épiques d’Eriador Adventures – ce qui implique cependant de réécrire pas mal le premier scénario de ce recueil, qui, comme on l’avait vu, commençait à l’est des Monts Brumeux : les scénarios du Bree-Land Region Guide sont un moyen de faire débuter la campagne directement en Eriador – en l’espèce à Bree, donc.

 

Bree ?!

 

Bree.

 

Oui, c’est un choix un peu étrange… Une région très réduite, et une ambiance très particulière – aux antipodes de l’aventure, à vrai dire. Ceci, notamment, parce que Bree et les trois autres villages qui constituent ensemble le Pays de Bree sont en fait protégés des menaces extérieures, et sans en avoir le moins du monde conscience, par les patrouilles scrupuleuses des Rôdeurs du Nord, les Dúnedain – qui n’en retirent aucun mérite : pour les Hommes de Bree, ils ne sont jamais que des individus louches à force d’être mystérieux, probablement guère plus que des brigands… Mais la protection des Rangers s’applique aussi (et surtout ?) à la Comté, toute proche, et les liens entre le Pays de Bree et le havre de paix des Hobbits ne manquent pas. À vrai dire, s’il est une particularité de Bree qui doit être mise en avant à cet égard, c’est probablement cette population unique, qui mêle Hommes et Hobbits.

 

Maintenant, dans le contexte ludique d’Adventures in Middle-Earth, une autre chose distingue le Pays de Bree, et c’est son caractère « « « « « « urbain » » » » » ». Oui, beaucoup de guillemets… C’est que Bree n’est qu’un village, de taille très restreinte – et, dans les environs, Archet, Combe et Staddle sont plus petits encore. Cependant, à l’ouest des Monts Brumeux, tant que l’on n’arrive pas dans la Comté (et même alors...), on ne trouvera rien de mieux. À l’est, bien sûr, il en va tout autrement – avec notamment Dale et la Ville du Lac : Bree n’est qu’un village, pas une ville, encore moins une grande ville. Cependant, le caractère particulièrement désertique de l’Eriador, sur lequel appuyait tout spécialement le Rivendell Region Guide, rend en fait la situation de Bree plus singulière encore, aux limites de l’anomalie. Et c’est bien ainsi que sont envisagés ces petits villages : même bouseux, et caractérisés par un redoutable esprit de clocher, ils sont alors ce qui se rapproche le plus d’une ville – et le supplément joue toujours de ce thème, y compris d’ailleurs de manière vaguement « technique » : il introduit ainsi des environnements de combat « urbains » qui viennent compléter, avec portes et fenêtres le cas échéant, mais aussi les échos d’une taverne animée, ce que l’on trouvait dans le Loremaster’s Guide et qui portait essentiellement sur la nature sauvage et tout au plus les ruines.

 

La taverne, à vrai dire, a une importance toute particulière : Le Poney Fringant est la plus célèbre auberge de la Terre du Milieu, après tout ! Ce fameux lieu de passage se voit consacrer un chapitre spécifique – même si, honnêtement, je n’ai pas l’impression qu’il suffise à singulariser vraiment cet endroit : les lieux comme les personnages, au fond, pourraient décrire une autre auberge…

 

Cependant, le supplément joue plus habilement de cette idée de Bree comme un lieu de passage, et en même temps une ultime étape avant le désert – bon nombre des (rares) éléments techniques de ce supplément vont dans ce sens, avec par exemple la description d’une nouvelle culture héroïque portée sur le voyage, les Nains des Montagnes Bleues (qui se distinguent pas mal des autres cultures naines, pour le coup, avec un côté davantage social et érudit qui confine peut-être parfois au snobisme ; à noter, le supplément Bree de la gamme de L’Anneau Unique présentait lui aussi une nouvelle culture héroïque, mais différente, celle des Hommes de Bree – cependant, dans la gamme d’Adventures in Middle-Earth, les Hommes de Bree sont jouables depuis le début, c’est-à-dire le Player’s Guide), ou de nouvelles entreprises de communauté, dont une qui m’a l’air très intéressante alors qu’elle n’a l’air de rien de prime abord : écrire une lettre… Par exemple pour prévenir untel de ce que l’on va lui rendre visite, ce qui pourra rendre l’audience plus aisée (le jet d’introduction du moins), ou pour faire ses adieux au siens, et faciliter l’introduction d’un héritier ! Pour ce qui est des voyages, il faut enfin relever que, sous l’intitulé « An Empty Land », qui évoquerait peut-être davantage les régions plus à l’est, et doit éventuellement être pris avec un soupçon d’ironie, du coup (un trait caractéristique de l’écriture de ce bouquin, j’y reviendrai), le supplément propose des tables d’événements de voyage spécifiques, éventuellement liés (et de manière explicite le cas échéant) aux scénarios figurant dans sa seconde partie, et c’est toujours aussi bienvenu. Le guide comprend enfin son petit bestiaire, qui n’est pas très palpitant, pour être honnête.

 

Maintenant, si Bree est un lieu de passage, c’est aussi un îlot de provincialisme, avec un esprit de clocher très poussé. Les Hommes de Bree (et les Hobbits qui vivent dans le coin) ne crachent certes pas sur l’or des voyageurs, mais tout ce qui sent un peu trop « l’aventure » les amène automatiquement à se pincer le nez. Bree incarne la normalité – ce qui est en dehors est par essence suspect. Les habitants de Bree et des villages alentours ne savent donc pas ce qu’ils doivent à la protection obstinée mais discrète des Rôdeurs, mais cette attitude va bien au-delà. Décrivant quelques habitants notables des quatre villages, le supplément s’en donne à cœur joie, dans des passages très amusants. Voyez par exemple ce qui est dit de ce très utile PNJ qu’est Matthew Mugwort (pp. 18-19) :

 

There is wisdom and lore such that Wizards and Elves might possess through long years of study. And there’s the knowing of Bree, which Matthew Mugwort, a Hobbit, possesses in spades. Put any question to him – preferably, over a pint in The Pony – and he’ll answer it for you with complete and utter certainty. Matthew Mugwort knows right from wrong, and sensible business from the foolishness of foreign lands. He may not be counted among the Wise, but in Bree his opinion counts for a great deal indeed.

From his barstool, Matthew Mugwort has pronounced judgements upon many topics, like the Rangers (« troublesome outlaws, the lot of them »), Orcs (« they live far away in t’ mountains, they do, and it’s always them Dwerrves who’re stirring ’em up »), Outsiders (« all right so long as they don’t outstay their welcome »), Barrow-wights (« nonsense about ghosts – it’s just fog and broken stones that look like men »), and the future (« pay it no mind and it’ll attend to itself »).

As long as the beer’s flowing, Mugwort will argue about anything with the placid impenetrability of a man who is absolutely certain that there’s nothing of any worth outside Bree-land. If he’s present in the bar when adventurers arrive, he’ll argue with them and undermine anything they say: « You came from Rivendell? Ha! That’s out of fairy stories, man! Did you fly here on a magic boat, too? » .

(Any checks using Intimidation, Persuasion or Riddle automatically have Disadvantage. He is the living embodiment of the parochial attitude of most Bree-folk.)

Motivation: If I don’t know it then it’s not worth knowing.

Expectations: « Ah, you’re right to ask me, you are » +1 if the Company’s concerns are centered on the Bree-land; « Ye must not have been listening, let me repeat myself... » -1 if the heroes dispute his « facts ».

 

On a en tête La Ballade des gens qui sont nés quelque part, forcément… Mais voyez aussi la description et l’histoire du Smial de Staddle (p. 24) :

 

More properly, the Great Smial of Staddle, although you could just say the Smial and everyone in Bree-land would know where you mean. The Smial of Staddle is the vast and labyrinthine underground mansion of the Tunnellies, the richest Hobbits in the region.

The Tunnellies consider themselves the equal of any of the great families of the Shire, of the Tooks or Brandybucks or any other one would care to name. If anything, the Tunnellies say, their name is more prestigious, for the first holes of the Smial of Staddle were dug before any Hobbit entered the Shire.

The Tunnellies are not the only family to live in the Smial; after the Fell Winter, parts of the Smial fell into disuse, so other Hobbit families moved in, although they have to put up with the infamous tempers of their hosts.

The last war fought in Bree, the War of 2930 (also known as the War of Thursday Afternoon), after all, was started by the Tunnellies. They have always objected to the authority of the Reeve of Bree, except when (as often happens), the Reeve is a Tunnelly. On that fateful Thursday in 2930, the Reeve was not a Tunnelly, and when he made a ruling against the Tunnellies, they marched back to the Smial in high dudgeon.

The chieftain of the Tunnellies declared that Staddle would no longer be subject to the Reeve’s jurisdiction, and would henceforth stand alone. Some dozen Hobbits were sent out to seize the windmill and « secure the border »; some accounts insist that a pony-rider was dispatched cross-country to Buckland to rally support there.

As it turned out, the first council of war held in the Smial was accompanied by an exceedingly fine supper, and the newly commissioned thanes of Staddle took a long nap afterwards. On waking, they felt somewhat more reasonable, and hostilities ceased, with the only significant casualty being the Tunnelly wine cellar.

Every so often, a hot-blooded Hobbit of Staddle will threaten a « repeat of 2930 » or to « send a pony to Buckland » over some imagined slight from Bree.

 

J’avais envie de citer ce genre de passages, pour la simple raison que j’ai trouvé ce supplément très bien écrit – très agréable à lire, et souvent drôle, à vrai dire. La description de Bree, mais aussi d’Archet, Combe et Staddle, donc, joue beaucoup de ce genre de thématiques, avec des PNJ savoureux, quelques lieux aussi, et de manière assez intéressante – souvent drôle, oui… Quitte à forcer un peu le trait ? La « mélancolie de Combe » n’est pas exactement très crédible, hein, mais elle est assurément amusante !

 

QUAND L’AVENTURE VIENT À BREE

 

Demeure un souci : Bree est censément l’antithèse de l’aventure. On peut certes passer de bonnes soirées à l’enseigne du Poney Fringant, à boire quelques chopes et fumer quelques pipes en échangeant des ragots avec des voyageurs, ou en poussant la chansonnette, mais cela ne va guère plus loin : pour des aventuriers, Bree incarne dès lors bien vite l’ennui.

 

Et c’est peut-être bien pour cela que des compagnies centrées sur des Hommes de Bree et des Hobbits de la Comté peuvent assez aisément se former au Poney Fringant, de jeunes gens naïfs qui aimeraient bien, juste pour voir, faire un tour au bout du monde, soit à quelque chose comme 50 km de Bree grand max.

 

Mais, autrement, non, il n’est pas censé se passer quoi que ce soit à Bree. Ne serait-ce que parce que les Dúnedain veillent dans l’ombre, sans s’arrêter à l’ingratitude de ceux qu’ils protègent des périls du monde extérieur. C’est le paradoxe de ce supplément : il faut bien qu’il s’y passe quelque chose ! Bon, la protection des Rangers peut connaître quelques failles... Mais, à vue de nez, on ne fera pas vraiment ici dans l’épique – et c’est aussi en cela que ce supplément se montre plus particulièrement désigné pour des héros de bas niveau, un peu naïfs, qui n’ont pas déjà roulé leur bosse à travers toute la Terre du Milieu. En fait, Bree, comme dans Le Seigneur des Anneaux, est propice à une sorte de transition dans le ton du récit – on passe des histoires de Hobbits plutôt légères, fraîches et amusantes, éventuellement un peu puériles à vrai dire, mais agréablement fantaisistes, aux premiers aperçus d’une menace jusqu’alors inconcevable, pesant sur un monde infiniment plus vaste que ne pouvaient l’envisager nos héros, plus divers aussi, et incomparablement plus hostile.

 

Le supplément propose quelques suggestions d’accroches, sous l’intitulé « Adventuring in Bree », mais il faut surtout envisager ici les trois scénarios qui concluent ce Bree-Land Region Guide, à l’encontre du format jusqu’alors suivi qui associait deux suppléments, ces scénarios occupant en gros la seconde moitié du livre. Ils sont vaguement liés, peuvent donc former une mini-mini-campagne, et, comme on l’a vu plus haut, un prologue éventuel aux scénarios bien plus épiques d’Eriador Adventures. L’approche est donc assez différente – et ces aventures ont à vrai dire régulièrement quelque chose d’un peu « policier » qui tranche passablement sur le reste de la gamme.

 

Attention, même si je ne vais pas excessivement rentrer dans les détails de ces scénarios, il y aura clairement, dans les paragraphes qui vont suivre, des SPOILERS çà et là…

 

La première aventure s’intitule « Old Bones and Skin », et elle est très amusante. Même si cela n’a pas forcément un impact direct sur le jeu, l’auteur note qu’il s’est inspiré ici du « Poème du troll » improvisé par Sam dans Le Seigneur des Anneaux. De fait, ce scénario, même destiné à des personnages de niveau 1 ou 2, les confronte bel et bien à un troll, et pas le moindre – soit un ennemi particulièrement redoutable pour eux. Mais l’aventure est bien conçue, bien écrite, qui mêle « enquête » et « social », avec une traque tournant à la course-poursuite, des rebondissements, des alliés inattendus, ce genre de choses – et la perspective d’un bon gros butin ? Ici, j’ai comme un vague problème : là où le Loremaster’s Guide consacrait un chapitre très bien vu à l’idée que la fortune était vulgaire et suspecte dans la Terre du Milieu, où l’économie du don prédominerait, les scénarios depuis n’ont jamais hésité à mettre dans la balance du loot conséquent… Je suppose qu’il faut jouer à fond de l’idée de corruption pour contrer cette déviation donjonneuse, mais, tout de même… Enfin, ce bémol mis à part, et qui n’est donc pas spécifique à ce scénario, loin de là, cette entrée en matière m’a paru très bonne !

 

La deuxième aventure, « Strange Men, Strange Roads », est celle qui joue le plus du registre « policier » : il s’agit, après tout, d’identifier, parmi les membres d’une caravane, le coupable du meurtre d’un Rôdeur, et cette enquête conduira les PJ à découvrir bien des secrets, évocateurs de menaces d’une tout autre ampleur. La galerie de PNJ est vaste et soignée, et les manières dont disposent les PJ pour rassembler des indices sont scrupuleusement détaillées – non sans humour là encore (p. 93) :

 

The players might try other methods of investigation, like infiltrating the caravan (« Hail! I am an Elf of Rivendell, one of the High Elves of the West, who crossed the Sea in the First Age of the World to make war on the Enemy and take back the Silmarils from the Iron Crown. Now I am a simple caravan-guard looking for work… »).

 

Enfin, quelques événements bien vus viennent épicer le voyage. C’est vraiment très bon dans son genre – même si je crois qu’il me faut mentionner au cas où que ce scénario n’est peut-être pas destiné à un MJ débutant : « Old Bones and Skin » est idéal à cet égard, mais « Strange Men, Strange Roads » prend tout de même un peu moins le Gardien des Légendes par la main, qui doit se montrer réactif et doser habilement les révélations, tout en mettant en scène une dizaine de personnages auxquels il s’agit de donner de la chair et de l’âme. Quoi qu’il en soit, c’est une réussite.

 

Mais, ici, il y a un problème : au cours de ce scénario, les PJ apprennent l’existence d’un chef de brigands qui est en même temps une sorte d’érudit, voire un « sorcier », un homme du nom de Gorlanc – et une expédition se monte dans l’épilogue pour aller s’occuper de cette menace. Cependant, et sans doute parce que les héros sont censés être encore de bas niveau, le supplément semble partir du principe qu’ils laisseront à d’autres (Rôdeurs et Elfes de Fondcombe à vue de nez) le soin de s’occuper de l’indésirable. En tout cas, il n’y a pas de scénario décrivant cet assaut, qui se retrouve confiné à quelques mentions lapidaires dans un épilogue. Je crains tout de même que cela soit bien trop frustrant pour les joueurs… En même temps, même à demi-mots, le supplément est bien obligé d’envisager que les PJ soient de la partie, mais « refuse » d’une certaine manière d’en dire davantage. La seule chose, c’est que Gorlanc et quelques-uns des siens doivent survivre – et, ici, d’une manière assez typique, l’auteur reconnaît bien que c’est éventuellement un problème tout en jouant de cet humour caractéristique du style du Bree-Land Region Guide (p. 112) :

 

If the Player-heroes take part in the siege of Gorlanc’s fort [...], then it’s possible they kill Gorlanc before the sorcerer can escape. (Players are usually utterly determined to hunt down and kill their foes, after all – had a player been present at the Battle of Fornost, when the Witch-king fled and Glorfindel prophesied « not by the hand of Man shall he fall », then doubtless that player would have immediately tried drawing back a bowstring with his teeth, arguing that an arrow loosed in that fashion wouldn’t count as « the hand of Man »).

 

Ben oui. Exactement. Et je trouve ça un peu problématique, oui – d’autant plus, à vrai dire, que l’ultime scénario de ce supplément ne me paraît clairement pas à la hauteur des précédents…

 

« Holed Up in Staddle » se scinde en deux parties – ou trois ; enfin, disons que le scénario couvre a priori deux phases d’aventure. Or la première me paraît plutôt ratée, qui manque de liant et enchaîne les événements de manière un peu maniaque et, à ce stade, grotesque en ce qui me concerne – c’est pour partie délibéré, je suppose, avec les « Bluebell Wood Oakmen » et le sort improbable des partisans de Gorlanc, mais ça ne passe pas vraiment pour moi. C’est… trop sucré ? Et l’arrivée impromptue de Gandalf n’a pas exactement arrangé les choses à mes yeux…

 

La suite est plus intéressante, heureusement, même si, côté motivation, elle a sans doute ses limites elle aussi. L’idée est que Gorlanc et quelques-uns de ses partisans survivants se sont réfugiés dans un smial de Staddle, où ils tiennent les résidents en otages – pourquoi donc ? Il y a une histoire autour de Gorlanc qui veut corrompre, euh, un pommier, euh… Bon. Quoi qu’il en soit, dans un premier temps, les PJ se retrouvent à nouveau dans une sorte d’enquête : il s’agit pour eux de prendre conscience de ce que les Hobbits sont pris en otages, pourquoi, et ce qu’ils peuvent y faire. En ce qui me concerne, c’est la partie intéressante du scénario.

 

Après quoi… Eh bien, au bout d’un certain temps, il faut aller au turbin, hein ! Et du coup le scénario se conclut sur une sorte de donjon… qui, comme de juste, s’avère être un trou de Hobbit, même sacrément développé. Les gags sur les héros qui s’assomment sur des poutres ne fonctionneront sans doute qu’un temps, mais on retrouve bel et bien ici quelque chose de cet humour qui caractérise pas mal ce supplément. Bon, ça vaut ce que ça vaut, à ce stade…

 

Bilan un peu entre deux eaux pour les trois scénarios du Bree-Land Region Guide, donc : les deux premiers me paraissent très bons, il y a une lacune que je trouve un peu problématique juste après, et le dernier scénario me fait l'effet d'être d'un niveau bien inférieur, un peu bâclé à vrai dire, notamment dans sa première phase. Dommage – mais il doit y avoir moyen de retravailler un peu tout ça.

 

RIGOLO MAIS PAS INDISPENSABLE

 

À vrai dire, je suppose que ce bilan un peu mitigé, malgré de bons voire très bons moments, vaut pour l’ensemble de ce supplément.

 

J’y insiste : il est très agréable à lire, et souvent amusant.

 

Maintenant, est-il utile ? Je n’en suis pas totalement convaincu : le fait que la région couverte soit très limitée, le principe même de Bree comme un village épargné par l’aventure (pour ne pas dire « foncièrement ennuyeux »), la description un peu trop passe-partout de l’auberge du Poney Fringant, le peu d’apports spécifiques somme toute, tout cela ne plaide guère en faveur de ce Region Guide bien différent de ses prédécesseurs.

 

Et des personnages qui ont déjà roulé leur bosse n’y trouveront pas grand-chose d’excitant. On peut sans doute jouer sur le contraste, et cela peut être amusant, mais cela ne fonctionnerait qu’un temps, et, au fond, nous n’avons pas forcément besoin du contenu de ce supplément pour mettre en scène cette opposition entre l’îlot de sûreté bonhomme et le monde sauvage et semi-désertique tout autour.

 

En revanche, des personnages de bas niveau y trouveront probablement davantage de quoi faire – sur un ton un peu plus léger que les autres aventures de la gamme, typique des premiers chapitres du Hobbit comme du Seigneur des Anneaux. L’idée d’un groupe essentiellement constitué de (jeunes) Hommes de Bree passablement naïfs, avec éventuellement quelques Hobbits en sus, me plaît bien, il doit y avoir quelque chose à en tirer – ce que les deux premiers scénarios de ce supplément, au moins, illustrent de manière très convaincante. Ajouter à la compagnie, progressivement peut-être, un Dúnedain voire un Elfe de Fondcombe, pourrait d’ailleurs être tout aussi amusant – à la condition que le contraste entre ces personnages plus typiquement aventuriers et les bouseux de Bree ou de la Comté n’induise pas un déséquilibre trop marqué et dès lors frustrant pour les joueurs.

 

Les deux premiers scénarios sont très réussis, oui, même si le troisième me paraît donc à revoir largement – mais on peut y voir un prologue plus que convaincant pour les Eriador Adventures autrement épiques ; même si cela implique donc de réécrire pour partie le scénario « Nightmares of Angmar », en remplaçant probablement les Hommes des Collines du Gundabad par des Hommes du Rhudaur (quitte à y perdre un peu au passage, tout de même).

 

Voilà : un supplément amusant, bien écrit, mais certainement pas indispensable. On peut sans doute piocher dedans, mais les apports spécifiques de ce Region Guide très restreint en rendent l’usage assez incertain, et l’achat pas vraiment nécessaire. Toutes choses égales par ailleurs, il ne me parait donc pas se montrer tout à fait au niveau des précédents suppléments de la gamme, pour la plupart vraiment bons, sans qu'ils soit mauvais pour autant ; seulement, il ne satisfera véritablement MJ et joueurs qu’à la condition de jouer le jeu à fond, en s’immergeant totalement dans l’atmosphère très provinciale (et plus qu’à son tour rigolote) de Bree et des villages qui lui sont associés.

 

Sauf erreur, la gamme d’Adventures in Middle-Earth s’arrête pour l’heure ici. Je suppose que les autres suppléments de la gamme de L’Anneau Unique seront à leur tour transposés – ceux qui portent sur le Rohan, et dont j’ai eu des échos plutôt négatifs pour une fois, mais aussi Erebor et la campagne associée The Laughter of Dragons (j’espère que ça sera la priorité !), en attendant la Moria… ou la Comté, peut-être, davantage dans l’esprit de ce Bree-Land Region Guide, mais qui me séduirait probablement davantage à vue de nez. À un de ces jours…

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Finançons Sturkeyville !

Publié le par Nébal

Finançons Sturkeyville !

Généralement, sur ce blog, je m’en tiens à mes chroniques, et pas grand-chose de plus. De temps en temps, cependant, je peux bien faire une exception – ainsi quand il s’agit de soutenir des petites structures camarades, tout particulièrement quand elles se lancent dans des projets enthousiasmants, qui valent bien que l’on passe le mot.

 

Dès lors, quelques lignes pour soutenir la plus récente initiative des Éditions Scylla, émanations de la Librairie Scylla – excellente et indispensable librairie spécialisée en science-fiction, fantasy et fantastique, qui était un peu mon antre, je crois que je peux bien le dire, du temps où je vivais sur Paris.

 

Ledit projet porte sur l’édition d’un recueil de nouvelles de Bob Leman (1922-2006), un auteur américain relativement confidentiel, et tout spécialement en France, même si quelques-uns de ses textes avaient été publiés en leur temps dans la revue Fiction (historique). Raison de plus pour le découvrir ! En l’espèce, il s’agit de publier un recueil composé de six nouvelles (dont deux inédites en français), tournant toutes autour de la ville imaginaire de Sturkeyville, délicieusement weird – et vous pouvez d’ores et déjà en avoir un aperçu en téléchargeant la chouette nouvelle (et, oui, passablement lovecraftienne, pour le coup) qu’est « Les Créatures du lac », en pdf ou en ePub (ici).

 

Reste cependant à financer ce recueil. Les Éditions Scylla ont donc lancé un crowdfunding, qui a débuté il y a quelque chose comme un mois, et doit durer encore un peu moins de deux mois. Vous trouverez les détails de l’opération ici – incluant les diverses contreparties, mais aussi l’équipe chargée du projet. Ce financement participatif doit couvrir les frais de traduction (par Nathalie Serval, en l’espèce) ainsi que d’impression, pour une parution fin 2019, début 2020 au plus tard.

 

Et je vous incite chaudement à participer : le projet vaut le coup, les gens qui y travaillent le méritent assurément, et le livre est plus qu’alléchant.

 

Finançons Sturkeyville !

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