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Enfers et fantômes d'Asie

Publié le par Nébal

Enfers et fantômes d'Asie

Enfers et fantômes d’Asie, sous la direction de Julien Rousseau et Stéphane du Mesnildot, préface de Stéphane Martin, Paris, Musée du Quai Branly Jacques Chirac – Flammarion, 2018, 266 p.

Lors de mon dernier séjour parisien, j’ai enfin fait quelque chose que je voulais faire depuis des années – c’est-à-dire tout le temps où j’ai… vécu à Paris : visiter le musée du Quai Branly Jacques Chirac (fuck yeah Jacques Chirac) et ses collections ethnographiques. Une bonne chose de faite – et une expérience très concluante : le site et le bâtiment sont beaux, les collections permanentes très intéressantes (j’avoue avoir un faible pour l’exposition océanienne, ce qui n’avait rien d’une certitude quand je m’y suis engagé).

 

Mais j’avais une raison supplémentaire d’accomplir enfin cette visite : il y avait encore, à ce moment-là, l’exposition Enfers et fantômes d’Asie, et je ne pouvais pas rater une chose pareille – je regrettais déjà suffisamment de ne pas avoir pu me rendre à cette exposition alors que je travaillais sur mon dossier consacré à Kwaidan de Kobayashi Masaki… Ça m’aurait été utile – et j’aurais pu envisager certaines questions sous un angle un peu différent, et en tout cas bien plus assuré.

 

Mais qu’importe : l’exposition. Je ne suis pas un habitué de ce genre de manifestations, loin de là – trop casanier et flemmard pour ça. Mais j’ai vraiment apprécié cette expérience, dans toutes ses dimensions – et, pas la moindre, un certain aspect ludique dans la scénographie, même s’il avait sa contrepartie : ayant visité l’exposition en même temps que des groupes scolaires très agités et très pressés, j’ai eu une vague impression de parc d’attractions – quand on franchissait la bouche de l’enfer, il était difficile de ne pas penser à un train fantôme. Ça n’est pas forcément un défaut, cela dit – d’autant que l’exposition en elle-même, si elle avait donc un côté ludique, était en même temps tout à fait sérieuse, parfois même pointue, mais jamais au point de l’intimidation. Et la scénographie la plus grotesque (immenses arbre au supplices thaïlandais, colossaux phi aux corps improbables et vampires sauteurs géants en formation d’attaque) offrait un contrepoint intéressant et rafraîchissant aux collections les plus anciennes, antiques livres et illustrations, avec souvent le cinéma et la vidéo pour faire la jonction. J’ai sans surprise été particulièrement séduit par les installations figurant des fantômes japonais, hologramme d’une Oiwa mélancolique diffusée dans la brume, ou ce fantôme féminin silencieux à la manière de la J-Horror, qui n’a pas besoin d’être davantage qu’une main apparaissant au détour d’un couloir pour procurer au Nébal, comme à bien d’autres je le suppose et l’espère, le délicieux en même temps que terrifiant frisson caractéristique des meilleurs yûrei remis au goût du jour par la « théorie Konaka » (je vous renvoie aux Fantômes du cinéma japonais, de Stéphane du Mesnildot – lequel, parce qu’il n’y a pas de hasard, a fait office de conseiller scientifique pour le cinéma dans le cadre de cette exposition, dont le commissaire était Julien Rousseau, et de codirecteur avec ce dernier du catalogue qui l'a prolongée).

 

Il faut d’ailleurs insister sur le caractère multimédia de cette exposition, qui était probablement un de ses plus grands atouts : les antiquités, picturales, littéraires ou autres, suscitaient toujours des échos contemporains, et les manuscrits et estampes côtoyaient dans l’harmonie (ou la jouissive épouvante) les jeux vidéo (dont Pacman !), tandis que les yôkai ancestraux, en passant par Mizuki Shigeru, sortaient enfin des pages des rouleaux et des mangas pour se matérialiser à nouveau, en figurines et mille avatars de Pokemon, etc. Mais le cinéma y occupait tout de même une place essentielle – au travers de photos mais aussi très souvent de vidéos, avec même des salles « pour public averti » projetant des extraits un tantinet gores ! Cette place essentielle du cinéma, quoi qu’il en soit, était sensible pour tous les thèmes traités, et pour toutes les cultures envisagées.

 

Car c’est un autre aspect essentiel de cette exposition : elle associait plusieurs cultures de l’Asie orientale, très différentes les unes des autres – essentiellement le Japon, la Chine et la Thaïlande, mais avec aussi quelques excursions au Cambodge ou au Vietnam, en Corée aussi me semble-t-il, etc. Bien sûr, un sujet aussi vaste ne permettait aucunement de viser à l’exhaustivité (qui n’est d’ailleurs jamais envisageable) : il s’agissait de piocher ici, puis là, puis là-bas, etc. Mais, en même temps, il était possible d’articuler un discours sur ce qui lie et ce qui distingue – un discours bien informé : sous cet angle, et contrairement à ce que l’on pourrait craindre vu de loin, l’exposition Enfers et fantômes d’Asie constituait bien l’antithèse des simplifications outrancières et bourrées de prénotions de Jacques Finné dans la postface de sa « traduction » du Kwaidan de Lafcadio Hearn

 

Enfin, les thèmes étaient peut-être plus variés qu’on ne le croirait d’abord ? C’est que l’exposition, conçue autour d’un itinéraire dans des couloirs obscurs, procédait en trois temps – chacun de ces grands thèmes étant illustré par les apports de diverses cultures, même si certains de ces thèmes étaient plus ou moins phagocytés par tel ou tel imaginaire plus particulièrement (fantômes japonais des estampes à Sadako, exorcistes chinois luttant contre des vampires sauteurs plus amusants qu’effrayants…) : successivement, les enfers ; les fantômes et autres variétés de revenants ; enfin ceux qui protègent les hommes contre ces manifestations surnaturelles. Or les manières d’envisager ces grands ensembles sont très diverses : il y a la religion, il y a le divertissement – le subtil et l’allusif, ou l’outrancièrement gore – le terrifiant et l’hilarant – l'élitiste et le populaire…

 

D’où peut-être un risque de dispersion ? Assez secondaire, je le crois – même si juxtaposer l'horreur la plus épouvantable et les yôkai les plus kawaii peut interloquer de prime abord. Car cette conception de l’exposition s’avérait avant tout bénéfique, tout particulièrement en ce qu’elle ouvrait au visiteur des horizons nouveaux. Et c’est peut-être là ce que j’y ai préféré ? En certains endroits, je pouvais avoir le vague sentiment, et sans doute bien présomptueux, d’être relativement en terrain connu – les fantômes japonais, tout spécialement ; dans quelques autres domaines, je pouvais au moins avoir une vague idée des caractéristiques essentielles de tel ou tel imaginaire – à titre d’exemple, les enfers chinois dominés par des juges, sur le modèle de l’empire terrestre. Mais, dans la majorité des cas, je ne savais à peu près rien – et j’ai été particulièrement séduit par ce que je découvrais de la sorte : je crois que je donnerais la palme aux enfers thaïlandais, illustrés par des films d’un ultra-gore ultra-baroque ultra-kitsch dont je ne savais absolument rien, et qui donne envie d'en savoir davantage.

 

Or cette même impression a prévalu pour le catalogue de l’exposition, très beau livre publié conjointement par le Musée du Quai Branly Jacques Chirac et les éditions Flammarion : les phi, ces revenants thaïlandais très divers, mais généralement plus charnels que les yûrei et compagnie, m’ont alors particulièrement impressionné, et notamment parce qu'ils témoignent d'un imaginaire toujours présent et prégnant.

 

Car, oui, il faut maintenant parler du catalogue de l’exposition – que je me suis immédiatement procuré sur place. C’est un beau livre d’un très grand format, abondamment illustré par le matériel de l’exposition comme de juste, et comme de juste en couleur, avec même de somptueux rabats çà et là, qui permettent de présenter au mieux les pièces les plus impressionnantes (je regrette toutefois que les installations mentionnées plus haut n’y soient pas « reproduites » d’une manière ou d’une autre – même si je conçois très bien que cela devait susciter des difficultés particulières ; il en va forcément de même pour le cinéma, si important dans l'exposition : une seule photographie ne saurait reproduire l'effet autrement saisissant d'un extrait de quelques minutes projeté sur un écran).

 

Cette iconographie à elle seule justifierait qu’on s’y arrête, mais le livre Enfers et fantômes d’Asie a davantage à proposer. En effet, il comprend nombre d’articles dus à des auteurs très divers : universitaires, conservateurs du patrimoine, journalistes, artistes, etc. Ces articles sont généralement très brefs, aussi ne peuvent-ils prétendre couvrir entièrement tel ou tel sujet, mais ce n’est tout simplement pas leur propos – en revanche, ils permettent de mieux comprendre le matériel iconographique, en y associant une perspective très appréciable, de l’histoire de l’art à l’enquête anthropologique contemporaine, éventuellement selon une approche d’observation participante.

 

Et je crois que le livre met ainsi en avant, davantage que l’exposition en elle-même, la continuité de ces imaginaires encore vivaces : ces enfers, ces revenants, ces exorcistes, ne sont pas de pures reliques du passé, cantonnées de longue date aux seules productions culturelles, qu’elles soient raffinées ou populaires : dans bien des cas, même si toute généralisation est à craindre, et tout bête jugement de valeur à proscrire, ils correspondent à une réalité d'ordre religieux qui est vécue au quotidien par nombre d’hommes et de femmes, pas spécialement dévots ou encore moins superstitieux, de ces cultures très diverses d’Asie orientale – et c’est tout particulièrement à cet égard que les développements sur les phi m’ont passionné, d’ailleurs ; l’article sur les itako, ces femmes chamanes du Japon, aurait dû me parler tout autant, mais je l’ai trouvé moins convaincant dans la forme... Il y a forcément des hauts et des bas dans un livre de ce type.

 

Mais, globalement, surtout des hauts : c’est un très bel ouvrage, qui complète utilement et même poursuit l’exposition, plutôt que de simplement la reproduire. Aussi ai-je beaucoup apprécié les deux.

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X-Wing 2.0 : mes premières listes impériales en v2

Publié le par Nébal

X-Wing 2.0 : mes premières listes impériales en v2

LE PIRE EMPIRE

 

Hourra ! La v2 de X-Wing est enfin officiellement arrivée ! Et maintenant que j’ai tout déballé, classé et exposé (en constatant que FFG s’était montré un peu pingre sur les jetons de boucliers dans les kits de conversion, notamment – bah, pas grave pour qui a des jetons v1…), j’ai envie d’en causer un tout petit peu sur ce blog.

 

Spécifiquement, j’aimerais vous soumettre mes quatre premières listes impériales, après les avoir testées au moins une fois – pour, en tout, quatre victoires et trois défaites (ces trois dernières avec la même compo de mon côté, aheum…), ce qui est plutôt honnête je suppose, pour le tocard que je suis, plus Hot Shots que Top Gun.

 

En effet, ça vous sautera bientôt à la gueule, je ne suis pas un pro de la composition de listes, et encore moins de leur maniement en jeu… Ces listes ne sont pas optimisées – il y aurait beaucoup à faire, si seulement cela avait le moindre sens (qui sait...), pour les rendre correctement compétitives.

 

Qu’importe, ce n’était pas mon optique : je joue casual. Et je voulais tester. Des listes qui me paraissent rigolotes pour une raison ou une autre…

 

Allez, c’est parti !

LA COMTESSE ET LE CAPITAINE – 199 POINTS

 

 

Si j’avais joué deux parties avant que la v2 ne sorte officiellement (en utilisant un générateur d’escadron non officiel en anglais, en l’espèce Yet another Squad Builder 2.0), avec une compo (la compo maudite) que je vous livrerai plus loin, je préfère, pour cet article, m’en tenir à l’ordre des cinq parties disputées hier avec le camarade Acteris.

 

Et, du coup, la première de mes listes à avoir affronté le feu lors de cette longue et enthousiasmante journée de test fut… eh bien, celle en laquelle je croyais le moins ? Mais elle s’en est pourtant très bien sortie.

 

La Comtesse et le Capitaine, donc – car il n’y a que deux vaisseaux dans cette compo, ce qui n’est pas vraiment dans mes habitudes, et le sera encore probablement bien moins en v2, pour ce que j’en ai vu.

 

L’idée de base était de ressortir, eh bien, mon pilote préféré de la v1, peut-être ? La redoutable Comtesse Ryad, à bord de son Défenseur TIE rouge – parce que le rouge va plus vite. Le Défenseur TIE était déjà un des meilleurs (et peut-être le meilleur) chasseurs du jeu – un appareil incroyablement maniable, avec un cadran de manœuvre et une barre d’actions impressionnants, et aussi très polyvalent. Il était assez cher, bien sûr, mais la Comtesse, avec sa Valeur de Pilotage relativement basse (5), était plus accessible que tous ses collègues non génériques, et trouvait sans trop de difficultés sa place dans pas mal de listes, pour un rapport qualité/prix que je tendais à trouver plus qu'appréciable.

 

En v2, le Défenseur TIE est toujours, et peut-être plus encore, le meilleur chasseur du jeu – et il a gagné un bouclier au passage. Seulement voilà, les développeurs ont jugé bon, du coup, de revoir les prix drastiquement à la hausse… et, à mon sens, quand même un peu trop, hein : du coup, les Défenseurs TIE coûtent maintenant vraiment très, très cher, et la Comtesse, dont l’Initiative de 4 représente une certaine amélioration par rapport à la v1, certes, coûte déjà 86 points d’escadron à poil ! Contre environ 60 relativement en v1… Du coup, construire des listes avec un Défenseur TIE, quel qu’il soit, est devenu plus compliqué : on manque de marge de manœuvre.

 

Pour cette partie de test, j'ai donc choisi de l’associer à un autre vaisseau passablement cher, en espérant disposer de suffisamment d’espace pour les gonfler tous les deux avec des améliorations utiles. Mon choix s’est porté sur un Décimateur VT-49, aka ZE Gros Vaisseau de l’Empire Galactique. Le Vice-Amiral Chiraneau est un sacré pilote, et, ai-je l’impression, le choix le plus fréquent quand on aligne un Décimateur (c’était en tout cas ce qui se passait en v1), mais, même si j’apprécie ses capacités offensives, je trouve son collègue le Capitaine Oicunn plus rigolo à jouer – car on peut en faire une machine à collisions, ou « bump », et c’est dans cette optique que je l’ai construit.

 

Voyons maintenant les choses dans le détail…

 

 

Commençons par le Décimateur VT-49, pour le coup, dont le pilote (avec une Initiative de 3) est donc le Capitaine Oicunn (84 points – oui, ce gros machin, tout nu, vaut deux points de moins que la Comtesse elle aussi toute nue, et je trouve quand même ça un tantinet éloquent). Il dispose d’une capacité spéciale lui permettant de faire des attaques à portée 0 (c’est-à-dire au contact), ce qui constitue le premier élément de sa configuration « bump ». J’y ai associé deux autres cartes, d’abord le Talent Intimidation (3), qui fait que, quand un vaisseau ennemi à portée 0 défend, il lance un dé de défense en moins ; et ensuite le titre Dauntless (6), en vertu duquel, quand le vaisseau exécute partiellement une manœuvre (au hasard, parce qu’il entre en collision avec un vaisseau, ennemi de préférence…), il peut tout de même faire une action blanche, en la considérant comme rouge.

 

Mais il faut aussi songer à la protection du vaisseau, et c’est pourquoi, en l’absence notamment d’Ysanne Isard, que j’associais fréquemment au Décimateur en v1, mon choix s’est porté sur un premier Équipage, qui est la Ministre Tua (7) : dès lors, si le Décimateur est endommagé au début de la phase d’engagement (c’est-à-dire si sa coque est atteinte, on ne prend pas en compte les pertes de boucliers à cet égard), il peut faire une action de Renforcement rouge – chose fort pratique pour un vaisseau affligé d’un score de 0 en Agilité… Et ce même si, dans la partie test, j’avais probablement mal compris comment fonctionnait l’action de Renforcement, dont je n’ai pas bénéficié autant que je l’aurais dû, grumf…

 

Reste un dernier membre d’équipage – qui est le Directeur Krennic (5) ; le redoutable ! Même si beaucoup moins qu’en v1, où il était… totalement fou. Il donne la carte d’état Prototype optimisé à un autre vaisseau allié (en v1, il pouvait l’appliquer au vaisseau à bord duquel il se trouvait, mais il y avait une limite en fonction du nombre de boucliers du vaisseau en question, qui a en revanche disparu en v2) – ici, du coup, c’est le Défenseur TIE de la Comtesse Ryad qui en bénéficie. Il n’y gagne pas un bouclier, contrairement à ce qui se passait en v1, mais bénéficie d’une aptitude sympa, proche de l’originelle, mais un peu plus difficile à mettre en place : si la Comtesse attaque un vaisseau ennemi qui est verrouillé par le Décimateur, elle peut choisir d’annuler un de ses dés d’attaque pour faire perdre automatiquement un bouclier à l’adversaire (c’était l’effet de la v1), ou, et là c’est un apport plutôt appréciable, pour le coup, elle peut lui faire retourner face visible une de ses cartes de dégâts face cachée. Du coup, même s’il est plus difficile à mettre en place, l’effet du Prototype optimisé demeure très intéressant en v2.

 

Et il nous faut maintenant passer au deuxième vaisseau de la liste, qui est donc un Défenseur TIE/D, piloté par la Comtesse Ryad (86, 4 en Initiative). Comme tous les Défenseurs TIE, elle dispose de l’aptitude Plein Gaz, qui lui permet, quand elle fait une manœuvre à vitesse 3-5, d’effectuer une action d’Évasion – ce qui s’associe très bien au Talent Feinte (4), que je lui ai naturellement associé : quand elle effectue une attaque, si elle a un marqueur d’Évasion, la Comtesse peut ainsi changer un des résultats Évasion de l’adversaire en un résultat Concentration.

 

Il faut noter que l’extrême manœuvrabilité native du Défenseur TIE est encore remarquablement améliorée par la capacité propre à la Comtesse Ryad, qui lui permet, quand elle fait une manœuvre Tout Droit, d’augmenter sa difficulté pour exécuter à la place un virage Koiogran, soit un retournement – cette manœuvre est la plupart du temps rouge, et limitée à certaines vitesses précisément, mais la Comtesse est quant à elle en mesure de faire des Koiogran blancs à vitesse 2-5 ! Seule la vitesse 1 est inenvisageable, parce que le véloce Défenseur TIE n’a pas de manœuvre Tout Droit correspondante. C’est quand même sacrément balaise… In Love With The Comtesse !

 

Restait de la place pour une amélioration – et là j’ai fait un mauvais choix, qui me laissait insatisfait avant de jouer et que j’ai regretté lors de la partie, même s’il a pour le coup eu son utilité, bizarrement. J’ai en effet équipé la Comtesse d’un Canon laser lourd (4) : c’est une attaque à quatre dés rouges dans le « Bullseye », à portée 2-3, et autorisant les modificateurs de portée – la puissance de feu supérieure du canon impliquant cependant de changer tous les résultats Critique en résultats Dégât. Ce petit plus en attaque m’a servi au cours de la partie, étrangement, mais je trouve ce choix d’amélioration redondant, outre que la condition du « Bullseye » est assez limitative. Quitte à prendre un canon, j’aurais pu et dû prendre un Canon ionique (5) : pour un point de plus seulement, et qui me restait puisque la compo avec le Canon laser lourd fait 199 points, j’aurais disposé d’un outil de contrôle appréciable et plus facile à utiliser – un moyen de jouer sur la polyvalence du Défenseur TIE. J’en suis d’autant plus convaincu que, dans les parties ultérieures, j’ai à plusieurs reprises pâti d’attaques ioniques de la part d’Acteris…

 

Ceci dit, la partie test s’est déroulée au mieux pour moi – en dépit d’un certain nombre de bêtises de ma part, concernant par exemple l’action de Renforcement du Décimateur. J’affrontais une flotte rebelle composée tout d’abord de deux X-Wing T-65, et pas n’importe lesquels : Wedge Antilles, le plus capé, mais dont l’aptitude spéciale ne changeait rien pour mon Décimateur, et Luke Skywalker, dont les capacités de défense, en rapport avec son statut d’utilisateur de la Force, sont parfaitement monstrueuses ; la liste était complétée avec un Chasseur TIE/ln « de Sabine », et bel et bien piloté sauf erreur (?) par Sabine Wren elle-même.

 

Je doutais de pouvoir inquiéter véritablement Luke, qui disposait en outre, si je me souviens bien, du soutien de son Astromech R2-D2 ; enfin, j'aurais pu l'inquiéter, mais j'aurais perdu du temps avec lui. Sabine, de son côté, ne m’inquiétait pas vraiment – j’ai donc tout lâché sur Wedge, stratégie qui s’est avérée payante ; il me semble que j’ai ensuite sorti Sabine, mais, quatre autres parties ayant succédé à celle-ci dans l'après-midi, mes souvenirs sont un peu flous. Quoi qu’il en soit, Acteris a concédé.

 

J’ai tiré plusieurs leçons de cette partie. Et une conviction récente mais renforcée, aussi, concernant le Décimateur : ce vaisseau, vu de loin, peut donner l’impression d’une montagne invincible, avec ses douze points de coque et ses quatre boucliers, mais il faut vraiment prendre en compte son Agilité de 0, même avec la Ministre Tua (que je n’ai donc pas employée au mieux…). Ces gros machins, on peut les sortir – et probablement plus facilement qu’un YT-1300, voire un YT-2400. J’en ai fait l’expérience à plusieurs reprises, en me faisant régulièrement pourrir en v1 mon Décimateur (ou mon Croiseur Gozanti, d’ailleurs, en épique – vous en trouverez le cruel témoignage ici…), mais aussi à l’occasion en sortant parfois (et en n’en revenant pas…) des équivalents de ces gros machins chez mes adversaires, comme le Ghost des Rebelles…

 

Ceci étant, le Décimateur demeure un gros socle redoutable, et si la tactique « bump » a plus ou moins fonctionné (m’en fous, elle est rigolote), j’ai loué par contre la double tourelle d’attaque primaire : les tourelles sont globalement beaucoup plus difficiles à utiliser en v2, mais pour le coup ça ne s’est pas fait sentir ici, et c’est vraiment une aptitude puissante.

 

Quant à la Comtesse, elle a fait encore une fois la preuve de son excellente manœuvrabilité, même si j’ai un peu galéré parfois, notamment pour avoir ma cible précisément dans le « Bullseye » ; confirmation supplémentaire à mes yeux de ce que le choix du Canon laser lourd n’était pas pertinent.

 

En définitive, cette compo bancale... a plutôt bien fonctionné – mais Acteris ne semblait pas vraiment croire en sa propre liste lui non plus ; je m’en suis bien tiré, mais je suppose que la configuration de la bataille m’avantageait un tant soit peu.

IT’S A BOMBER, IT’S A BOMBER ! (AND A PUNISHER) – 199 POINTS

 

 

La deuxième des quatre listes que je vais présenter aujourd’hui était peut-être (?) la plus intimidante pour moi – mais aussi, d’une certaine manière, la plus enthousiasmante ? Et ce même si, là encore, je savais que cette compo n’était pas optimisée, loin de là, au moment même où je plaçais les figurines sur le tapis de jeu…

 

Mais voilà : le truc, c’est que, en v1, j’avais des figurines de Bombardiers TIE et de TIE Punishers… mais je ne les avais jamais jouées. La mauvaise réputation du Punisher a pu jouer, sans doute – d’aucuns le qualifiaient de « pire vaisseau du jeu », ou en tout cas de « pire vaisseau impérial » (avec tout de même une ambiguïté concernant le Firespray impérial, qui n’existe plus en v2 – le Firespray racaille brille par contre toujours autant voire davantage, et j’en ai fait l’amère expérience !), ce qui ne donnait pas vraiment envie. Il y avait aussi que je ne me sentais pas de jouer bombes, et que je n’étais pas non plus très confiant quand je faisais des compos riches en Missiles et en Torpilles, que j’ai toujours trouvé affreusement coûteux – même si j’ai apprécié la versatilité du Star Wing de Classe Alpha à cet égard, sur le tard.

 

Or, ici, la v2 a radicalement changé la donne – en diminuant considérablement le coût des Bombardiers TIE et des TIE Punishers (ces derniers passant en socle moyen), en leur conférant des pilotes aux capacités très intéressantes, et en leur permettant de s’équiper de plein d’armes secondaires et d’engins (c’est-à-dire de bombes et de mines, même si les mines groupées, les seules que j’avais utilisées jusqu’alors, en une seule occasion, ont disparu de la v2) pour un prix beaucoup plus décent – surtout si l’on prend en compte les charges de ces différentes améliorations… En outre, pour sortir des seules questions de coût, il faut prendre en compte l’atout non négligeable constitué par des améliorations telles que Simulateur de trajectoire ou Bombardier compétent, ou dans une moindre mesure Blindage ablatif. Quoi qu’il en soit, les Bombardiers TIE et les TIE Punishers sont maintenant tous deux beaucoup plus intéressants que le « Gunboat » (c’est-à-dire le Star Wing), relativement s’entend – et j’ai lu çà et là sur le ouèbe des avis très enthousiastes : le Punisher passerait presque maintenant pour un des meilleurs vaisseaux impériaux ! Et en tout cas celui qui a le plus bénéficié du passage en v2…

 

J’avais vraiment envie d’essayer ça – et ces parties « de test », à l’aube de la v2, me paraissaient le bon moment pour me faire la main sur les bombes, les Missiles et les Torpilles, avec ces deux vaisseaux pour moi inédits. Maintenant, j’avais la fâcheuse tendance, en v1, à trop charger la barque quand j’envisageais ce genre de listes, et c’était une des raisons pour lesquelles je ne les ai en définitive jamais jouées… Cette fâcheuse tendance persiste dans cette liste, qui n’est clairement pas optimisée : j’en ai trop mis, et en mettre moins me permettrait peut-être d’aligner un quatrième vaisseau…

 

 

… car il s’agit donc d’une composition à trois vaisseaux : un socle moyen, qui est un TIE Punisher, et deux petits socles, qui sont deux Bombardiers TIE.

 

Commençons par le TIE/ca Punisher, qui est piloté par « Deathrain » (42, Initiative 4). Des deux Punishers uniques, c’est celui qui fait mumuse avec les engins : quand il en largue ou en lance un, il peut faire une action. Cool ! Et, pour le coup, il peut lancer des bombes au lieu de les larguer, avec le Senseur Simulateur de trajectoire (3) ; celui-ci impose normalement d’utiliser le gabarit de manœuvre à vitesse 5, mais l’Artilleur Bombardier compétent (2) permet d’augmenter ou de diminuer le gabarit de 1 de manière générale, et il peut donc lancer à 4 ou 5, et larguer à 1 ou 2 (au passage, cette idée de distinguer les Artilleurs des Équipages me paraît très bonne). Pour éviter de commettre des boulettes avec ses propres bombes, ou celles des copains, ou éventuellement des obstacles (astéroïdes et débris), « Deathrain » est équipé de la modification Blindage ablatif (4), qui permet d’éviter un de ces dégâts en dépensant une charge (il y en a deux).

 

Et ses bombes, alors ? Elles sont de deux types : des Bombes à protons (5), qui ont deux charges, et qui infligent un Critique à tous les vaisseaux à portée 0-1 quand elles explosent (à la fin de la phase d'activation ; au passage, j'ai ainsi étrenné la nouvelle phase de système, qui est probablement là encore une bonne idée), et des Charges sismiques (3), qui ont également deux charges, et sont aussi difficiles que rigolotes à utiliser : quand elles explosent, il faut choisir un obstacle à portée, et les vaisseaux affectés le sont par rapport à leur portée de l’obstacle détruit, qui est ensuite retiré du tapis de jeu ; ce qui peut aussi avoir l’intérêt de faire le ménage, hein ?

 

Mais « Deathrain » est également équipé d’armes secondaires plus frontales. Il a ainsi des Missiles groupés (5), qui attaquent dans l’arc de tir avant à portée 1-2 avec trois dés rouges, et disposent de quatre charges ; l’attaque nécessite une Acquisition de cible (et quelle joie de ne plus avoir à les dépenser, généralement, en v2 !), et, si un autre vaisseau ennemi est à portée 0-1 du défenseur, on a droit à une attaque bonus contre l’imprudent, attaque qui se passe du prérequis du verrouillage. Les autres armes de ce type dont est équipé le TIE Punisher sont plus brutales, mais aussi plus contraignantes à utiliser : des Roquettes à protons (7), avec cinq dés rouges, mais dans le « Bullseye » uniquement, et à portée 1-2 (l’attaque implique de disposer d’un marqueur de Concentration, et il n’y a qu’une seule charge), et des Torpilles à protons avancées (6), avec cinq dés rouges également, dans l’arc de tir avant cette fois, mais seulement à portée 1 – l’attaque nécessite une Acquisition de cible et n’a qu’une charge, et un Dégât est modifié en Critique. C’est clairement là qu’il faut que je fasse le ménage, toutes ces armes secondaires sont redondantes et/ou pourraient être avantageusement remplacées par un éventuel quatrième vaisseau – ce qui vaudra également pour les Bombardiers TIE.

 

Eh bien, justement, venons-y ! Deux Bombardiers TIE/sa, donc, tous deux à 4 en Initiative (comme « Deathrain »), et qui disposent ensemble de la capacité Bombardier agile, qui permet d’utiliser des gabarits de Virage sur l’aile pour larguer un engin en lieu et place du gabarit Tout Droit.

 

Le premier de ces Bombardiers, ou en tout cas le plus important dans cette liste, est le Capitaine Jonus (36). Il a une capacité assez merveilleuse : quand un vaisseau allié à portée 0-1 (ça s’applique donc à lui également) effectue une attaque de Torpilles ou de Missiles, il peut relancer jusqu’à deux dés d’attaque ! D’où l’importance de voler en formation – ce que j’ai pu faire avec les deux Bombardiers dans la partie test, mais j’ai eu tendance à envoyer « Deathrain » un peu trop en avant… Le socle moyen, inédit, y est peut-être pour quelque chose.

 

Nombre des cartes d’améliorations du Capitaine Jonus ont déjà été envisagées en détaillant « Deathrain » : Bombardier compétent (2), Bombes à protons (5), Missiles groupés (5) et Torpilles à protons avancées (6). Mais il dispose également de deux autres améliorations : tout d’abord, la Modification Munitions à sûreté intégrée (2) : quand il effectue une attaque de Torpilles ou de Missiles, il peut annuler tous les résultats des dés (en clair : un échec…) pour récupérer une charge qui a été dépensée pour l’attaque – l’action de Rechargement des Bombardiers TIE étant rouge (celle du TIE Punisher est blanche), outre qu’elle ne rend qu’une seule charge et au prix d’un marqueur de Désarmement pendant un tour, je voulais y avoir le moins possible recours… Peut-être ai-je été trop timoré à cet égard ? Quoi qu’il en soit, Jonus bénéficie d’une dernière amélioration : le Talent Salve de saturation (6), qui permet, quand on fait une attaque de Torpilles ou de Missiles, de dépenser une charge de plus de l’amélioration en question pour forcer le défenseur à relancer deux dés verts, au choix de l’attaquant – c'est potentiellement redoutable, mais, bien sûr, cela n’a aucun intérêt avec les Torpilles à protons avancées, qui n’ont qu’une charge, et c’est une faiblesse supplémentaire de cette liste…

 

Le second Bombardier TIE/sa est le Major Rhymer (34) : sa capacité spéciale, sympathique si moins bouleversante que celle de son collègue le Capitaine Jonus, lui permet, quand il attaque avec des Torpilles ou des Missiles, d’augmenter ou de réduire de 1 le prérequis de portée, dans la limite de 0-3 – les Torpilles à protons avancées, ou à vrai dire les Roquettes à protons, sont de suite plus intéressantes avec lui… Mais la liste de ses améliorations correspond parfaitement à celle du Capitaine Jonus.

 

Oui, j’en ai trop fait… Il faudrait charger un peu moins la bête. Orienter Rhymer vers les meuchantes armes à protons pourrait faire sens, mais il faut de manière générale tailler dans le gras ; je suis à peu près persuadé que, de la sorte, il y aurait moyen de caser un quatrième vaisseau dans cette compo ; ceci dit, un petit Chasseur TIE tout seul ne serait probablement pas d’une grande utilité… Il me faut réfléchir à ce que je pourrais faire – et vos suggestions sont bienvenues !

 

 

Ceci mis à part, la partie s’est bien passée pour moi. Je faisais face à une nouvelle compo rebelle d’Acteris, qui alignait un YT-2400, sauf erreur un Frontalier de l’espace sauvage, et un E-Wing, piloté par Gavin Darklighter ; mais, si l’aptitude de ce dernier, qui interagissait avec le YT-2400, a pu me causer quelques soucis, je n’ai finalement guère craint les tourelles.

 

J’ai très mal joué, pourtant – en tout cas pour ce qui est des Missiles et Torpilles : ici, j’oubliais le prérequis, là, j’oubliais combien les conditions de portée étaient restrictives… Pas glorieux, tout ça ! Mais après quelques cafouillages initiaux, je me suis repris, et, s’il m'a fallu plus de temps que nous le pensions tous les deux pour abattre le Frontalier de l’espace sauvage d’Acteris, j’y suis parvenu enfin, avec mes vaisseaux peu ou prou en pleine forme, et mon adversaire a concédé la partie.

 

Je me suis bien amusé avec les bombes, par contre ! Même en « trichant » involontairement (j’ai lancé une bombe avec un des Bombardiers, ayant oublié qu’eux ne disposaient pas d’un Simulateur de trajectoire, bouh ! Bon, ladite bombe n’a touché personne, alors ce n’était pas bien grave…) et en me collant quelques sueurs froides avec « Deathrain », malgré son Blindage ablatif ; j’ai même touché des adversaires avec des Charges sismiques, et j’en ai été le premier surpris…

 

Quoi qu’il en soit, si cette compo a sacrément besoin d’être optimisée, elle a fait du dégât, et je crois qu’elle a du potentiel ; « Deathrain » et Jonus sont vraiment bons, et Rhymer peut l’être. Il me faudra voir ce que je pourrai en faire…

LA NUÉE DE CHASSEURS – 200 POINTS

 

 

Les nuées (ou « swarms ») de chasseurs TIE, c’est COOL. Même si au fond je n’en avais jamais vraiment joué ? J’ai déjà aligné cinq Chasseurs TIE, à plusieurs reprises – mais c’était à chaque fois des Pilotes de l’Académie : le Chasseur TIE de base, celui qui, à en croire les développeurs du jeu, constitue le socle de la conception d’X-Wing – la référence qui sert de mesure à tous les autres vaisseaux. Et je « trichais » avec le principe même de la nuée, en associant à ces petits moustiques, comme tels bien pénibles mais aussi bien fragiles, un vaisseau de soutien – généralement une Navette de Commandement de Classe Upsilon, ce qui n’est plus possible maintenant que les factions de l’Empire Galactique et du Premier Ordre sont séparées.

 

Mais vous trouverez beaucoup de gens, sur le ouèbe, pour vous dire que la v2 favorise le retour des nuées. Et je veux bien le croire : ma première partie en « pseudo-v2 » (avant la sortie du matériel officiel), je jouais la compo boiteuse que je vous décrirai en fin d’article, et je me suis fait rouler dessus par une telle nuée…

 

Un atout non négligeable de la nuée de Chasseurs TIE en v2 réside dans les possibilités offertes par les pilotes de « l’Escadron Inferno », au nombre de quatre, qui ont tous une initiative de 4, et qui jouent bien sur la synergie : cela implique le vol en formation, ce qui est toujours compliqué, mais avec pour le coup un sacré potentiel de destruction… C’était une nuée de ce type qui m’avait massacré – mais, si j’ai pu « apprécier » de la sorte son efficacité, je n’ai pas voulu jouer la même.

 

Dans un premier temps, j’ai voulu reproduire le schéma décrit plus haut – avec des petits TIE, et un vaisseau de soutien gros (une Navette T4-A de Classe Lambda) ou moyen (un TIE Reaper). Outre l’habitude, et leur action de Coordination fort utile dans ce genre de situations, j’y étais incité par deux nouvelles cartes d’Equipage qui ont l’air sacrément redoutables avec des nuées : l’Amiral Sloane, et/ou Ciena Ree. Hélas, je ne suis pas parvenu à obtenir la moindre liste satisfaisante de la sorte… Il doit y avoir de quoi faire, et il me faudra me repencher sur la question un de ces jours.

 

Je me suis donc résolu à tenter la « nuée » pure. Si quelques éléments demeurent certains dans la composition de ce genre de listes de la v1 à la v2 (lire : il faut « Howlrunner »), l’arrivée de la v2 et donc de l’Escadron Inferno a un peu changé la donne – notamment du fait d’Iden Versio, la plus onéreuse de ces nouveaux pilotes. Et j’ai un problème avec elle : sa capacité lui permet de sauver un collègue, en gros, une fois par partie. C’est assurément le genre de « une fois par partie » qui peut s’avérer déterminant, mais j’ai du mal à me convaincre que cela soit vraiment un avantage si essentiel. En ne prenant pas Iden Versio, j’ai pu aligner six chasseurs TIE uniques, dont trois à Initiative 5 – ce qui est inenvisageable avec Iden Versio, il faut alors aligner des génériques d’une Initiative inférieure à 4. Et ces six vaisseaux ont chacun eu un Talent à un point d’escadron. Je me trompe sans doute – je suis loin d’être un bon créateur de listes et au moins aussi loin d’être un bon joueur – mais j’ai voulu tenter le coup comme ça, et, ma foi, ça a plutôt bien marché…

 

 

Voyons donc la liste dans le détail. Les six vaisseaux alignés sont tous des Chasseurs TIE/ln, donc, et seulement des pilotes uniques ; trois d’entre eux ont une Initiative de 5, et les trois autres une Initiative de 4 – ce sont donc les pilotes de l’Escadron Inferno.

 

Commençons par ces derniers : il y a tout d’abord Seyn Marana (30), qui a hérité de l’aptitude de l’ancien Wampa, ceci alors même qu’un pilote de Chasseur TIE du nom de Wampa existe toujours en v2, avec une faculté unique totalement différente. Or j’aimais beaucoup Wampa… Voyez ce compte rendu de bataille, si jamais, où il brille alors même que je me fais impérialement (…) poutrer… Bref : si Seyn Marana, en attaquant, obtient un Critique, je peux choisir d’annuler tous les dés pour effectuer un Dégât direct à la coque. C’est très cool en soi, mais encore mieux au sein de l’Escadron Inferno – et je suppose que c’est la raison pour laquelle Wampa a été dépossédé de cette compétence très particulière au profit d’un de ces nouveaux pilotes.

 

En effet, les deux autres vaisseaux de l’Escadron Inferno que j'ai joués ont des aptitudes qui ne se déclenchent qu’à partir du moment où le salopard séditieux d'en face est endommagé – et, comme dit plus haut, cela implique des dégâts à la coque, les boucliers ne sont pas pris en compte. Le plus important, dirais-je, de ces deux pilotes est Del Meeko (30), qui est une sorte de « Howlrunner défensif » : quand un vaisseau allié à portée 0-2 (ce qui l’inclut donc lui-même) se défend contre un attaquant endommagé, le défenseur peut relancer un dé de défense – ce qui pourra sauver plus d’un Chasseur TIE : cette aptitude me paraît donc bien plus essentielle que celle d’Iden Versio, certes plus « catégorique », mais qui coûte 10 points d’escadron de plus… Mais, une fois de plus, je me trompe peut-être/sans doute.

 

Et l’autre pilote de l’Escadron Inferno qui prend tout son essor quand il est confronté à un vaisseau endommagé est Gideon Hask (30) – sauf que lui, c’est le versant offensif : quand il attaque un défenseur endommagé, il lance un dé d’attaque supplémentaire. On voit bien, décidément, la synergie de l’Escadron Inferno…

 

Me reste trois vaisseaux – tous à Initiative 5. Sans surprise, la clef de voûte de la liste est l’indispensable « Howlrunner » (40) : tout vaisseau allié à porté 0-1 (ce qui l’inclut) peut rejeter un dé d’attaque quand il effectue une attaque principale. Avec le 2 rouge des Chasseurs TIE, c’est fondamental – et c’est aussi ce qui fait de « Howlrunner » la cible prioritaire des attaques adverses… et c’est bien pourquoi nombre de joueurs de nuées déploieront Iden Versio : spécifiquement pour sauver « Howlrunner ».

 

Les deux Chasseurs TIE restants orientent encore davantage la formation vers l’agression : tout d’abord, « Scourge » Skutu (32) lance un dé d’attaque supplémentaire quand il a sa proie dans le « Bullseye ».

 

Ensuite, « Mauler » Mithel (32) lance un dé d’attaque supplémentaire quand il attaque à portée 1.

 

Reste la question des améliorations. La compo « nue » fait 194 points : c’est parfait, cela laisse la possibilité d’associer à chaque vaisseau un Talent valant un point d’escadron – car tous disposent d’un emplacement de Talent. Cinq des six vaisseaux de cette liste ont ainsi reçu la carte Tireur hors-pair (1), qui dispose d’une unique charge, que l’on peut dépenser, si le défenseur est dans le « Bullseye », pour annuler un de ses résultats Évasion : oui, ça ne sert qu’une fois, mais ça n’est vraiment pas cher et ça peut faire la différence – c’est même relativement probable.

 

Le seul vaisseau à disposer d’un Talent alternatif dans cette liste est Seyn Marana : dans son cas, ce qui importe, c’est d’obtenir au moins un Critique en attaquant – or le Talent Adresse au tir (1) lui permet, là encore si le défenseur est dans le « Bullseye », de changer un résultat Dégât en un résultat Critique, ce qui lui permet d’user de la capacité anciennement wampienne (et il n’y a pas cette fois de problème de charge).

 

 

Je savais, en m’engageant dans la partie test, que je m’exposais à une difficulté valant bien celle de l’emploi des bombes dans la liste précédente : il me faudrait voler en formation – c’est particulièrement crucial ici : dans la mesure du possible, il faut que chaque vaisseau soit à portée 0-1 de « Howlrunner », et tant qu’à faire à portée 0-2 de Del Meeko. Or, même dans les simili-nuées que j’avais jouées en v1, cela n’avait jamais été pour moi un impératif aussi fondamental ; et comme je ne suis pas exactement un expert en matière de placement, d’anticipation et de manœuvre, l’âme même du jeu pourtant…

 

Mais la situation était rendue plus périlleuse encore par le choix d’Acteris d’aligner une compo racaille « bombes » ! Sur la base d’un Firespray (dont je ne me souviens plus du pilote, car dans les deux parties suivantes Acteris a joué également ce vaisseau, et je crois qu’il en a testé en tout trois pilotes dans cet après-midi) et d’un Bombardier Scurrg piloté par le Capitaine Nym. Or les bombes sont particulièrement dangereuses pour les nuées – et, ainsi que je l’ai appris dans la douleur quasiment en début de partie, les Missiles à concussion et les Missiles groupés sont très redoutables également…

 

Mais je m’en suis bien sorti – en fait, malgré quelques boulettes au tout début, je crois vraiment que c’est la partie durant laquelle j’ai le mieux joué de toute cette journée de test (et je me suis bien amusé) : la victoire était moins assurée qu’avec les deux compos précédentes, mais au fond ce n’est pas la question, ou pas totalement… Les obstacles ne m’ont pas causé beaucoup de problèmes, et, sauf erreur, les mines non plus. Et, si j’ai eu une grosse frayeur avec des Missiles à concussion, donc, j’ai pu non seulement maintenir la formation à peu près tout au long de la partie, et, par attrition, infliger des dégâts conséquents à mes adversaires.

 

Ce qui prenait du temps : c’est l’horloge qui a décidé du vainqueur. Et je n’étais pas très certain de l’emporter, du fait de la nouvelle règle, en v2, qui accorde à l’adversaire la moitié des points pour les vaisseaux qui ont perdu plus de la moitié de leurs « points de vie », y compris pour les petits socles ! Et ça c’est sacrément problématique pour les nuées… J’avais encore quatre sur six de mes Chasseurs TIE sur le tapis de jeu en fin de partie, mais deux d’entre eux n’avaient plus qu’un point de coque… Cependant, en face, j’avais (je crois ?) sorti un vaisseau et sérieusement endommagé l’autre : victoire impériale !

 

Mais, parmi les leçons de cette bataille, il y a eu aussi celle-ci : le Firespray, quel que soit son pilote, est vraiment balaise… Polyvalent, maniable, extrêmement rapide, avec une économie d’actions impressionnante. J’allais en faire les frais dans les deux dernières parties de cette journée…

IT’S THE MAJOR COUNTDOWN – 200 POINTS

 

 

Reste une liste – et c’est en fait « la plus ancienne », puisque je l’avais peu ou prou jouée en « pseudo-v2 » avant la sortie du matériel officiel (contre un joueur incomparablement meilleur que votre serviteur – même si j’ai remporté la revanche, mais je crois qu’il m’a « laissé faire », hein…). Elle m’avait l’air rigolote… mais elle ne fonctionne pas vraiment, et je vais essayer de dire pourquoi.

 

Adonc, l’idée de base impliquait d’associer un vaisseau de soutien agressif avec deux petits vaisseaux très agiles, à même de contourner et de taper depuis un endroit inattendu. Et il y avait une… bon, c’est tellement évident que parler de « combo » est un peu absurde… mais disons quand même une « combo », que j’avais envie de tenter, impliquant un TIE Reaper – or j’avais bien aimé ce vaisseau à la toute fin de la v1, et il m’avait l’air toujours intéressant en v2, même si un peu « atténué » ; la « combo » devait idéalement permettre de passer outre ces « nerfs ».

 

Quant aux vaisseaux d’accompagnement… Au début, j’avais conçu une compo couillonne/rigolote basée sur les Ailerons adaptables – une faculté native partagée par les TIE Reapers et les TIE Strikers : j’avais donc aligné un Reaper et deux Strikers. Puis je me suis dit que, pour un prix relativement proche, je pouvais, en envoyant balader la thématique certes, remplacer un de ces Strikers par un Intercepteur TIE bien plus efficace – d’autant qu’il s’agissait d’aligner le légendaire pilote Soontir Fel !

 

Mais cette compo présentait déjà un gros problème : j’adooooOOOoooore jouer ce genre de vaisseaux… mais je suis un très mauvais pilote tout spécialement avec eux, je ne parviens pas à tirer parti de toutes les possibilités de leur économie d’actions, et je ne suis pas assez doué pour anticiper au mieux les déplacements de mon adversaire – ce qui peut vite s’avérer fatal pour le pauvre Soontir Fel, notamment.

 

Et il y avait sans doute un deuxième problème : le manque de synergie de l’ensemble.

 

Mais voyons donc la liste dans le détail…

 

 

Commençons donc par le TIE Reaper, un socle moyen à Initiative 4 puisque piloté par le Major Vermeil (49). Comme tous les Reapers et Strikers, le vaisseau a des Ailerons adaptables, qui imposent, sauf en cas de stress, de faire une manœuvre blanche à vitesse 1 (Tout Droit ou Virage sur l’aile) avant de révéler le cadran de manœuvre. Une compétence essentielle du Reaper est l’action de Brouillage, qui, pour faire (très/trop) simple, empêche un vaisseau ennemi proche (portée 1 seulement...) d’avoir des jetons bleus ou verts (et donc favorables) ; c’est une option de contrôle particulière, mais qui peut s’avérer très pénible avec les bonnes cartes. Or le Major Vermeil a une faculté spéciale liée : quand il attaque, si le défenseur n’a pas de jetons verts, alors le Major peut changer un de ses résultats vierges ou Concentration en un résultat Dégât. Mais il faut y associer deux autres cartes : d’une part, la plus redoutable (et la plus coûteuse…) n’est autre que l’Équipage Dark Vador (14 points d’escadron, tout de même !), qui, non content de donner un jeton de Force récurrent au Reaper, permet, au début de la phase d’engagement, de choisir un vaisseau ennemi dans l’arc de tir avant à portée 0-2, et de dépenser un jeton de Force pour lui infliger un Dégât automatique, à moins qu’il ne sacrifie un jeton vert – or le Brouillage, le Major, Dark Vador lui-même, sont autant de raisons pour imposer à l’adversaire de ne pas avoir de semblables jetons… Et il faut y ajouter une dernière carte, l’Équipage Slicer du BSI (3), qui fait que les vaisseaux ennemis à portée 0-2 conservent leurs marqueurs de Brouillage (il s’agit en effet de marqueurs ronds, qui disparaissent normalement à la fin du tour)…

 

Cependant, cette tactique n’est pas efficace contre toutes les listes (si elle est efficace contre certaines, ce qui n’est pas garanti…), et j’ai eu l’occasion de constater que le Reaper fonctionnait mieux avec un pilotage agressif – c’est pourquoi je lui ai donné le Talent Intimidation (3), déjà décrit dans la première liste envisagée dans cet article ; cela me paraissait d’autant plus appropriée que la faculté essentielle de Dark Vador fonctionne également au contact…

 

Voilà pour le Reaper – passons maintenant aux deux petits vaisseaux qui l’accompagnent. Le premier est donc un Intercepteur TIE/in, et pas n’importe lequel : le fameux baron Soontir Fel (52), un des meilleurs pilotes du jeu, avec une Initiative de 6 (ce qui est devenu très, très rare en v2). Les Intercepteurs TIE ont une remarquable économie d’actions, qui doit beaucoup à leur faculté native Autopropulseurs : après avoir effectué une action, ils peuvent faire un Tonneau rouge ou une Accélération rouge – en v2, c’est ce qui se rapproche le plus de l’ancien Talent Repousser les limites, désormais banni du jeu. Et Soontir Fel en rajoute une couche non négligeable, car, au début de la phase d’engagement, s’il a un adversaire dans son « Bullseye », il gagne automatiquement un marqueur de Concentration !

 

Côté améliorations, j’ai cependant fait des choix très discutables. Tout d’abord, trop conscient de ce que cet excellent vaisseau peut partir en fumée à la moindre erreur de pilotage (et je m’y connais, en erreurs de pilotage...), j’ai voulu lui conférer une certaine protection : tout d’abord, je lui ai donné un Système d’occultation, dont le coût est variable, en fonction de l’Agilité du vaisseau concerné – l’Intercepteur ayant une Agilité de 3, cette amélioration coûte pour lui le prix maximum de 8 points d’escadron ; mais il y gagne un dé d’Agilité de plus, du moins jusqu’à ce qu’il subisse des dégâts (et pas forcément d’une attaque, nous précise-t-on maintenant en v2 : un obstacle ou une bombe peuvent faire disparaître cette protection – qui est en outre maintenant matérialisée par une charge unique, ce qui est une bonne idée). Dans le même esprit, je lui ai donné un point de coque supplémentaire avec Coque améliorée – là encore, cette Modification (oui, l’Intercepteur a droit à deux Modifications, ce qui nous rappelle son vieux Titre de TIE de la Garde Royale en v1 ; mais d’autres vaisseaux sont maintenant dans ce cas), cette Modification, disais-je, a elle aussi un coût variable en fonction de l’Agilité : pour un Intercepteur, elle vaut donc 7 points d’escadron, le maximum là encore. Je sais que beaucoup de joueurs trouveront ces choix bien trop coûteux – et, si l’on pilote efficacement Soontir Fel, il est supposé pouvoir se passer de ces Modifications ; je n’en doute pas, mais je ne suis pas capable de le piloter avec autant d’assurance… Et la nouvelle règle concernant les Évasions est très problématique pour moi, de manière générale… Cette « garantie » supplémentaire me paraissait donc utile.

 

Mais il s’agit également de lui donner davantage d’attaque, et c’est pour quoi je lui ai donné le Talent Prédateur (2) : quand il effectue une attaque principale, si le défenseur est dans le « Bullseye » (et il a tout intérêt à y être pour Soontir Fel, qui y gagne aussi un jeton de Concentration, donc), alors on peut relancer un dé d’attaque.

 

Reste un vaisseau : un TIE/sk Striker, plus précisément mon chouchou « Countdown » (44 points). Comme le Reaper, en tant que Striker, « Countdown » a des Ailerons adaptables, qui fonctionnent exactement de la même manière. Mais il a aussi une capacité unique très chouette, héritée de la v1 : quand il défend, s’il n’est pas stressé (condition à garder en tête !), il peut choisir de prendre un Dégât et un jeton de Stress pour annuler tous les dés. Histoire qu’il dure un peu plus de la sorte, je lui ai donné un point de coque supplémentaire avec Coque améliorée – son Agilité étant de 2, cette Modification coûte pour lui 5 points d’escadron (au lieu de 7 pour l’Intercepteur) : les mêmes critiques s’adressent à ce choix, je suppose.

 

Je lui ai donné aussi le Talent Manœuvre improbable (6), qui s’accorde bien avec ses Ailerons : s’il attaque dans son arc de tir primaire frontal sans être dans l’arc de tir du défenseur, alors celui-ci jette un dé de défense de moins. J’ai eu l’occasion de constater que ça fonctionnait plutôt bien – enfin, pas si bien que ça face à un Firespray, au hasard, qui a un arc de tir arrière…

 

Le reste, c’est un peu du remplissage – et c’est un autre problème flagrant de cette liste. Bref : j’y ai ajouté deux cartes déjà envisagées dans la deuxième liste présentée plus haut, à savoir des Bombes à protons (5) et un Bombardier compétent (2) – car, oui, le Striker peut maintenant emporter des bombes et a un « slot » d’Artilleur. Mouais… Bon, ça n’a pas été totalement inutile dans les parties jouées contre Acteris, mais…

 

Oui. Je sais.

 

… Mais je me suis fait déboîter. Sur les quatre parties jouées avec cette compo (approximativement : il y avait quelques différences dans les tentatives en « pseudo-v2 », contre une nuée de Chasseurs TIE ; Acteris, lui, m’a opposé deux variations aussi redoutables l’une que l’autre sur le duo de Racailles Firespray/Star Viper), j’en ai perdu trois, et très sévèrement. Je n’ai absolument rien pu en tirer – enfin, si : là un Dark Vador que l’adversaire avait malencontreusement oublié, ici un « Bullseye » très rentable de Soontir Fel, et, de manière plus récurrente, des manœuvres improbables appréciables de la part de « Countdown »…

 

Mais j’ai fait plein de conneries, des mauvais positionnements, le fâcheux oubli que Soontir Fel ou surtout « Countdown » étaient stressés, ce genre de choses… Sans même parler de (aheum) quand j'ai mis fin à la dernière partie en faisant sortir mon Reaper de toute façon condamné du tapis de jeu.

 

...

 

Et ça fait deux fois que ça m'arrive (la fois précédente, c'était à cause d'un rayon tracteur).

 

La teuhon...

 

La leçon, cinglante, est d’abord que je ne suis pas assez doué pour jouer efficacement des vaisseaux tels que l’Intercepteur TIE ou le TIE Striker : j’adoooOOOooore les jouer, mais je les joue mal. Il me faudra travailler tout ça.

 

Mais il y a un deuxième versant de la leçon – et c’est que le Reaper est infernal à piloter : les Ailerons, sur un socle moyen que je ne maîtrise pas bien, ont plus de chances de lui nuire qu’autre chose, contrairement à ce qui se passe pour le TIE Striker ; et, surtout, son cadran de manœuvre est atroce – je crois qu’il a changé, et qu’il est beaucoup plus sévère qu’en v1 ? En tout cas, faire tourner ce veau marin galactique est une torture… Et c’est d’autant plus redoutable qu’il ne fonctionne pleinement, avec sa combo, qu’à la condition d’effectuer des manœuvres très précises, et en même temps très complexes.

 

Ceci dit, la combo en elle-même fonctionne-t-elle ? Bof… Enfin, si : Dark Vador est redoutable – mais il le serait probablement bien davantage sur un autre vaisseau, plus maniable (oui, je songe à tenter de le caser sur un TIE Fantôme, ce qui est potentiellement suicidaire, mais pourrait être assez rigolo…). Mais le Brouillage, avec le Slicer du BSI ? Sur ces quatre parties, j’ai dû pouvoir le placer, en tout… allez, deux fois. Et sans que ça handicape vraiment mon adversaire – même si le Major Vermeil a pu en profiter pour ses attaques, sans briller spécialement toutefois. La portée 1 du Brouillage est vraiment problématique, ici…

 

Bref : ça ne marche pas. Il y a des failles dans la liste, et dans mon jeu (aheum !). Je retenterai peut-être le Reaper/Vador un de ces jours, mais là je suis vacciné dans l’immédiat.

 

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui… N’hésitez pas à commenter, critiquer, suggérer, modifier, etc., ça m’intéresse !

 

Prochainement, un nouvel article de ce genre avec d’autres compos impériales… et peut-être une ou deux rebelles ? Ce qui serait folklorique : jusqu’à présent, j’ai presque systématiquement joué Empire Galactique/Premier Ordre… Mais c’est en se plantant qu’on apprend, hein ?

 

...

 

N'empêche, l'Empire, les costumes sont plus classes.

Mes articles consacrés à X-Wing ont désormais leur blog dédié, Random Academy Pilot ! La suite là-bas !

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Innocent, vol. 1, de Shin'ichi Sakamoto

Publié le par Nébal

Innocent, vol. 1, de Shin'ichi Sakamoto

SAKAMOTO Shin’ichi, Innocent, vol. 1, [Inosan イノサン], traduction [du japonais] et adaptation [par] Sylvain Chollet, [s.l.], Delcourt, coll. Manga seinen, [2013] 2015, 204 p.

 

Attention, cette chronique peut comporter quelques SPOILERS, je suppose...

C’est une fois de plus l’excellente revue Atom qui m’a incité à la lecture de ce manga de Sakamoto Shin'ichi, au sujet étonnant : la biographie, très libre et inspirée plus concrètement d’un roman (semble-t-il ?) japonais, d’un fascinant personnage de l’histoire de France, le bourreau Charles-Henri Sanson, le plus célèbre représentant d’une véritable dynastie d’exécuteurs des hautes-œuvres, et ceci parce qu’il a mis à mort, sur l’échafaud, près de 3000 personnes au cours de sa longue carrière – il faut dire qu’il était le bourreau en chef parisien durant une période particulièrement sanglante de l’histoire de France : la Terreur… C’est lui qui a tranché le col de Louis XVI – mais aussi celui d’Hébert, de Danton, de Desmoulins, puis ironiquement ceux de Robespierre ou Saint-Just… Parmi bien d’autres – et ceci sans même mentionner sa carrière antérieure à la Révolution et à la guillotine ; or il faut la prendre en compte également, car les noms fameux sont là aussi de la partie : Sanson a présidé (dans la douleur) à l’atroce supplice du régicide Damiens, décrit en long et en large en introduction du Surveiller et punir de Michel Foucault (comme le disait le grand philosophe Garth : « Si tu vomis, vomis là-dedans. ») ; il a également foiré, et c’est peu dire, l’exécution déjà passablement « problématique » (quel euphémisme…) dans son principe même de Thomas Arthur de Lally-Tollendal… et, en parlant d’exécutions, et même de supplices, « problématiques », on ne saurait oublier le cas invraisemblable du chevalier de La Barre ! Ces deux dernières affaires, précisément, ont avivé le courroux de Voltaire, et j’en avais déjà causé sur ce blog, il y a longtemps de cela… Mais ce ne sont là que quelques noms fameux qui ont traversé l’histoire – le reste, à ce stade, des statistiques ? Au regard de l’histoire peut-être – mais, sur l’échafaud, il en allait sans doute autrement...

 

Aucun doute : c’est un très bon sujet pour une BD – inattendu de la part d’un auteur japonais, peut-être, mais pourquoi pas ? En soulignant d’emblée que Sakamoto Shin’ichi, pas exactement un inconnu, n’avait pas l’intention de livrer un manga particulièrement scrupuleux au plan historique (et ce n'est probablement pas un problème) – même en s’appuyant sur une documentation parfois précise et en faisant appel à une liste impressionnante d’historiens japonais pour veiller à ce qu'il ne raconte pas n'importe quoi non plus : on en trouve la liste, ainsi que celle des assistants, dans une sorte de générique en fin de volume – c’est qu’il y en a, du monde, qui a bossé sur Innocent ! Et ça se sent au final, notamment au regard du graphisme, œuvre collective qui fait largement appel aux technologies informatiques, pour un résultat de toute beauté…

 

Ce premier tome introduit le personnage du jeune Charles-Henri Sanson, sous le règne de Louis XV. Le garçon, aux traits efféminés et à la longue chevelure qui vole au vent (un peu trop à vrai dire, et j'y reviendrai…), déteste sa condition, et redoute son avenir : il ne veut pas devenir bourreau ! Et il souffre de ce que tout le monde le rejette… Les Sanson sont appointés par le roi depuis plusieurs générations, leur statut est tout ce qu’il y a d’honorable – mais on les craint, et la superstition est de la partie… Le très émotif Charles-Henri en vient à se rebeller ; son père, Charles Jean Baptiste, le troisième bourreau Sanson, en vient, lui, à supplicier son propre fils, la chair de sa chair (il en conclut qu’il se supplicie donc lui-même…), pour contraindre l’enfant timoré à admettre qu’il n’a de toute façon pas le choix. Il s’agit dès lors de faire son apprentissage – ce qui passe aussi par le rôle « social » des Sanson : on les craint, mais, lors de fêtes suintant la décadence, des aristocrates peuvent leur demander de faire la démonstration de leurs talents… Et si l’adolescent Charles-Henri se résout petit à petit à devenir un bourreau comme son père et son grand-père et son arrière-grand-père avant lui, il n’en est pas moins porté à se rebeller contre ceux qui ne font que trop peu de cas de la vie et de la mort, et pas seulement celles des hommes. Et quand ce tome 1 se conclut (vague SPOILER les gens, attention si jamais…), Charles-Henri doit procéder à sa première exécution – celle d’un jeune homme de 14 ans, Jean de Chartois, dont il était tombé fou amoureux…

 

J’ai lu deux fois ce premier volume, avant d’en livrer la présente chronique – ceci… eh bien, parce que je ne savais pas exactement ce que j’en pensais. Il n’y avait qu’un point de certain : le dessin est vraiment très beau, même s'il ne plaira probablement pas à tout le monde. Comme dit plus haut, il fait appel à des outils informatiques, de manière marquée, et s’appuie souvent sur des photographies, pour un résultat extrêmement réaliste – ceci au fil de pages au découpage relativement sobre, mais très cinématographique, avec un montage complexe, des plans de coupe, comme des arrêts sur image, etc., souvent de manière « muette » d'ailleurs.

 

Ce « photoréalisme » vaut du moins pour ce qui est des décors, disons, et éventuellement les costumes, à ceci près que, là, Sakamoto Shin'ichi tend à en rajouter. Mais les traits des personnages demeurent très « manga »… et à vrai dire pas toujours pour le mieux, car, si on se fait au caractère geignard d’un Charles-Henri très pathos, très romantique même, précurseur aux mains bientôt ensanglantées d’un Werther ou d’un René, les longues chevelures animées d’une vie propre peuvent laisser davantage sceptique, et il en va probablement de même pour le parti pris homoérotique de la BD, qui se fonde sur des personnages de garçons androgynes au corps lisse et à la tenue extravagante totalement fantasmés. Ce qui est un peu déconcertant – même si pas forcément vain et certainement pas hors de propos : à vrai dire, ceci, associé bien sûr au thème même de la BD, et, dans ce premier tome, à l’emploi de la torture, a fortiori dans un contexte… intime (!), voire à quelques choix de « cadrage » qui, sans être le moins du monde pornographiques, jouent quand même de la chair exposée et des sécrétions corporelles, tout ceci donc, m’a inévitablement ramené aux écrits du marquis de Sade – un guide idéal pour cette période troublée !

 

Et qui offre un sacré contraste avec les rêveries amoureuses associant tout d’abord Charles-Henri et Jean de Chartois, et qui dégoulinent quand même un peu de niaiserie, si le désir plus ou moins refréné est bien d’emblée de la partie… Cette amourette, à vrai dire, était probablement ce qui m’avait un peu refroidi à la première lecture – dans le fond comme dans la forme. Jean de Chartois brillant de mille feux, entouré d’une aura de pure et divine lumière, qui récite des comptines en anglais tout en virevoltant gracieusement, dans les champs comme dans les salons, en secouant au ralenti sa crinière léonine, au point de la pub L’Oréal parfois, ben, euh… J’ai trouvé ça quand même un peu ridicule, hein.

 

Mais je suppose qu’il ne faut pas s’y arrêter – et que ce premier tome compense cette éventuelle lourdeur (qui n’en sera pas une pour tout le monde) en mettant en scène des idées bien plus intéressantes. J’ai tout particulièrement apprécié la fin de ce tome 1 – et pas seulement parce qu’elle met en scène l’exécution du pénible Jean de Chartois, hein ! Ce que je trouve très intéressant, ici, c’est la manière dont Sakamoto Shin’ichi rend la « vision » de Charles-Henri, l’outil trompeur qu’il a développé pour se montrer capable d’accomplir son horrible tâche – un procédé qui a quelque chose d’expressionniste je suppose : il voit le condamné comme un mannequin, de toile, de paille et de cordes – mais, en l’envisageant ainsi, c’est son monde entier qu’il bouleverse : toute la foule, cruelle et assoiffée de sang, qui se presse pour assister à l’exécution, est composée de semblables mannequins… et Charles-Henri lui-même en est un ! Cette scène est vraiment très forte, et très juste : là, la narration et le dessin se montrent brillants ensemble, et cette ultime séquence, avec son, euh… cliffhanger ? donne pour le coup pas mal envie de lire la suite.

 

Je ne sais pas encore si je suivrai la série jusqu’au bout (elle est terminée et fait neuf tomes, auxquels il faut ajouter un spin-off du nom d’Innocent Rouge, en cours de publication) ; d’autant que je ne peux pas prétendre avoir été totalement emballé par ce premier volume – je reste même encore un peu indécis, à vrai dire… Mais je suis suffisamment curieux pour désirer lire le tome 2, et je suppose que je verrai alors si je dois poursuivre ou pas.

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Dans la toile du temps, d'Adrian Tchaikovsky

Publié le par Nébal

Dans la toile du temps, d'Adrian Tchaikovsky

TCHAIKOVSKY (Adrian), Dans la toile du temps, [Children of Time], traduit de l’anglais par Henry-Luc Planchat, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2015] 2018, 578 p.

Ces dernières années, et notamment parce que j’ai lu pas mal de choses nippones, je me suis assez peu tenu au courant de l’actualité en littératures de l’imaginaire – une seule vraie exception : la collection « Une heure-lumière » des éditions du Bélial’. Mais, même dans le cadre de Bifrost, les publications récentes que je chroniquais étaient en fait plus qu’à leur tour la réédition de vieux machins… Cela faisait pas mal de temps que je voulais changer tout ça, et mes perspectives d’avenir m’incitant à mettre un peu le frein concernant les chroniques de choses japonaises (sans les abandonner), j’espère pouvoir en retirer au moins cet avantage.

 

Mais, du coup, je suis passé à côté de plein, pleiiiiiiiiin de choses. Je vais essayer de rattraper mon retard sur quelques-unes – et, aujourd’hui, je vais donc vous causer de Dans la toile du temps, roman de science-fiction (récompensé par le prix Arthur C. Clarke 2016) de l’Anglais Adrian Tchaikovsky, autour plutôt connu en Anglosaxonie pour ses romans de fantasy ; sauf erreur, c’est sa première traduction française. On m’avait dit beaucoup, beaucoup de bien de ce roman, et je peux d’ores et déjà confirmer qu’il vaut le détour, tout à fait. C’est typiquement le bouquin qui fait avec habileté mais sans forfanterie la démonstration de ce que la science-fiction peut être merveilleusement excitante – et pour le coup d’une manière assez fédératrice, je crois, car si l’on classe généralement ce roman dans le registre « hard SF », c’est tout de même un « hard » bien plus « soft » que, mettons, du Stephen Baxter (même s’il y a une parenté, je suppose – et pas seulement avec Évolution, si c’est bien le premier titre qui vient en tête), sans même parler de Greg Egan. En même temps, Children of Time joue de thèmes classiques de la SF, le planet opera, les arches stellaires, etc., tout en comprenant son lot d’allusions et autre clins d’œil révérencieux (dont certains qui me sont passé sous le nez because of que mon inculture) ; cela vaut notamment pour le « cycle de l’Élévation » de David Brin, au premier chef, et de manière parfaitement affichée (non, je ne l’ai pas lu non plus – mais la thématique de l’élévation m’intéresse, surtout depuis que j’y ai été plus concrètement initié par le jeu de rôle Eclipse Phase, et notamment son supplément Panopticon ; à moins qu'il ne faille remonter au génial Demain les chiens de Clifford D. Simak ?).

 

Dans quelque temps de cela, l’humanité se lance véritablement dans la conquête de l’espace – qui a d’autres implications, car tout est lié. Ainsi, la docteure Avrana Kern a développé un projet consistant à libérer des primates dans un environnement terraformé, dans un lointain système solaire, une planète en proie à l’action d’une sorte de virus destiné à accélérer considérablement leur évolution ; la savante folle a des ambitions démiurgiques, et l’idée est bien, à terme, que les primates évolués envisagent les humains comme étant leurs créateurs et leurs dieux. C’est typiquement le genre d’hybris qui révulse les réacs écoterroristes du groupe Non Ultra Natura… qui font tout foirer. Au cours de l’attentat, les primates sont éliminés, et tous les humains supposés veiller au succès de l’expérience – sauf la docteure Kern, qui parvient par miracle à se réfugier dans le satellite sentinelle au-dessus du « Monde de Kern » ; la scientifique lance aussitôt un appel au secours… mais tout indique qu’elle restera seule dans le vide glacé de l’espace pendant des millénaires, et probablement à jamais, en attendant vainement que quelqu’un lui réponde…

 

Mais, sur la planète, en l’absence des primates qui étaient sa cible initiale, le virus évolutionniste affecte une autre cible totalement imprévue – des araignées, surtout… En effet, dans ce monde terraformé, les humains avaient transplanté un écosystème terrien, ce qui incluait bien des végétaux et animaux. Plusieurs de ces derniers, en fait, sont affectés par le virus – mais c’est avec une espèce d’araignées, les portia labiata, qu’il rencontre le plus de succès. Ces araignées sauteuses connaissent ainsi un développement accéléré, qui n’était pas le moins du monde prévu par Kern, et en viennent à constituer une civilisation originale, passablement distincte des modèles de développement de l’humanité. Mais le virus prédispose en même temps ces araignées à l’idée qu’elles ont été créées par « quelqu’un » ; et elles voient, dans le ciel de leur planète, le scintillement mobile de la Messagère…

 

Et les humains ? Eh bien, ils ont quelques soucis… En fait, l’attentat auquel a miraculeusement réchappé la docteure Kern n’était d’une certaine manière qu’un parmi tant d’autres. L’humanité s’est écharpée sur son avenir, et de manière radicale – au point de son quasi-anéantissement. Quelques millénaires plus tard, l’humanité paraît pouvoir se reprendre… mais c’est un leurre : travaillée par les mêmes démons qui reviennent sans cesse, et pâtissant des dégâts considérables infligés à la Terre par des millénaires de guerre totale, l’humanité est condamnée. Dans un ultime geste défensif, l’ultime civilisation terrestre, bien moins avancée technologiquement que « l’Ancien Empire », comme on qualifie improprement le temps d'Avrana Kern (et à vrai dire le nôtre), l’ultime civilisation donc lance à travers l’espace plusieurs arches stellaires, en quête d’une nouvelle planète où survivre. Le vaisseau Gilgamesh a une cargaison de 500 000 êtres humains, qui sont peut-être les derniers dans toute la galaxie ; ils naviguent pendant des millénaires, dans leurs caissons de cryogénisation. Mais, de temps en temps, l’élite de ce groupe, constituée d’experts (outre le commandant, des scientifiques, des ingénieurs, des services de sécurité…), est « réveillée » pour réagir aux situations de crise – or le Gilgamesh a capté la balise d’Avrana Kern, et espère que ce signal provient d'un monde terraformé, puisque l'on dit que la technologie de l'Ancien Empire était suffisamment avancée pour ce genre de projets totalement démesurés ! Mais l'équipage du Gilgamesh ne se doute pas le moins du monde de ce qui se trouve sur la planète en question ; à vrai dire, la scientifique folle elle-même n’en a pas idée ! Mais elle est la déesse de ces « singes », forcément… Et les autres singes, ceux qui ont l'impudence de venir déranger son expérience, ne sont pas les bienvenus !

 

Le roman alterne dès lors, un chapitre sur deux (avec quelques inserts çà et là), l’histoire du développement des araignées sur le Monde de Kern, et les péripéties catastrophiques qui affectent les ultimes Terriens, déprimés, à bord d’un Gilgamesh en fin de vie lui aussi. Cette histoire parallèle se déroule sur plusieurs millénaires – ce qui a de quoi donner le vertige, tout en étant un laps de temps très court pour le développement de la civilisation aranéide ; heureusement, le virus est là ! C’est notamment au regard de cette échelle que je n’ai pu que penser à l’excellent roman Évolution de Stephen Baxter.

 

Mais Adrian Tchaikovsky, à son tour, use d’un procédé assez pertinent pour conserver une certaine unité à son roman, à l’égard des personnages. Bien sûr, à bord du Gilgamesh, le réveil récurrent des mêmes personnes est une solution évidente à ce problème. Mais, sur le monde de Kern, l’auteur use de certains archétypes qui, au fil (aha) d’innombrables générations, conservent les mêmes noms, Portia, Bianca, Viola, Fabian – chaque nouvelle itération de ce nom correspondant à un descendant (enfin, une descendante, le plus souvent) de la précédente araignée à l’avoir porté dans le cadre narratif du roman. C’est assez pertinent, et, pour le coup, cela m’a fait penser aux archétypes réincarnés dans l’excellente uchronie de Kim Stanley Robinson Chroniques des années noires (et, comme à chaque fois, je me dois de pester contre la débilité profonde de ce titre français, grmf).

 

Cette structure relativement rigide n’est toutefois pas sans inconvénients – notamment celui de l’artificialité : au bout d’un certain temps, il faut introduire des développements ici pour poursuivre l’alternance avec ce qui se passe là, et cela peut déboucher sur des chapitres un peu gratuits ; pas excessivement, ceci dit, et si ce roman est long, et sans doute un peu trop long, il ne m’a pas ennuyé un seul instant.

 

Cela tient à ce qu’Adrian Tchaikovsky sait raconter une histoire – ceci alors même que son style est au mieux fade, disons neutre ou utilitaire ; et que ses personnages, notamment humains, manquent parfois un peu d’épaisseur – ou pas, car il s’agit sans doute délibérément de mettre en scène une bande de losers désespérés et totalement possédés par de vieux réflexes de primates : il faut qu’ils fassent connerie sur connerie pour qu’on les envisage comme humains, et c’est bizarrement ainsi qu’ils peuvent susciter une certaine pitié entre deux facepalms. Si les araignées s’en tirent plus « héroïquement », cela tient probablement à leur caractère non humain, je suppose. On pourrait être tenté, dès lors, de préférer un fil (aha) rouge à l’autre, et, globalement, c’est bien dans le développement de la société aranéide que se trouvent les apports notamment science-fictifs les plus excitants. Pour autant, le versant « humain » de Dans la toile du temps n’est à mes yeux ni inutile, ni inintéressant ; en fait, j’admire même la tension que l’auteur parvient à entretenir, dans certains chapitres où le suspense est éprouvant, dans une vraie mécanique de thriller – j’entends une mécanique qui fonctionne véritablement, au-delà des artifices de narration un peu faciles et fainéants que l’on associe souvent au genre. Et, enfin, l’alternance entre les deux narrations est pertinente, génératrice de sens en elle-même – et peut-être de plus en plus à mesure que l’on progresse dans le roman, ce jusqu’à sa conclusion… particulière. N'en disons pas plus.

 

Maintenant, on ne va pas se leurrer, c’est bien sur le Monde de Kern que le roman se joue véritablement – dans l’évolution accélérée de la civilisation des araignées.

 

,,,

 

Je hais les araignées. Je hais ces BESTIOLES. Elles me font PEUR ! Je suis arachnophobe jusqu’au bout des chélicères, la photo ou même le dessin d’une araignée suffisent à me faire bondir au plafond – et si je vois vraiment une de ces bestioles, qu’importe si elle ne fait que 5,2 mm, je m’enfuis en hurlant. Ce sont des MONSTRES. Avec un nombre de pattes ANORMAL.

 

 

Mais Adrian Tchaikovsky nous fait aimer ces araignées – le cruel. Mon arachnophobie ne m’a à vrai dire pas le moins du monde gêné à la lecture de Dans la toile du temps ; mais ils parlent d’une adaptation cinématographique et là NON NON NON JE REFUSE NON NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !!!

 

 

Je m’égare un peu, pardon.

 

Adrian Tchaikovsky a fait un très beau boulot, en bâtissant toute une civilisation résolument non humaine, qui devait prendre en compte les spécificités non anthropomorphiques des araignées – ce qui inclut leur perception très particulière, la vie en trois dimensions, la communication par la toile (beau retournement de métaphore), ce genre de choses – mais aussi la domination des femelles, avec des mâles tout juste bons à être bouffés après la copulation, ce genre d'autres choses – mais aussi l’insertion dans un écosystème différent, globalement affecté par le virus d’Avrana Kern, or doit en découler le rapport des araignées aux autres espèces, et de manière non humaine. Un point particulièrement saisissant à cet égard est la technologie développée par les araignées – pas ou peu de métaux, mais beaucoup de biotechnologie… avec des fourmilières en guise d’ordinateurs ! C’est aussi fascinant qu’enthousiasmant.

 

Je suppose pourtant que ce caractère « non anthropomorphe » de la civilisation aranéide doit en fait être relativisé – inévitablement, je suppose, car le plus grand des génies humains ne parviendrait probablement pas à faire abstraction de son être et de sa culture pour générer un autre totalement autre, si seulement cela voulait dire quelque chose. De fait, Adrian Tchaikovsky n’est pas ce génie – et ne le prétend pas. Aussi l’opposition entre la civilisation en voie de développement rapide des araignées et la civilisation mourante et décadente des humains est-elle tout naturellement forcée, au point où l’une ne saurait faire sens sans envisager l’autre. En fait, je tends à croire que, sur le mode de l’utopie peut-être, Adrian Tchaikovsky a bâti le Monde de Kern comme un miroir – il s’agit bien de refléter ce qui se trouve en face, certainement pas de s’en détacher complètement. C’est sensible dans divers domaines et de diverses manières, mais je crois que ce qui l’illustre le mieux réside dans le caractère matriarcal de la société aranéide, avec des mâles résolument inférieurs, au point où leur meurtre n'a rien de criminel – c’est pertinent au regard du comportement réel de ces araignées, tel qu’il a pu être constaté sur notre Terre, mais, au bout d’un certain temps, cela va au-delà : quand Fabian entame son combat pour l’égalité des sexes, c’est bien à l’humanité que nous sommes renvoyés, à la condition des femmes et aux luttes féministes – le reflet dans le miroir a donc forcément quelque chose d’humain, sans quoi il ne serait pas un reflet.

 

Et la religion ? Je crois que c’est encore autre chose, même s’il y a forcément de çaet que c’est un des éléments qui m’ont le plus intéressé dans le roman, à vrai dire. L’idée est que le virus prédispose les araignées à la croyance religieuse – même s’il était destiné initialement à des primates, il a conservé tout en changeant de cible sa fonction essentielle, qui était de faire en sorte que les animaux surévolués du Monde de Kern accueillent le moment venu les humains comme leurs créateurs, et leurs dieux. Consciemment ou pas, Avrana Kern en a rajouté une couche – elle est LA créatrice, elle est LA déesse. Le point intéressant dans Dans la toile du temps, et qui amène sans doute à réfléchir sur le cas humain en retour, est que les araignées ont littéralement leur déesse, qui les a bel et bien créées, sous leurs yeux : nul besoin d’une révélation mystique ou de quelque autre artifice du genre, il suffit de regarder, dans le ciel, la Messagère, qui se déplace de la même manière depuis des millénaires. Mais cela va au-delà, car les araignées et la Messagère communiquent – par radio ! Dans un premier temps, c’est seulement que le satellite envoie des équations à la surface de la planète ; l’idée est qu’un jour les habitants du Monde de Kern sauront capter ce message, comprendre sa nature et être en mesure d’y répondre – ce qui déclenchera un stade ultérieur de l’expérience, préparant l’arrivée sur le monde terraformé des démiurges humains. En soi, cette idée n’est pas si originale, je suppose – c’est une variation sur « La Sentinelle » d’Arthur C. Clarke, et donc sur 2001 l’Odyssée de l’espace, etc. Mais les implications de tout ce système sont bien travaillées par l’auteur, qui, à mesure que la communication est rendue possible entre la Messagère et les araignées, montre ces dernières, non sans quelques sursauts de fanatisme meurtrier,  un autre mode du miroir humain, appréhender la possibilité que la déesse qu’elles étaient programmées pour adorer puisse être en fait folle, et puisse aussi, même en étant leur créatrice, ne pas être d’essence divine. Il y a beaucoup de choses très intéressantes dans tout cela.

 

Comme dans tout le roman. J’ai vraiment beaucoup aimé Dans la toile du temps : même avec ses défauts çà et là, indéniables, c’est en quelque sorte un idéal du bon roman de SF, inventif, vertigineux, troublant, excitant. Et c’est aussi, comme les meilleurs, un roman qui donne envie d’en lire d’autres.

 

On a parlé d’un film (NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON!!!), on a parlé d’une suite, on a parlé des romans de fantasy d’Adrian Tchaikovsky… On verra bien ce qu’il en sera de tout ça.

 

Sur la toile.

 

Aha.

 

Même si non je ne me ferai pas de toile.

 

Aha.

 

Pardon.

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La Déchéance d'un homme, de Dazai Osamu

Publié le par Nébal

La Déchéance d'un homme, de Dazai Osamu

DAZAÏ Osamu, La Déchéance d’un homme, [Ningen shikkaku 人間失格 ; No Longer Human], traduit du japonais par Georges [Gaston] Renondeau, Paris, Gallimard, coll. Connaissance de l’Orient, [1948, 1958, 1962, 1990] 2015, 180 p.

 

Attention : il me faut sans doute introduire cette chronique par un avertissement – le sujet même de cet article m’incitera probablement à y glisser des éléments très personnels et douloureux, en rapport avec la dépression, si je vais tâcher de me restreindre autant que possible à cet égard. Mais nous parlons d’un « roman du moi », où l’auteur, peut-être le plus brillant représentant de ce courant littéraire japonais du XXe siècle, s’expose en vérité à chaque paragraphe ; pour un lecteur tel que votre serviteur, cela produit immanquablement un très fort sentiment d’identification, qui incite probablement à faire de même. D’aucuns qualifieront cette tendance, sinon chez l’auteur, du moins chez moi, de « complaisance » ou de « narcissisme », et c’est peut-être bien le cas. D’où cet avertissement…

Je reviens à Dazai Osamu, un des grands écrivains japonais du XXe siècle, avec ce qui est parfois considéré comme son œuvre la plus importante, La Déchéance d’un homme selon son titre français, Ningen shikkaku en japonais, ou encore, puisque c’est étrangement le « titre original » que mentionne cette édition chez Gallimard, en anglais, No Longer Human. Ce n’est pas la seule bizarrerie de ce livre, à vrai dire, bel et bien traduit du japonais, par « Georges » Renondeau nous dit-on… mais il s’agit en fait de Gaston Renondeau, le général « G. Renondeau », dont le prénom caché sous l’initiale a été souvent écorché ; et dont j’avais déjà lu plusieurs traductions, mais de littérature classique, essentiellement de poésie (je vous renvoie à son Anthologie de la poésie japonaise classique, ainsi qu'aux Contes d’Ise), mais aussi éventuellement de théâtre et notamment de nô. La Déchéance d’un homme tranche, dans cette bibliographie, car il s’agit d’un roman contemporain, initialement publié, en feuilleton, en 1948 – l’année même, en fait, de la mort de son auteur.

 

Je ne vais pas rapporter dans le détail la vie de l’auteur – ce que j’avais déjà fait en chroniquant sa fameuse nouvelle, de peu antérieure, La Femme de Villon. Mais en connaître au moins quelques aperçus s’avère en fait particulièrement utile ici, car La Déchéance d’un homme est peut-être (probablement ?) l’expérience la plus poussée de Dazai dans le registre qu’il avait fait sien du shishôsetsu, ce courant littéraire qui met en avant le moi, l'expression à la première personne, et qui tend presque naturellement vers l’autobiographie, ou du moins l’autofiction. Dans La Déchéance d’un homme, Dazai use pourtant d’un petit artifice à ce propos, en encadrant le cœur de son roman d’une « préface » et d’un « épilogue » également à la première personne, et les seuls moments du livre où l’auteur emploie le pronom watashi, ou « moi », si son propre nom n’y figure pas ; décrivant tout d'abord trois photographies d'un même homme, il y rapporte enfin comment il a reçu, d’une tenancière de bar, les carnets d’un ancien client, carnets dont le contenu autobiographique pourrait à l’en croire donner matière à un bon roman.

 

Ces trois carnets rapportent donc, et forcément à la première personne, la vie navrante d’un certain Yôzô… mais nous comprenons très vite que ce Yôzô est en fait Dazai Osamu, car les éléments les plus cruciaux du récit correspondent à des événements bien réels de la vie de l’auteur : son ascendance aristocratique, avec un père parlementaire, ses études avortées, sa fréquentation de militants marxistes, sa vie de débauche, d’abord en alcool et en prostituées, mais qui culminera avec une addiction à la morphine débouchant sur une hospitalisation en psychiatrie, enfin et surtout, tout du long, sous-jacents, son tempérament dépressif et ses nombreuses tentatives de suicide (Maurice Pinguet évoquait le cas de l'auteur en long et en large dans son essai La Mort volontaire au Japon), dont une particulièrement traumatisante, en forme de shinjû (double suicide amoureux) à la manière des Tragédies bourgeoises de Chikamatsu… à ceci près qu’il est raté, et de la pire des manières : lui survit, mais pas sa compagne… Dès lors, la mise à distance censément opérée par la préface et l’épilogue, en vérité, ne trompe personne : c’est bien de lui-même que parle Dazai Osamu dans La Déchéance d’un homme – ce qui confère à son roman des allures de cas clinique, disséquant les symptômes de la dépression et de la pulsion autodestructrice.

 

(Et c’est bien ce en quoi ce roman ne pouvait que me toucher – rudement, le cas échéant.)

 

Le point de départ, pour Yôzô, se situe dans la petite enfance. Sa pathologie, originellement, prend source dans deux traits associés : l’incapacité pour le petit garçon de comprendre le monde qui l’entoure, et tout particulièrement les gens qui l’entourent, d’abord dans sa propre famille, et, en guise de réaction qui est avant tout protection, son réflexe consistant à « jouer un rôle », à « porter un masque », et pas n’importe quel masque : celui du bouffon. La gêne sociale du garçon, sa balourdise qui en découle, lui valent assez tôt la réputation d’un imbécile auprès de ses parents mêmes, et Yôzô choisit donc de faire l’idiot, sciemment – mieux vaut faire rire que susciter le mépris (ou la pitié, d’ailleurs).

 

Et il se montre compétent dans ce procédé : il fait rire les membres de sa famille, il fait rire ses camarades à l’école… Jusqu’au jour du moins où un de ces petits garçons comprend que Yôzô « fait exprès ». Notre « héros » redoutait tout spécialement que cela se produise – car il est de manière générale obsédé par le jugement des autres, même quand il joue au bouffon. Il se rapproche de cet écolier perspicace, il devient son ami, son meilleur ami, peut-être même son seul ami, non pas par inclination personnelle, car il ne comprend pas les gens et ne parvient pas à y attacher beaucoup d’importance, sincèrement du moins, mais seulement pour protéger son « secret »…

 

Yôzô se sent depuis longtemps condamné – et d’autant plus qu’autour de lui, peut-être en partie parce qu’il leurre effectivement tout le monde avec son masque de bouffon, on tend plutôt à lui prédire un bel avenir : son talent de guignol le rend étrangement populaire, il est beau garçon et plaira forcément aux femmes, il dessine bien et deviendra un grand peintre… Mais Yôzô n’y croit pas ; pire, il voit dans chacune de ces prédictions une menace ! Et c’est alors, insidieusement, que son trouble devient proprement dépressif.

 

C’est une forme de haine de soi, qui se traduira doublement, par la tendance à l’autodestruction, et par l’apathie – qui sont en fait éventuellement antagonistes, et pourtant intimement liées dans le profil pathologique de Yôzô (et d’autres) ; autant d’éléments cumulés qui, à l’en croire, le « disqualifient » de l’humanité – mais ce sentiment opère rétrospectivement, et Yôzô est persuadé que tout cela était déjà en lui dès le départ, et persisterait jusqu’à sa fin, sans doute guère éloignée. On pourrait naïvement avancer que ces fragilités, bien loin d’exclure Yôzô de l’humanité, l’y inscrivent, et pourtant ce sentiment me parle : la conviction de sa monstruosité, l’autodénigrement perpétuel, l’obsession du jugement des autres qui vire en même temps au narcissisme, le syndrome de l’imposteur, la crainte panique aussi bien du succès que de l’échec, ou peu s’en faut, en tout cas le grossissement de l’échec presque au stade de la complaisance, oui, et enfin, dans les moments les plus extrêmes, la conviction de ne même pas exister, quand des idées noires d’un autre ordre convainquent avec rudesse que l’on existe pourtant bien trop, tout cela est très habilement disséqué dans les réflexions de Yôzô/Dazai, et rend la lecture de La Déchéance d’un homme parfois très éprouvante – au plan le plus intime : je ressens bel et bien tout ça, ou l’ai ressenti. L’identification n’est – forcément – jamais exacte (les amours malheureuses...), mais elle est suffisamment forte pour que les phrases de Dazai Osamu frappent au cœur.

 

Ce qui vaut également, donc, pour ces tendances à l’autodestruction et à l’apathie – cette dernière étant liée aussi à un manque d’empathie. En fait, je retiens plus particulièrement cette deuxième tendance – qui est à mes yeux le cœur de la pathologie (et sur laquelle, insert intime, j’ai été amené à me poser beaucoup de questions ces derniers temps, notamment quant à son traitement). Dazai Osamu rend à merveille l’impossibilité d’accomplir quoi que ce soit, et la distance qui s’insinue toujours dans le rapport aux autres – que ce soit dans la douleur ou, au contraire, pour s’en prémunir. Mais, pour ce qui est de l’autodestruction, le cas de Dazai Osamu/Yôzô va bien plus loin – si je peux me reconnaître dans diverses formes de sabotage des opportunités, ou dans la tendance à se montrer excessivement dépensier (et l’auteur comme son personnage sont issus d’un milieu très riche, qu’ils parasitent jusqu’au point de la misère), voire dans certaines addictions éventuellement, mais sur un mode très, très atténué de mon côté, au point où la comparaison a quelque chose de risible, le reste dépasse largement mon expérience.

 

C’est le principal mode de discussion de l’autodestruction dans La Déchéance d’un homme, mais il faut bien sûr y associer la question du suicide – de la part d’un auteur qui a multiplié les tentatives, et les échecs, jusqu’à ce qu’enfin il parvienne à prendre sa vie (dans un nouveau double suicide amoureux !), très peu de temps après la publication de ce roman ; son cadavre, ironiquement, sera retrouvé le jour de son trente-neuvième anniversaire, le 19 juin 1948. En notant que Yôzô, dans le roman, n’atteint pas cet âge : ses carnets en font un vieillard de 27 ans – il y a du Portrait de Dorian Gray en lui, davantage que de Dorian Gray lui-même. L’évocation du suicide est somme toute relativement discrète, dans La Déchéance d’un homme, mais elle saisit vigoureusement en plusieurs occasions – la plus terrible étant bien sûr le shinjû échouant de la pire des manières, où la compagne périt quand l’homme survit, et s’attire en conséquence l’inimitié de tous, comme criminel.

 

Mais le plus terrible, et, je crois, le plus juste dans ces évocations de la mort volontaire, est ce qui renvoie encore à l’apathie et au défaut d’empathie. La pulsion de mort y est représentée pour ce qu’elle est, quelque chose de lancinant mais discret, pourtant de plus en plus obsédant, jusqu’à ce que l’impulsion, parfois sans événement déclencheur identifiable, décide absurdement du geste. Mais l’apathie intervient donc ici également – et quand Yôzô ranimé constate son échec, il est plus indifférent qu’autre chose : au fond, prendre sa vie n’avait pas tant d’importance… L’apathie l’emporte sur, par exemple, le remords, la tristesse ou la colère : il ne reste que le vide, pas si différent de celui qui a précédé l’acte. Mais le geste a pourtant ses conséquences – essentiellement dans la relation aux autres ; et le suicidant n’est pas disposé à bien le comprendre, car rien n’a d’importance à ce stade, pas même l’échec ; rien, du moins, ne saurait être envisagé qui pourrait arranger les choses ; et, au fond, c’est sans doute parce que la relation aux autres a de toute façon toujours été problématique.

 

La Déchéance d’un homme est un court roman d’une lecture très éprouvante. Est-il pour autant « complaisant » ? Je ne suis certes pas le mieux à même d’en juger… Mais cette chronique appuie par la force des choses sur le ressenti dépressif et ce qui y est associé – tout le roman ne réside cependant pas dans ces seuls aspects, et, si Yôzô soliloque plus qu’à son tour, sur un mode éventuellement existentialiste qui le confronte sans cesse à l’absurde, La Déchéance d’un homme convainc aussi par la justesse des portraits qu’il dresse, en peu de mots pourtant, et l’impact authentique des scènes – pas seulement les plus douloureuses, d’ailleurs, et notamment dans la mesure où Yôzô, se livrant sur le papier, se confessant même, a encore quelque chose de son masque de bouffon (et il est bien temps à ce propos que je lise les Confessions d’un masque de Mishima Yukio, roman paru… l’année suivante !).

 

On appréciera aussi, à ce niveau de lecture, la vague satire sociale, ou en tout cas la dimension critique à cet égard de l’exposé de Yôzô : Dazai Osamu revient à sa manière sur un thème qui lui est cher, la dégradation de l’aristocratie nippone (au cœur notamment de son roman Soleil couchant, de peu antérieur, et qu’il me faudra lire bientôt), et, contraste entre le temps de l’écrit et le temps du récit, les incertitudes des Japonais au lendemain de la défaite de 1945 se devinent ici ou là. Cependant, dans le contexte historique de la narration, antérieur à la guerre, on est davantage porté à relever les ridicules d’un faux parlementarisme qui ne trompe personne, ou la « subversion » marxiste qui a quelque chose de « ludique », et que l’on rejoint souvent, à l’instar de Yôzô, et de Dazai Osamu lui-même, pas tant pour concrétiser des convictions sincères, que pour s’accorder la vague excitation de l’interdit, en brisant au passage quelques contraintes et tabous – une raison de vivre qui en vaut bien une autre, quand tout est absurde ; et le bouffon sait comment tromper son monde, au nom de la blague.

 

(Note au passage : un aspect de ce roman pourra peut-être hérisser les lecteurs contemporains, et c’est l’image des femmes, pas très positive – même s’il faut sans doute prendre en compte les biais de Yôzô sinon Dazai Osamu, or c’est ici, tout particulièrement, que l’apathie et plus encore le défaut d’empathie se font sentir ; le mot est faible, car ils sont littéralement écrasants…)

 

Je ne ferai pas de La Déchéance d’un homme un chef-d’œuvre – même si on l’a souvent présenté comme tel. Par ailleurs, un peu gratuitement peut-être, je tends à croire que la traduction française est… perfectible ? Même si elle a indéniablement ses bons moments, où le livre original se révèle dans toute sa force et sa majesté. À vrai dire, la « préface » est… époustouflante, je crois que c’est le mot. Des pages d’une grande beauté, d’un style parfait, d’une puissance d’évocation redoutable. Mais je crois que, me concernant, cela a eu son revers : le roman en lui-même ne m’a que rarement paru retrouver ces sommets initiaux – probablement la scène du shinjû raté et ses suites immédiates, ainsi que l’hospitalisation d’un Yôzô ravagé par son addiction à la morphine, deux moments cruciaux de la vie de Dazai Osamu il est vrai. Le reste est bon sans être brillant, à mes yeux du moins.

 

Mais La Déchéance d’un homme, globalement, est bien une lecture marquante et terrible.

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Black Sabbath – Children of the Grave, de Nicolas Merrien

Publié le par Nébal

Black Sabbath – Children of the Grave, de Nicolas Merrien

MERRIEN (Nicolas), Black Sabbath – Children of the Grave, [s.l.], Le Mot et le Reste, 2016, 261 p

J’ai rejoint tardivement le « culte de Black Sabbath » – comme j’ai rejoint tardivement le « culte de Slayer », et là je me souviens vaguement d’un article, globalement pas très pertinent mais pour le coup peut-être un peu quand même, qui enjoignait les fans de metal à mettre la pédale douce sur ces deux « cultes » précisément, jugés bien trop envahissants. Je me rends compte à quel point je suis d’une banalité affligeante à cet égard – d’aucuns iraient peut-être jusqu’à parler de caricature ? Une question que l’on se posera à l’occasion, à la lecture de cet ouvrage, et ensuite à tête reposée, quand il s’agira d’en faire le bilan.

 

Tardive ou pas, ma vénération pour Black Sabbath ne saurait faire de doute aujourd’hui. Une bonne partie des trucs que j’écoute à l’heure actuelle sont très ouvertement influencés par Black Sabbath, et la citation fait à vrai dire partie du jeu dans la (sombre et enfumée) galaxie doom-stoner-sludge – des courants qui m’excitent énormément, mais qui ne sont souvent pas à la pointe de l’innovation, il faut bien le reconnaître… Seulement, l’influence de Sabbath, cela va au-delà – bien au-delà. L’influence du Sabbath « période Ozzy », en tout cas – et, très honnêtement, frileux faut-il croire, je ne m’étais qu’à peine risqué à l’écoute des albums sans Ozzy avant de lire cet ouvrage de Nicolas Merrien, paru au Mot et le Reste, éditeur qui m’avait déjà régalé avec certaines lectures musicales (les livres de Peter Hook sur Joy Division et sur l’Haçienda, notamment – Madame Mao Abdaloff et son cousin Gérard en avaient fait le bilan à la Salle 101, si jamais). Cet essai m’a donc encouragé à traverser... les trois décennies (tout de même) passablement douloureuses des multiples incarnations du groupe sans Ozzy, et à vrai dire parfois sans qui que ce soit du line-up originel sinon Tommy « Dieu » Iommi – qui, tout Dieu qu’il soit, personne n’osera le contester, hein, PRAISE IOMMI, tout ça… se traîne tout de même quelques casseroles – ce qui est tout aussi difficilement contestable.

 

L’ouvrage de Nicolas Merrien offre donc l’occasion d’envisager tout cela avec une distance sans doute nécessaire, et une approche particulière – globalement bienvenue, une force de ce livre pour l'essentiel, mais qui occasionnellement en constitue peut-être aussi une vague faiblesse. Et c’est que l’auteur n’est pas spécialement un métalleux. Rédacteur en chef du webzine Albumrock, il a semble-t-il une approche plutôt « classic rock » qui fait assurément sens quand on parle du Sabbath des années 1970 – même si, en ce qui me concerne, j’en retiens d’abord la singularité, finalement, du son et de l’approche de Sabbath, qui explique largement pourquoi j’adore ses albums d’alors, quand les dinosaures du « classic rock » un chouia « hard » de la même époque, les Led Zeppelin, les Deep Purple, etc., m’ont toujours fait royalement chier ; je perçois bien le lien entre tous ces groupes, mais pour avoir aussitôt envie de le briser (à la hache – bien sûr) : Black Sabbath est forcément différent, et forcément meilleur.

 

En notant tout de même que, moi-même, je ne me considère pas spécialement comme un métalleux – je vous jure ! J’écoute du metal, régulièrement, ça oui, mais sans être bien certain que cela soit suffisant pour s’enrober de ce qualificatif – parce que j’écoute beaucoup, beaucoup d’autres choses, et nombre de sous-genres du metal me filent des boutons.

 

L’approche de Nicolas Merrien est à cet égard globalement pertinente, mais avec quelques bémols éventuels – notamment quand il s’agit de mettre en lumière combien la bande à Iommi a compté pour beaucoup de monde, et foin des frontières, toujours pénibles : l’auteur, à bon droit, cite d’abord et surtout le grunge, mais évoque aussi un stoner dans ce cas plus rock qu’autre chose, et pas moins enthousiasmant pour autant – le catalogue des genres et sous-genres pourrait être longuement poursuivi, et Nicolas Merrien cite à bon droit des postérités plus improbables peut-être, mais d’autant plus savoureuses : voyez cette extraordinaire reprise live de « War Pigs » par les Dresden Dolls, où Brian Viglione se pose en héritier enthousiaste de la frappe puissante de Bill Ward, ou « Changes » merveilleusement soulisé par feu Charles Bradley. J’aurais apprécié plus de développements à cet égard, à vrai dire (qui auraient utilement remplacé quelques passages à vide, en introduction et surtout en conclusion), mais, oui, c’est indéniablement pertinent. Cependant, revers de la médaille, j’ai tout de même l’impression que l’auteur a parfois une vision relativement limitée de la galaxie metal… surtout dans la mesure où, ici, il reste un peu à la surface – il cite Lars Ulrich, Rob Halford, Slash, Scott Ian, etc., et il faut les citer, mais j’aurais apprécié de voir aussi, je sais, pas, Matt Pike, Jus Oborn ou Stephen O’Malley (le plus rock Josh Homme est du lot, par contre), qui ne sont pas les derniers à afficher la filiation sabbathienne, et c’est peu dire. Et, du coup, quand, d’emblée, en conclusion de la première page, l’auteur pose que Black Sabbath « est bien moins souvent cité en termes d’héritage » que Led Zeppelin, je ne suis pas convaincu – la note de bas de page supposée en faire la démonstration, et qui introduit déjà ces pénibles classements que l'auteur semble beaucoup apprécier, ne me convaincant pas davantage. Et ce même si l'auteur, par la force des choses, relativise ensuite quelque peu cette assertion un brin cavalière. Or Led Zep, aujourd’hui, n’influence plus grand-monde, ai-je l’impression, là où des courants musicaux entiers, et divers, se revendiquent farouchement du Sabbath, au point parfois où ce seul groupe devient l’alpha et l’oméga de leurs ambitions musicales (ce qui n’est pas sans poser des problèmes d’un autre ordre, certes).

 

Cela dit, la question du rapport entre Black Sabbath et le metal doit être posée, car les réponses ne sont pas si évidentes qu’elles en ont l’air. Mais cela renvoie peut-être, me concernant, à Mon Problème Avec Le Metal, qui est pour une part non négligeable, d’ailleurs, Mon Problème Avec Black Sabbath Considéré Comme Géniteur Du Metal. Surtout quand on emploie l’appellation redoutable « heavy metal ». Quand j’entends ces menaçants deux mots ensemble, mon premier réflexe, c’est de penser… eh bien, à la New Wave of British Heavy Metal, surtout, notamment Iron Maiden – que je n’aime pas. Du tout. Et qui dit « metal » censément plus velu par la suite, mais du velu radiophonique tout de même, est censé dire Metallica – que je n’aime pas. Du tout. En fait, c’est la raison même de ma vague gêne quand on fait de Black Sabbath le pionnier du genre métallique – j’arrive bien à faire le lien entre le tube « Paranoid », que j’aime bien, certes, et les charges de cavalerie à la Maiden, et suppose qu’on peut en dériver, en forçant un peu le trait, le metal avec des chevaliers et des dragons (que mon goût pour la fantasy ne prémunit pas de ma haine plus ou surtout moins cordiale), mais c’est à peu près tout (pour le Sabbath période Ozzy, hein – période Dio, ce n’est plus une dérivation possible, c’est une assimilation totale, et là Nicolas Merrien se montre globalement convaincant, j’y reviendrai). Je ne peux tout simplement pas faire le lien entre la lourdeur délicieusement massive de Master of Reality et le pied au plancher maidenien, qui me provoque de pénibles éruptions (mais pas autant que le power metal progressif symphonique virtuose avec un dragon par solo et cinq solos par morceau). Je ne vais pas réécrire l’histoire, hein : de fait, Black Sabbath a bel et bien enfanté le heavy metal, que ça me plaise ou non. Mais (période Ozzy toujours) il a fait bien plus que ça, et, comme un certain nombre de vrais pionniers en musique, il est bien plus raisonnable en définitive de lui accorder sa propre case, indépendamment du reste et tout particulièrement de ce qui suivra (ce qui vaudrait aussi, je sais pas, pour Motörhead, mettons – associé dans cet ouvrage à la NWOBHM sans plus de nuance ; ce qui me choque, à ce stade, et plus encore d’une certaine manière, même si c’est semble-t-il Ce Que L’On A Fait). Reste quoi ? Hors une certaine science du riff, Iommi bordel, l’ambiance sombre, fantastique, « démoniaque » ? Probablement – et plutôt pour le pire que pour le meilleur, car, comme le note très justement Nicolas Merrien, pour le coup, ce qui relève de l’ambiance et de la métaphore dans les paroles de Geezer Butler, a été par la suite pris bien trop au pied de la lettre, dans le metal en général, mais y compris par certains successeurs d’Ozzy au micro maudit du Sabbath… au point où c’en devenait risible, voire embarrassant un mot qui reviendra régulièrement dans cette chronique.

 

Du coup, je me reconnais globalement dans le parti-pris de l’auteur, qui prend un peu de distance par rapport au cirque metal, et c’est bienvenu, tout en regrettant que, parfois, il s’en tienne à envisager de la sorte le cirque en bloc, sans plus de nuance, sans vraiment creuser ce qui lie et ce qui distingue, au-delà des seuls groupes les plus médiatiques. Lecture peut-être biaisée de ma part, donc, car je ne suis à titre personnel pas très certain de ce que je pense de tout ça, et peut-être aussi pas très cohérent dans mes enthousiasmes comme dans mes rejets, non exempts de caricatures à leur tour

 

En découle cependant la thèse essentielle de cet ouvrage. L’idée, en schématisant, est celle d’un groupe qui a livré des premiers albums parfaitement brillants, disons au moins jusqu’à Sabbath Bloody Sabbath, et qui a tenté ensuite de prolonger sa liberté initiale en s’aventurant dans d’autres champs (sur les albums Sabotage, Technical Ecstasy surtout et Never Say Die!), entreprise qui déplut aux fans (qui sont par définition pénibles), et qui aurait amené Iommi à se cantonner ensuite dans le genre « metal » qu’il était supposé avoir enfanté, pour satisfaire à une image qui tendrait inévitablement à se muer en prison – d’où la période Dio, la plus « heavy metal » à la façon envisagée plus haut de toute la carrière du Sabbath, mais d’où aussi nombre de compromissions plus douloureuses et beaucoup moins satisfaisantes, c’est peu dire, durant les (quand même) trois décennies qui ont suivi, avec un Iommi victime masochiste de sa légende précoce, un groupe enfermé dans les clichés qu’on a brodés sur son registre, et en voie de ringardisation rapide après les explosions du punk et ultérieurement du grunge – même si le grunge, via Kurt Cobain ou Soundgarden ou Alice in Chains, affichait justement sa révérence pour le premier Sabbath, le « vrai » Sabbath, celui qui innovait plutôt que de suivre ; celui où Iommi, Ozzy, Geezer et Ward pervertissaient délicieusement le classic rock bluesy avec une lourdeur, une rythmique très particulières, ce son gras qui a généré tant d’imitateurs par la suite, cette approche très spécifique du riff qui vise à l'impact plutôt qu'à la démonstration – l’antithèse du heavy metal finalement plus speed que heavy, qui va à fond la caisse, et se noie sous les solos virtuoses et les trémolos dans les aigus. Deux mondes, et j’ai choisi le mien.

 

Ce qui m’amène à nuancer quelque peu cette thèse globalement convaincante – peut-être en révélant mes biais, je ne le nie pas ; mais je crois donc que l’auteur en a quelques-uns également. Le premier point porte sur les « aventures » des trois derniers albums avec Ozzy. On peut praiser Iommi et compagnie pour leur désir d’évolution, objectivement, mais, dans les faits, ces albums sont tout de même bien moins convaincants que leur prédécesseurs, trouvé-je. Sabotage reste un bon album, mais déjà un bon cran en dessous de Sabbath Bloody Sabbath, bon album itou et même probablement très bon, mais que j’ai toujours trouvé bien inférieur aux quatre premiers, Black Sabbath, Paranoid, Master of Reality et Vol. 4. Technical Ecstasy, ensuite, est audacieux… mais ne me parle vraiment pas : ce tournant plus ou moins prog et – oui – « technique » représente à mes yeux un faux pas, il me fait l’impression d’une tentative sans doute bien tardive de se rapprocher en définitive du « classic rock » (le plus ennuyeux, en ce qui me concerne) au risque, en fait, d’une perte d’identité ; s’éloigner du « metal », comme l’envisage l’auteur, un genre que je suppose pourtant ne pas être encore bien défini à cette époque, était une aventure appréciable en tant que telle, mais guère concluante en l’espèce : Nicolas Merrien reproche un peu aux « fans », entendus métalliquement, de ne pas avoir suivi le groupe sur cette expérience, et de l’avoir en conséquence incité à se montrer plus timide dans sa quête de liberté par la suite, mais c’est un peu trop vite faire abstraction de ce que cet album… était, sinon totalement « mauvais », du moins guère convaincant. Never Say Die! a ensuite constitué un entre-deux un peu fade, guère à même de satisfaire qui que ce soit, et a peut-être précipité une crise qui était annoncée depuis quelque temps déjà (notamment par le volatile Ozzy et ses velléités de carrière solo).

 

Nicolas Merrien suppose dès lors que Tony Iommi a... baissé les bras, d'une certaine manière, et s’est davantage conformé à « l’image » du metal, sur les deux albums avec Ronnie Jame Dio qui suivraient. Ce qui me paraît crédible, et en même temps un peu exagéré ? Le problème est que ce metal-ci n’a pas grand-chose à voir avec le metal antérieur de Black Sabbath – et c’est un quasi-paradoxe qui n’est pas vraiment résolu dans cet ouvrage, ai-je l’impression : il s’agissait donc de satisfaire aux exigences des fans, tout en faisant quelque chose de diamétralement opposé à ce que ces mêmes fans avaient tant apprécié dans les premiers albums du groupe ? Au fond, c’est encore une évolution, de la part de Iommi... Nicolas Merrien, visiblement, n’aime pas les albums Heaven and Hell et Mob Rules. Je serais moins sévère – alors même que ce metal de chevaliers et de dragons me révulse de manière générale : de fait, ce sont de bons albums ; j’en suis convaincu pour le premier, moins pour le second, mais beaucoup de camarades le louent au moins autant. Ce n’est pas ce que j’aime, mais, dans son genre, c’est bien fait, très bien fait même. Le rythme s’accélère, la virtuosité au chant de Dio prend le contre-pied des gémissements intuitifs d’Ozzy, et Iommi multiplie et complexifie les solos – outre qu’il tend à noyer ses compositions sous les claviers malvenus, mais Technical Ecstasy, notamment, avait déjà lancé ce mouvement un peu auparavant ; ce sont là quatre points essentiels, qui me font préférer, et c’est peu dire, le Sabbath antérieur, aux antipodes à maints égards. Mais je ne parviens pas pour autant à rejeter vertueusement la période Dio – la seule que j’avais très vaguement envisagée avant de lire cet ouvrage

Car ce qui a suivi pâtissait d’une réputation tellement affligeante que je n’avais pas osé m’y risquer. Ce que j’ai finalement fait en parallèle de cette lecture – c’était devenu nécessaire. Et ce fut douloureux, oui…

 

Ces mêmes camarades qui louaient Mob Rules m’ont dit que les riffs, sur Born Again, étaient toujours bons – c'est possible, mais j'en ai surtout retenu combien Ian Gillan, au chant, était… oui, embarrassant ; et la production défaillante n’a rien arrangé à l’affaire. Je ne peux m’empêcher de trouver qu’il y a quelque chose de tristement ridicule dans ce disque. Et s’enchaînent alors les albums calamiteux, avec un line-up sempiternellement changeant, et autant de chanteurs qui peinent à trouver leur voie/voix, Iommi seul restant tout du long – et c’est à mettre à sa charge. Black Sabbath n’aurait pas dû continuer – pas en tant que tel. Et quand, bien, bien plus tard, le groupe se reformerait brièvement avec Dio, mais sous le nom Heaven and Hell, et pas Black Sabbath, cela constituerait comme un aveu tardif de ce péché originel (enfin, je suppose qu'il y avait d'autres raisons plus matérielles...).

 

Même si, en revenant dans les années 1980, les fatidiques années 1980, il faut prendre en compte qu’on a forcé la main à Tony Iommi – qui avait de gros problèmes de dettes, et a acquiescé aux mauvais conseils de mauvais conseillers, nombreux à graviter autour de lui. Comme sa couverture (moche, mais le Sabbath a enchaîné les couvertures abominables dans toutes ses incarnations sans exception) le montre à sa manière, Seventh Star n’avait pas été conçu comme un album de Black Sabbath – et n’aurait jamais dû être un album de Black Sabbath ; ceci étant, un autre nom ne l’aurait pas rendu meilleur en tant que tel : c’est affreux de soupe FM.

 

The Eternal Idol est un peu moins terrifiant de nullité, et contient même de bons riffs sur le tard, mais difficile de louer cette nouvelle erreur discographique. Après quoi Headless Cross et son hard FM saturé de clichés probablement déjà ringards à l’époque enfoncent le clou : Sabbath aurait dû mourir, l’acharnement thérapeutique n’est jamais une solution. Tyr fait peut-être moins saigner les oreilles, mais reste d’un ennui mortel. Le nom demeure, mais Sabbath est fini… Ou pas tout à fait ? Dehumanizer, avec Dio et Butler de retour, remonte quand même pas mal le niveau, c’est peu dire – rétrospectivement, on voudrait en conclure que le purgatoire de Iommi touchait à sa fin… mais Cross Purposes en fait déjà douter un peu… et Forbidden, proprement calamiteux (production très malavisée incluse), est un album à nouveau très embarrassant – de l’avis de tous ceux qui ont participé à la chose, un album ni fait ni à faire : c’est beau, la lucidité, mais bien tardif.

 

Long hiatus, enfin – trop tard. Après une première décennie admirable en tous points, et l’interlude Dio raisonnable (voire plus ?) à sa manière, Iommi a enchaîné pendant 25 ans les mauvais albums. Le miracle, ici, est peut-être que cela n’a pas suffi à anéantir la bonne réputation du groupe, tenant à ses géniaux premiers disques. Or, durant ce hiatus, pour plein de raisons, dans plein de genres différents, on revient à ce premier Sabbath, le « vrai » Sabbath (TRVE, comme disent les blackmétalleux) – peut-être cela n’aurait-il pas été possible si Iommi avait continué à massacrer sa propre légende ? Quoi qu’il en soit, une quinzaine d’années (tout de même) après le terrible Forbidden, l’expérience Heaven and Hell, envisagée plus haut, se montre semble-t-il autrement convaincante – et plus… sereine ?

 

C’est un sentiment que j’associe volontiers à la fin (?) de Black Sabbath, avec l’album 13 qui ramène Ozzy, et la tournée The End qui suit. Nicolas Merrien raconte que, quand l’idée de livrer un ultime album de Black Sabbath avec Ozzy a commencé à devenir plus concrète, le (légendaire) producteur Rick Rubin a fait se poser les membres du groupe… et leur a passé leur premier album éponyme, en mode : « Ça, c’est vraiment toi. »

 

(Pour avoir glissé cette allusion à Téléphone dans un article sur Black Sabbath, je serai éternellement plongé dans le Lac de Feu en enfer.)

 

Du coup, on a dit : « Fan service. » Et… oui, probablement. Mais en tant que, eh bien, fan, j’ai mordu à l’hameçon. C’était le retour du Sabbath lent et lourd – mais aussi étrangement serein, donc. Les parrains du metal semblent avoir enfin compris (?) que leur postérité la plus authentique ne résidait pas dans les compos pied au plancher, les solos virtuoses, le chant aigu débordant de trémolos « héroïques » et l’imaginaire démoniaque à dix sous ; mais dans la lourdeur, la gravité, la lenteur oppressante et enfumée, éventuellement la noirceur thématique (si elle pouvait s’accommoder de fringues hippies) – celles du révolutionnaire morceau « Black Sabbath » et de Master of Reality, celles qui ont généré aussi bien le grunge que le doom, le stoner ou le sludge. Et le groupe semble aussi retrouver à cette occasion sa puissance scénique – même avec un Papy Ozzy à l’extrême limite du gâtisme, dont le pied de micro tient lieu de déambulateur et qui chante faux une fois sur deux ; j’en retiens de préférence Tonny Iommi et Geezer Butler super classes (tout de noir vêtus, par contre) et… heureux ? Sereins, oui ? Il était assurément bien temps.

 

Nicolas Merrien explore par le menu cette discographie comprenant aussi bien le meilleur que le pire, et hélas probablement davantage du second que du premier. Littéralement : les chapitres correspondent pour l’essentiel aux albums – ce qui se tient, mais bride peut-être occasionnellement l’analyse. Et chaque chapitre obéit peu ou prou à la même structure : contexte et rapide bio des nouveaux intervenants (détaillée comme de juste dans le premier chapitre, qui s’attarde sur l’enfance et l’adolescence de nos quatre prolos préférés de Birmingham), la vie des membres du groupe à cette époque (au passage, les carrière solo sont très brièvement évoquées, à peine, on reste vraiment focalisé sur Black Sabbath), les circonstances de l’écriture de l’album, de son enregistrement et des concerts qui le suivent, l’album décortiqué piste par piste, la réception critique et commerciale.

 

Je trouve ce schéma parfois un peu inutilement contraignant – l’analyse de chaque morceau, notamment, qui a un aspect technique appréciable si un peu abscons, mais qui s’égare le plus souvent dans une « description » faisant appel à un lexique passablement répétitif, et pas toujours très éclairant. À vrai dire, côté style, plus généralement, ce Black Sabbath – Children of the Grave ne brille guère, et patine même plus qu’à son tour (un décoquillage plus poussé aurait par ailleurs été appréciable).

 

L’évocation des (généralement mauvaises) critiques est plus intéressante (et bon sang que ces piliers de la critique rock tels Lester Bangs ou Nick Tosches ont pu se montrer à côté de la plaque quand ils rendaient compte des albums de Black Sabbath...), même si j'en aurais bien repris du rab, là où l’évocation des succès comme des échecs commerciaux a ses limites, en s’en tenant pour l’essentiel à des classements globaux au Royaume-Uni et aux États-Unis – et Nicolas Merrien aime semble-t-il les classements, lui qui conclut son livre par des choses du genre : « Tony Iommi est classé 57e meilleur guitariste du monde et de tous les temps sur tel site Internet, 94e sur tel autre, 39e sur celui-ci qui ne concerne que les gauchers, 2e sur celui des guitaristes gauchers mutilés », etc. Ce qui n’est guère éloquent, et encore moins utile.

 

En fait, cela traduit peut-être une autre dimension de cet ouvrage qui m’a laissé parfois perplexe : je le trouve relativement peu sourcé – et il fait essentiellement appel, hors bouquins des membres du groupe eux-mêmes, à des sources sur Internet plus ou moins pertinentes (au-delà de ces seuls classements, qui n’ont le plus souvent aucun sens). Pour les articles initiaux sur le site Albumrock, ça faisait probablement l'affaire, mais, dans le cadre de ce livre, oui, ça me laisse un peu perplexe.

 

Il y a par contre une dimension que je trouve très appréciable dans ce Black Sabbath – Children of the Grave : Nicolas Merrien parle de musique avant toutes choses. Ça paraît peut-être con, dit comme ça, mais j’entends par-là que vous ne trouverez ici pas grand-chose concernant les frasques du Madman Ozzy, l’abus de drogues endémique, et autres mini-scandales professionnels comme privés qui, trop souvent, constituent l’argument de vente de semblables ouvrages prétendument musicaux : on évoque ce qui a des conséquences, parce que ça fait partie du truc (d’une manière ou d’une autre, on ne pourra pas parler de Black Sabbath sans parler de drogue), mais on ne s’y attarde pas crapuleusement. Sex, drugs and rock’n’roll s’il le faut, mais sans racolage – ça fait des vacances après certaines lectures que j’avais trouvé, certes amusantes, mais souvent bien creuses, et parfois même un peu puantes à force de complaisance puérile dans le so shocking : oui, Please Kill Me, c’est (entre autres) de toi que je parle ! Même si les autobiographies dans le domaine, y compris probablement celles de Tony Iommi et d’Ozzy Osbourne donc, sources primales de Nicolas Merrien, ne sont certes pas les dernières à jouer de cette carte…

 

Que penser, en définitive, de ce Black Sabbath – Children of the Grave ? Je dirais « bof plus », ou « bien mais pas top ». Le périple est intéressant – même quand il est douloureux. L’approche « la musique avant tout » est très appréciable. Quand l’auteur sort des faits purs pour livrer une interprétation plus personnelle, c’est le plus souvent à bon droit. Cependant, il y a des défauts çà et là – développements « objectifs » finalement inutiles en certaines occasions (satanés classements ! Mais il y a bien d’autres choses dans ce goût-là), des œillères « non-metal » qui valent parfois bien les œillères metal, une perspective historique relativement limitée, notamment au registre de la postérité du groupe, un goût de trop peu à certains égards (la critique, les vies et les carrières parallèles des musiciens en dehors du seul scandale, ce genre de choses...), une plume un peu lourde, enfin. Mais c’est une lecture globalement appréciable, si certainement pas l’essai définitif sur ce groupe majeur.

 

Et je lui dois de m’avoir incité à écouter enfin les albums du groupe allant de Mob Rules à Forbidden.

 

Pas un cadeau – mais merci quand même !

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No Guns Life, vol. 6, de Tasuku Karasuma

Publié le par Nébal

No Guns Life, vol. 6, de Tasuku Karasuma

KARASUMA Tasuku, No Guns Life, vol. 6, [No • Guns • Life ノー・ガンズ・ライフ], traduit [du japonais] et adapté en français par Miyako Slocombe, Bruxelles, Kana, coll. Big, [2014] 2018, 228 p.

Bon, exceptionnellement, je vais faire bref, parce que je n’ai vraiment pas grand-chose à dire à propos de ce sixième tome de No Guns Life.

 

Jusque-là, j’aimais bien cette série, à l’ambiance « technoir » pas des plus originale mais bien foutue, et ce personnage improbable de détective privé passablement « hard boiled » avec un énorme flingue en guise de crâne. Non, ça ne révolutionnait rien, et ça pâtissait d’un certain nombre de défauts sur lesquels je ne pouvais pas faire l’impasse : un dessin sans doute très personnel, mais aussi plutôt confus, quasiment au point de l’illisibilité dans les scènes d’action ; une tendance à l’érotisation un brin poussive des personnages féminins ; ce genre de choses… Mais, globalement, j’aimais bien. Au sortir du tome 5, j’étais curieux de lire la suite.

 

C’est désormais chose faite, avec ce tome 6 publié tout récemment… et, en ce qui me concerne, je vais m’arrêter là. J’ai trouvé ça simplement… mauvais. Et profondément ennuyeux. Je ne suis pas certain que le contraste en termes de qualité soit si élevé entre ce tome-ci et le précédent – enfin, si, quand même, je le suppose... Mais j’avais lu les tomes 3 à 5 dans la foulée, et je pense que les bons moments, dans ces trois volumes, il y en avait assurément, ont aidé pour faire passer la pilule. Ce tome 6, pris isolément… non. Ça n’a pas marché. Rien n’a marché.

 

Je serais bien en peine de vous en raconter l’histoire, à vrai dire – tant je ne suis jamais parvenu à accrocher à ce que je lisais ; pas que ce soit forcément « compliqué », et la bourrinade a assurément sa part dans le volume, c’est peu dire, c’est juste qu’il m’était impossible de faire le moindre effort de concentration tant tout cela m’indifférait de bout en bout.

 

Bon, on était dans un gros bordel de grand complot qui manipule tout le monde, où les terroristes anti-extends du Spitzbergen et les capitalistes envahissants de la compagnie Berühren, promoteurs des extends, se retrouvaient en gros dans un même panier, avec un savant fou à l’origine desdits extends pour faire la navette entre les deux groupes censément antagonistes, ce genre de choses, blah blah blah… Un univers décidément très cynique (sans déconner ?).

 

Hélas, c’est à la fois a) convenu et b) confus – à la mesure en fait du dessin saturé d’onomatopées qui, à ce stade, devient franchement pénible. Cette intrigue pas toujours aisée à suivre mais surtout tristement plate et déjà lue/vue mille fois n’a absolument rien pour elle, et ce qu’elle pouvait promettre d’intéressant malgré tout s’avère traité avec une fainéantise et un manque d’implication qui, me concernant, signent fatalement l’arrêt de la série (j’allais dire « des hostilités », mais c’était encore moins approprié).

 

Même le gimmick – car c’en est devenu un – voulant que l’on ne sache pas si Jûzô Inui contrôle bel et bien son corps, ou a laissé le « mystérieux » gamin Tetsurô, avec son extension Harmonie, se glisser dans sa carapace, n’intrigue pas un seul instant. Cette idée avait du potentiel, à l’origine, pourtant…

 

Mais voilà, sur 200 pages, on navigue sans cesse entre baston illisible et flashbacks de poseurs tellement clichés qu’ils en deviennent un archétype du passé torturé/badass/pseudo-sage si commun dans tant de mauvaises séries, et très, très chiant. Et les personnages sont inintéressants au possible – outre que le dessin de Karasuma Tasuku, idéal pour les GSU aux mutations démesurées (il y a quelques délires graphiques pas inintéressants sous cet angle), et bizarrement parfois en mesure d’être des véhicules de l’émotion (c’est toujours le cas ici, je suppose), pèche radicalement quand il s’agit de personnaliser des « humains ». Le revers d’un character design à la base alléchant – mais cette fois, c’est au point où on s’y reprend à deux fois avant de pouvoir affirmer qui est qui, bien trop souvent. Même Pepper et Krohnen, qui avaient été un minimum développés auparavant (pas forcément avec beaucoup de réussite, certes, surtout pour la première), demeurent à ce stade des coquilles vides, et ne sont finalement guère différents de leurs antagonistes sans âme et sans personnalité. Dans ces conditions, s’intéresser aux souvenirs et traumatismes persistants comme aux coups spéciaux grandiloquents-germaniques dont ils sèment leurs bastons… était au-dessus de mes forces.

 

Oui, il est bien temps d’arrêter… Déception, quand même.

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Vie d'une amie de la volupté, d'Ihara Saikaku / La Vie d'O'Haru, femme galante, de Mizoguchi Kenji

Publié le par Nébal

Vie d'une amie de la volupté, d'Ihara Saikaku / La Vie d'O'Haru, femme galante, de Mizoguchi Kenji

IHARA SAIKAKU, Vie d’une amie de la volupté – roman de mœurs paru en 1686 (3e année de l’ère Jôkyô), [Kôshoku ichidai onna 好色一代女], traduit du japonais, préfacé et annoté par Georges Bonmarchand, [illustrations par Yoshida Hambei], Paris, Gallimard – Unesco, coll. Connaissance de l’Orient – coll. Unesco d’œuvres représentatives, série Japonaise, [1686, 1975, 1987] 2014, 246 p.

Vie d'une amie de la volupté, d'Ihara Saikaku / La Vie d'O'Haru, femme galante, de Mizoguchi Kenji

Titre : La Vie d’O’Haru, femme galante

Titre original : Saikaku ichidai onna 西鶴一代女

Réalisateur : Mizoguchi Kenji

Année : 1952

Pays : Japon

Durée : 130 min.

Acteurs principaux : Tanaka Kinuyo (O’Haru), Mifune Toshirô (Katsunosuke), Matsuura Tsukie (Tomo – la mère d’O’Haru), Sugai Ichirô (Shinzaemon – le père d’O’Haru)…

DEUX VIES

 

Je reviens à Ihara Saikaku (généralement désigné sous le seul nom de plume de Saikaku), le plus fameux romancier de l’époque d’Edo, avec… ce qui est peut-être son livre le plus célèbre ? Non seulement en tant que tel, mais aussi parce qu’il a donné lieu à une adaptation cinématographique au moins aussi célèbre et probablement davantage encore… a fortiori en dehors du Japon. Le livre, c’est Vie d’une amie de la volupté (en japonais Kôshoku ichidai onna) ; le film, signé Mizoguchi Kenji, c’est La Vie d’O’Haru, femme galante (en japonais Saikaku ichidai onna) – et déjà ces deux titres originaux laissent entendre que, adaptation ou pas, nous avons affaire à deux œuvres fort différentes, très singulières.

 

SAIKAKU EN SON TEMPS

 

On ne peut pas traiter de l’œuvre de Saikaku sans la resituer dans son contexte (d’où la très longue et très pointue introduction de Georges Bonmarchand, le bien nommé, dans le présent ouvrage). Le romancier, qui fut d’abord un haïkiste particulièrement prolifique, a vécu durant la seconde moitié de notre XVIIe siècle (1642-1693) ; selon le calendrier japonais, encore qu’il soit un peu précoce à cet égard, on le rattache souvent à l’ère Genroku (1688-1704), ce qui est bien pratique pour l’associer à d’autres grands noms de la littérature de ce temps (Bashô pour la poésie, hop, Chikamatsu Monzaemon pour le théâtre, hop) – mais, de manière plus générale, nous sommes alors à l’apogée de l’époque d’Edo (1600-1868), longue période de paix et de stabilité après des siècles de chaos.

 

Le shogunat Tokugawa a mis en place une société très codifiée, où l’influence du néoconfucianisme est essentielle. Les vertus cardinales de loyauté et de piété filiale y participent énormément, qui rangent tout le monde dans un ensemble complexe en même temps que précis de relations hiérarchiques, ce qui vaut au sein de la cellule familiale (préséance des parents sur les enfants, des aînés sur les cadets, etc., et cette chronique portera essentiellement sur la condition des femmes à cet égard), mais tout autant à l'échelle de la société dans sa globalité : les guerriers, bushi, sont un ordre privilégié tout au sommet de la société – mais les roturiers sont inscrits dans une pyramide symbolique à trois niveaux, où les paysans (très largement majoritaires) sont supposés se trouver à la pointe, suivis par les artisans et enfin les commerçants, lesquels, parce qu’ils ne produisent pas, figurent donc tout en bas du tableau (qui ne prend pas en compte les parias type eta ou hinin, lesquels ne s’inscrivent pas dans cet ensemble, étant fondamentalement « hors-système »).

 

Mais le Japon change à cette époque – son immobilité n’est qu’apparente, à l’instar de son isolation ; et, de fait, les marchands officiellement si décriés constituent alors une classe bourgeoise de plus en plus riche, et de plus en plus puissante – les villes d’Edo, future Tôkyô, et peut-être surtout d’Ôsaka, toutes deux récentes mais en plein boom, l’illustrent de manière très concrète, notamment autour des quartiers de plaisir, dont ces bourgeois constituent le gros de la clientèle. Or cette nouvelle classe des chônin développe une culture qui lui est propre, laissant aux bushi dédaigneux les arts les plus raffinés tel que le théâtre nô, qui a eu tendance à se scléroser après l’âge d’or de Kan’ami et Zeami (hop), au XIVe siècle. Et cette culture bourgeoise, très diverse, forcément jugée « vulgaire » par l’aristocratie, bénéficie de progrès dans les modes de diffusion pour se répandre et marquer l’époque de son empreinte – d’où, en fait, l’idée de ces « trois grands auteurs de l’ère Genroku », dont les registres respectifs (roman ukiyo-zôshi pour Saikaku, poésie « haïku » – même si le terme est anachronique – pour Bashô, théâtres kabuki et jôruri pour Chikamatsu) s’inscrivent tous dans cette culture bourgeoise.

 

AMOUREUX DE L’AMOUR

 

C’est donc dans ce contexte que s’illustre Saikaku. Son œuvre est pléthorique, même à s’en tenir au seul genre romanesque, mais on peut y distinguer quelques grands ensembles, dont le plus fameux, idéal pour illustrer le « monde flottant » auquel renvoie le genre ukiyo-zôshi, est qualifié de kôshoku, mot qui revient souvent dans le titre même des œuvres, et qui désigne l’amour dans toutes ses dimensions – y compris, et peut-être surtout, la dimension charnelle : l’austère morale du shogunat Tokugawa devait composer avec une société japonaise guère puritaine, et « l’obscénité » ne deviendrait vraiment une obsession problématique qu’à partir de Meiji, sans doute pour partie sous l’influence des mœurs occidentales et du christianisme – mais, certes, cela n’a fait que confirmer le jugement négatif longtemps porté à l’encontre de Saikaku, auteur très populaire en son temps mais bien vite jugé d’autant plus « vulgaire ».

 

Parmi les œuvres de Saikaku les plus célèbres dans ce registre, il faut peut-être citer en priorité L’Homme qui ne vécut que pour aimer, ou Un homme amoureux de l’amour, selon les traductions (j’en avais lu quelques extraits dans l’anthologie Mille Ans de littérature japonaise). C'est semble-t-il le premier roman de l’auteur, publié en 1682, et il rencontra très vite un franc succès. Saikaku y rapporte, sous la forme de petits épisodes largement indépendants, et sur un ton assez badin, les aventures érotiques, aussi bien hétérosexuelles qu’homosexuelles (pas le moindre tabou là encore, loin de là même, et tout un pan de l’œuvre de Saikaku porte sur l’homosexualité), d’un galant particulièrement vorace (« 725 hommes et 3742 femmes »), et qui passe son temps dans les quartiers de plaisir. Le titre original du roman est Kôshoku ichidai otoko – et celui du roman qui nous intéresse aujourd’hui, postérieur de quatre ans, est Kôshoku ichidai onna ; ce parallélisme est sans doute assez éloquent, le mot variant désignant « l’homme » pour le premier, « la femme » pour le second (tant qu’on y est, on peut aussi mentionner Cinq Amoureuses, en japonais Kôshoku gonin onna, même s’il s’agit plutôt d’un recueil de cinq nouvelles que d’un roman – je vous en parlerai probablement un de ces jours).

 

Dans sa structure, Vie d’une amie de la volupté, puisque tel est son titre français, est assez proche de L’Homme qui ne vécut que pour aimer, ai-je l’impression, même si le ton diffère probablement quelque peu – le roman « masculin » étant très ludique et drôle, le roman « féminin » plus ambigu à cet égard. Mais on y trouve une même succession de petits épisodes largement indépendants – au point, à vrai dire, où le roman n’est pas toujours aisé à suivre, et ne saurait véritablement être résumé…

 

Disons simplement que nous y entendons le récit, par elle-même, d’une vieille femme que la fatalité, le hasard et éventuellement ses pulsions ont amené à connaître une vie dominée par la sexualité – et une vie chaotique, faite de hauts et de bas, même si, progressivement, de plus en plus de bas, et de plus en plus bas. Issue d’un milieu relativement privilégié, l’héroïne (anonyme) de Saikaku est amenée à devenir courtisane, d’abord de haut rang, puis à dégringoler progressivement le long de la très complexe et pointilleuse hiérarchie des quartiers de plaisir – même si, en quelques occasions, elle remonte quelques échelons, et/ou tente sa chance autrement, auprès d’un marchand amoureux ou d’un bonze guère chaste, ou ailleurs (elle voyage beaucoup, essentiellement entre Kyôto, Ôsaka et Edo). Devenue vieille femme, elle ne rechigne pas à narrer son histoire aux jeunes gens, une histoire qu’elle suppose éventuellement édifiante – ou pas, car les rares interventions de la morale dans cette histoire ne sont guère conçues pour emporter l’adhésion, et l’ironie y a probablement sa part.

 

Sur ce postulat, Saikaku brode une description par le menu, et qui évoque plus qu'à son tour une sorte de guide touristique, de la vie quotidienne dans les quartiers de plaisir (surtout) – ce qui va des mœurs à la couleur des vêtements ou au style des coiffures, en passant par les tarifs, les modes, etc., et mille autres allusions au contexte économique, social ou encore culturel de l’époque, par exemple portant sur les acteurs de kabuki les plus célébrés, de vraies stars, et pas les derniers à s’encanailler dans les maisons de courtisanes. Avouons-le, cette dimension de Vie d’une amie de la volupté, qui en fait une mine de précieux renseignements pour les historiens et les anthropologues, a de quoi faire soupirer quelque peu le lecteur, a fortiori non japonais, a fortiori du XXIe siècle, simplement en quête d’un bon roman… De fait, ce livre n’était sans doute pas le plus aisé à traduire sous cet angle – et, dans le texte de Georges Bonmarchand, cela se traduit par une surabondance de termes japonais absolument intraduisibles et dès lors laissés tels quels, qu’une surabondance de notes (il y en a tout de même 300, qui occupent une trentaine de pages, là où le roman a proprement parler fait moins de cent pages, avec ses illustrations d'époque abondantes) n’éclaircit pas toujours, voire obscurcit encore un peu plus…

 

C’est le piquant et l’ironie des tableaux qui rendent le roman malgré tout lisible dans une optique non érudite – et la verve aussi bien de l’héroïne que de ses collègues et clients. Les vives couleurs des quartiers de plaisir séduiront ou pas – un avertissement à cet égard s’impose.

LE CINÉMA FÉMININ DE MIZOGUCHI

 

Saikaku était donc très populaire de son vivant, mais il a ensuite longtemps été discrédité pour sa « vulgarité ». Tardivement, il a cependant été redécouvert par des écrivains modernes, qui l’ont révélé pour ce qu’il était vraiment : une des très grandes plumes de la littérature japonaise. Il n’est probablement pas si étonnant, dès lors, qu’on l’ait adapté au cinéma. Mais le Japon des années 1950, en l’espèce, n’était certes pas le Japon d’Edo, plus de deux siècles et demi s’étaient entre-temps écoulés – outre que l’aspect « guide des quartiers de plaisir » de Vie d’une amie de la volupté ne pouvait pas vraiment être transposé sur pellicule. Un travail d’adaptation s’imposait – au point où la parenté des deux œuvres ne saute pas forcément aux yeux, de prime abord… voire encore après coup ; en me lançant dans cette chronique, en fait, je n’étais pas si certain de ce lien partout affiché… D’autant que le titre a changé ? Mais de manière significative – car, au Japon, Kôshoku ichidai onna est ainsi devenu Saikaku ichidai onna, la mention du nom de l’auteur rendant superflue celle de l’amour ou de la volupté ; la différence/parenté des titres est peut-être moins sensible en français, pour le coup, puisque l’on est passé de Vie d’une amie de la volupté, dans la traduction (postérieure au film à vue de nez) de Georges Bonmarchand, à La Vie d’O’Haru, femme galante pour le film – mais sans doute à bon droit, car le fait de nommer l’héroïne, ce que ne faisait pas Saikaku dans son roman, est significatif en tant que tel.

 

Quand le film sort, en 1952, Mizoguchi Kenji est un des plus illustres réalisateurs japonais… au Japon, avec une longue carrière derrière lui, entamée du temps du muet – il est bien plus âgé que Kurosawa Akira, par exemple ; mais la trajectoire des deux réalisateurs à cette époque est en fait liée. En 1950 sort Rashômon : le film fonctionne bien au Japon, mais, surtout, de manière totalement inattendue, il triomphe en Occident après avoir été projeté à la Mostra de Venise en 1951, où il remporte le Lion d’or. Les Japonais découvrent stupéfaits que leur cinéma est en mesure d’intéresser d’autres audiences ! Mais, pour l’heure, les Européens et les Américains ne connaissent absolument rien du cinéma japonais… Y a-t-il quelque chose d’autre, en dehors de Kurosawa ? Oui – et Mizoguchi en fait la démonstration dès l’année suivante, justement avec La Vie d’O’Haru, femme galante, à son tour projeté à la Mostra de Venise, et à son tour primé (même si pas du Lion d’or). Pendant un certain temps, Kurosawa et Mizoguchi (tous deux enchaînant les succès par la suite, comme par exemple Les Sept Samouraïs pour le premier ou les Contes de la lune vague après la pluie, d'après les Contes de pluie et de lune d'Ueda Akinari, pour le second… et tous deux remportent le Lion d’argent !), seront les deux cinéastes japonais plébiscités à l’étranger – leur collègue Ozu Yasujirô, dont le style « contemporain » n’a pas le même vernis « exotique » qui facilite plus ou moins paradoxalement l'exportation, ne sera véritablement découvert en Occident que plus tard, rétrospectivement (alors qu’il était très apprécié, et très influent, au Japon, de longue date) ; mais l’idée d’un « triumvirat » du cinéma japonais « classique », Kurosawa-Mizoguchi-Ozu, persistera longtemps. Il y a bien quelques autres noms à s’exporter çà et là (en 1953, Kinugasa Teinosuke, là encore un vétéran, remporte la Palme d’or à Cannes pour La Porte de l’enfer), mais ceux-ci dominent. En Europe, et même plus particulièrement en France, on oppose pourtant parfois ces réalisateurs, si l’on en croit par exemple un Max Tessier (ici, sauf erreur) : au sein des revues cinématographiques telles que Les Cahiers du Cinéma ou Positif, il y a les tenants de Kurosawa, et les tenants de Mizoguchi – chaque revue choisit son camp et dénigre absurdement l’autre… Il y avait assurément, et il y a toujours, de quoi plébisciter les deux, tout en prenant en compte les différences marquées du cinéma de chacun, sensibles aussi bien dans le fond que dans la forme (à titre d’exemple, l’usage récurrent de longs plans-séquences, typique de Mizoguchi, et dont La Vie d’O’Haru, femme galante témoigne particulièrement, tranche avec le montage et les « trois caméras » de Kurosawa).

 

Quoi qu’il en soit, au Japon, Mizoguchi est alors un réalisateur installé de longue date, à la filmographie abondante. Il a traité bien des sujets, de bien des manières, mais, sur le tard, on note peut-être plus particulièrement, chez le réalisateur, un intérêt marqué pour la condition des femmes – un intérêt militant, même, prônant le suffrage des citoyennes japonaises ou dénonçant le proxénétisme, et ce ne sont là que deux exemples. Dans un Japon très patriarcal, ce n’est pas rien – même si, pour le coup, le poncif de la « femme qui endure », certes pas absent du cinéma de Mizoguchi, est très japonais. Reste que La Vie d’O’Haru, femme galante s’inscrit pleinement dans ce registre ; c’en est même peut-être la plus fameuse illustration.

 

Et c’est aussi l’occasion, pour Mizoguchi, de confier à son actrice fétiche, Tanaka Kinuyo, une des plus grandes stars féminines de toute l’histoire du cinéma japonais, muet comme parlant (et que j’avais louée sur ce blog pour sa performance dans La Ballade de Narayama de Kinoshita Keisuke, et évoquée brièvement ici, en traitant du Kwaidan de Kobayashi Masaki, car elle était une parente du réalisateur), de lui confier, donc, un rôle à sa démesure : la femme « de Saikaku », que le film doit montrer aussi bien jeune ingénue de la cour impériale que vieille prostituée décatie…

 

(Pour l’anecdote un peu gratuite, mais aussi pour le lien avec Kurosawa, on relèvera, dans la distribution du film de Mizoguchi, un Mifune Toshirô méconnaissable, dans un rôle d’une importance cruciale pour le récit, mais qui n’a guère que deux minutes au plus d’apparition à l’écran…)

 

Mais 1952 n’est pas 1686. L’adaptation du roman de Saikaku est (nécessairement) très libre, elle délaisse la succession de petits tableaux largement indépendants pour un récit plus linéaire et cohérent, et elle porte un regard tout différent sur la vie des courtisanes et les questions politiques et morales afférentes. Si le roman de Saikaku affichait sans vergogne des airs de divertissement plutôt léger et somme toute assez neutre au plan moral, du moins m’a-t-il fait cette impression, le film de Mizoguchi est résolument un drame (ce qui n’exclut pas de brefs interludes assez cocasses), et une dénonciation.

 

TRAJECTOIRES ET DIFFÉRENCES

 

Dans les deux œuvres, l’héroïne est prise dans un engrenage qui décide de la trajectoire de sa vie. Dans les deux cas, par ailleurs, cette trajectoire n’est pas unilatérale : s’il est certain que, dans le roman comme dans le film, l’héroïne finit incomparablement plus mal qu’elle n’a commencé, il ne s’agit cependant pas d’une chute « en continu » : il y a des hauts et des bas – même si, donc, de plus en plus de bas, et de plus en plus bas. Cependant, le ton très grave et déprimant du film accentue peut-être cette impression de déchéance continuelle.

 

Mais l’histoire d’O’Haru est donc plus aisée à suivre : Mizoguchi se disperse moins que Saikaku, et dégage une trame générale des péripéties de son héroïne, en diminuant le nombre de tableaux pour leur accorder plus d’espace ; certaines de ces saynètes sont bien empruntées au roman, mais pas toutes, sauf erreur.

 

Dès lors, il est possible de résumer le film plus aisément que le roman. Il s’ouvre sur le triste tableau d’une O’Haru prématurément vieillie, prostituée sans clients mais qui entend conserver une attitude relativement sereine, en dépit des innombrables malheurs qui n'ont eu de cesse de l'accabler. Le film, comme le roman, commence donc par la fin (enfin, concernant le film, pas tout à fait, car il y aura un très important épilogue) – mais là où Saikaku montre une vieille dame retirée du monde, une plus-ou-moins-nonne qui narre volontiers aux galants de passage, pour leur divertissement sinon leur édification, les accidents de sa vie, Mizoguchi dresse un tableau d’emblée plus intime et aussi plus déprimant, et c’est au spectateur qu’O’Haru fait intérieurement son récit – à moins que ce ne soit en même temps à ses collègues prostituées. De passage dans un temple bouddhique, O’Haru s’abîme en effet dans la contemplation des statues, qui lui rappellent l’origine de son drame, le visage d’un jeune homme apparaissant en surexposition sur le visage d’un bouddha : alors qu’elle était dame de compagnie à la cour impériale, O’Haru était tombée sous le charme d’un page très assidu, Katsunosuke (Mifune Toshirô) ; mais cette relation dépareillée avait scandalisé la cour, et le jeune guerrier avait été exécuté tandis qu’O’Haru était renvoyée auprès de sa famille, collectivement exilée et dégradée.

 

C’est là une autre différence majeure entre le film et le livre : Mizoguchi confère un certain rôle aux parents d’O’Haru, qui reviendront régulièrement dans le récit – la mère est douce mais impuissante, le père un répugnant bonhomme, égoïste, arrogant, cupide. Il vend littéralement sa fille pour qu’elle devienne la concubine d’un daimyô, le seigneur Matsudaira, dont les exigences en matière de femmes sont absurdes, mais qui a urgemment besoin d’un successeur. Las, une fois qu’elle a donné à son maître un prince héritier, O’Haru, bien loin d’en bénéficier, est renvoyée chez ses parents sans plus attendre, et à jamais séparée de son enfant… Et son père la vend encore : cette fois, O’Haru devient « officiellement » une courtisane – et ça se passe forcément mal. O’Haru parvient ensuite à quitter le quartier de plaisir pour servir dans un foyer « respectable », mais fait les frais de la jalousie de la maîtresse de maison ; après quoi elle rencontre un homme adorable, doux et travailleur, elle veut croire enfin au bonheur domestique… et perd tout quand son jeune amant est tué par des brigands : le sort s’acharne sur elle quoi qu’elle fasse. Elle veut se faire nonne, cherchant la rédemption dans la foi, mais souffre de la cruauté d’un marchand qui la viole peu ou prou – et, comme de juste, c’est la victime qui est châtiée pour ce crime par la supérieure du temple : l’aspirante ne sera jamais nonne. O’Haru n’a plus le moindre choix : elle doit se résoudre à la prostitution – entendre le plus bas échelon, rien à voir avec les quartiers de plaisir : de vieilles femmes hideuses qui racolent les hommes ivres dans la rue et font de l’abattage. Mais O’Haru n’y gagne pas de quoi subvenir à ses besoins – bien plutôt, on l’humilie encore davantage. Mais le seigneur Matsudaira meurt, et c’est le fils que lui a donné O’Haru qui règne désormais ! Ne craignez pourtant pas le happy end : la « turpitude » de la mère privée de son enfant depuis l’accouchement même implique, aux yeux des bushi hypocrites, de dissimuler cette « honte » irrémédiable, sans lui donner pour autant l’occasion de connaître enfin son fils, qu’elle ne peut voir que de loin, en une unique occasion – le schéma typique de ces hommes qui ne laissent d’autre échappatoire aux femmes que la déchéance de la prostitution… et qui trouvent quand même à le leur reprocher ! Mais O’Haru préfère fuir que de subir cet ultime affront.

 

Et cela a son importance : si, dans le film de Mizoguchi, O’Haru donne globalement l’image d’une victime (des hommes, de quelques femmes aussi mais parce qu’elles ne font que reproduire les façons d’être des hommes, dans une société extrêmement patriarcale), elle n’est pas pour autant, ou pas totalement, une pure victime et rien d’autre – O’Haru a un tempérament rebelle qui perce parfois, qui participe parfois à ses affres (sans les justifier, à l'évidence...). En cela, elle se rapproche finalement de l’héroïne de Saikaku – même si cette dernière, plus ouvertement rebelle (et libre ?), éventuellement malicieuse aussi (O'Haru dans le film n'en donne qu'un seul exemple, quand elle se venge de la maîtresse de maison chauve), feint régulièrement de critiquer ses « mauvais penchants », quand elle s’y soumet en fait volontiers ; une dimension totalement étrangère au personnage d’O’Haru (à moins d’y associer ses amours avec Katsunosuke puis le fabricant d’éventails, mais on n’est pas porté à les envisager de la sorte).

 

Je suppose que cela tient aussi à ce que le ton des deux œuvres varie autant – et par voie de conséquence leur signification ? J’ai l’impression que les considérations « morales » n’intéressent pas vraiment Saikaku – qu’elles soient censée jouer en faveur de son héroïne ou en sa défaveur. Si la vieille dame recommande à son auditoire (masculin) de mettre un frein aux méfaits de la volupté, on la suppose alors guère sincère, et c’est peu dire ; et tout autant Saikaku lui-même derrière elle ! En même temps, vers la fin du roman, quand la courtisane fait un cauchemar, voyant des dizaines de fantômes, et comprend qu’il s’agit des esprits vengeurs de tous les enfants dont elle a avorté au fil de sa carrière, je suppose qu’il ne faut pas y voir une condamnation de sa vie au plan moral – ce que l’on aurait déduit plus aisément dans un contexte plus puritain ; calquer à ce propos un discours contemporain sur l’avortement, et a fortiori anti-avortement dans une navrante perspective très meuwicaine, dans une époque et un pays qui ne connaissaient absolument rien de la sorte, serait bien hardi et sans doute malvenu. Décidément, je ne crois pas que Saikaku juge.

 

Mizoguchi, si – mais l’accusation, bien sûr, ne porte pas un instant sur la pauvre O’Haru, la victime dans toute cette accablante affaire : elle s’adresse aux hommes qui la malmènent sans y prêter la moindre attention – les diktats aristocratiques qui sanctionnent les mésalliances par la mort et l’exil, l’égoïsme inouï du seigneur Matsudaira qui fait d’O’Haru une concubine « jetable », tout juste bonne à être renvoyée chez ses parents une fois qu’elle a pondu un héritier, la vilenie mesquine d’un père qui vend sa fille par deux fois pour assurer son commerce (les chônin étaient les lecteurs de Saikaku, mais il ne les ménageait pas pour autant, et Mizoguchi encore moins), l’hypocrisie d’un maître de maison qui délaisse son épouse au point de la rendre folle, ce marchand plus ou moins violeur qu’une nonne ne saurait rendre coupable d’un crime dont c’est la victime qui doit en payer le prix, ce moine qui exhibe et humilie une O’Haru prématurément décatie pour détourner les pèlerins de la voie du stupre, l’ignominie enfin des samouraïs du clan Matsudaira, qui sanctionnent une mère dépossédée de son enfant pour le comportement qu’ils lui ont imposé… Oui, le film de Mizoguchi a quelque chose d’un réquisitoire. Une dimension, sinon totalement absente, du moins beaucoup moins franche dans le roman de Saikaku.

 

DU QUARTIER DE PLAISIR À L’UNIVERSEL

 

Deux œuvres finalement très différentes, donc – et qui s’adressent à des publics différents, en leur temps (fort éloigné l’un de l’autre) comme aujourd’hui.

 

Pour dire les choses, je ne me suis pas régalé à la lecture de Vie d’une amie de la volupté autant que je l’espérais, sur la base de mes quelques autres lectures antérieures de Saikaku – pas grand-chose, certes… Le prestige du roman m’encourageait à en attendre un authentique chef-d’œuvre. Mais la structure très déconcertante du récit, et surtout le caractère pointilleux de sa dimension documentaire, m’ont assez tôt… lassé, je suppose. La description par le menu des us et coutumes des quartiers de plaisir a fini par devenir laborieuse à mes yeux de lecteur – et j’ai plaint le pauvre traducteur, qui ne pouvait guère rendre en français les subtilités hiérarchiques du monde des courtisanes, ce qui impliquait donc tout à la fois de conserver un vocabulaire spécifiquement japonais en abondance, et de tenter de lui donner corps au travers d’un appareil scientifique conséquent ; ceci dit, j’ai l’impression qu’il a sa part de responsabilité dans ce ressenti un peu aride – en en faisant trop : quand le roman, au détour d'une note, tourne à l’analyse de la politique monétaire du shogunat, ou peu s’en faut, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas – en même temps, d’autres notes s’avèrent indispensables pour apprécier les nuances du discours de l’auteur… En son temps, Kôshoku ichidai onna avait sans doute été conçu comme un ouvrage de divertissement pour les chônin – l’auteur et le lecteur partageaient les mêmes codes, les mêmes références, aussi le non-dit avait-il sans doute sa part dans la manière d’approcher le récit. En français, de nos jours, cela ne saurait produire le même effet. Et tous ces éléments s’associent, qui rendent la lecture de Vie d’une amie de la volupté incomparablement plus compliquée qu’il n’était souhaité et souhaitable…

 

Le cas du film de Mizoguchi Kenji est tout autre. Le monde avait bien changé entre 1686 et 1952. On ne racontait plus les histoires de la même manière, et l’insularité du Japon avait été mise à mal depuis un siècle – le souvenir d’Edo persistait sans doute, mais, à tout prendre, il s’agissait d’un autre monde pour les Japonais eux-mêmes. Et si Mizoguchi n’a probablement pas « dilué » son film pour le rendre plus accessible aux spectateurs occidentaux (une accusation qui deviendrait vite fréquente dans certains milieux japonais, et dont Kurosawa Akira, tout spécialement, ferait à terme les frais), à une époque où l’engouement international pour le cinéma nippon débute tout juste, il a cependant livré une œuvre bien moins hermétique – ou, mieux vaut présenter les choses dans l’autre sens, il a conçu une œuvre universelle. Si la Vie d’une amie de la volupté s’inscrit dans un contexte culturel, économique, social, moral, politique, etc., spécifique, La Vie d’O’Haru, femme galante, tout en s’inscrivant dans un même Japon d’Edo envisagé avec le plus grand sérieux, rapporte une histoire à même de parler au monde entier, d’émouvoir et de révolter un Français ou un Américain au même titre qu’un Japonais.

 

Et c’est un constat qui a son revers plus déprimant, je suppose : si cette histoire nous fait l’effet d’être universelle, c’est aussi parce que les sociétés européennes traitaient et dans une certaine mesure traitent encore les femmes comme le Japon des Tokugawa traite ici O’Haru. Que le film de Mizoguchi soit un chef-d’œuvre ne rend pas exactement cette réalité moins douloureuse et révoltante…

 

(PS : Une petite remarque technique, au cas où : cette édition DVD du film de Mizoguchi est assez atroce – image bof, son encore pire, sous-titrage français lacunaire… Il mériterait mieux que ça. Je ne sais pas si c’est seulement possible, mais il mériterait mieux que ça.)

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Black Crusade : Kit du Meneur de Jeu

Publié le par Nébal

Black Crusade : Kit du Meneur de Jeu

Black Crusade : Kit du Meneur de Jeu, [Black Crusade: The Game Master’s Kit], Games Workshop – Fantasy Flight Games – Edge, 2013, 31 p. + écran rigide quatre volets

Aujourd’hui, on va faire bref : il y a rarement grand-chose à dire concernant le traditionnel « écran plus son livret » pour quelque jeu de rôle que ce soit, et ce n’est certainement pas pour Black Crusade que ça va changer.

 

 

L’écran, donc : rigide, quatre volets, format A4. Côté joueurs, des illustrations typiquement Warhammer 40,000, ça dégouline bien, sur un mode flashouille un brin émétique. La couverture du jeu est reprise au centre sur deux panneaux, les deux volets restants sont chacun scindés en deux – pas la plus brillante des idées : pour être franc, tout cela est plutôt moche…

 

Et côté MJ ? Ce à quoi l’on pouvait s’attendre : BASTON BASTON BASTON. En fait, de toutes les tables présentes sur ces quatre volets, une seule est indépendante du combat : celle de la difficulté des tests (à la limite, on pourrait y ajouter la vitesse de déplacement par round, mais bon…). Ceci dit, c’est Black Crusade, on n’est pas exactement en mode Kumbaya… Et certaines de ces tables sont sans doute tout à fait bienvenues, comme le récapitulatif des actions ou celui des attributs des armes. Exceptionnellement, on peut y trouver des choses « moins banales », je pense ici surtout aux règles portant sur les hordes. Tout cela est bien fait, très pro sans doute – c’est juste que ça en dit long sur l’orientation du jeu.

 

Le livret de 32 pages qui accompagne l’écran se divise en deux parties. La première, « Rivaux devant les Dieux », est un scénario, destiné en principe à des PJ plutôt débutants. Un riche bonhomme du nom de Palmere Grath engage les PJ pour qu’ils lui ramènent un puissant artefact du nom de Chaîne du Tyran. Il avait déjà envoyé des sbires récupérer la chose, mais quelque chose s’est mal passé – sans doute parce que le trésor attire d’autres rapaces… Les PJ devront se rendre sur Sacgrave, une planète qui fut jadis au cœur d’un véritable empire pirate au sein même du Vortex Hurlant, et où la Chaîne du Tyran a été égarée… ou plus exactement subtilisée par des concurrents, qu’il s’agit dès lors de pister, de rattraper et d’éliminer, pour ramener à Palmere Grath son dû.

 

Ce résumé le montre, je suppose : ce scénario est passablement linéaire, et passablement bourrin aussi. Pas forcément hyper enthousiasmant, là, comme ça. Pourtant, j’incline à croire que cela peut fonctionner en raison de tout le gras qu’il est possible de poser sur ce squelette de trame. Rien de bouleversifiant là non plus, mais Sacgrave fait un cadre plus qu’honnête, dans le registre de la démesure grotesque et décadente, il y a des PNJ badass à chaque page, et d’autres opportunités de rencontres pour complexifier un peu la chose. Globalement, le travail d’exposition est bien foutu dans ce supplément comme dans le livre de base, c’est très pro, très développé, globalement très clair.

 

… Globalement. Il y a peut-être quelques points çà et là plus délicats ? Notamment concernant le système d’acquisition des biens et services, ce qui a son importance dans ce scénario où il y a des marchands partout.

 

Il y a aussi la question du Pacte – un dispositif qui, finalement, me paraissait plutôt intéressant dans le livre de base : ici, nous en avons un exemple… mais qui me laisse un peu perplexe : il vient en effet poser la question de l’information dont disposent les joueurs, forcément – ce qui a éventuellement des conséquences en termes de timing pour le Meneur de Jeu ? Le Pacte, après tout, est censément conclu avant que les PJ ne se rendent sur Sacgrave : à ce stade, si l’objectif primaire ne pose aucun problème, comme de juste, les objectifs secondaires et éventuellement tertiaires présentent peut-être le risque de trop en dire ? Je ne sais pas – il faut que j’y réfléchisse (ce qui est plutôt une bonne chose, j’imagine).

 

Et le livret de 32 pages se conclut sur six pages intitulées « Campagnes hérétiques », et qui donnent des indications pour le jeu sur la durée. Dans l’idée, ça m’intéressait bien, mais cette aide de jeu s’est avérée une déception : c’est assez verbeux, sans apprendre vraiment grand-chose – on y trouve des suggestions de « bon sens » qui n’apportent donc rien en tant que telles, parfois des paragraphes pleins de vide (comme en ce qui concerne la mise en œuvre effective d’une croisade noire). De bonnes questions sont posées (comment faire en sorte que des Hérétiques au service des dieux rivaux du Chaos agissent ensemble ?), mais les réponses, quand il y en a, sont rarement satisfaisantes, ou tombent tellement sous le sens que l’on n’avait pas besoin de les lire (ici, par exemple, un rituel de lien). Le plus intéressant dans ces pages porte sur la gestion de niveaux fluctuants de Corruption et d’Infamie – là, oui, ça peut être utile.

 

Globalement, ce Kit du Meneur de Jeu pour Black Crusade remplit son office – sans enthousiasmer, et en demeurant très dispensable. Fallait pas non plus s’attendre à un miracle.

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Retour sur Titan, de Stephen Baxter

Publié le par Nébal

Retour sur Titan, de Stephen Baxter

BAXTER (Stephen), Retour sur Titan – 3685 apr. J.-C., [Return to Titan], traduit de l’anglais par Éric Betsch, Saint Mammès, Le Bélial’, coll. Une heure-lumière, [2010] 2018, 157 p.

Seizième titre de la collection « Une heure-lumière » ! Mazette… déjà ?! J’ai quasiment l’impression qu’elle a été lancée avant-hier… Bon, bref : c’est l’occasion d’inscrire au catalogue de cette globalement très bonne collection de novellas un auteur que j’ai pas mal pratiqué, à savoir Stephen Baxter. Avec un texte dans un registre passablement « hard science » qu’on lui connaît bien, et pas si fréquent dans la collection (je ne vois guère que de deux vagues précédents, probablement Cookie Monster de Vernor Vinge, et Cérès et Vesta de Greg Egan, même si pour le coup c’était du Egan ultra-light et sans gluten, très bien quand même).

 

Et, à ce propos, sans doute faut-il commencer par donner quelques précisions quant à l’inscription de ce court roman dans la bibliographie de l’auteur ? Son titre ne doit en effet pas nous tromper : a priori, Retour sur Titan n’a aucun lien avec le roman Titan, deuxième titre de la « trilogie de la NASA » ; le satellite de Saturne est bien au cœur de ces deux récits, obviously comme disent les Français, mais c’est tout. Par contre, Retour sur Titan est lié au « cycle des Xeelees », dont l’essentiel est publié en français aux mêmes éditions du Bélial’ – et dont je n’ai lu que les deux premiers volumes, Gravité et Singularité, qui ne m’ont pas vraiment enthousiasmé… En fait, le seul roman de Baxter associé aux Xeelees à m’avoir vraiment emballé est « hors-cycle », c’est Exultant, le deuxième roman de la « trilogie des Enfants de la Destinée » (le bonhomme est à peine un peu compliqué, des fois !). Connaître tout cela n’est probablement pas un prérequis pour lire Retour sur Titan, mais nombre d’allusions, etc., risquent d’échapper au lecteur – ce qui a été mon cas, d’ailleurs, parce que les lectures évoquées remontent tout de même à pas mal de temps…

 

Nous sommes donc en 3685 – et, après avoir pas mal ramé, la conquête de l’espace tend alors à devenir une réalité très concrète, ceci surtout grâce aux inventions du brillant Michael Poole, à base de trous de vers et tutti quanti, le savant ayant bénéficié de la thune du paternel Harry Poole, et tous deux ayant engrangé encore plus de caillasse en conséquence. Désormais, les voyages au sein du système solaire, et éventuellement au-delà, ne prennent plus que quelques heures – le cosmos est incommensurable, mais, à l’échelle de l’homme, il a sacrément rétréci.

 

Mais nos ingénieux capitalistes sont par nature en mode « TOUJOURS PLUS ». Et, dans le système solaire même, il y a comme un point noir, un objet dont ils soupçonnent l’importance cruciale, et sacrément rémunératrice, et ils enragent d'autant plus de ne pas y avoir accès : il s’agit de Titan, le satellite de Saturne – où l’on sait depuis longtemps qu’il y a de la vie. Mais on subodore que cela va au-delà – qu’il n’y a pas seulement de la vie sur cette lune, mais aussi de la sentience ; et, dans ces conditions, les institutions humaines proscrivent toute ingérence, qui pourrait être fatale à l’écosystème du satellite.

 

Les Poole, en bons entrepreneurs/prédateurs, ne comptent pas se laisser brider par des régulations – forcément. Mais leur plan pour passer outre est passablement chelou, impliquant notamment d’enlever (?!) un « gardien de la sentience » pour Titan, Jovik Emry, qui est une pauvre merde, un dilettante lamentable ; ceci afin de se rendre, avec lui et deux autres (dont surtout Miriam, une scientifique dont la soif de connaissances a quelque chose de presque aussi rapace que la cupidité capitaliste des Poole), sur le satellite de Saturne, et voir par eux-mêmes ce qu’il en est – puisque les sondes ne durent pas sur cet astre. Mouais… Honnêtement, déjà au niveau de ce postulat, ça coince pas mal…

 

Vous vous en doutez, tout ne va pas se passer comme sur des roulettes : il y a bien une raison derrière la disparition de toutes ces sondes, et il y a forcément de la sentience sur Titan. Dès lors, la novella oscille entre récit catastrophe spatial façon Apollo XIII et exploration planétaire bourrée de révélations scientifiques, essentiellement d’ordre biologique (il y a un écosystème extrêmement complexe, comme de juste) mais pas que, pointant vers une Ultime Révélation Consistant En Gros Sense Of Wonder Dans Ta Face – un schéma relativement commun chez l’auteur.

 

En fait, pas mal de choses, dans Retour sur Titan, sont du Baxter typique – et je crains que, me concernant, ce soit pour partie ce qui m’a tenu à l’écart de cette novella. On y voit Baxter « faire son truc » ; sur la base de personnages globalement ineptes, et avec un style de la même eau, il accumule la Science Fascinante jusqu’à un finale tellement fou et intelligent et impossible et  pourtant si et grandiose, que le lecteur pris de vertige et limite les larmes aux yeux lui confère de bonne grâce l’absolution pour ses faiblesses récurrentes. Dans les meilleurs Baxter (comme, mettons, Voyage, Les Vaisseaux du temps, Évolution, Temps, Exultant…), les défauts basiques sont à ce point atténués que l’on s’en moque totalement ; dans d’autres moins réussis, la fin parvient éventuellement à sauver un roman autrement assez moyen et déficient par plein de côtés (je suppose que c’était le cas dans Espace voire dans Origine, par exemple, ou encore peut-être Coalescence). Ici ? Ici, outre que le style est vraiment, vraiment très utilitaire et parfois carrément lourdingue (je reviendrai sur les personnages ensuite), cela n’a pas fonctionné sur moi – le vertige est là, je suppose, déjà dans l’écologie de Titan, avant même que l’on ouvre la trappe littéralement au cœur du satellite pour en prendre plein les mirettes et bander du neurone, mais j’avais vraiment trop ce schéma en tête, ce qui m’a plus ou moins consciemment amené à « résister », peut-être ? Et peut-être une vague méfiance à l’encontre de la « méthode Baxter » m’a-t-elle incité à envisager Retour sur Titan de la sorte – après tout, ma plus récente lecture de l’auteur, Le Massacre de l’humanité, ne m’avait pas exactement convaincu… Du coup, j’ai eu une impression de… eh bien, de pétard mouillé, disons.

 

Il va de soi que mon ignorance en matière de sciences dures est problématique pour ce genre de lectures : parfois, je ne comprends tout simplement pas, et passe à côté de choses qui excitent les camarades plus au fait de ces matières – ça m’est arrivé à plusieurs reprises avec Greg Egan ou Peter Watts, surtout. Mais, avec Baxter, ça a souvent marché malgré tout, parce que j’entrevoyais généralement la signification du propos scientifique – quitte à le faire dériver vers la métaphysique, c’est fréquent avec le sense of wonder, notamment baxtérien, mais aussi clarkien, je suppose, etc. Cette fois ça n’a pas marché – et, oui, peut-être me serais-je montré plus réceptif avec davantage de connaissances en biologie (même si là, globalement, je crois que mes lacunes n’ont pas été si gênantes) ou surtout, disons, en astrophysique, pour le grandiose finale. Maintenant, il ne s’agit peut-être que d’excuses un peu navrantes à ce qui pourrait n’être qu’un défaut de concentration – après tout, je suis probablement passé à côté d’un élément du court roman détaché des seules connaissances scientifiques, sa dimension vernienne, je suppose que l’ami Gromovar a mis le doigt sur quelque chose à ce propos, et qui m’avait totalement échappé en cours de lecture…

 

Mais il est sans doute un dernier aspect à prendre en compte, ici – pas le moins du monde « hard science » : Stephen Baxter a choisi de mettre en scène des personnages tous plus détestables les uns que les autres. En temps normal, je n’ai aucun problème avec ça – j’aime bien, en fait : ça s’accorde avec mon pessimisme foncier, et ma méfiance envers les motivations humaines, quelque peu hobbesienne je suppose, même si c’est bien pédant de le formuler ainsi. Mais, dans le cas de Retour sur Titan, ça m’a bizarrement posé problème – sans doute parce que le côté haïssable des personnages laisse d’autant moins de prise à l’identification qu’ils sont en dehors de cela assez peu définis, et globalement inconsistants. Ce qui a d’ailleurs un impact sur la fin de la novella, quand, passé la vision vertigineuse, l’auteur nous enfonce brutalement la gueule dans la boue de l’humanité – ce qui est à la fois inévitable au regard de tout ce qui précède, et bizarrement pas convaincant du tout dans la forme… Peut-être en outre l'auteur en a-t-il trop fait ? C'était ce que je pensais à l'époque de... eh bien, de Titan, justement. Mais, depuis, Trump est devenu président, alors...

 

Non, Retour sur Titan ne m’a pas passionné. Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une mauvaise novella – mais je l’ai trouvée plutôt médiocre. Trop médiocre. Baxter a sans l’ombre d’un doute fait bien mieux (s’il a quelquefois fait bien pire aussi). Ce court roman m’a même paru un peu fainéant – au sens où le contenu sense of wonder pâtit d’une formule un peu trop appuyée. Rien de scandaleux, mais rien d’enthousiasmant – est-ce Baxter qui fatigue, ces dernières années (cette novella date de 2010), ou est-ce que mes goûts ont changé ? Aucune idée – mais, après Le Massacre de l’humanité, ce Retour sur Titan m’incite encore un peu plus à me méfier… de cet auteur que j’ai vraiment beaucoup apprécié en d’autres temps, pas si lointains.

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