Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

101 Poèmes du Japon d'aujourd'hui

Publié le par Nébal

101 Poèmes du Japon d'aujourd'hui

101 Poèmes du Japon d’aujourd’hui, [Gendaishi no kanshô 101 (Ôoka Makoto hen) 現代詩の鑑賞101 (大岡信編)], avant-propos [et sélection] par Ôoka Makoto, préface de Yagi Chûei, traduit du japonais par Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé, Arles, Éditions Philippe Picquier, [1998] 2014, 181 p.

D’AUTRES POÈMES JAPONAIS

 

Encore une chronique « poésie » ?! Nébal n’est plus Nébal…

 

Mais c’est une question de curiosité, en fait ; au-delà du constat maintenant bien assuré que la poésie japonaise classique – la plus classique – ne me laissait pas indifférent. Il s’agissait donc d’étendre le champ à des choses plus contemporaines, en contraste – pour retrouver une poésie libre, après plusieurs siècles de formalisme dans le tanka et sans doute aussi dans le haïku ; c’est bien pourquoi je vous avais parlé, il y a quelque temps de cela, de l’anthologie Haiku du XXe siècle : le poème court japonais d’aujourd’hui, compilée par Corinne Atlan et Zéno Bianu, lecture qui avait été plutôt fructueuse.

 

Seulement voilà : même si, vu de loin, on peut en avoir l’impression, la poésie japonaise, ce ne sont pas que des tanka et des haïkus. Il y a d’autres formes, à moins qu’il ne s’agisse du contraire de formes, et l’anthologie dont je vais vous parler aujourd’hui en témoigne : on y cherchera d’ailleurs en vain tanka et haïkus. En fait, les 101 poèmes ici reproduits sont souvent longs, voire « très » longs (à l’échelle de la poésie) ; mais ils sont aussi très libres – ce ne sont pas des chôka, format vite abandonné après le Man.yôshû, autant dire depuis une éternité.

 

Mais disons d’abord quelques mots de cette anthologie au plan éditorial. Cela n’a rien d’évident dans ce volume français, où l’information doit être traquée dans l’avant-propos et déduite de l’ours, mais il s’agit de la traduction d’une compilation de 101 poèmes de 55 poètes réalisée par le poète et critique Ôoka Makoto pour le compte des éditions Shinshokan en 1998 ; lesdites éditions ont semble-t-il publié plusieurs anthologies du même ordre, confiées à d’autres anthologistes, et avec cette même condition de livrer 101 poèmes ; mais, dans le cas présent, il s’agit bien de la sélection d’Ôoka Makoto (Ôoka Makoto hen), dont je crois avoir compris qu’elle a ensuite été mise en avant pour la traduction, mais là je ne suis pas sûr de moi. Deux traducteurs se sont associés pour cette version française, Yves-Marie Allioux et Dominique Palmé – mais il ne s’agit pas vraiment d’une collaboration : tous deux traduisent alternativement tel ou tel poème.

 

Haiku du XXe siècle, comme son nom l’indique, compilait des poèmes allant de Meiji à Shôwa sinon Heisei. 101 Poèmes du Japon d’aujourd’hui a une perspective plus resserrée et contemporaine : ces poèmes datent au plus tôt de l’après-guerre – et même en fait de l’après-après-guerre ; car, dans la poésie japonaise, l’après-guerre a constitué une période particulière, abondante et foncièrement traumatisée par les événements qui venaient de se produire ; la nouvelle poésie compilée par Ôoka Makoto (dont il fait lui-même partie, j’aurai l’occasion d’en citer un bel exemple) vise à dépasser cette douloureuse expérience, pour revenir à une plus grande liberté dans le fond aussi bien que dans la forme. Elle célèbre la fin de l’après-guerre, et se tourne résolument vers l’avenir.

 

La préface de Yagi Chûei est précieuse pour envisager ces questions de périodisation et d’atmosphère générale, en évoquant au passage, même brièvement, le parcours de quelques poètes majeurs (l’ouvrage est autrement quasi dénué de notes, notices, etc., ce que j’ai un peu regretté). Associée à l’avant-propos de l’anthologiste, cette introduction très riche présente quelques thèmes essentiels de la poésie japonaise contemporaine, notamment dans son rapport aux thèmes classiques, « les fleurs, les oiseaux, le vent et la lune » (kachô fûgetsu), qu’il s’agit de dépasser.

 

Par ailleurs, même si c’est lié, Yagi Chûei note que cette poésie de « l’après-après-guerre » n’est plus tant une « poésie qui chante » qu’une « poésie qui pense ».  C’est en effet quelque chose de saisissant dans cette compilation – et, à mon sens tout du moins, d’assez périlleux, même s’il en résulte de très belles pièces : ces poèmes, relativement longs donc, s'ils ne jouent pas la carte de l'esthétique pure, éventuellement surréaliste, ont souvent quelque chose de la communication d’une expérience sur un mode presque didactique, en dépit de la forme poétique jugée par essence hermétique (à tort, selon Ôoka Makoto – qui entendait entre autres montrer, avec cette anthologie, que la poésie contemporaine n’était pas si abstruse, et, peut-être surtout, que la poésie n’était pas l’affaire des seuls poètes affichés et reconnus comme tels). Cela oscille entre la tranche de vie et l’injonction – avec le risque non négligeable de virer parfois à la « leçon », empreinte de « sagesse »… Le genre de trucs qui m’agacent pas mal ! La plupart, heureusement, évitent cet écueil.

 

Pas tous, cela dit ? C’est qu’il y a peut-être un autre facteur à prendre en compte : l’âge des poètes. Rimbaud n’est peut-être pas tant un modèle qu’un symptôme : les adolescents rimaillent. Quant à le faire avec génie, c’est une autre histoire… Certains poèmes, ici, sentent l’adolescence – mais on peut très bien être à la fois jeune et sentencieux, même si souvent sur un mode hédoniste et détaché ; ces germes de poètes ne nous épargnent donc pas leurs leçons de sagesse et leçons de vie… Ceci étant, l’âge n’y change pas toujours grand-chose – et il y a peut-être quelque chose de rassurant, en même temps, à ce qu’on puisse demeurer un adolescent passé la cinquantaine… « On n’est pas sérieux, quand on a dix-sept ans » ? Parfois, on voudrait l’être – et trente ans plus tard, alors ?

 

UNE SÉLECTION DANS LA SÉLECTION

 

Mais j’arrête d’écrire des (mes) bêtises. Comme toujours dans ce genre de chroniques, je ne peux pas pousser l’analyse plus loin – je n’en ai tout simplement pas les capacités. Mieux vaut citer quelques exemples des poèmes compilés dans cette anthologie – de ceux qui m’ont parlé, en version intégrale ou simplement au travers d’extraits. Avec la précaution habituelle : ce n’est pas ce qu’il y a de meilleur, c’est ce qui m’a plu.

 

À tout seigneur tout honneur ? L’anthologiste lui-même, Ôoka Makoto (1931-2017), figure dans sa propre anthologie… Mais à bon droit, en fait, car Toucher (1968) est bien un très beau poème – qui a quelque chose de la leçon que je dénigrais à l’instant, mais avec suffisamment de pertinence et d’émotion pour que la pilule passe, et même bien mieux que ça (pp. 107-108, traduction de Dominique Palmé) :

 

Toucher.

Toucher la sève sur les veines du bois.

Toucher les courbes lointaines de la femme.

Toucher la soif qui loge dans le sable des buildings.

Toucher la gorge d’une musique lascive.

Toucher.

Toucher, serait-ce voir ? Hé l’homme, à ton avis ?

 

Toucher.

Jus de citron touchant un gosier desséché.

Morne sagesse qui se fige à toucher le gosier d’un démon.

Doigt glacé touchant la zone épaisse d’une femme enfiévrée.

La fleur             cette fleur en train de hurler.

Toucher.

 

Toucher, serait-ce savoir ? Hé l’homme, à ton avis ?

 

Par les nuits de jeunesse au début de l’été

Un désir à déchiqueter les étoiles.

Au bord de la fenêtre cette apparition qui s’éternise.

Journal mouillé sur une plage au loin     et qu’au passage

Foulent en douceur des pieds doux.

Ces pieds, les toucher de l’intérieur de l’œil.

 

Toucher, serait-ce constater qu’on existe ?

 

Toucher les noms.

Toucher l’absurde écart entre les noms et les choses.

Toucher l’angoisse de toucher.

Et l’excitation qui naît de cette angoisse même.

Toucher l’angoisse de se dire que jamais l’excitation

Ne garantit la justesse de ce que l’on perçoit.

 

Toucher, serait-ce vérifier la justesse du toucher ?

 

Cette justesse du toucher que le toucher même

Ne peut garantir, où donc la trouver ?

Le jour où j’ai enfin appris à toucher

J’ai su que je m’éveillais à la vie.

 

D’ailleurs, s’éveiller, quoi de plus naturel ? Dès que je l’ai su

J’ai fait la culbute hors de la nature.

 

Toucher.

Inscrit dans le temps tout phénomène est pure fiction.

C’est donc le moment de toucher. De toucher toutes choses.

C’est donc le moment par ce simple geste de tâtonner en quête de justesse

Pour sentir que ce que l’on touche est pure fiction.

Que le fait de toucher l’est plus encore.

 

Où donc aller ?

Toucher l’angoisse de toucher.

Saisir le cœur d’un ongle acéré que l’angoisse fait trembler.

Qu’importe, il faut toucher. Partir du toucher pour tout recommencer.

Sans espoir de rebond

Ceci étant, en fait de « seigneur », j’en ai un autre : mon poème préféré, dans l’ensemble de cette compilation, est très certainement le Chant du matin dans un hôtel à l’ancre (1949), d’Ayukawa Nobuo (1920-1986) ; le voici dans son intégralité (pp. 50-52, traduction d’Yves-Marie Allioux) :

 

Sous cette pluie battante qui s’était mise à tomber

Tu voulais seulement t’en aller au loin

À la recherche d’un garde-fou contre la mort

Tu voulais t’éloigner de cette ville de tristesse

Et quand j’ai enlacé tes épaules mouillées

La ville dans le vent nauséabond du soir

M’a fait penser à un port

Allumant une à une les lumières des cabines

Dans la nostalgie des âmes innocentes

Une grande ombre noire s’est tapie sur le quai

Abandonner les remords détrempés

Partir au large sur l’océan

Avec toi sur moi comme un sac sur le dos

Je voulais m’en aller naviguer !

Le vague grésillement des fils électriques

Faisait dans mes oreilles ce bourdonnement qui voltige sur la mer

 

Dans notre aube

Un bateau d’acier rapide en filant

Aurait dû emporter nos deux destins sur les flots bleus

Mais finalement toi et moi

Ne sommes partis nulle part

À travers la fenêtre de ce misérable hôtel

J’ai craché sur la ville au point du jour

Nos paupières lourdes de fatigue

Pendaient alors sur nos yeux comme des murs gris

Elles avaient enfermé sans retour dans le vase de verre

Espoirs et rêves vains les miens comme les tiens

Et le bout de la jetée brisée

Fondait dans l’eau croupie du vase

Seul on ne sait quel manque de sommeil

Stagnait encore comme une infâme odeur d’hôpital

Mais la pluie de la veille

Indéfiniment entre nos cœurs déchirés

Et nos corps brûlants

Sur cette vallée de mélancolie vide ne cessait de tomber

 

Nous-mêmes notre dieu

L’aurions-nous pour toujours étranglé sur ce lit ?

Toi tu te dis que c’est moi

Moi que c’est toi qui serais responsable

Je mets alors la cravate négligée des crises de foie

Tandis que tu poses sur ton dos rond

Ton petit visage maquillé en vautour

Et quand nous nous attablons pour le petit déjeuner

Devant l’avenir mollet

De ces œufs fendillés

Tu arbores un sourire stupidement mystérieux

Moi je brandis une fourchette haineuse

Avec la tête d’un homme qui a vidé l’assiette grasse

Des adultères bourgeois

 

Le paysage à la fenêtre

Est prisonnier de son cadre

Ah ! Moi je veux la pluie les rues le soir

Car si la nuit ne vient pas

Comment réussirais-je à bien étreindre

L’immense panorama de cette ville d’ennui ?

Naissance entre deux grandes guerres à l’ouest et à l’est

Échec de l’amour comme de la révolution

Brusque descente aux enfers et voilà cet

Idéologue à la mine renfrognée qui se montre à la fenêtre

La ville est morte

Le vent frais du matin

Met son rasoir froid sur ma gorge qu’un collier a blessée

Et à mes yeux l’ombre humaine debout près des fossés

Apparaît comme un loup aux flancs crevés

Qui n’aura jamais plus à hurler

Si cela faisait sens de parler de « concurrence » entre de si beaux poèmes, je pense que le principal rival du précédent serait la Morne Plaine (1985) de Shindô Ryôko (née en 1932) ; en voici la traduction intégrale, par Yves-Marie Allioux (pp. 130-131) :

 

Plus loin que les champs de sorgho       plus loin que les verts pâturages

Plus loin encore que ces étendues propices aux pavots rouges qui y fleurissent à foison

La steppe d’été

Se poursuivait jusqu’aux limites extrêmes de l’horizon

Après le lever du jour

En une demi-journée à peine un soleil déclinant

Allait se fondre en une teinture de sang imprégnant terre et ciel

Puis c’était au tour de la lune d’illuminer de son pur éclat le moindre recoin de la plaine

Déjà trois jours que ce paysage restait toujours le même

Et chaque jour              à l’horizon se levait un soleil      qui ne tarderait plus à sombrer

Père     me voilà maintenant

Qui vais à ta rencontre, vois-tu ?

Franchissant la Grande Muraille de Chine

Voici que moi qui n’ai vécu que neuf petites années

Cette enceinte fortifiée dont la construction a duré deux mille ans

Je la dépasse aujourd’hui

Les deux mille ans de la Grande Muraille

Mes neuf ans

Et les trente-six ans que tu auras vécu Père

Sont semblables aux mirages

 

Le maître d’un air sévère avait conclu

« … c’est pourquoi tu dois rentrer tout de suite » et à cet instant

L’enfant assis à côté de moi murmura

« Quelle chance que ce ne soit pas mon père ! »

Et à ces mots               en cet instant

Je ne pus malgré moi m’empêcher d’éclater       en sanglots…

 

À voir ainsi ces vastes étendues se poursuivre aussi interminables

À me retrouver ainsi enveloppée dans un soleil couchant aussi grand

Que notre         vie

Soit encore plus minuscule        qu’une graine de pavot              c’est ce que je comprenais pour la première fois

Ce ciel et cette terre avaient tout absorbé

Je n’étais pas la seule à avoir pleuré

Les habitants de ce pays eux aussi pleuraient et encore davantage !

Notre vie          au sein de l’éternité

Était aussi éphémère     qu’une seule de nos larmes

Et que sur cette terre si belle les hommes se laissent pourtant emporter par la guerre

Qu’y avait-il de plus vain ?

Peut-être qu’un jour dans le futur           ces pensées

Cette morne plaine        me rendront nostalgique ?

Même après que nous aurons disparu

Chaque jour      le soleil se lèvera          retombera

Père ! Moi je suis en vie !

Jusqu’à ce que devenue une goutte de sang je pénètre profondément la terre

Jusqu’à ce que je me mêle aux flots de la mer

Je vais vivre     je me fais fort de vivre

 

Allez     transporte donc ma vie

Train à vapeur !            Ferghana de sueur de sang !

Auprès de mon père réduit à si peu

Oui       tout près

 

Dans un registre qu’on pourrait peut-être qualifier de lyrique, non sans quelque chose de morbide, j’ai également été séduit par la Nuit (1950) de Nakamura Minoru (né en 1927) ; dans la traduction (intégrale) de Dominique Palmé (p. 85) :

 

Comme des biches en fuite       est-ce ainsi qu’ont filé les jours suffocants ?

La nuit solitaire m’attendait        au milieu de l’odeur des algues pourrissantes

Au milieu du désir d’un alcool métallique qui bouillonne combien de nuits ont-elles naufragé ainsi ?

 

Quelque chose se blottissait contre les plis des vagues              semblant lancer un appel sans voix

La mer obscure secouait           les cous évasés et blêmes des femmes

Et les marches discontinues couleur de cinabre…

L’eau frissonnait finement          et il y avait une main bestiale et rude

 

Nuits naufragées, combien ont-elles cherché de tombes ?

Ont-elles oublié les innombrables yeux tombés de leurs orbites ?

La mer obscure secouait           les cous évasés et blêmes des femmes

 

Les nuits passeront sans doute comme des empennes de flèches enflammées

Sans doute iront-elles se cacher            cherchant des tombes dans les profondeurs…

Dans les plis des vagues il y avait une grande main bestiale qui enserrait ma nuit solitaire

En contraste, même si sur le mode de la « leçon de vie », je citerais bien, autrement critique, et représentatif d'une certaine poésie du quotidien, du prosaïque, Avancement chez les cadres (1979), de Nakagiri Masao (1919-1983) ; le voici, dans une traduction de Dominique Palmé (p. 41) :

 

« À tous les coups, ce sera vous le prochain directeur adjoint de notre succursale ! »

En regardant s’il change de tête, vous lui faites du plat,

Et l’homme concerné, la mine soudain hilare,

Remplit votre coupe de saké et dit « allez, buvons un coup ! »

 

« Le chef de bureau, il ne sait pas bien utiliser les gens… »

« Sa promotion de directeur, c’est râpé, à ce qu’on dit ! »

Partout au Japon, il n’y a que des entreprises,

Alors dans les bars on ne parle que d’avancement et de mutations

 

Bientôt on se sépare et tout le monde se retrouve seul,

Le vent nocturne du début du printemps caresse toutes les joues au passage,

À mesure que l’ivresse se dissipe la solitude s’installe,

Et on lance des coups de pied dans les paquets de cigarettes vides et dans les cailloux.

 

Pourtant quand on était enfant on faisait des rêves

Pourtant avant d’entrer dans l’entreprise on possédait aussi un petit idéal.

 

(Ce qui me fait aussitôt penser à la tragique pub de l’INSEEC : « Entrez rêveur, sortez manager. » Pauvres de nous…)

 

Je vais m’en tenir là pour les poèmes cités dans leur intégralité, mais d’autres ont pu me toucher, sinon sur la durée, du moins au travers d’extraits saisissants. J’en citerais bien deux exemples, et tout d’abord les deux dernières strophes de Moines (1958), de Yoshioka Minoru (1919-1990), dans une traduction de Dominique Palmé (pp. 33-34) :

 

[…]

8

Quatre moines

L’un a mis au monde mille bâtards dans un champ d’arbres morts

L’un a fait mourir mille bâtards dans une mer sans sel et sans lune

L’un, posant sur les plateaux d’une balance où s’entrelacent vignes et serpents

Les pieds des mille morts et les yeux des mille vivants, s’étonne de voir qu’ils pèsent le même poids

Celui qui est mort, de nouveau malade

Tousse de l’autre côté du mur de pierres

 

9

Quatre moines

Quittent la citadelle des cuirasses rigides

N’ayant rien moissonné de leur vie,

Dans un lieu plus élevé que le monde

Ils se pendent et ricanent de concert

Voilà pourquoi

Les os des quatre moines, aussi épais que les arbres d’hiver,

Resteront morts jusqu’au jour où la corde cassera

 

Et un dernier exemple, avec un extrait de S’il descend vers un monde sans précédent… (1968), de Yoshimoto Takaaki (1924-2012), dans la traduction d’Yves-Marie Allioux (p. 73) :

 

Entouré de mystères ce qui file

Au tréfonds de lui-même ce sont ces rêves que sans doute il ne pourra réaliser

Ses passions sans fondement auxquelles sa faim aspire

Un amour sur le point d’être effacé

Et lui qui a connu la honte de ce qui s’écrit sur la page blanche

Lui s’embarquera vers le futur

 

ENTRE DEUX EAUX

 

Le bilan est – comme toujours ? – un peu mitigé. Les poèmes que je viens de citer, en intégralité ou en extrait, m’ont touché, d’une manière ou d’une autre ; d’autres également l’ont fait, qui n’ont pas intégré cette sélection dans la sélection, parce qu’il y manquait peut-être un tout petit quelque chose, ou plus probablement parce que je craignais que l’exhaustivité ne finisse par donner un catalogue absurde. Nombreux, à côté, sont les poèmes qui m’ont laissé parfaitement froid – parce que trop « leçons de vie », ou trop « surréalistes », mais sur un mode un peu automatique, régulièrement puéril à mes yeux et mes oreilles (surtout quand les allusions phalliques, notamment, étaient de la partie).

 

Mais j’ai apprécié cette lecture – pour la beauté de certains poèmes, la puissance de quelques autres, la pertinence enfin d’un certain nombre. Et aussi parce que cette anthologie témoigne de la variété de la poésie japonaise contemporaine. Même si, je suppose, il serait quelque peu triste de s’en tenir à ce seul intérêt « à titre de document »… Heureusement, les poèmes qui m’ont touché sont suffisamment nombreux pour que l’on aille au-delà. Mais, oui, il est intéressant d’envisager la poésie japonaise sous cet angle plus contemporain, et sa vivacité au-delà des formes canoniques des tanka et des haïkus ; ne serait-ce qu’à cet égard, 101 Poèmes du Japon d’aujourd’hui est une lecture utile – par chance, c’est aussi régulièrement une lecture touchante. Après, ce qui touche, ce qui ne touche pas, ma foi, c’est à chacun de voir…

Voir les commentaires

No Guns Life, vol. 3, 4 et 5, de Tasuku Karasuma

Publié le par Nébal

No Guns Life, vol. 3, 4 et 5, de Tasuku Karasuma

KARASUMA Tasuku, No Guns Life, vol. 3, [No • Guns • Life ノー・ガンズ・ライフ], traduit [du japonais] et adapté en français par Miyako Slocombe, Bruxelles, Kana, coll. Big, [2014] 2016, 234 p.

No Guns Life, vol. 3, 4 et 5, de Tasuku Karasuma

KARASUMA Tasuku, No Guns Life, vol. 4, [No • Guns • Life ノー・ガンズ・ライフ], traduit [du japonais] et adapté en français par Miyako Slocombe, Bruxelles, Kana, coll. Big, [2014] 2017, 226 p.

No Guns Life, vol. 3, 4 et 5, de Tasuku Karasuma

KARASUMA Tasuku, No Guns Life, vol. 5, [No • Guns • Life ノー・ガンズ・ライフ], traduit [du japonais] et adapté en français par Miyako Slocombe, Bruxelles, Kana, coll. Big, [2014] 2017, 210 p.

No Guns Life, suite, avec les tomes 3, 4 et 5 – soit tout ce qui est paru en français pour l’heure. Les deux premiers tomes, sans avoir rien de révolutionnaire, mais alors absolument rien, m’avaient suffisamment accroché, avec leur chouette ambiance, l’excellent personnage principal qu’est Jûzô Inui et sa tête de flingue, de bons personnages gravitant autour de lui et quelques idées bizarres saupoudrées çà et là, pour que je dépasse sans peine quelques aspects moins enthousiasmants – notamment le caractère très convenu et déjà-lu de ce cyberpunk noir, du genre à citer abondamment ses références, une vague érotisation des personnages féminins guère convaincante en plus d’être inutile, ou un dessin certes d’une personnalité appréciable, mais régulièrement au prix de la lisibilité, notamment dans les scènes de combat. Ces trois nouveaux tomes sont clairement dans la continuité, atouts et désavantages se perpétuent, encore qu’en connaissant quelques évolutions ; globalement, je crois que la série s’améliore, en fait, même si, là encore, sans jamais atteindre quoi que ce soit de bouleversant.

 

Je ne vais pas m’étendre outre mesure sur l’histoire de ces trois tomes – simplement en donner les grandes lignes pour se faire une idée du contenu. Même sous cette forme très lapidaire, toutefois, ça n’exclut pas quelques SPOILERS, inévitablement…

 

La trame de fond demeure : cette ville indéfinie, mégalopole tentaculaire à l’ombre de la corporation omniprésente Berühren ; si les yakuzas des deux premiers tomes sont cette fois un peu en retrait, les deux autres factions principales, d’une part l’Agence pour la Reconstruction et son « Bureau des Mesures Anti-Extends », ou EMS, et d’autre part les terroristes réac du Spitzbergen (qui sont encore nimbés d’un voile de mystère, cela dit), sont toujours de la partie. Bien sûr, sur cette base, il y a forcément des complots dans tous les sens, des agents infiltrés, des traîtres, de la corruption à tout va, du cynisme, du fanatisme, de la folie pure, des révélations en pagaille à base de régiments de squelettes dans absolument tous les placards, etc. Le cocktail de base technoir, nous sommes en terrain connu.

 

Le tome 3 poursuit, plus qu’il ne conclut, le tome 2. Il s’ouvre donc sur la révélation, pour notre héros Jûzô Inui du moins, de ce que le grand héros de la guerre, le premier extend, Mega Armed Sai, est un putain de gros connard psychopathe – pour l’affronter, il faut au moins quelqu'un d’aussi furieusement taré et meurtrier que lui… comme un Jûzô Inui privé de ses sacro-saintes clopes (je diminue en ce moment ma propre consommation, et compatis donc avec l’homme à tête de flingue – tout en me disant que ça serait bien pratique d’avoir cette tête de flingue, des fois, surtout dans ces circonstances). Mais l’affaire ne s’arrêtera pas là – l’affrontement, au fond, ne résout rien, et initie, plutôt qu’il ne conclue, un nouveau fil rouge dans la BD, qui ne révolutionne rien là encore, mais plusieurs de ces fils sont dès lors en place, qui complexifient l’univers mais jamais au prix de la cohérence. L’apparition d’un nouveau personnage secondaire, un jeunot vif et débrouillard du nom de Colt, va également dans ce sens… même si c’est en définitive un autre fil rouge qui prend de l’importance dans les derniers chapitres – du genre pas surprenant du tout, car foncièrement logique : est impliqué dans tout cela Victor, le frère de Mary, la géniale et dingue ingénieure dans l’ombre de Jûzô Inui ; de manière tout aussi convenue mais acceptable, le tome suivant nous « révélera » que le privé lui-même est lié à Victor… et que cela n’a rien d’un hasard si notre héros n’est jamais bien loin de Mary.

 

Le tome 4 part assez mal – avec l’excitée Pepper et sa triste dégaine de fantasme psycho qui rend visite à Jûzô Inui dans son bureau, accompagnée par un autre Gun Slave Unit ; l’affrontement entre les deux unités extends de même type ne passionne guère, et l’affaire ne se prolonge heureusement pas, même si les deux intrus n’ont probablement pas dit leur dernier mot. La suite est heureusement plus intéressante, qui retourne aux enquêtes de Jûzô Inui… même si, nous l’avons maintenant intégré, d’une manière ou d’une autre, ces enquêtes ne sauraient être indépendantes, et sont toutes liées entre elles, et aux gros complots qui forment la trame de cet univers de cyberpolar : il s’agit de mettre la main sur un extend « fantôme », qui persécute une pauvre petite fille riche qui a comme un préjugé à l’égard des hommes augmentés. Mais, en fait de main, il en est une autre qui intervient bientôt, baladeuse si l’on ose dire, la Chose de La Famille Addams à l’heure du transhumanisme… et nous en revenons donc, sans vraie surprise, mais non sans une certaine habileté narrative, à Victor, ses relations avec Mary aussi bien que Jûzô Inui – et ses idées un peu confuses quant aux extends ?

 

Le tome 5 poursuit cet arc, mais en s’autorisant quelques à-côtés étonnants – d’abord un épisode peu ou prou one-shot prenant pour base un gros pervers dans un salon de coiffure « pour extends » (…), ce qui est à la fois très con et relativement amusant ; ensuite une nouvelle enquête de notre héros, qui lui est confiée par… ben, une « femme fatale », disons ; le versant très chaudasse. Ceci dit, même si j’émettrai des réserves sur le vague érotisme, passablement gratuit voire maladroit, qui imprègne çà et là (assez rarement heureusement) les planches, ça, pour le coup, c’est assez bien vu – parce que sa liberté de ton met les autres personnages, et éventuellement les lecteurs, un peu mal à l’aise ; il y aurait de quoi commenter pas mal… En tout cas, c’est bien plus pertinent que de multiplier les angles incongrus en plans fesses et nichons ; et c’est peut-être justement la raison d’être de ce bref arc ? Cela dit, au-delà de l’érotisme et de l’humour affiché de ces séquences (la BD alterne toujours très bien gravité et comique), les trames de fond demeurent, qui, sans surprise une fois de plus, laissent entendre que notre héros a eu un passé un tantinet trouble durant la guerre – ce qui nous renvoie aussi bien à Victor qu’à Mega Armed Sai, Gondry, le pote GSU à Pepper, etc.

 

Les atouts de ces trois tomes demeurent globalement les mêmes que dans les deux premiers, mais avec peut-être une certaine accentuation dans le bon sens. Premier atout, sans doute : une ambiance cyberpunk noire tout simplement parfaite, qui ressort à la fois du graphisme, avec ses jeux d’ombre et de lumière, et d’éléments très bien vus de caractérisation des personnages – comme les cigarettes de Jûzô Inui. Ce dernier est toujours l’excellent personnage principal qu’il était dans les deux premiers tomes, attachant en dépit de son allure inquiétante, expressif alors même qu’il n’a pas de visage ; cela vaut à vrai dire pour d’autres extends, qui arborent comme des masques de nô, remplissant cette double fonction paradoxale. Le détective est par ailleurs plus complexe qu’il n’en a l’air, ce qui vaut aussi pour les principaux personnages secondaires de la série : tout d’abord, dans l’entourage immédiat du détective, Mary, son ingénieure fracasse, et Tetsurô, ce petit con qui veut bien faire mais ne pige pas grand-chose à ce qu’il fait... et cache peut-être certaines choses, le petit coquin ; mais d’autres personnages, plus éloignés, ont également du potentiel sinon encore de la matière, comme Olivia, l’ambiguë chef-ou-pas-chef de l’EMS, dont les relations avec Jûzô Inui sont très compliquées – utilement. Je ne me prononcerai pas encore en ce qui concerne Victor, mais tous ceux que je viens de citer évoluent progressivement, et pas seulement dans leur rapport au héros : ils ont une vie propre, et ça, c’est très appréciable. Mais, çà et là, d’autres personnages bien plus secondaires peuvent aussi constituer de bonnes surprises, et je crois que c’est le cas de la cliente nympho du tome 5 – voire des gérants et clients du salon de coiffure dans ce même volume, en dépit du grotesque de la séquence, amusant mais parfois à l’extrême limite de la lourdeur – un jeu d’équilibriste périlleux.

 

J’ai déjà mentionné, dans ma chronique des deux premiers tomes et dans celle-ci, combien l’érotisation forcée, même rare (ouf), des personnages féminins de la BD était poussive. Rien ne l’illustre mieux, ici, outre les couvertures des tomes 3 et 4, que le personnage de Pepper (tome 4), qui est vraiment une caricature – mais peut-être était-ce le propos… Il y a, de manière générale, des cases dont on se passerait, un peu puériles, un peu beauf – pas très réussies de toute façon, ou disons plus exactement que ça ne réussit pas trop à Karasuma Tasuku. C’est d’autant plus flagrant que ses principaux personnages féminins, Pepper exceptée, bénéficient d’un character design assez soigné, et qui leur confère le cas échéant bien davantage de personnalité, et avec bien davantage de pertinence ; si Pepper n’est que nichons, et si Olivia peine parfois à être autre chose que des lèvres pulpeuses (il y a des progrès la concernant, cela dit), Mary, elle, gagne à avoir l’air décalquée en permanence – ses cernes attirent bien davantage l’attention que ses gambettes, et c’est tant mieux ; graphiquement, et narrativement, elle est un très bon personnage – la piste à suivre en ce qui me concerne.

 

Mais justement : le dessin. Il bénéficie d’une certaine personnalité, assez indéniable – mais qui a son revers, dans des scènes d’action que je trouve bien trop souvent illisibles sinon brouillonnes, et la saturation des cases par les onomatopées n’arrange rien à l’affaire. C’était un problème marqué dans les deux premiers tomes, à mes yeux, ça l’est toujours dans les trois qui nous intéressent aujourd’hui. Cependant, je crois qu’il y a eu un certain progrès à cet égard ? Globalement – pas seulement dans les scènes de baston, en fait –, j’ai l’impression que Karasuma Tasuku a fait évoluer son style vers davantage de sobriété (sans être sobre à proprement parler, loin de là !), et ça me paraît assez profitable. Cependant, il y a un risque, ici, dont j’ai bien conscience : le style graphique de l’auteur ne risque-t-il pas, alors, de perdre en personnalité, de devenir « lambda » ? Je suppose qu’on ne peut pas tout à fait l’exclure – mais pour l’heure ça n’est pas le cas, et j’ai l’impression que l’on progresse vers un certain équilibre très appréciable.

 

Le bilan de ces trois tomes est donc globalement le même que celui des deux premiers : No Guns Life ne révolutionne rien, absolument rien, et entretient un jeu dangereux avec les codes et les clichés, qui pourrait être fatal à terme à la série, mais qui est très bien géré pour l’heure. L’ambiance très réussie, les personnages plus complexes qu’ils n’en ont tout d’abord l’air, l’improbablement charismatique Jûzô Inui en tête, quelques idées tordues enfin qui s’insinuent dans la trame pour rompre avec le déjà-lu et renouveler l’intérêt du lecteur, sont autant d’atouts qui font de cette lecture un moment agréable et convaincant, même si certainement pas impérissable.

 

Je lirai probablement la suite, quand elle sortira…

Voir les commentaires

Vivre, d'Akira Kurosawa

Publié le par Nébal

Vivre, d'Akira Kurosawa

Titre : Vivre

Titre alternatif : Vivre enfin un seul jour

Titre original : Ikiru 生きる

Réalisateur : Kurosawa Akira

Année : 1952

Pays : Japon

Durée : 143 min.

Acteurs principaux : Shimura Takashi (Watanabe Kanji), Kaneko Nobuo (Watanabe Mitsuo), Itô Yûnosuke (l'écrivain), Odagiri Miki (Odagiri Toyo), Nakamura Nobuo (l'adjoint au maire), Himori Shin'ichi (Kimura), Tanaka Haruo (Sakai), Chiaki Minoru (Noguchi)…

KUROSAWA CONTEMPORAIN

 

J’imagine que ça peut avoir quelque chose de (tristement ?) révélateur, mais je n’ai vu que très peu de films « contemporains » de Kurosawa Akira. En fait, jusqu’alors, celui qui collait le plus était probablement Mâdadayo, l’excellent et poignant testament du réalisateur, avec quelques saynètes de Rêves en sus, et deux cas-limites : La Légende du grand judo, premier film du réalisateur et film de Meiji, et Dersou Ouzala, film soviétique qui se déroule pour l’essentiel au début du XXe siècle. Le réalisateur a pourtant tourné nombre de gendaigeki, notamment dans la première partie de sa carrière, mais c’est un pan de son œuvre que j’ignorais totalement ; sans doute avait-on tendance en Occident, comme souvent, à privilégier le plus exotique jidaigeki ?

 

Le visionnage de Vivre, unanimement considéré comme un des plus grands chefs-d’œuvre du réalisateur, a donc quelque chose d’une première en ce qui me concerne – et quelle première !

 

Le propos a quelque chose de faussement simple, comme une forme d’épure – sur la base d’un scénario original, coécrit par le réalisateur, et pour partie inspiré par Tolstoï. Rappelons que Kurosawa prisait beaucoup la littérature russe ; son précédent film, L’Idiot, était une adaptation de Dostoïevski – hélas un échec commercial terrible, et critique également, même si le réalisateur était fier de ce film...

 

Dans ce contexte, c’est la popularité un brin tardive de Rashômon en Occident, avec son Lion d’or à Venise (obtenu en 1951, le film était sorti un an plus tôt au Japon), qui a permis à Kurosawa de poursuivre sa carrière, à l’époque même où il revenait à la Tôhô pour tourner Vivre, qui sort en 1952. Il faut noter combien le réalisateur était alors prolifique : Vivre  est son quatorzième film, en moins de dix ans !

 

WATANABE, MORT-VIVANT

 

Watanabe Kanji, brillamment interprété par l’excellent Shimura Takashi, acteur « à gueule » régulièrement croisé dans les meilleurs films japonais, chez Kurosawa (Rashômon, Les Sept Samouraïs...) et ailleurs (les amateurs de science-fiction se souviennent peut-être plus particulièrement de son rôle dans Godzilla, aux antipodes...), Watanabe Kanji donc est un employé de mairie d’un rang relativement élevé – sans excès non plus, une sorte de chef de bureau. L’administration japonaise, « maison qui rend fou » comme la française, oppose un rempart hermétique aux meilleures intentions, et Watanabe, au fond, a passé sa vie à ne rien faire – à simplement tuer le temps.

 

Mais il apprend (ou plus exactement devine) qu’un mal le ronge : l’ulcère à l’estomac dont lui parle son médecin est à l’évidence un cancer, même si personne ne prononce le mot tabou, si ce n’est un bien envahissant patient qui « prépare » Watanabe à ce diagnostic frauduleux – c’est ainsi qu’il sait qu’il n’en a plus que pour quelques mois à vivre.

 

Et il lui apparaît enfin combien sa vie a été lamentable – surtout depuis le décès précoce de son épouse, et son choix, très critiqué, de ne pas se remarier pour élever son fils Mitsuo (Kaneko Nobuo) ; lequel s’avère une déception supplémentaire – un ingrat, sans cœur et sans objet. Le film, ici, s’attarde sur un thème classique du cinéma japonais, la dissolution de la famille, qui a notamment été traité par Ozu Yasujirô et Naruse Mikio. Cependant, il va au-delà – car son thème est avant tout la prise de conscience par Watanabe de ce qu’il n’a rien fait de sa vie.

 

Cette révélation l’éloigne de son travail – dont il ne s’était jamais absenté jusqu’alors, quand bien même ce travail ne rimait donc à rien. Désespéré, incapable même de véritablement noyer son chagrin dans l’alcool, Watanabe fait un soir la rencontre d’un écrivain hédoniste (Itô Yûnosuke) qui le prend en pitié, et qui entend lui redonner goût à la vie – le faire vivre, enfin, dans les derniers mois qui lui restent. Leur virée nocturne, en forme d’illustration burlesque d’une éthique du carpe diem, confirme Watanabe dans la révélation qu’il n’a jamais vécu – mais sa mort à brève échéance l’empêche de véritablement s’impliquer dans ce tourbillon hédoniste : le chagrin, les regrets, sont trop forts – illustrés dans la chanson dite « de la Gondole » (Gondola no uta), un vieux succès que Watanabe marmonne, déchirant, dans un bar où le pianiste a pour habitude d’interpréter des airs autrement enlevés pour une clientèle jeune et pleine de vie. Tout cela est, littéralement, sans lendemain.

 

Pas totalement cependant ? Watanabe ivre, en quête de plaisir avec l’écrivain, a égaré son iconique chapeau ; qu’à cela ne tienne, il peut le remplacer ! Avec quelque chose de plus voyant, qui ne correspond guère à son comportement habituel, plus qu’effacé ? Car Watanabe reçoit un jour la visite d’une de ses employées, qui a besoin de son tampon pour démissionner et trouver du travail ailleurs ; la jeune femme est très joliment interprétée par une Odagiri Miki d’une fraîcheur et d’un enthousiasme stimulants, et un semblant d’aventure se noue entre les deux personnages, de deux générations différentes – c’est à l’évidence sans lendemain là encore, et même pas une romance à proprement parler, mais cette rencontre, l’aveu tout naturel, de la part de la jeune femme, de ce qu’elle avait surnommé son supérieur « la Momie », et ce bonheur partagé sur quelques délicieux premiers jours de complète innocence, participent peut-être davantage encore que la virée avec l’écrivain à cette douloureuse prise de conscience de ce que Watanabe est passé à côté de sa vie.

 

WATANABE, VIVANT

 

L’échéance approche – et Watanabe comprend qu’il lui faut enfin vivre. Pour cela, il fera quelque chose d’utile – enfin ! Manière de racheter son inexistence jusqu’alors, manière aussi de laisser une trace, une image plus flatteuse… Les motifs de l’ego ne sont sans doute pas totalement absents de cette ambition dernière de « faire le bien », plus que de simplement « faire ».

 

Watanabe fouille dans ses encombrants dossiers, et en extrait un projet qui n’avait jamais dépassé le stade de la pétition – retournant au début du film, quand nous avions vu les habitants d’un quartier populaire se faire balader d’un service à l’autre dans la vaine quête d’un fonctionnaire qui pourrait seulement écouter leurs doléances, sans même parler de chercher à y remédier. Il s’agit d’aménager un terrain insalubre – pour y construire un terrain de jeu pour les enfants. Sans le moins du monde s’expliquer sur ses motifs, Watanabe prend l’affaire en main et bouleverse le train-train de la mairie, en se déplaçant sur place, en harcelant (courtoisement, mais avec persévérance) les décideurs, etc.

 

Mais le film connaît alors une brusque ellipse – assez déconcertante. Nous avons à peine le temps de voir Watanabe se lancer dans son grand projet... que l’image se fige sur sa photographie mortuaire. « Le héros de ce film », comme il est régulièrement appelé par une voix off commentant l’action sur le mode d’un narrateur impersonnel (procédé qui ne m’a pas exactement séduit – dans l’introduction du film, tout particulièrement, j’ai trouvé ça un peu lourd, mais bon, c’est sans doute très personnel : ça m’a quasi-pourri bien des bons films, en fait, comme L’Ultime Razzia de Kubrick, par exemple), le héros donc a été terrassé par son cancer – dont il n'avait parlé à personne ; et nous assistons à sa veillée funèbre.

 

Tableau navrant : sur place pour la forme, sans le moindre sentiment, l’adjoint au maire (Nakamura Nobuo) s’attribue sans vergogne les mérites de l’action du défunt, qu’il rabaisse devant son propre fils, lequel laisse faire sans un mot. Les collègues de Watanabe sont tous plus veules les uns que les autres, qui multiplient les courbettes devant le pouvoir, n’honorant guère le disparu – il n’y a guère qu’une seule exception, et tardive, après le départ du politicien, un jeune homme du nom de Kimura (interprété par Himori Shin'ichi)…

 

La cérémonie permet cependant de revenir sur l’action de Watanabe – et sur le fait, qui laisse d'abord perplexe les convives, qu'il savait qu'il allait mourir, même s'il n'en avait parlé à personne, pas même à son propre fils, Mitsuo. Au fil du temps, cette conscience de son décès à venir, comme le caractère déterminant de son action en faveur du jardin d'enfants, ne font plus guère de doute.

 

Trois « visites » à la veillée funèbre sont déterminantes à cet égard : des journalistes qui savent très bien que c’est Watanabe qui a créé le jardin d’enfants, et non l’adjoint au maire, qu'ils interpellent – et lui s’en offusque... Mais, pour lui, la création de ce parc n’est jamais qu’un argument électoral. Succède aux journalistes (je ne suis pas très sûr de l'ordre d'apparition, à vrai dire, mais je crois que c'est celui-ci) un policier, celui qui a trouvé le cadavre de Watanabe dans le parc, et qui ramène son chapeau si farfelu à son fils. Enfin interviennent les habitants du quartier, reconnaissants envers le défunt, et qui sont les seuls à véritablement pleurer pour lui... ce qui met terriblement mal à l'aise toute l'assistance.

 

Plus tard, l’alcool déliant les langues, et il n’a jamais eu d’autres fonctions, les collègues de Watanabe, d’abord portés à propager le mythe attribuant le succès de cette entreprise à l’adjoint au maire, multiplient enfin les promesses et les protestations d’honorer la mémoire du défunt en suivant son exemple… mais il ne fait aucun doute que l’inertie de la mairie se poursuivra, comme avant, comme toujours. Le collègue le plus volontaire et le plus passionné, Kimura, le constate, mais conclut le film en se promenant sur un pont surplombant le petit parc créé par Watanabe – que fera-t-il lui-même ? Nous ne le savons pas.

 

Mais ce que gardera en tête le spectateur, à n’en pas douter, ce sont ces ultimes images de Watanabe, accompagnant le récit du policier qui l’a trouvé mort : le fonctionnaire, comme retombé en enfance, fait de la balançoire sous la neige, dans ce jardin d’enfants qui n’aurait jamais existé sans lui ; il fredonne la même chanson qui avait terrassé tout le monde, au terme de sa virée nocturne en compagnie de l’écrivain hédoniste – mais cette petite mélodie, doucement accompagnée par une musique de Hayasaka Fumio toute en cordes délicates (en contraste avec le début du film, où la musique était délibérément irritante dans la séquence voyant les habitants du quartier se faire sempiternellement renvoyer à un autre bureau pour soumettre leur pétition), cette naïve chanson de Taishô donc, sonne alors de manière bien plus positive. Et la neige se dépose sur le manteau et le chapeau si voyant de Watanabe qui se balance – nous savons que nous assistons à son trépas, où le froid a peut-être autant sa part que le cancer (qu’en est-il alors de la volonté de Watanabe ?) ; un départ poignant, qui émeut aux larmes, et qui n’est pourtant pas véritablement macabre : en dernier recours, Watanabe a vécu – pour lui, et pour les autres. Sa vie n’a pas été si vaine – elle peut s’achever, dans une certaine douceur ouatée…

PESSIMISME ET HUMANISME, EN MIROIR DE RASHÔMON

 

Deux termes sont souvent employés pour qualifier (moralement) le cinéma de Kurosawa Akira, et qui, d’une certaine manière, se contredisent : le pessimisme, parfois, et, surtout, l’humanisme. Le second est probablement le plus palpable – et Rashômon, un film tout récent encore quand le réalisateur tourne Vivre (deux années seulement séparent les deux films, avec L'Idiot entre les deux), en livre une illustration bien singulière : tranchant sur le désespoir que les nouvelles originales d’Akutagawa Ryûnosuke étaient portées à appuyer, le film se conclut sur une scène davantage tournée vers l’espoir, et dite « humaniste », quand le bûcheron, aussi perplexe que ses compères devant l’impossibilité absolue de décrire une réalité objective, trouve un bébé sous la porte Rashômon où ils s’abritaient de la pluie en discutant, et décide de l’adopter et de le protéger. Or ce bûcheron était déjà interprété… par Shimura Takashi, notre Watanabe Kanji.

 

En fait, Vivre résonne avec Rashômon à d’autres niveaux : à maints égards, la longue séquence de la veillée funèbre, avec ses flashbacks revenant sur l’action de Watanabe, fait preuve d’un sens de la construction tout aussi habile, en écho, et qui n’est pas pour rien dans la réussite du film ; cependant, cette fois, si bien des mensonges sont prononcés, verbalement, par l’adjoint au maire et les fonctionnaires serviles, les trois interruptions venues de l’extérieur – les journalistes, le policier, les habitants du quartier – justifient les seuls flashbacks filmés, et, comme telles, en contredisant cette fois Rashômon, ces interventions asseyent une réalité que l’on sait « objective ».

 

La question qui se pose alors, et qui teinte davantage ce film autrement très humaniste d’une certaine noirceur, est de savoir si l’exemple de Watanabe, en définitive, saura inspirer ses collègues qui lui survivent… Et c’est assez douteux : les professions de foi avinées n’inspirent guère confiance – et la fin du film est ouverte, avec Kimura qui, après avoir constaté que la vie à la mairie avait repris son cours normal et donc improductif, se promène sur un pont au-dessus du jardin d’enfants, séquence filmée d’abord en plongée puis en contre-plongée, et qui n’apporte pas véritablement de réponse définitive.

 

WATANABE, CHAIR ET ÂME

 

Ce sont autant d’aspects caractéristiques de la réussite de Vivre. À s’en tenir au seul pitch, on pourrait s’attendre à un mélodrame larmoyant, lourd de pathos, et en même temps positif – une leçon façon « sens de la vie », et il n’est pas beaucoup de choses que je trouve plus agaçantes.

 

Ce n’est pourtant pas le cas : le film est bien plus subtil que cela, et ceci du fait de deux atouts majeurs et pourtant presque contradictoires – la construction très habile et subtile du scénario, donc, et le jeu incroyable de Shimura Takashi, qui compose un Watanabe timide et quelque peu monolithique, et en même temps expressif au possible ; son visage est un masque, ses paroles un murmure à peine distinct, à la diction très hachée, mais ils n’en sont pas moins également bouleversants – les deux scènes de la « chanson » en sont de très parlantes illustrations, mais témoignent en même temps de cette construction très habile qui caractérise le film au plan plus technique.

 

Il semblerait que Kurosawa n’était pas totalement satisfait par l’interprétation de Shimura Takashi : quand il avait coécrit le scénario, il avait une image plus « naturelle » du personnage de Watanabe. Difficile aujourd’hui de dire si cette approche aurait été meilleure que celle qui a imprégné la pellicule ; ce qui est certain, c’est que le jeu de Shimura marque et touche considérablement, et sa prestation est inoubliable.

 

FILMER LA VIE

 

Mais, pour en revenir au plan technique, il faut aussi relever combien la réalisation de Kurosawa Akira est virtuose – encore que ce ne soit peut-être pas le bon terme, car le talent incroyable dont elle fait preuve ne s’affiche pas ouvertement ; Vivre n’est pas un film du brio, il est bien davantage dans la retenue sous cet angle. Mais il est très adroitement composé et filmé, avec un grand soin.

 

Le travail sur le cadre ne saute pas forcément aux yeux, du moins à première vue, mais un second visionnage plus attentif permet d’en prendre davantage conscience. La composition des plans est parfaite, mais elle est aussi d’une extrême richesse, pourtant pas démonstrative – notamment en ce qu’il se passe toujours quelque chose à l’arrière-plan, parfois également au premier plan, devant Watanabe ; quelque chose de discret, pas « fondamental », mais qui pourtant insuffle, l’air de rien, de la vie aux séquences, et les justifie narrativement avec la même discrétion. C’est peut-être plus particulièrement le cas lors de deux moments majeurs du film : quand les pauvres gens se font balader en vain d’un service à l’autre de la mairie, au tout début du film, et lors de la virée nocturne avec l’écrivain – qui donne l’image d’un Watanabe se noyant dans la foule en quête de plaisir ; il y a des images saisissantes du vieux bonhomme perdu dans la promiscuité des jeunes gens dansant et riant. Sa libération souhaitée, pourtant, a alors quelque chose d’une autre facette de son emprisonnement, car le premier plan est régulièrement envahi par des rideaux, des trombones, etc., qui barrent l'écran et cloisonnent le personnage, et illustrent éventuellement l’inadéquation personnelle de l’éveil charitable à la vie qu’entend mener le sympathique écrivain.

 

La structure du film et sa technique visuelle s’associent avec particulièrement de finesse dans les scènes de flashback, qui en disent beaucoup sans jamais s’étendre, sans jamais en faire trop. Ainsi, vers le début du film, des séquences déprimantes au cours desquelles Watanabe repense à sa famille – sa femme disparue bien trop tôt, son fils qui l’a tant déçu.

 

Mais, en contrepoint, les séquences contemporaines de ce moment du film sont appuyées par un jeu très savant de l’ombre et de la lumière, dans une esthétique très travaillée, parfois expressionniste, sans doute très imprégnée également des codes du film noir américain. Il faut dire que, même s’il demeure tout du long d’une remarquable cohérence, le film de Kurosawa témoigne en même temps de la richesse de son esthétique, au prisme de traditions éventuellement contradictoires, et qui pourtant fusionnent avec grâce : à l’expressionnisme (forcément allemand ?), au film noir (nécessairement américain, donc – mais cette influence américaine est probablement bien plus vaste, on a pu parler de Capra, etc.), on peut ainsi ajouter le cinéma néo-réaliste italien, tout particulièrement dans les séquences associant Watanabe et sa tonique jeune employée – une manière très juste de souligner l’exubérance de cette tentative de ramener « la Momie » à la vie, qui en même temps bénéficie d’un naturel rafraîchissant.

 

SUR UNE BALANÇOIRE, SOUS LA NEIGE

 

Vivre est bien un très beau film, très poignant, et même le chef-d’œuvre que l’on dit – ceci quand bien même je n’en ferais certes pas mon Kurosawa préféré : c’est le problème avec les génies, ils font tant de chefs-d’œuvre ! En ce qui me concerne, Rashômon et Ran, tout spécialement, trônent encore au sommet.

 

Pour autant, Vivre constitue sans doute une introduction de choix aux gendaigeki du réalisateur – et je suis tout naturellement porté à l’associer au seul autre film de Kurosawa pleinement dans ce registre que j’avais vu jusqu’alors : Mâdadayo, le tout dernier métrage ; dans cette ultime célébration de la vie, autour du professeur Uchida Hyakken (voyez Au-delà – Entrée triomphale dans Port Arthur) et de ses étudiants, il y a peut-être quelque chose d’un ultime écho de Vivre ; comme un miroir, à nouveau ? Watanabe, dès le début de son film, est condamné à mourir ; le professeur Uchida l’est également dans le sien, mais comme l’est tout homme – et, à la question rituelle : « Es-tu prêt (à mourir) ? », il peut se permettre de répondre : « Pas encore ! »

 

On s’enivre à l’anniversaire du professeur, avec bien plus de naturel, de joie mais aussi d’empathie que lors de la veillée funèbre de Watanabe. Mais l’image de ce dernier demeure – une silhouette apaisée, fredonnant sous la neige, au rythme de la balançoire, une chanson naïve incitant une hypothétique jeune fille à cueillir le jour ; parce qu’il a bel et bien vécu, en dernier ressort, il en restera quelque chose – pour nous, un film magistral.

 

(PS : une mention au passage de cette collection que je découvre, des « années Tôhô » de Kurosawa, distribuée par Wild Side, éditeur toujours aussi indispensable – du très bon travail, avec un joli livret très complet. Il me faudra en acquérir quelques autres, tiens…)

Voir les commentaires

Le Serpent Ouroboros, volume I, de E.R. Eddison

Publié le par Nébal

Le Serpent Ouroboros, volume I, de E.R. Eddison

EDDISON (E.R.), Le Serpent Ouroboros, volume I, [The Worm Ouroboros], traduit de l’anglais par Patrick Marcel, introduction de Patrick Marcel, illustrations d’Emily C. Martin, [s.l.], Callidor, coll. L ‘Âge d’or de la fantasy, [1922] 2017, X + 282 p.

 

Ce (demi) roman a été initialement chroniqué dans la revue Bifrost, dans un « focus » l’associant aux deux autres publications des éditions Callidor sorties en même temps, Le Khan blanc, de Harold Lamb, et Les Centaures, d’André Lichtenberger, « focus » publié directement sur le blog de la revue, dans la rubrique « Objectif Runes en plus » du n°90, ici.

 

J’ai cependant consacré des chroniques (un peu…) plus détaillées à chacun des trois volumes pris indépendamment. Voici donc pour Le Serpent Ouroboros, volume I, avec sa vidéo.

Dans la deuxième salve de la collection « L’Âge d’or de la fantasy » des éditions Callidor, c’est sans doute le titre le plus attendu – un classique des littératures de l’imaginaire datant de 1922, et qui a notoirement séduit et inspiré les plus grands auteurs du genre, incluant un Tolkien qui par ailleurs pointait les défauts de l’oeuvre tout en en admettant la grandeur ; mais on peut citer aussi H.P. Lovecraft ou Clark Ashton Smith, Fritz Leiber et C.S. Lewis, Ursula K. Le Guin, George R.R. Martin… Pour quelque raison étrange, Le Serpent Ouroboros n’avait pourtant jamais été édité en français ! Cette très belle collection a enfin permis de se lancer dans cette entreprise, avec Patrick Marcel à la traduction et Emily C. Martin à l’illustration, dans un style très BD épique (j’ai pensé notamment aux Savage Sword of Conan, John Buscema et compagnie) qui s’avère parfaitement approprié.

 

Un bémol, toutefois et d’emblée : le livre, pour s’adapter aux conditions de publication de Callidor, a dû être coupé en deux… et autant dire que j’espère que la parution de la suite ne demandera pas un délai aussi long que celui qui s’est écoulé entre la première et la deuxième salves de la collection : pour Harold Lamb et Khlit le Cosaque, on pouvait se le permettre, puisqu’il s’agissait de nouvelles, mais beaucoup moins dans le cas présent…

 

L’histoire se déroule… sur Mercure. Nous y accompagnons un rêveur terrien… qui sera bientôt oublié, ni héros, ni véritablement personnage point de vue. Ce qui prime, très vite, ce sont les luttes d’influence entre les différents royaumes de la planète, qui portent des noms évocateurs : Démonie, Sorcerie, Gobelinie, Lutinie… Pourtant, les habitants de ces contrées lointaines sont globalement humains. Et pas si éloignés de notre vieille Terre, faut-il croire : ils prisent les vers latins et le théâtre élisabéthain, et une botanique qui n’a pas grand-chose d’extraterrestre… Question « construction de monde », on est effectivement bien loin du soin apporté par Tolkien à la définition de sa Terre du Milieu : tous ces aspects en témoignent, mais aussi, par exemple, les noms propres, de personnages ou de lieux, qui manquent d’unité et ne sont jamais dictés par autre chose que le goût de l’exotisme. L’ensemble constitue un patchwork guère lié, davantage encore que l’Âge Hyborien de Robert E. Howard.

 

Et pourtant, ça marche ! Car l’histoire très épique qui nous est narrée, guère originale selon nos critères contemporains, et qui emprunte beaucoup aux sagas nordiques, une passion avouée de l’auteur, dispose du souffle nécessaire, d’un goût affirmé pour la grandeur et même la démesure, qui séduisent le lecteur et l’emportent sans peine dans une trame certes elle aussi anarchique, mais avant tout efficace.

 

Nos héros… sont des Démons, si cela veut dire quelque chose. Juss et ses compagnons sont confrontés à l’expansionnisme des Sorciers et de leur roi Goricé ; la victoire des Démons dans une absurde ordalie ne les préserve certes pas des entreprises fourbes des Sorciers – et le nouveau (?) roi Goricé paraît bien plus redoutable que le précédent… Maître des arcanes, il enlève par magie aux Démons un de leurs meilleurs éléments, Goldry Bluszco, le propre frère du roi Juss : qu’importe les batailles qui menacent son pays, un fiasco militaire en entraînant un autre, Juss, accompagné du fidèle Brandoch Daha, part pour le bout du monde, en quête de l’oracle qui saura lui retourner son frère…

 

Il faut dire que tous ces personnages, loyaux Démons comme fielleux Sorciers, ne sont généralement pas des plus rationnels, et même, disons-le, pas des plus malins. Dans cet univers guerrier, où les conflits systématiques ont une part plus ou moins dissimulée de pulsions génocidaires, la moindre pique adressée à la virilité ou à la bravoure d’un noble combattant suffit à lui faire commettre les pires sottises… Aussi ne suscitent-ils guère de sympathie chez le lecteur.

 

Mais il y a une belle exception, un personnage moins stupide que les autres, si guère porté sur l’honneur : le seigneur Gro (wesh, Gro... non, pardon), un Gobelin en exil qui a intégré le service de la Sorcerie (soit « les méchants », même si qualifier les Démons de « bons » est assurément problématique) ; certes, il peut dans un premier temps faire penser à une navrante caricature (antisémite ?), mais, même si ses apparitions dans ce premier volume sont comptées, il a quelque chose de plus que tous les autres – en tant que seigneur en exil sans cesse raillé pour ce qu’il est par des nobles bien moins fins que lui, et loser magnifique, vaguement dépressif, qui, en tant que tel, a la compulsion de rallier le camp des perdants… Et tout cela le rend finalement humain (face aux « héros » monstrueusement puissants que sont tous les autres), et, oui, sympathique. D’une manière ou d’une autre, je ne serais pas surpris d’apprendre que le Tyrion Lannister de George R.R. Martin lui doit un tant soit peu.

 

Un autre aspect problématique concerne le style : E.R. Eddison a la réputation d’employer délibérément un anglais archaïque dans son roman, qui n’en facilite semble-t-il pas toujours la lecture. Mais cet aspect ne m’a vraiment pas marqué dans la très fluide traduction de Patrick Marcel, je ne sais donc qu’en penser… Le style de l’auteur apparaît en fait d’une qualité variable – et il brille sans doute davantage dans les dialogues, échanges nerveux autant qu’arrogants, que dans les descriptions, où il abuse sans doute du vocabulaire le plus précieux, avec une prédilection marquée pour les omniprésentes pierres précieuses, qui semblent agrémenter absolument le moindre objet sur Mercure…

 

À chaque paragraphe ou presque de cette chronique, je me suis fait l’écho de défauts marqués. Ils sont innombrables, Le Serpent Ouroboros en est littéralement perclus. Et pourtant… Eh bien, oui, j’y reviens : ça marche – ça marche très bien, même ! Passé une entrée en matière un peu déstabilisante avec la fausse piste qu’est le personnage de Lessingham, et en dépit des errances d’une trame générale qui use volontiers de l’ellipse, renforçant le sentiment général d’anarchie ou d’improvisation, le lecteur est accroché, passionné, impliqué ; il est invité à prendre part à la plus épique des aventures, et s’y jette à corps perdu. Qu’il s’agisse des finasseries de la haute politique, soit la plus basse, ou des exploits physiques et martiaux les plus insensés, comme d’escalader la plus haute montagne du monde, chaque chapitre a sa propre grandeur enthousiasmante et palpitante – et certains mettent même en scène des idées proprement géniales, comme celle de ces trois capitaines autrefois inséparables, et qui cherchent en vain à se détruire mutuellement dans l’immense désert dans lequel ils errent depuis tant d’années…

 

Le Serpent Ouroboros est une aventure qui fait appel à la passion – la raison est bien trop frustrante pour paralyser véritablement l’enthousiasme du lecteur. Qu’importe dès lors tous ces défauts ; les aventures de Juss et des siens nous happent et nous captivent – et j’ai grand hâte de lire la suite !

Voir les commentaires

Les Centaures, d'André Lichtenberger

Publié le par Nébal

Les Centaures, d'André Lichtenberger

LICHTENBERGER (André), Les Centaures, introduction de Thierry Fraysse, préface d’André Lichtenberger, postface de Brian Stableford (traduite de l'anglais par Thierry Fraysse), illustrations de Victor Prouvé, [s.l.], Callidor, coll. L ‘Âge d’or de la fantasy, [1904, 1924, 2013] 2017, XIX + 283 p.

 

Ce roman a été initialement chroniqué dans la revue Bifrost, dans un « focus » l’associant aux deux autres publications des éditions Callidor sorties en même temps, Le Khan blanc de Harold Lamb, et Le Serpent Ouroboros, volume I, de E.R. Eddison, « focus » publié directement sur le blog de la revue, dans la rubrique « Objectif Runes en plus » du n° 90, ici.

 

J’ai cependant consacré des chroniques (un peu) plus détaillées à chacun des trois volumes pris indépendamment. Voici donc pour Les Centaures, avec sa vidéo.

La deuxième salve de l’excellente collection « L’Âge d’or de la fantasy », chez Callidor, contient une belle curiosité : Les Centaures, roman signé André Lichtenberger, paru initialement en 1904, et largement oublié depuis les années 1920 (époque d’une belle réédition avec des illustrations de Victor Prouvé, qui sont ici reprises). Étrangement, c’est d’abord via la traduction anglaise de Brian Stableford chez Black Coat Press que le roman a été ressuscité… Or ce roman peut, rétrospectivement, être envisagé comme un des premiers romans de fantasy français, sinon « le ». Mais, disons-le d’emblée, c’est une lecture qui en vaut la peine bien au-delà de ce questionnement finalement très anecdotique et un peu vain – si la réédition des Centaures est tout à fait bienvenue, c’est d’abord et avant tout parce qu’il s’agit d’un très bon roman.

 

L’histoire se déroule dans une sorte de cadre préhistorique fantasmé, où règnent sur les animaux paisibles trois nobles races hybrides issues de la mythologie grecque, les centaures d'abord, les faunes et les tritons ensuite ; nous adoptons le point de vue des fiers centaures, dont le roi Klévorak a partout imposé sa loi – prohibant le meurtre entre animaux : on tuera qui tue ! Mais il est des êtres méprisables, tour à tour appelés les « maudits », les « impurs », les « écorchés », qui n’ont que faire de la loi de Klévorak : les humains, ces monstres odieux et chétifs qui se vêtent de la fourrure des autres, et inventent des objets étranges… Sur un mode épique, nous le comprenons vite, nous assisterons donc, au travers des yeux des centaures, à la fin de ce paisible et idyllique monde où règnent les races nobles : les humains, avec leurs inventions, prendront inévitablement le dessus, et qu’importe leur fragilité ou leur immoralité...

 

Il y a beaucoup de souffle et de majesté dans Les Centaures, roman riche de tableaux puissants. Mais il a d’autres atouts, et notamment des personnages probablement bien plus subtils qu’ils n’en ont tout d’abord l’air. Ce qui vaut sans doute pour le roman dans son ensemble, à vrai dire…

 

La préface de l'auteur (datant de la réédition après la Première Guerre mondiale, ce qui change pas mal de choses) fait un peu peur, avec son leitmotiv bien de son temps, « famille, race, patrie », et il est vrai que la fierté des races nobles, même sur le déclin, peut assez bien illustrer ce thème. Disons que, toutes choses égales par ailleurs, ce qui compte semble-t-il le plus est la description d’un monde utopique – un âge d’or. Ce qui peut rejoindre, même à rebrousse-temps, les préoccupations d’un auteur engagé en politique dans le parti radical et spécialiste de l’histoire du socialisme ? Quand bien même il s’agit d’un monde d'essence plutôt aristocratique, où l'égalité globale n'est en fait obtenue qu'au travers de la souveraineté d'une élite (raciale ?), garante de la paix publique. Le ton est assez réactionnaire, mais le point de vue des centaures y est pour beaucoup… Eux-mêmes se félicitent de ne jamais se poser la question de l’avenir ! Et, après tout, la « famille, race, patrie » des hommes, malgré qu’il en ait peut-être, est bien celle de l’auteur – quand bien même on ne les voit ici que comme des ennemis… Ou presque, car il est quelques personnages issus des races nobles, et j’y reviendrai, qui éprouvent une attirance malvenue, où la curiosité le dispute à l’amour, pour les frêles « impurs » ; et ce sont en fait ces exceptions au sein même de leurs races respectives qui suscitent le plus la sympathie du lecteur.

 

C’est, de manière générale, « plus compliqué que cela ». Il y a par exemple des passages sans doute pas très #MeToo compatibles (c'est 1904, en même temps), liés à la tradition nataliste des centaures, pour qui la reproduction est d’autant plus essentielle qu’ils se voient périr à court terme, et il s’agit donc d’un devoir, au plus tôt, pour les centauresses ; mais d’autres séquences semblent en prendre le contre-pied, par exemple en mettant en scène la nécessaire lubricité des faunes (dont Pirip, un des plus intéressants personnages du roman – sage à la façon d’un prophète résigné, derrière sa frivolité apparente), ainsi cette scène terrible où ils violent une humaine, avec « l'excuse » de la pulsion, puis tuent son bébé… en croyant le sauver.

 

Et, en même temps, au-delà du digne Klévorak, ce qui se rapproche le plus d'un personnage principal, sinon d’un héros, est donc la centauresse Kadilda, la propre fille de Klévorak – celle qui fait, d'une certaine manière, le choix des humains contre sa race, dévorée qu’elle est par son amour pour le courageux humain Naram ; et ce choix est aussi celui consistant à ne pas enfanter, à repousser tous les centaures qui sont dévorés d’amour, ou du moins de désir passionnel, pour la belle centauresse blanche. Après la guerre, et la préface appropriée, on aurait pu être tentée d’y voir une Mata Hari, mais c’est pourtant une fausse piste : dans ses choix « contre-nature », elle suscite bien davantage de sympathie que son père et ses guerriers, à la virilité brutale et bornée, et portés à la fanfaronnade…

 

Ces questions sont-elles seulement pertinentes ? Je tends à le croire – mais le roman est d’une force et d’une majesté qui autorisent à s’en dispenser, pour s’en tenir au seul plaisir du récit épique, débordant d’un souffle admirable et de tableaux saisissants. Ce qui prime, c'est la beauté des images, la beauté luxuriante de la nature richement notée, mais tout autant la beauté morbide du destin apocalyptique des races nobles, qui s’effondrent sous nos yeux non sans sursauts glorieux – et qu’importe si la gloriole est vaine.

 

La réédition des Centaures d’André Lichtenberger aux éditions Callidor nous permet donc de faire une très belle redécouverte – car ce livre mérite bien qu’on le lise au XXIe siècle. L’éditeur, qui fait illustrer toutes ses publications, a eu ici l’heureuse idée de reproduire le travail accompli dans ce qui était jusqu’alors l’ultime réédition française du roman, en 1924, par Victor Prouvé, un artiste notable de ce temps ; le résultat est tout à fait convaincant.

 

On peut donc remercier une fois de plus les éditions Callidor pour leur travail admirable, et ces éditions ou rééditions d’œuvres de fantasy anciennes, et trop souvent injustement oubliées au méconnues de par chez nous. Disons-le : Callidor est une bénédiction.

Voir les commentaires

Le Khan blanc, de Harold Lamb

Publié le par Nébal

Le Khan blanc, de Harold Lamb

LAMB (Harold), Le Khan Blanc (Les Lames cosaques, volume II), [The White Khan ; Changa Nor ; Roof of the World], traduit de l’anglais par Julie Petonnet-Vincent, préface de S.M. Stirling traduite de l’anglais par Thierry Fraysse, illustrations de Ronan Marret, [s.l.], Callidor, coll. L’Âge d’or de la fantasy, [1918-1919, 2006] 2017, XI + 288 p.

 

Ce recueil de nouvelles a été initialement chroniqué dans la revue Bifrost, dans un « focus » l’associant aux deux autres publications des éditions Callidor sorties en même temps, Les Centaures d’André Lichtenberger, et Le Serpent Ouroboros, volume I, de E.R. Eddison, « focus » publié directement sur le blog de la revue, dans la rubrique « Objectif Runes en plus » du n° 90, ici.

 

J’ai cependant consacré des chroniques plus détaillées à chacun des trois volumes pris indépendamment. Voici donc (et c'est la plus longue, pour le coup) pour Le Khan blanc, avec sa vidéo.

LE RETOUR DE KHLIT LE COSAQUE

 

Joie ! Les Éditions Callidor nous reviennent, avec trois nouveaux titres dans leur belle collection « L’Âge d’or de la fantasy », dont celui-ci, Le Khan Blanc, deuxième tome des « Lames cosaques », soit les aventures de Khlit, que ses ennemis appellent le Loup, aventures entamées dans le remarquable volume qu’était Le Loup des steppes. L’occasion de retrouver, au-delà du rusé vieil homme qui est le héros de ces aventures, la maestria de son auteur, Harold Lamb, figure des pulps (et plus particulièrement d’Adventure) qui devait avoir une influence déterminante sur un certain nombre de collègues et successeurs, au premier rang desquels Robert E. Howard, grand fan devant l’éternel, et qui saurait, le moment venu, tirer les enseignements de ses lectures de jeunesse dans ses propres récits d’aventures historiques et orientales, mais aussi dans sa fantasy, Conan en tête (quant aux successeurs de Howard, ils pourraient à nouveau s’en inspirer – je ne suis pas exactement un fan de David Gemmell, mais je ne serais pas surpris que ses récits de « Drenai », tels que Légende et ses divers avatars, doivent également à Harold Lamb, d’autant que le prisme mongol y est particulièrement marqué ; je ne me prononcerai pas pour George R.R. Martin et ses Dothraki dans « A Song of Ice and Fire », mais bien d’autres noms pourraient sans doute être avancés).

 

C’est tout de même un point à souligner : si « Les Lames cosaques », ainsi que la série est ici intitulée, a eu une influence colossale sur la sword and sorcery américaine ultérieure, en dépit du titre de la collection, elle ne relève pas à proprement parler de la fantasy ; les aventures se déroulent dans notre monde, aux environs du XVIe siècle, et, si l’auteur prend des libertés avec l’histoire, c’est en veillant à rester dans un cadre suffisamment mal connu pour se permettre quelques audaces bienvenues.

 

Par ailleurs, le surnaturel n’est pas vraiment de la partie : on croise bien des sorciers ou chamans ici ou là, mais, s’ils prétendent disposer de pouvoirs magiques, rien ne l’implique dans les faits ; tout au plus la première des trois novellas ici compilées, et d’une certaine manière la troisième, contiennent-elles des « prophéties » qui s’accomplissent, mais c’est là un ressort narratif classique en dehors de la fantasy – tandis que l’ersatz très réduit de « civilisation perdue » de la deuxième novella n’a pas l’ampleur coutumière des variations sur ce thème chez un Robert E. Howard (par exemple dans El Borak, pour rester dans un cadre proche), et joue certes de vieux mythes, mais dans une perspective qui pourrait très bien être considérée comme « réaliste ». Dans les trois nouvelles, au fond, ce qui pourrait en apparence relever de la magie s’avère plutôt tenir de la chance – un facteur extérieur crucial, même dans les meilleures aventures, les plus serrées…

 

Outre ces trois novellas publiées initialement dans Adventure entre décembre 1918 et avril 1919, et d’une petite centaine de pages chacune, il faut noter que, comme Le Loup des steppes (et à vrai dire les autres titres publiés par Callidor, de manière générale), Le Khan Blanc dispose d’un paratexte limité mais bienvenu, en dépit d’une traduction (par l’éditeur) peut-être un peu limite : une préface de S.M. Stirling, sans plus, surtout des éléments publiés par l’auteur et son rédacteur en chef dans le courrier des lecteurs d’Adventure. Et, comme les autres volumes, Le Khan Blanc est également illustré, assez abondamment – le travail de Ronan Marret ne m’avait vraiment pas convaincu dans le premier tome, mais il y a de nets progrès dans ce deuxième tome, sans que ce soit renversant non plus.

 

LE SANG DE GENGIS KHAN

 

Les aventures de Khlit le Cosaque, d’abord un peu dispersées et de formats très divers dans Le Loup des steppes, se mettent de plus en plus à constituer une saga : les trois novellas recueillies dans le présent volume se suivent et font intervenir des personnages récurrents au-delà du seul Khlit. Par ailleurs, elles usent d’un cadre qu’on ne dira peut-être pas « unique », néanmoins bien plus cohérent que dans le premier tome, où l’on voyageait énormément, de l’Ukraine à l’Irak puis à la Mongolie ; en fait, il s’agit de poursuivre les ultimes errances de Khlit dans cette dernière destination, à la recherche du tombeau de Gengis Khan, en en faisant à son tour un khan, à la tête des clans tatars – ce qui unit les trois récits du Khan Blanc. Les deux premières nouvelles se situent ainsi aux confins de l’Asie, entre le lac Baïkal et la Grande Muraille de Chine, et, si la troisième revient davantage vers l’Ouest, à la lisière du désert du Taklamakan puis à Kachgar, nous restons tout de même bien loin de l’Ukraine natale du Cosaque.

 

Ce qui n’est en rien un problème – au contraire, même : Harold Lamb, à qui son éditeur avait donné carte blanche du fait de la popularité de ses récits, en profite pour mettre en scène sa passion pour les peuples mongols « au sens très large » (je ne me sens vraiment pas d’entrer dans les détails de cette histoire très compliquée à tous points de vue), se fixant ici sur les Tatars. Comme le Cosaque (et il semblerait qu’historiquement les Mongols aient usé des Tatars comme les Russes useraient des Cosaques à l’époque de Khlit), les Tatars ici mis en scène sont présentés comme autant de descendants des redoutables conquérants mongols – Gengis Khan en tête, qui fascinait Lamb, lequel lui avait d’ailleurs consacré une biographie (il en a rédigé plusieurs, portant surtout sur des grands conquérants, comme par exemple Alexandre le Grand, un autre moyen pertinent de traverser l’Asie pour en faire un pont entre l’Orient et l’Occident). Dans Le Loup des steppes, le sang mongol de Khlit l’avait amené à partir en quête du mythique tombeau de Gengis Khan, jusqu’à brandir son étendard devant les troupes chinoises ; et, bien sûr, il y a son fameux sabre incurvé, que l’on dit avoir été celui du plus grand conquérant de l’histoire…

 

Un héritage difficile à porter, en ce XVIe siècle (approximatif) où, passé les gloires de Gengis Khan, de Kubilai Khan et de Tamerlan, l’histoire des peuples des steppes est moins bien connue (ou en tout cas l’était quand Lamb avait écrit ses récits, à l’aube du XXe siècle, je suppose que cela a pu changer depuis) ; on suppose du moins l’époque et la région anarchiques, avec une complexe mosaïque de peuples qui s’affrontent sans cesse, tout en subissant à l’ouest la pression russe (notamment via les Cosaques, d’ailleurs), et à l’est la pression chinoise ; ceci, en outre, dans un contexte culturel et notamment religieux flou et fluctuant, les trois novellas y reviennent régulièrement, qui mettent en scène des personnages tantôt tournés vers le chamanisme, le bouddhisme ou l’islam, tandis que le christianisme, présent, ne concerne qu’une minorité de personnages seulement – incluant cependant notre héros, qui doit dissimuler cette foi aux yeux de ses hommes.

 

Reste que cet ancrage historique et culturel vibre de la passion de l’auteur, sensible, tout en lui fournissant un cadre idéal pour des aventures épiques, où les combats et la ruse sont autant d’armes à prendre en compte, dans des luttes politiques extrêmement complexes. Soit tout ce qu’il faut pour faire une bonne aventure de Khlit, exotique, héroïque, futée et riche de bien cruels dilemmes autant que de révoltantes trahisons.

 

LA RUSE DU VIEUX LOUP

 

Khlit a bien quelque chose d’un précurseur de Kull et de Conan (sans même parler d’El Borak), mais sous un angle bien particulier, et éventuellement avec certaines limites. Tout d’abord, bon combattant, excellent cavalier, ce n’est toutefois pas un héros d’essence « physique » avant tout. Sa ruse est au moins aussi importante que son aptitude au combat, et probablement davantage – et il lui en faut, de l’astuce, dans ces complexes affaires où il est contraint de choisir entre des maux tous aussi redoutables les uns que les autres. C’est une dimension qui me le rend beaucoup plus sympathique que les héros howardiens, dont les performances martiales tendent, à un moment ou à un autre, à me fatiguer (et j'imagine que cela explique pour partie pourquoi Bran Mak Morn est mon préféré). Les combats sont bien présents chez Lamb, moins scrupuleusement détaillés, plus resserrés, pas moins habilement chorégraphiés ; mais la ruse de Khlit offre l’occasion de belles joutes d’un autre ordre, et qui me parlent bien davantage.

 

Les Kull et Conan qu’il anticipe sont en fait surtout les rois vieillissants et qui regrettent le temps de l’aventure solitaire. Il y a bien de ça chez Khlit, mais avec peut-être davantage de conscience qu’il ne peut plus vraiment se permettre, à mesure que ses cheveux grisonnent, de prendre le large ainsi qu’il l’avait toujours fait, pour parcourir l’Europe et l’Asie sans attaches. Toutefois, ce statut passablement tardif de « roi » lui préserve tout de même bien plus d’opportunités d’aventures et de voyages que pour Kull et Conan ; la nostalgie demeure, oui, mais elle n’a dès lors pas les mêmes connotations que pour les héros de Howard dans leurs avatars de vieux souverains. L’âge est probablement une composante plus importante du personnage.

 

Il y a cependant un autre aspect qui permet de faire le lien, peut-être de manière plus pertinente, et c’est son statut d’étranger. Kull et Conan sont essentiellement des étrangers – c’est en cela qu’ils sont des barbares. Tous deux, chez Howard du moins (pour avoir relu récemment quelques vieilles BD Marvel, j’ai constaté que les épigones et adaptateurs n’avaient pas toujours eu cette lucidité), ont quitté leur terre natale (l’Atlantide pour Kull, la Cimmérie pour Conan), et définitivement : ils n’y retourneront jamais. En lieu et place, au terme de longues aventures, ils sont devenus les maîtres de royaumes civilisés (la Valusie pour Kull, l’Aquilonie pour Conan), mais leur statut d’ « extérieurs » demeure, qui leur vaut bien des ennuis. Il y a de cela chez Khlit, mais sur un mode un peu renversé… et peut-être un peu plus banal ? Pas dit, car il y a quelques nuances d’importance. En tout cas, l’Ukraine natale de Khlit est bien lointaine, et, si le sang de Gengis Khan qui coule dans ses veines l’associe aux Tatars sur lesquels il est amené à régner, il n’en demeure pas moins un étranger en leur sein, surtout pour les chamans et sorciers, ses pires adversaires, qui n’apprécient pas son extraction culturelle différente – et encore moins son christianisme, quand vient le temps des révélations. Cependant, les Tatars dont Khlit est fait khan ne sont pas les civilisés Valusiens et Aquiloniens – la rupture avec le passé est donc moins brutale concernant notre héros cosaque que concernant les créations de Robert E. Howard. Il y a enfin l’idée d’un chef occidental à un peuple barbare oriental, mais Khlit étant lui-même une forme de barbare, en tant que « Khan blanc » (titre à ne peut-être pas trop prendre au pied de la lettre), il n’est pas non plus tout à fait équivalent à El Borak… ou à son modèle, pour partie, qu’était Lawrence d’Arabie, quand bien même les exploits de ce dernier étaient tout récents et très médiatisés quand Lamb écrivait ses aventures cosaques.

 

Tous ces aspects font la saveur de ce beau personnage. Reste à l’impliquer dans de belles aventures, et Harold Lamb sait y faire…

 

TROIS AVENTURES ORIENTALES

 

Le Khan Blanc

 

Quelques mots, rapidement, sur les trois novellas figurant dans ce deuxième volume. La première s’intitule « Le Khan Blanc », et Khlit y gagne ce titre… non sans mal. Les Tatars sont partagés quant au vieux Cosaque – et, à vrai dire, ceux qui se posent en alliés ne servent visiblement que leurs propres intérêts politiques, ce dont le Loup a bien conscience. Cependant, les Tatars davantage hostiles ne peuvent dissimuler que le Cosaque les a impressionnés, à manier ainsi l’étendard de son ancêtre Gengis Khan devant les troupes chinoises…

 

Et les Chinois ne l’ont pas oublié non plus – ils le font même savoir à Khlit et aux Tatars ! Un général du nom de Li Jusong, connu pour être impitoyable, est en route pour le punir… et Khlit décide de partir incognito pour lui faire face – seul ! Pourtant, un Tatar du nom de Chagan le suit, bien malgré lui, et c’est à deux qu’ils se rendent à Shankiang, alors même que la ville est sous la menace d’un assaut du général chinois. Or ce dernier est accompagné d’un vieux sage aveugle, Li Chan Ko, dont les prophéties pourraient bien concerner Khlit…

 

Une nouvelle très variée et pourtant cohérente. La politique tendue des scènes chez les Tatars laisse bientôt la place à un survival urbain puissant autant que nerveux, tandis que notre héros se retrouve isolé dans Shankiang assaillie par les troupes de Li Jusong. Ses talents martiaux lui sont utiles, mais bien davantage sa ruse – ne serait-ce que pour s’infiltrer dans la ville – et, cela n’est pas un paradoxe, sa sincérité. L’ensemble baigne en même temps dans les symboles et les prophéties, qui confèrent à l’aventure un parfum plus mystique, inattendu mais efficace. Le résultat est palpitant, angoissant, épique, malin, tout à la fois – et, bien sûr, l’exotisme y a sa part, très bien employé par l’auteur, qui n’en fait pas trop mais dépayse assurément, y compris en opposant la steppe des Tatars et la ville de bonne taille, civilisée mais en proie aux assauts de civilisés ; je ne doute pas un seul instant que Robert E. Howard a adoré. Et moi aussi.

 

Changa Nor

 

La deuxième novella s’intitule « Changa Nor ». Khlit est donc devenu le kha-khan des Tatars – encore faut-il qu’il trouve à les occuper… La pression des Kallmarks, à l’ouest, est inquiétante ; mais un vieux mythe intrigue les Tatars, qui porte sur une forteresse antique au milieu d’un lac, et dont on dit qu’elle abrite des trésors considérables ; peut-être de quoi s’accommoder les Kallmarks ? Khlit est lui aussi curieux, aussi se rendent-ils sur place – et la forteresse existe bel et bien, qui bénéficie de protections si surprenantes qu’elles ne manquent pas d’évoquer quelque démoniaque magie… Après tout, on dit l’endroit gardé par un sorcier qui communique avec les animaux, et chevauche un renne !

 

Ici, SPOILERS, jusqu’à la fin de cette section… Car le secret de Changa Nor nous est enfin révélé : cette forteresse minuscule correspond en fait à l’ultime reliquat du royaume du Prêtre Jean, cette contrée mythique de l’Asie dont les Européens croyaient qu’elle était dirigée par un souverain chrétien. Elle abrite bien des trésors, oui – mais peut-être plus spirituels que matériels ?

 

Cependant, c’est pour cette même raison un piège redoutable, concernant Khlit. Depuis qu’il est devenu kha-khan, ses ennemis les plus acharnés au sein de la horde tatare sont incontestablement les chamans, le rusé Lhon Otai en tête, qui suspectait bien que Khlit était chrétien… Ce qu’il est bel et bien, mais qu’il avait dissimulé, sachant que les Tatars le rejetteraient s’ils venaient à l’apprendre. Forcément, ici, ils l’apprennent…

 

L’occasion, donc, de bien cruels dilemmes pour Khlit, qui a promis à ses hommes les trésors de Changa Nor, et qui doit faire face aux manœuvres cyniques des chamans. Et, progressivement, un nouveau suvival se met en place, mais cette fois en huis-clos – tandis que Khlit et quelques-uns seulement de ses hommes, même portés à le rejeter pour sa foi quand ils avaient été ses soutiens les plus fidèles, se retrouvent piégés par l’ambitieux Lhon Otai…

 

La nouvelle fonctionne très bien. Elle recycle un vieux mythe de manière surprenante mais pertinente, tout en en profitant pour injecter de la « bizarrerie » presque surnaturelle dans le récit – avec l’étonnant personnage du gardien de Changa Nor, Gurd, mais aussi les autres résidents, l’ultime Prêtre Jean et une variation étonnante sur Jeanne d’Arc ! Mais, au-delà, les dilemmes et les ruses, davantage dans l’esprit des précédentes aventures de Khlit, sont joliment mis en avant, pour un résultat imparable.

 

Le Toit du Monde

 

La troisième nouvelle, « Le Toit du Monde », qui se situe davantage à l’ouest, est peut-être la plus déconcertante, car elle paraît tout d’abord passablement décousue. Pourtant, dans sa structure complexe, elle contient assurément de beaux moments – mais c’est tout de même une architecture un peu bancale à mes yeux.

 

La religion y a toujours sa part : Khlit le chrétien, à la tête d’une horde tatare dont la foi semble guère doctrinale et largement chamanique, doit composer avec une nouvelle prophétie, émise cette fois par le dalaï-lama, et que ses hommes prennent au sérieux, comme un grand seigneur voire un grand magicien ; en même temps, l’aventure amènera Khlit à côtoyer des personnages musulmans, à la foi pas forcément si intransigeante non plus, certes.

 

Pourtant, c’est sans doute une fausse piste ? Ou, plus exactement, derrière la religion, il y a comme de juste la politique, qui importe bien davantage… En fait, le dalaï-lama, via son machiavélique envoyé Dongkor Gelong, entend mettre de l’huile sur le feu dans les relations très tendues entre les Tatars de Khlit et un autre peuple cavalier, les Kirghizes ; l’objectif étant de les amener à s’entretuer, pour régner sur leurs cadavres !

 

Khlit n’est pas bête : il sait très bien ce qu’il en est, et ses hommes aussi, sans doute. Il n’aime pas être manipulé… mais le contexte le contraint à obéir. Et tout d’abord à cette étrange injonction, qui conduit Khlit à se rendre (avec, et une fois de plus contre son gré, l’indispensable Chagan) dans les ruines d’une vieille cité abandonnée au fond du désert du Taklamakan – puis de se rendre dans la ville de Kachgar, effervescente fourmilière où se nouera l’avenir des relations entre les Tatars et les Kirghizes, autant dire de l’Asie centrale.

 

Mais, dans le désert, Khlit rencontre… le véritable personnage central de cette histoire : une femme des plus arrogante, du nom de Sheillil – une danseuse au passé ambigu, liée aux Kirghizes, et qui n’aime pas, elle non plus, être manipulée, et a fortiori considérée comme un objet ; fine politique, elle sait cependant jouer de son statut guère enviable pour manipuler les autres ! Sheillil est un bon personnage, et, dans son rôle à la Salomé, elle impressionne sans doute davantage que la guerrière en armure de Changa Nor. À vrai dire, oui, elle prend le premier rôle – d’autant que Khlit, pour survivre à cette complexe histoire, est contraint de jouer à l’imbécile pris de panique ; nous savons forcément qu’il ne s’agit là que d’une façade, mais le récit en est tout de même affecté.

 

L’intrigue est passablement tordue, cependant. Peut-être un peu trop ? Elle manque assez clairement d’unité : là où le contraste de la première nouvelle, du camp de yourtes à la ville assaillie, fonctionnait superbement, ici, l’opposition plus marquée encore entre les ruines du Taklamakan et Kachgar débordant de richesses convainc moins – alors même que la portée symbolique de cette opposition est plus considérable encore. Les « passages » entre les différents tableaux sont plus ou moins convaincants, il faut dire, ce qui n’arrange rien à l’affaire – ainsi avec le rôle trouble du marchand Chu’n Yuen.

 

Mais il y a tout de même de beaux moments – de belles images, aussi : sables mouvants du Taklamakan à la lisière d’une ville fantôme, ou chasse « à l’amour », quand la belle et arrogante Sheillil constitue le lot d’un affrontement à mort entre seigneurs cavaliers, tandis qu'en fond se joue l’avenir des Tatars et des Kirghizes.

 

Au final, la nouvelle est donc bonne, mais convainc probablement un petit peu moins que les deux précédentes, davantage resserrées – à mes yeux, du moins.

 

UN MODÈLE D’AVENTURE

 

Cette très relative fausse note mise à part, Le Khan Blanc est un beau volume et un modèle de récits d’aventure. L’impact, me concernant, a peut-être été un peu moindre qu’avec Le Loup des steppes, mais je suppose que la joie de la découverte y est pour beaucoup, et ce deuxième tome en est un digne successeur.

 

Harold Lamb, oui, est décidément un maître de l’aventure. Il a un don pour l’exotisme qui n’en fait pas trop, sans doute parce que ces textes vibrent de sa passion pour les peuples cavaliers et l’Asie centrale et orientale – la carte blanche qui lui avait été donnée par son éditeur en la matière s’avère un atout de choix. Et, bien sûr, il sait, sur cette base, construire des histoires fortes, débordant de ruses tordues mais pertinentes, et riches de dilemmes insurmontables.

 

Pour ce faire, il joue bien sûr de ce très bon personnage qu’est son héros, Khlit, bien plus complexe et subtil qu’il n’en a l’air. Si les camarades tatars du Khan Blanc (le dévoué Chagan, le fougueux Chepé Buga, l’enthousiaste Berang) relèvent sans doute davantage de stéréotypes, c’est à bon droit – et cela se marie bien avec quelques beaux personnages d’enflures, en face, comme Lhon Otai ou Dongkor Gelong, tandis que d’autres antagonistes sont plus ambigus, tel Li Jusong, un adversaire véritablement à la hauteur de Khlit. Enfin, il faut compter avec les personnages les plus singuliers propres à chaque aventure, comme le charismatique archer Arslan dans « Le Khan Blanc », les résidents de Changa Nor (Gurd en tête), ou, surtout à vrai dire, l’insupportable et pourtant admirable et subtile Sheillil du « Toit du Monde ».

 

En définitive, même si cela peut paraître un peu mesquin, je ne peux qu’en revenir à ce même jugement émis suite à la lecture du Loup des Steppes : dans le registre de la fantasy (même si, à proprement parler, les aventures de Khlit n’en relèvent donc pas le moins du monde), l’influence de Harold Lamb sur certains auteurs ultérieurs, et au premier chef Robert E. Howard, saute aux yeux, mais fait bien plus que cela : elle s’affiche aussi comme un modèle indépassé sinon indépassable – en ce qui me concerne, les aventures de Khlit sont globalement bien meilleures que celles de Conan et compagnie, à quelques exceptions près ; et, à en juger par ces deux volumes, il ne fait aucun doute, objectivement, que la qualité est bien davantage constante.

 

Harold Lamb a écrit bien d’autres aventures de Khlit le cosaque, cela dit – encore onze, semble-t-il. Je ne puis qu’espérer, dès lors, que les éditions Callidor continueront sur cette voie, et nous livreront la suite un de ces jours. J’ai hâte !

Voir les commentaires

Lapsus clavis, de Terry Pratchett

Publié le par Nébal

Lapsus clavis, de Terry Pratchett

PRATCHETT (Terry), Lapsus clavis : articles et textes hors fiction, [A Slip of the Keyboard], traduit de l’anglais par Patrick Couton, préface de Neil Gaiman, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du Cygne, [2014] 2017, 333 p.

Ma chronique se trouve sur le blog de Bifrost, dans la rubrique « Objectif Runes en plus » du Bifrost n° 90, ici.

Voir les commentaires

CR Deadlands Reloaded : The Great Northwest (14)

Publié le par Nébal

CR Deadlands Reloaded : The Great Northwest (14)

Quatorzième séance de « The Great Northwest » pour Deadlands Reloaded. Vous trouverez la première séance , et la séance précédente ici.

 

Les inspirations essentielles se trouvent dans le scénario Coffin Rock essentiellement, avec quelques éléments issus de la campagne Stone Cold Dead, le tout largement retravaillé de manière plus personnelle.

 

Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient Beatrice « Tricksy » Myers, la huckster ; Danny « La Chope », le bagarreur ; Lozen, la chamane apache ; Nicholas D. Wolfhound alias « Trinité », le faux prêtre mais vrai pistolero ; et enfin Warren D. Woodington, dit « Doc Ock », le savant fou.

Vous trouverez également l’enregistrement de la séance dans la vidéo ci-dessous.

I : DANS LES VAPS

 

[I-1 : Lozen : Laughs At Darkness ; Tacheene] Laughs At Darkness, qui était resté à l’écart lors du combat contre le loup-garou, a indiqué aux PJ un corridor dans la direction du sud, et leur dit de les suivre à l’intérieur – il s’y engage sans plus attendre. Ils le suivent, un peu perplexes – Lozen a tout juste le temps de se soigner. Ce n’est visiblement pas un tunnel de la mine, on a l’impression d’un boyau naturel ; mais plus ou moins naturel, en fait… car il débouche enfin sur une salle un peu plus vaste, très profonde, et qui présente de nombreux signes d’aménagement artificiel. Rien à voir avec des travaux miniers, cependant, et ce qui demeure de ces aménagements – colonnes, arches, autels, carrelage… – date à l’évidence de très, très longtemps, bien avant l’arrivée des mineurs… Laughs At Darkness va s’asseoir sur une pierre au centre, étrangement luminescente. Lozen, très intriguée, lui demande où ils se trouvent. En fait, le vieux chaman ne le sait pas vraiment… C’est très ancien, en tout cas – bien plus que les pionniers blancs, bien plus que les Indiens, même : « Je pencherais pour les hommes-serpents de Valusie… » Mais cela n’importe guère. Ce qui compte, c’est son usage plus récent : Laughs At Darkness en a fait sa « kiva », comme disent d’autres Indiens plus au sud. Concrètement, c’est là qu’il se rendait pour entrer en contact avec l’esprit de la nature Tacheene.

 

[I-2 : Nicholas, Beatrice, Danny : Laughs At Darkness ; Tacheene] « Et pour ça, ben, y a pas 36 000 moyens, hein… » Le chaman dévisage les PJ en souriant, fouille dans son baluchon… et en extrait une longue pipe. Nicholas émet un soupir : ils sont vraiment obligés… Non – ils peuvent partir ; ils sont libres. Mais ceux qui resteront doivent passer une épreuve. Beatrice est inquiète des effets du « rituel » ; Laughs At Darkness, en fait, dit qu’il n’est pas bien sûr de ces effets… Il pense que le positif l’emportera, mais cela va dépendre de la constitution et de l’esprit des PJ. La huckster est sceptique : « Le meilleur guide qu’on ait jamais eu… » Mais le chaman dit n’être qu’un pourvoyeur : le guide, ce sera Tacheene. Danny n’est pas du genre à tergiverser : « Bourrez cette pipe et passez-la-moi, qu’on en finisse ! » Mais Laughs At Darkness, avec un sourire narquois, explique que, la pipe, c’est seulement pour lui : « Vous, vous allez respirer les vapeurs du feu que je vais préparer ici, et qui vont envahir très vite toute la salle… »

 

[I-3 : Lozen : Laughs At Darkness ; Tacheene] Le chaman constitue un brasier avec de nombreuses herbes étranges – que Lozen connaît, cependant : elles sont couramment employées dans des cérémonies du même ordre, auxquelles elle a pu assister au cours de ses voyages auprès des différentes tribus ; certaines de ces plantes ont des effets hallucinogènes, et leur combustion peut provoquer la nausée, mais rien de plus dangereux pour autant qu’elle le sache. Laughs At Darkness allume le feu, et les vapeurs commencent à monter ; elles envahissent bientôt la « kiva ». L’inhalation de ces fumées n’est pas agréable, mais tous les PJ se montrent capables de les subir sans vomir ou s’effondrer, et aucun ne ressent le besoin de quitter la caverne. Ils perçoivent, à travers la fumée, le rire un peu moqueur de Laughs At Darkness, qui leur fait tout d’abord l’effet… d’être complètement défoncé. « Vous avez passé la première partie de l’épreuve ! La deuxième, maintenant… » L’effet des vapeurs leur monte à la tête – mais la sensation n’est plus désagréable, à ce stade. Par contre, ils ne distinguent plus rien de ce qui se trouve autour d’eux – leurs camarades comme Laughs At Darkness. Mais apparaît aux yeux de tous, progressivement, une forme très indécise, impossible à décrire – Lozen comprend qu’il s’agit de la forme de Tacheene. À mesure que cette silhouette fluctuante s’impose à eux, l’agréable sensation qui a pris le relais de la nausée des vapeurs s’accroît – tous, ils se sentent… bien ? Et ça fait quelque temps que ça ne leur était pas arrivé – si ça leur était jamais arrivé… La forme ne leur parle pas, mais tous, en s’imprégnant de sa bonté fondamentale et paisible, comprennent cependant que l’esprit de la nature est inquiet et les appelle à l’aide : il est retenu prisonnier quelque part… L’expérience se prolonge, même si les PJ n’ont aucune sensation précise du temps qui s’écoule. Au bout de quelque temps, ils recommencent à distinguer les environs et ce qui se passe autour d’eux… Mais, quand ils reprennent conscience, au fur et à mesure, ils constatent tous qu’ils ne sont plus dans la « kiva » de Laughs At Darkness, mais « ailleurs » ; dans une mine, à l’évidence, mais pas du tout celle de San Lorenzo Point… et le vieux chaman a disparu.

 

II : UN FILON DE SANG

 

[II-1 : Nicholas, Danny, Lozen : Tacheene] D’une manière ou d’une autre, ils ont « voyagé », avec tout leur équipement (Nicholas s’en inquiétait tout spécialement), à ceci près qu’ils n’ont plus qu’une seule lampe. L’étrangeté de la situation ne les incite par pour autant à paniquer, car la sensation de bien-être due à la proximité de Tacheene demeure encore un peu, sous-jacente. Danny ne compte pas s’éterniser ici, et veut comprendre ce qu’il s’est produit. Confiant sa lanterne à Lozen (car c’est le personnage le moins « combattant »…), il sort de la pièce par un tunnel aménagé avec bien plus de soin qu’à San Lorenzo Point – impression qui se confirme à mesure qu’ils progressent dans la mine : il y a des étais solides, des rails dans les artères principales, avec des chariots vides çà et là, etc.

 

[II-2 : Beatrice, Lozen, Danny] Puis, presque tous, les PJ se mettent à discerner… de nouveaux appels à l’aide. Après leur expérience avec le loup-garou, ils sont portés à se méfier, mais ce n’est clairement pas la même chose. Ces appels au secours sont chuchotés, et on distingue plusieurs voix – des voix d’hommes, et qui parlent anglais ; il est par ailleurs impossible de les localiser précisément : ils ont l’impression que ces gémissements viennent de partout autour d’eux. Puis Beatrice croit repérer des mouvements… mais à peine discernables ; et quand Lozen éclaire l’endroit en question, ils ne voient qu’une paroi parfaitement normale, sans le moindre espace pour s’y mouvoir… Puis Danny et Beatrice croient repérer un endroit, au nord, où les appels à l’aide seraient plus « concentrés », et ils prennent cette direction – en constatant que, plus ils avancent, et plus les parois se mettent à « suinter » quelque chose de liquide, et d’un rouge prononcé… qu’ils identifient bientôt comme étant du sang, quand Danny touche la surface humide ; mais il a d’abord eu l’impression déconcertante que son doigt passait à travers la paroi – et il s’en était dégagé par mouvement réflexe. Mais non – c’est seulement du sang… mais en quantités invraisemblables et qui ruisselle de partout.

 

[II-3 : Danny, Lozen : William Wood] Ils arrivent à proximité d’un chariot abandonné… et distinguent alors les silhouettes évanescentes de plusieurs hommes en tenue de mineurs. Danny, méfiant même si pas menaçant à proprement parler, essaye de les toucher avec un morceau de bois qu’il avait retiré des rails après son expérience avec la paroi – et le bâton passe à travers : les mineurs sont des fantômes ! Mais Lozen, à la différence de ses camarades, n’est pas le moins du monde effrayée : elle comprend bien vite qu'ils ne sont pas hostiles. Elle essaye de parler aux fantômes, et de leur soutirer déjà des informations quant à l’endroit où ils se trouvent. Une silhouette, qui dégage une forme d’aura plus marquée, semble plus « solide » que les autres, et elle chuchote, en anglais, expliquant qu’ils sont dans la Cooked Earth Mine. Le fantôme se présente comme étant un certain William Wood. Ses camarades et lui ont été piégés – il faut qu’on les aide… Leurs corps ont « expulsé » leurs âmes ; et, de ces corps, « on » a fait des « horreurs », des « hommes de sang », des « écorchés » qui ruissellent sans cesse, et se livrent à « des rites »… Les répliques du fantôme sont très fugaces, à peine discernables, comme dans un souffle – et souvent interrompues par les mêmes suppliques, de la part de tous les fantômes, qui reviennent sans cesse : « Aidez-nous… »

 

[II-4 : Danny, Lozen, Beatrice : William Wood ; Tacheene] Danny, qui s’est repris, demande ce qu’ils doivent faire – et où il leur faut se rendre. William Wood s’approche, très lentement, du bagarreur ; il tend le doigt dans sa direction… Il va visiblement le toucher. Danny est effrayé, mais se laisse faire – la main du fantôme s’enfonce dans sa poitrine, et c’est comme si son corps l’aspirait ! La sensation est d’abord très désagréable : c’est comme s’il avait… avalé une âme ? Pourtant, la panique disparaît bien vite : le bien-être accordé par Tacheene permet à Danny de mieux encaisser le choc, et « d’accepter » la situation – notamment la sorte de « double vision » que le fait d’héberger deux âmes induit, ce qui ne rend pas les perceptions visuelles plus complexes, mais, d’une certaine manière, les rend plus limpides, plus lucides. Dans sa tête, Danny entend bien plus clairement les chuchotements de William Wood, qui lui dit de rassurer les autres – pour qu’ils acceptent tous qu’un fantôme intègre leur corps. En effet, les silhouettes des mineurs s’approchent lentement, avec hésitation, des camarades du bagarreur… lequel s’exécute : « Laissez-les faire ; vous verrez… mieux. » Lozen accepte aussitôt, puis les autres, et le même phénomène se reproduit – avec tout de même une conséquence imprévue : maintenant qu’ils abritent tous un fantôme, ils voient mutuellement, par intermittences, comme autant d’écorchés dégoulinant de sang, ou de mineurs fantomatiques, en sus de leur apparence normale ! Toutefois, ils encaissent le choc. Beatrice essaye de communiquer avec « son » fantôme, en « pensant » ses répliques, mais constate qu’elle ne peut pas échanger avec lui de la sorte ; les autres font le même constat – William Wood, qui a intégré le corps de Danny, a visiblement davantage d’assise que ses compères, c’est le seul à pouvoir véritablement échanger avec les vivants. Mais le bagarreur ne se livre pas à des expériences de communication silencieuse : il s’adresse à « son » fantôme à voix haute, même s’il est le seul à entendre ses réponses dans sa tête, qu'il doit ensuite rapporter aux autres – la conversation avec le groupe prend des atours surréalistes…

 

[II-5 : Beatrice, Nicholas, Lozen, Danny : William Wood ; Tacheene] Beatrice demande alors à William Wood ce qu’ils doivent faire pour aider les mineurs – et pour libérer Tacheene ? Ils connaissent ce nom – c’est l’esprit qu’ils ont dérangé en creusant la mine… Il est sous la garde des hommes de sang – c’est-à-dire des propres corps des mineurs, qu’ils ont « volé ». Il leur faut récupérer leur corps – pour reposer en paix. Mais comment faire ça, se demandent Nicholas et Lozen ? Les fantômes n’ont pas de réponse – mais ils leur demandent de les conduire auprès des hommes de sang. William Wood guidera Danny dans la bonne direction.

 

[II-6 : Danny, Nicholas : William Wood] Tous suivent donc Danny – ou William Wood ? À mesure qu’ils progressent, ils commencent à entendre des sons différents – indices d’une activité inconnue dans la direction où ils se rendent. Nicholas ne peut pas se montrer trop précis, mais suffisamment tout de même pour déterminer qu’il y a plusieurs « choses » qui se meuvent dans une pièce un peu plus loin. Il a la sensation qu’on les « attend »… et l’esprit dans la tête de Danny lui transmet un peu de sa panique – la proximité de son corps volé et souillé… Ils atteignent enfin la pièce où les attendaient quatre hommes de sang – les corps des mineurs, mais transfigurés en quelque chose de résolument non humain, et répugnant ; comme des sortes d’ « élémentaires » qui seraient faits d’un sang ruisselant sans cesse ! Et les créatures se jettent sur eux…

 

[II-7 : Danny, Beatrice, Lozen, Nicholas, Warren : William Wood] Le combat est rude – et long : les créatures encaissent ! Et font mal… Par ailleurs, elles émettent une forte chaleur, très déconcertante, ainsi que Danny en fait bientôt l’expérience – en fait, il comprend que cette chaleur est telle qu’elle pourrait bien mettre le feu à tout ce que les hommes de sang parviennent à toucher ! Beatrice doit vider ses chargeurs pour faire des dégâts – mais elle parvient enfin à en abattre un. Lozen, par contre, est en difficulté – les esprits de la nature la réprimandent, pour quelque raison qu’eux seuls connaissent ; peut-être un manque d’application dans l’exécution des rituels, depuis qu’elle s’est lancée dans cette aventure auprès de Blancs ? Sa Médecine tribale en est affectée… même si elle parvient en dernier ressort à maintenir une Armure sur Nicholas. Danny repousse ses assaillants contre les parois – et le fantôme de William Wood plonge dans l’un des hommes de sang ; cela ne met pas fin au combat, mais le bagarreur comprend que son ennemi est ainsi affaibli, même si d’une manière qu’il ne comprend pas très bien… Il parvient à le communiquer aux autres, mais Nicholas, même s’il sent que le fantôme dans son corps cherche à sortir, ne parvient pas à créer l’occasion lui permettant de le faire… Mais Beatrice parvient à abattre un autre homme de sang, tandis que Warren fait usage de son bras mécanique Roselyne pour garder les autres hommes de sang à distance. Danny se déchaîne, frénétique, et en massacre un autre – tous ensemble, ils viennent à bout du dernier. Les corps des hommes de sang se liquéfient, dans une masse brûlante, non sans avoir d’abord absorbé les fantômes des mineurs, qui quittent les corps des PJ. Les chuchotis cessent aussitôt : fantômes et hommes de sang ne sont plus qu’un mauvais souvenir…

 

III : AU FOND DU PUITS

 

[III-1 : Danny, Lozen, Beatrice, Warren : Tacheene, Laughs At Darkness] Mais il faut encore que les PJ libèrent Tacheene. Ils continuent de progresser dans la mine – Danny, à tout hasard, appelle : « Darkie ! » C'est le petit nom qu'il avait attribué à Laughs At Darkness... Mais c'est sans succès. Ils arrivent enfin dans un cul-de-sac. Au milieu de cette ultime pièce se trouve une sorte de bassin. Quand ils se penchent dessus, ils voient qu’il est rempli de sang bouillonnant – Lozen comprend sans peine que c’est ici qu’il s’agit de libérer Tacheene, même si elle n’est pas certaine de ce qu’il faut faire au juste pour purifier cet endroit ; elle pense cependant que l’exécution de ses rituels (pendant trois heures au moins – peut-être plus, en raison de la sanction que les esprits lui ont infligé peu avant) et l’usage de quelques éléments contenus dans sa bourse à médecine, elle devrait pouvoir parvenir à quelque chose. Elle en informe ses camarades – qui, quant à eux, ne savent absolument pas quoi faire ; et Beatrice aimerait bien trouver comment partir d’ici… En jetant un œil dans le puits, elle distingue, tout au fond, une sorte d’image – celle, vue de l’intérieur, d’une église brûlée, qui fait penser à celle de Crimson Bay ; mais elle sait, au fond d’elle-même, qu’il ne s’agit pas de l’église de Crimson Bay.

 

[III-2 : Danny, Warren] Danny, de son côté, va explorer le reste de la mine – après avoir ramassé un peu de bois sur les rails pour faire un feu dans la salle du puits de sang. Warren ne l’avait pas attendu… Mais le bagarreur trouve ainsi l’entrée de la mine – en fait, il est surpris qu’il y en ait une ! Il sort jeter un œil à l’extérieur ; il fait nuit – mais la lune est gibbeuse, qui éclaire assez bien les environs ; ils sont dans une région montagneuse, mais pas celle où ils se trouvaient à San Lorenzo Point ; en fait, sans pouvoir en être sûr, il a le sentiment de se trouver de l’autre côté des montagnes, sur le flanc est… En contrebas, il distingue une petite ville, silencieuse dans la nuit, à deux ou trois kilomètres de distance ; mais, juste à côté, il y a des bâtiments abandonnés de la compagnie minière, un peu comme à San Lorenzo Point, et Danny y trouve des lampes, qu’il ramène aux autres – après quoi il revient vers l’entrée pour y établir un campement où ils pourront récupérer le temps que la nuit s’achève.

 

[III-3 : Lozen : Tacheene, Laughs At Darkness] À l’intérieur, Lozen achève enfin son rituel, après plusieurs heures uniquement consacrées à cette tâche. Il n’y a pas d’effet spectaculaire, mais elle a la conviction que Tacheene est libre désormais. Mais absent ? Eux sont toujours au même endroit… Peut-être y aurait-il d’autres rites à accomplir pour partir d’ici ? Lozen ne le sait pas – mais, s’il y en a, ils ne sont pas forcément à sa portée ; à celle de Laughs At Darkness éventuellement… qui est absent lui aussi de toute façon.

 

[III-4 : Beatrice, Nicholas, Danny] Mais Beatrice jette à nouveau un œil dans le puits – où le sang a été changé en eau. Au fond, le reflet de l’église est maintenant parfaitement visible par tous. Nicholas touche l’eau, qui est fraîche (rien à voir avec le sang bouillonnant peu avant) : rien, si ce n’est des cercles concentriques à la surface du liquide. Il fait un signe de croix : rien non plus. Beatrice lui suggère de faire un « saut de la foi »… Le faux prêtre n’est pas très motivé. Danny, de retour, constate également le phénomène – et le reflet de l’église lui fait penser à celle de la ville qu’il a vue en contrebas de la mine : il est même à peu près sûr que c’est la même. Ils n’ont qu’à attendre que la nuit passe, après quoi ils iront y faire un tour…

 

[III-5 : Nicholas, Beatrice] Les PJ vont se reposer à l’entrée de la mine d’ici-là. Seulement voilà : la nuit dure… Les premiers à être de garde, Nicholas et Beatrice, prennent bientôt conscience de ce que des heures se sont écoulées sans que le tableau offert par le paysage ne change : la position de la lune ne varie pas, il n’y a pas de lueurs de l’aube à l’est… Rien de tout ça : la nuit, permanente, immuable. Les PJ contiennent leur effroi, mais ils sont profondément mal à l’aise ; et l’endroit devient de plus en plus flippant du fait même qu’il ne change pas…

 

[III-6 : Danny, Beatrice, Nicholas, Lozen, Warren : Tacheene] Ils retournent à la salle du puits. Danny s’attache une corde autour de la taille, qu’il assure à un chariot de la mine ; Beatrice s’accroche à lui, et ils descendent ensemble dans le puits. Ils flottent à la surface, puis plongent, et, au bout d'une moment, ils se sentent attirés par le fond ; mais impossible de distinguer quoi que ce soit dans ces conditions : de l'eau au fond d'un puits dans une mine... Beatrice fait signe à Danny qu’il vaut mieux remonter. Avec Nicholas, ils assemblent leurs cordes avec une pierre pour sonder le fond du puits. La pierre s’enfonce un bon moment, mais, après un certain temps, le poids disparaît ; ils remontent la corde, qui est coupée net. Lozen est portée à croire que le fond du puits est un « portail », qui envoie qui le franchit dans cette église ; elle cherche à s’en assurer auprès de Tacheene, mais n’obtient pas de réponse… Beatrice emballe bien ses affaires, pour qu’elles ne prennent pas l’eau ; comme elle voit l’image de l’église dans le puits, elle suppose être en mesure d’employer son Pouvoir de Téléportation pour atteindre le portail et l’emprunter – elle disparaît… Les PJ sont hésitants, car ils ne savent rien de son sort, mais Danny se prend une bonne rasade de whisky et saute à la suite de la huckster : il disparaît également. Lozen songe à gagner la petite ville à pied, en jouant la prudence, et Nicholas lui dit que, quoi qu’elle décide, il l’accompagnera ; mais à peine a-t-il dit cela que Warren se jette à son tour dans le puits… Dans ces conditions, Lozen et Nicholas font finalement la même chose : mieux vaut rester ensemble…

 

IV : COFFIN ROCK = VILLE MAUDITE !!!

 

[IV-1 : Beatrice] Beatrice est donc arrivée la première – en opérant, en fait, une « double téléportation », situation perturbante mais qu’elle a bien encaissée. Elle est à l’intérieur d’une église en ruines, incendiée, avec des bancs renversés, le clocher détruit, etc. Elle se trouve à la lisière d’une petite ville silencieuse, voire déserte : pas un chat dehors. Elle est bientôt rejointe par les autres.

 

 

 

[IV-2 : Danny, Lozen : Josh Newcombe ; Laughs At Darkness] Danny observe les environs, puis, de sa voix chargée d’alcool, il crie : « Darkie ! » Mais nulle réponse de Laughs At Darkness… Sortant de l’église, ils s’avancent vers la ville, et constatent que nombre de bâtiments présentent sur leurs murs la même inscription à la peinture rouge : « COFFIN ROCK = VILLE MAUDITE !!! » Avec un nombre de points d’exclamation variable. Puis Lozen remarque une silhouette dans la nuit – celle d’un homme vêtu de noir, un pot de peinture à la main… C’est lui le responsable des inscriptions. La chamane est déconcertée – mais finit par l’indiquer aux autres ; et Danny se précipite alors dans la direction de la silhouette emmitouflée ; d'une voix avinée : « Darkie, c’est toi ? » L’homme se retourne… et le bagarreur reconnaît Josh Newcombe. Stupéfait, il lui demande ce qu’il fait là. Le journaliste, interloqué, répond : « Eh bien, j’informe mes concitoyens ! Mais… Qui êtes-vous ? »

 

À suivre…

Voir les commentaires

Le Journal de mon père, de Jirô Taniguchi

Publié le par Nébal

Le Journal de mon père, de Jirô Taniguchi

TANIGUCHI Jirô, Le Journal de mon père, [Chichi no koyomi 父の暦], traduction [du japonais par] Marie-Françoise Monthiers, [s.l.], Casterman, coll. Écritures, [1995] 2016, 274 p.

Le Journal de mon père est antérieur de quatre ans à Quartier lointain, dont j’avais déjà parlé ici, mais les deux BD ont clairement nombre de thématiques et de procédés en commun – au point où mieux vaut, je suppose, ne pas en enchaîner la lecture. Toutefois, là où Quartier lointain s’autorisera un prétexte (et guère plus) « fantastique » ou « SF », Le Journal de mon père s’en tient à un réalisme très épuré.

 

Il y a bien quelque chose de cinématographique ici, mais qui renvoie assez probablement à Ozu Yasujirô – d’autant que le thème traité par Taniguchi dans cette BD (qui a quelques légers accents autobiographiques) est tout de même très proche de celui sur lequel le réalisateur n’a cessé de revenir : la dissolution de la famille traditionnelle japonaise. Ce qui tend à m’effrayer un peu, dois-je dire… Mais Taniguchi, ici, et Ozu ailleurs je suppose (je ne l'ai pas pratiqué au-delà du Voyage à Tôkyô, je le confesse...), ont ce talent qui leur permet de rendre ces histoires a priori bien lointaines pour moi, et idéologiquement trop chargées dans une perspective généralement conservatrice qui me répugne (il n’y a guère que le travail et la patrie qui m’inspirent autant de méfiance voire de dégoût que la famille, et d'ailleurs le travail a sa part ici également, même si peut-être de manière plus ambiguë), de rendre ces histoires donc incroyablement poignantes, à la limite des larmes ou même au-delà, et en même temps sans jamais faire dans le pathos presse-bouton – en fait, l’épure dont je parlais plus haut joue sans doute un rôle essentiel ici.

 

Il y faut cependant un angle d’approche – et ce sera la relation père-fils, ou plutôt les regrets d’un fils ne réalisant que bien trop tard qu’il ne savait rien de son père et s’était mal comporté avec lui. Car le père vient de mourir, et notre héros, Yamashita Yoichi, ne peut plus à ce stade servir les excuses habituelles pour reporter le voyage retour à la ville natale, Tottori (semble-t-il celle de Taniguchi lui-même – en tout cas, l’auteur en profite pour glisser des événements historiques locaux dans son récit, en l’espèce un terrible incendie) ; même s’il faut que son épouse lui force un peu la main… Là-bas, les lieux, les personnes, oubliés depuis si longtemps, des années d'absence sous de faux prétextes, éveillent des souvenirs – des images à interpréter. Lors de la veillée funèbre, comme de juste, on échange les anecdotes sur le défunt ; l’admirable personnage de l’oncle fait progressivement dérailler la nostalgie paisible vers quelque chose de plus douloureux : il adore son neveu, mais, tout de même, Yoichi s’est comporté comme un petit con avec son pauvre père…

 

C’est que Yoichi avait élaboré inconsciemment une image de son père qui biaisait ses représentations de la réalité. Coiffeur de son état, le père est présenté comme un bourreau de travail qui n’était jamais là pour ses enfants ; par opposition, Yoichi a idéalisé sa mère… qu’il n’a pourtant pas revue depuis qu’il était un petit garçon ! Car ses parents se sont alors séparés – la mère reprochant entre autres au père de ne vivre que pour son travail ; elle est partie, et n’a plus revu ses enfants… Ce qui n’a pas empêché Yoichi de la magnifier dans ses souvenirs, et l’image du père n’en a été que davantage affectée : tous les torts lui revenaient. En fait, là aussi, dans la répartition des rôles sociaux, et cette image (souvent parfaitement juste) du père qui ne fait que travailler, il y a quelque chose d’un tableau moral du Japon qui sous-tend l’ensemble de la BD.

 

Mais, outre que la perception faussée d'un enfant est un principe clef de l'exposition, Taniguchi est trop subtil pour dire les choses de but en blanc. Il procède avec une extrême délicatesse, une grande douceur – qui s’avère parfois être une fausse douceur, car, à peine sous la surface, demeurent des choses très douloureuses. Ce qui est merveilleux, dans cette grande sobriété dans l’exposition, c’est comment l’auteur dissèque, mais sans appuyer donc, les mécanismes si complexes de l’anamnèse, de la nostalgie, du remords – au point où le lecteur ne peut se retenir d’opérer semblable travail de redoutable remémoration ; je ne saurais le cacher, les images de mon propre père m’ont assailli, je crois que c’est le mot, tout au long de ma lecture – me révélant des sentiments sous-jacents dont je n’avais pas bien conscience… Cette même subtilité vaut pour d’autres aspects de la bande dessinée : les relations entre les hommes et les femmes, et entre les parents et les enfants, notamment. Mais le processus de remémoration entamé silencieusement par Yoichi, dans une perspective presque auto-analytique, est vraiment ce qui m’a le plus marqué.

 

Épure, sobriété, subtilité, délicatesse, sont autant de mots d’ordre du dessin en même temps que du scénario. Des BD de Taniguchi que j’ai lues (encore assez peu : Quartier lointain, donc, Le Sommet des Dieux, Le Gourmet solitaire), je crois bien que Le Journal de mon père est celle qui m’a le plus parlé au plan graphique, justement pour cette raison – la confrontation permanente de la démesure et de l’intime dans Le Sommet des Dieux produit assurément des merveilles, dûment récompensées, mais le registre est ici tout autre, faussement « simple », avec des traits doucement appuyés qui renforcent l’impression, récurrente dans ce registre, et comme toujours à plus ou moins bon droit, de ce que nous appellerions de par chez nous la « ligne claire ». La composition des planches est admirable d’équilibre, mais toujours dans cette perspective première d’épure et de sobriété – en s’autorisant cependant des jeux peut-être plus complexes avec le principe de la photographie, qui joue un certain rôle dans l’histoire, au-delà des seules têtes de chapitre, et constitue un véhicule très approprié de l’émotion et de la remémoration, d’une extrême finesse.

 

Il est regrettable que Casterman, ici comme ailleurs, ait joué de la carte « le plus français des mangakas ». Commercialement, c’était sans aucun doute pertinent (tandis que, dans l’absolu, on est en droit de se demander ce que cela peut bien vouloir dire et en quoi ce serait un compliment), mais cela a eu les vilaines conséquences graphiques habituelles : sens de lecture occidental, donc adaptation des planches en principe en miroir, et, problème qui d’habitude ne m’affecte pas même dans ces tristes conditions, mais là oui, des soucis récurrents de phylactères dont la lecture n’est guère intuitive. Il y a peut-être une autre édition en sens de lecture japonais, je ne sais pas…

 

Mais, au-delà de ce traitement éditorial, Le Journal de mon père demeure une vraie réussite – une BD incroyablement juste, extraordinairement poignante. Même sur la base d’un thème qui devrait me laisser indifférent au mieux, hostile au pire, à en juger par ce que sont mes principes, ou ce que je prétends qu’ils sont, le fait est que j’ai complètement joué le jeu, au fil d’une lecture en même temps douloureuse et lumineuse, qui a suscité en moi des images équivalentes à celles que Yamashita Yoichi se remémore, dans le silence intimidant de la nostalgie empreinte de culpabilité.

 

C’est parfaitement admirable.

Voir les commentaires

CR Deadlands Reloaded : The Great Northwest (13)

Publié le par Nébal

CR Deadlands Reloaded : The Great Northwest (13)

Treizième séance de « The Great Northwest » pour Deadlands Reloaded. Vous trouverez la première séance , et la séance précédente ici.

 

Les inspirations essentielles se trouvent dans la campagne Stone Cold Dead et (surtout ?) le scénario Coffin Rock, retravaillés de manière plus personnelle.

 

Une nouvelle joueuse rejoint la partie, qui incarne Lozen, une chamane apache.

 

Sinon, tous les joueurs habituels étaient présents, qui incarnaient Beatrice « Tricksy » Myers, la huckster ; Danny « La Chope », le bagarreur ; Nicholas D. Wolfhound alias « Trinité », le faux prêtre mais vrai pistolero ; et enfin Warren D. Woodington, dit « Doc Ock », le savant fou.

Vous trouverez également l’enregistrement de la séance dans la vidéo ci-dessous.

I : SABLE ROUGE

 

[I-1 : Nicholas : la Tempête Rouge, Jeff Liston] Nicholas, qui ne porte pas exactement les Indiens dans son cœur, du fait du souvenir traumatisant de sa rencontre avec la Tempête Rouge, a préféré rester seul dans la planque de Jeff Liston plutôt que de suivre les autres PJ, en quête de la tribu des Red Suns. Il a le sentiment qu’il se passe quelque chose dehors – et a vu une sorte de poussière rouge pénétrer à l’intérieur de la cabane en passant sous la porte. Il se met au fond de la pièce – mais il y a trop d’ouvertures : il entreprend de calfeutrer et barricader portes et fenêtres, car, dehors, le « sable » rouge (dans une région où le sable n’est pas si commun) semble se mouvoir tout autour de la cabane. Cela lui fait penser à la Tempête Rouge, forcément, mais le format est tout autre – il y a de temps à autre des bourrasques contre la porte, violentes mais pas à même de la défoncer ; là encore, rien à voir avec la créature qui avait ravagé l’orphelinat où Nicholas avait été élevé. Cependant, quelques coups d’œil à la fenêtre lui donnent l’impression que tourne autour de lui comme une sorte de petite tornade de sable rouge, en gros à l’échelle humaine, et dont les mouvements ne sont clairement pas naturels mais laissent supposer une forme de conscience.

 

II : À ARMES ÉGALES

 

[II-1 : Danny, Beatrice : Flying Shadow, Lone Hawk] Au campement des Red Suns, Danny a pris un méchant coup en combattant le brave que le jeune chaman Flying Shadow avait désigné comme son champion – mais Beatrice a remarqué que le chaman assistait magiquement son poulain… Et elle ne manque pas de le dénoncer au chef des Red Suns, Lone Hawk – lequel se rend compte qu’elle a raison. Les Indiens se plaignaient de la « mauvaise magie » du vieux chaman attaché au poteau – mais cette tricherie, est-ce cela, la « bonne magie » ? Flying Shadow connaît sans doute quelques mots d’anglais, mais s’adresse dans sa langue seulement à Lone Hawk. La huckster avait déjà pu remarquer que ce dernier n’aimait pas beaucoup le jeune homme, même s’il s’était rallié à son idée de faire périr le vieil homme attaché au poteau ; elle ne comprend pas les paroles échangées, mais la colère et l’agacement du chef se lisent sur ses traits. Beatrice juge plus sage de ne pas intervenir davantage pour l’heure – mais Danny, lui, même bien sonné, ne manque pas de s’en prendre à son adversaire… qui l’ignore royalement. La discussion entre le chef et le jeune chaman s’envenime visiblement – sans qu’il soit besoin de comprendre leurs paroles. Lone Hawk finit par gueuler plus fort que les autres pour mettre un terme au débat, et, l’air furibond, il se rapproche du brave qui avait affronté Danny… et lui assène un violent coup de tomahawk sur le crâne ! Le cuir chevelu est entamé, du sang ruisselle sur le front du combattant… Et le chef, dans sa langue puis dans un anglais un peu approximatif, dit : « Maintenant vous êtes à égalité. Battez-vous ! »

 

[II-2 : Danny, Beatrice : Lone Hawk, Laughs At Darkness ; Mortimer Stelias] Le brave est toujours secoué – mais Danny n’attend pas qu’il se remette : il se jette sur son adversaire, et, d’un coup précis de son gourdin, l’assomme pour le compte ! Flying Shadow est furieux – les autres membres de la tribu plus indécis : la situation a été totalement renversée en très peu de temps… Mais les aînés de la tribu interviennent, dans leur langue, et on devine sans trop de peine qu’ils appuient la décision du chef Lone Hawk – et indirectement la victoire du bagarreur. Le vieil homme attaché au poteau regarde la scène avec un sourire un peu narquois… Danny s’assied à côté de son adversaire inconscient, et laisse les autres gérer la situation avec davantage de diplomatie… Beatrice retourne auprès de Lone Hawk – pas fâché d’avoir rabattu son caquet au jeune chaman ; mais il n’aime pas pour autant le vieux chaman Laughs At Darkness, dont il est convaincu que la « mauvaise magie » leur a attiré toutes ces misères… La huckster croit cependant que le vieil homme pourrait être utile pour régler la situation. Qui lui a dit ça ? Sans hésitation, elle répond qu’il s’agit de Mortimer Stelias. Le chef fait la moue : « L’homme blanc qui nous a volé nos terres... » Mais le combat a décidé du sort du vieil homme, non ? Il va les suivre pour l’heure – de toute façon, la tribu voulait qu’il s’en aille ? Après, ils en feront ce qu’ils voudront… Danny appuie la suggestion de Beatrice ; c’était le meilleur choix car, au fond, c’est une bonne manière de régler le problème de la tribu, Lone Hawk le sait bien – et les événements récents ont révélé au chef lui-même que ses sentiments sur la question étaient bien plus partagés qu'il ne se l'avouait… Qu’ils partent avec lui ! Et qu’ils restent à distance ! Beatrice le remercie – en suggérant de garder les mains du vieux chaman attachées, car elle non plus ne lui fait pas confiance…

 

III : CHOC DES CIVILISATIONS

 

[III-1 : Nicholas, Lozen] Nicholas, dans la cabane de Jeff Liston, est assiégé par la tornade – mais il jette régulièrement un coup d’œil par les fenêtres, et, du côté ouest, il aperçoit une Indienne sur un cheval, et elle a l’air étonnée par le spectacle auquel elle assiste ; mais pas véritablement stupéfaite pour autant. Il s’agit bien sûr de Lozen... qui, depuis l’Arizona, a régulièrement aperçu ce genre de phénomènes, ou en a relevé les signes, sans qu’elle puisse se les expliquer. Mais la tornade aussi l’a repérée, et se déplace aussitôt dans sa direction ! Tandis que Nicholas insulte l’Indienne, qu’il rend responsable de tout ça…

 

[III-2 : Lozen, Nicholas : Jeff Liston] Lozen, surprise, est bientôt englobée par la tornade – et le vent tourbillonnant, chargé de sable rouge, lui inflige des brûlures cinglantes ! Mais elle se reprend aussitôt, et cherche à se dégager, avec son cheval – même si ce dernier conserve étrangement le calme, ce qui n’a rien d’évident dans pareille situation… et la tornade s’adapte à leurs déplacements. Mais l’Indienne fait appel aux esprits : en manipulant les éléments, l’air en l’espèce, elle crée un courant qui tend à disperser la tempête. Nicholas, ayant constaté qu'elle attaquait l’Indienne, met ses préjugés raciaux de côté pour l’heure ; il sort de la cabane de Jeff Liston, et se précipite en direction des combattants. La tornade se reconstitue – mais les PJ ont pu entrapercevoir, l’espace d’un instant, une sorte de serpent flottant au cœur même du phénomène… Nicholas assène un coup au cheval pour qu’il fuie ! Mais il supportait la tornade, ce n’est pas un coup de poing qui va lui faire perdre ses moyens... Reste que Lozen a vu un homme blanc en tenue de prêtre, une grande croix dans le dos, frapper son cheval ?! L’Indienne maintient sa Médecine tribale – la tornade peine à se reconstituer véritablement. Nicholas, lui, dégaine un de ses pistolets, et tire au pif dans le phénomène ; par quelque miracle, la tempête se dissout aussitôt ! Le serpent au cœur de la tornade… a été abattu, le courant d’air suscité par Lozen ayant permis de l’atteindre.

 

[III-3 : Nicholas, Lozen : Jeff Liston] Nicholas vide son chargeur sur la créature qui est tombée par terre… Lozen en est stupéfaite : est-il fou ? Autant dire que leurs premiers échanges sont rugueux… L’Indienne remercie cependant le faux prêtre, qui, même bougon, l’invite à le suivre dans la cabane de Jeff Liston… Mais la santé mentale du pistolero a effectivement de quoi la rendre perplexe : il ne cesse de marmonner que « ça ne peut pas être un petit serpent qui a bousillé tout un orphelinat et tué tous ses occupants »…

IV : CELUI QUI RIAIT DANS LES TÉNÈBRES

 

[IV-1 : Danny, Beatrice : Laughs At Darkness, Lone Hawk, Jeff Liston ; Mortimer Stelias, Nicholas, Rafaela Venegas de la Tore] Retour chez les Red Suns. Le vieux chaman est bien Laughs At Darkness, l’homme qu’avait mentionné Mortimer Stelias – celui qui pourra renseigner les PJ quant au nom du Manitou qui sème le chaos à Crimson Bay. Il arbore en permanence un petit sourire narquois qui a quelque chose de profondément agaçant… Danny a bénéficié de quelques soins – en échange, il a offert un peu de gnôle aux Red Suns qui se sont occupés de lui, lesquels ont pris soin de vérifier que leur chef ne les surveillait pas avant d’accepter… Lone Hawk, justement, est assez pressé qu’ils s’en aillent tous avec le vieux chaman. Danny remercie aussi Liston, qui les a conduits ici, mais il est bien temps de retourner à la cabane pour retrouver Nicholas ; le trappeur ne les accompagnera pas au-delà. Beatrice, avant de partir, prend Laughs At Darkness entre quatre yeux – il parle très bien l’anglais : peuvent-ils lui faire confiance pour qu’il ne s’enfuie pas dès qu’ils auront le dos tourné ? « Je vous ai appelés, c’est pas pour vous fausser compagnie... » Il est déçu que Rafaela ne soit pas avec eux, d’ailleurs. Mais ce bon vieux Lone Hawk est un peu nerveux, mieux vaudrait parler de tout ça ailleurs…

 

[IV-2 : Danny : Laughs At Darkness ; Jeff Liston, Rafaela Venegas de la Tore, Mortimer Stelias] Ils prennent la direction de la cabane de Jeff Liston. Laughs At Darkness, tout âgé qu’il soit, est visiblement habitué aux longues marches dans la forêt ! Danny lui demande pourquoi il a contacté Rafaela : « Des facultés, et de la morale ; c’est très rare de trouver les deux ensemble. » Le chaman sait qu’ils ont vu Mortimer Stelias – ça se lit sur leurs traits. Ils « travaillent » ensemble, d'une certaine manière… Le chaman emprunte le mauvais whisky de Danny : il boit au goulot, et en quantité – avec un plaisir visible.

 

[IV-3 : Nicholas, Lozen] Dans la cabane, Nicholas est toujours prostré – répétant sans cesse : « C’était pas un serpent, c’était pas un serpent... » Mais Lozen a bien identifié le même phénomène qu’elle avait régulièrement croisé depuis l‘Arizona. Ce n’est pas quelque chose de chamanique – c’est une manifestation des Manitous. Nicholas la soupçonne toujours d’y être pour quelque chose – elle ou ceux de son peuple… Les dénégations de Lozen n’y changent rien. Elle sait qu’elle a contribué à disperser la tornade, par ailleurs, mais le faux prêtre ne semble pas s’en rendre compte, ou du moins refuse-t-il de l’admettre.

 

[IV-4 : Lozen, Nicholas, Beatrice, Danny : Laughs At Darkness, Jeff Liston] Les autres PJ reviennent à ce moment-là – et ont donc la surprise de trouver Lozen aux côtés de NicholasBeatrice et Danny sont très narquois à l’encontre du faux prêtre : pour quelqu’un qui ne voulait pas avoir affaire aux Indiens… Laughs At Darkness, aussitôt, salue Lozen dans son dialecte apache – qui n’a absolument rien à voir avec les langues de la région. Elle lui retourne ses salutations, et se présente à tous les nouveaux venus. Mais le vieux chaman ne s’y arrête pas : il passe la main sous le lit de Jeff Liston, et en sort trois bouteilles de mauvais whisky, qu’il pose sur la table de sa propre autorité ; il en débouche une et en prend aussitôt une énorme goulée – le trappeur est stupéfait, mais n’ose rien dire. Danny semble redouter qu’il engloutisse tout, mais le chaman le rassure : « Liston planque plein de bouteilles ici, et je sais où, alors on a de quoi voir venir... » Liston est interdit – le chaman n’était jamais venu ici… Nicholas s’empare d’une autre bouteille, et boit en grommelant. Danny demande au trappeur s’il n’y aurait pas quelque chose à manger, mais c’est Laughs At Darkness qui répond : « Ce coffre, et ce tonneau – plein de viande séchée, plutôt bonne ; oh, et, attrapez-moi un peu de ce tabac, dans le tiroir, là, j’ai besoin de fumer... » Danny est très gêné par cette désinvolture… Mais Liston se contente de hocher la tête : au point où ils en sont !

 

[IV-5 : Beatrice, Lozen, Nicholas : Laughs At Darkness] Mais, au fil de la discussion, Beatrice comprend vite que Lozen, qui arrive tout juste, n’est absolument pas au courant de la situation dans la région… Elle n’a pas croisé un seul mort-vivant ? Non… Seulement ces tornades de sable rouge… À la mention de ce phénomène, tout le monde se tourne vers Nicholas – qui se contente de boire. Et il est venu en aide à une Indienne ? Eh bien, oui… et elle le remercie, publiquement cette fois. Mais elle ne comprend pas bien ce qui se passe ici – et ce que Laughs At Darkness a à faire avec ces Blancs. Mais on lui explique la situation…

 

[IV-6 : Lozen, Danny, Beatrice : Laughs At Darkness : Tacheene, Grey Bear, Rafaela Venegas de la Tore] … et le vieux chaman, après avoir lâché un énorme rot, veut bien qu’on discute de son rôle dans tout ça. Oui, plusieurs pouvoirs s’affrontent, ici – ou du moins c’est ce qu’ils croient ; car ils sont en fait tous au service du Manitou, sans le savoir. Le vrai combat oppose les Manitous et les Esprits de la Nature – comme toujours… Qui ça ? « L’Esprit de la Nature, c’est Tacheene. » Celui qui protégeait le coin… Laughs At Darkness est un vieux chaman – il avait un lien direct avec Tacheene. Mais les choses ont mal tourné : un Manitou, bien sûr, qui a trouvé des sbires pour terrifier la région et se nourrir de cette peur… Le vieux chaman se tourne vers sa consœur Lozen : elle voyage auprès des diverses tribus de son peuple ? Il y en a... « un autre », qui le fait… comme elle le sait très bien. Oui, ce « voyageur » est passé ici, bien avant elle : il a séduit Grey Bear, « celui que pendant des années j’avais cru être mon loyal et fidèle apprenti »… Celui, pourtant, qui a monté une cabale pour faire bannir Laughs At Darkness, il y a de cela une quinzaine d'années. Il a fait bien pire : il a trouvé comment asservir Tacheene à la volonté du Manitou, qui a fait usage de ses pouvoirs pour ravager la région – et, accessoirement, il a rompu le lien entre Laughs At Darkness et Tacheene : le chaman, depuis, a perdu l’essentiel de ses pouvoirs. Danny et Beatrice ne s’intéressent pas plus que ça à ces vieilles histoires – la huckster, à vrai dire, se moque aussi de Crimson Bay, elle veut seulement sauver Rafie... Ce qui convient très bien au chaman : ils devraient pouvoir trouver un terrain d’entente de toute façon ? Certes, il a davantage d’ambitions – faire le bien, ce genre de choses… Bah ! Peu importe. La première étape, de toute façon, c’est de lui rendre ses pouvoirs – pour cela, il faut libérer Tacheene. Après, il faudra s’en prendre aux serviteurs du Manitou, et au Manitou lui-même. Ce qui ne se fera pas en claquant des doigts… Tout le secours nécessaire devra être engagé – et donc, d’abord, Tacheene. Sa prison se trouve dans les montages – à un bon jour de marche d’ici… Danny manque s’étouffer en avalant du whisky : le temps presse, à la blanchisserie ils ne tiendront pas bien longtemps ! Pas le choix : il leur faut se rendre à San Lorenzo Point, une mine – ou une tentative de mine, qui n’a pas fait long feu… Mais c'était quelque chose de bien différent à l’origine : la grotte sacrée où Laughs At Darkness conduisait ses rituels, avec Tacheene... Danny se lève aussitôt et se met à préparer des affaires pour leur voyage ; il s’excuse auprès de Jeff Liston, il leur faut ponctionner ses réserves, mais ça ne dérange pas le trappeur – qui boit les paroles du vieux chaman (en même temps que du mauvais whisky). Laughs At Darkness se lève enfin, et, après avoir lâché un énorme pet : « Alors, on y va ? »

 

V : FAIRE CONNAISSANCE AU COIN DU FEU

 

[V-1 : Lozen, Nicholas : Laughs At Darkness] Les PJ, guidés par Laughs At Darkness, prennent la direction du sud-est, dans les montagnes – pas très loin des limites du Grand Labyrinthe, un peu au-delà de la ligne de la Iron Dragon entre Portland et Shan Fan. Ils sont partis en milieu d’après-midi, et marchent tant qu’ils ont de la lumière (le cheval de Lozen porte de l’équipement – et, au moins dans un premier temps, un Nicholas complètement bourré). Mais ils sont bien contraints, alors, d’établir le campement pour la nuit.

 

[V-2 : Beatrice, Lozen : Victorio] Beatrice entend profiter de cet arrêt pour faire connaissance avec Lozen. La huckster, volubile, parvient à mettre la chamane en confiance – au point où elle ne rechigne guère à parler de ses sentiments pour l’homme qu’elle estime le plus au monde : son propre frère, Victorio… Il l’avait impliquée dans les combats de la tribu, et la soutenait dans tout ce qu’elle entreprenait. Mais, lors d’une bataille, sur le point d’être capturé par les Blancs, il a préféré se suicider. Lozen n’a jamais aimé personne comme Victorio.

 

[V-3 : Beatrice, Lozen : Victorio, Tacheene] Beatrice est touchée par le récit de Lozen – et par sa confiance : elle ne s’attendait certainement pas à ce que la chamane livre des choses aussi intimes… En fait, le sort des Indiens ne la laisse pas indifférente : elle admire leur liberté. Elle a vécu dans une ville fortifiée… assaillie par des Indiens, à vrai dire. Mais qu’importe, pour la huckster : blancs ou indiens, les hommes sont tous les mêmes ! Elle l’a constaté, là-bas… Depuis, comme la chamane, elle voyage, sans cesse – peut-être trouvera-t-elle un jour un endroit où s’installer, et où elle vivrait de ses propres moyens… À vrai dire, franche du collier, elle dit à Lozen que la mort de Victorio, tragique sans doute, a pu contribuer à la libérer ? L’Indienne ressent surtout son manque – mais il est mort en héros, au service d’une noble cause… Bah ! L’héroïsme et les nobles causes, très peu pour Beatrice – qui trouve ça « stupide ». Lozen demeure diplomate, mais la remarque de la huckster l’a probablement vexée. Elle n’est pas « soumise » à quoi que ce soit – sinon aux Esprits de la Nature. Mais Beatrice lui rappelle qu’ici et maintenant, ce sont les Manitous qui règnent. La chamane décrit l’asservissement de Tacheene comme un enfer ? L’enfer, oui, ils sont en plein dedans…

 

[V-4 : Laughs At Darkness] La nuit se passe bien – des tours de garde ont été organisés, mais aucune menace ne plane sur le camp. Ils se lèvent tôt pour reprendre leur route – ils doivent gagner au plus tôt la mine de San Lorenzo Point. Laughs At Darkness continue de les guider, dans les forêts et les contreforts des montagnes ; ils ont bien dix heures de marches à accomplir...

 

 

VI : MAUVAISE MINE

 

[VI-1 : Nicholas : Laughs At Darkness ; Fedor] Les PJ finissent par arriver à destination – d’abord le minuscule hameau de San Lorenzo Point, construit à la hâte par la Parker and Sons Mining Company, en quête de roche fantôme, et déserté plus vite encore si c’est possible, le filon ne s’avérant pas assez rentable. La mine se trouve quelques centaines de mètres plus loin et plus haut – on y accède par des corniches relativement étroites ; des travaux avaient été engagés pour charrier le minerai extrait de la mine, mais ils ne sont pas allés bien loin, et le manque d’entretien leur a fait du tort. Laughs At Darkness sait-il à quoi s’attendre ? Peut-être… Fedor, le type qui a réveillé ces hordes de morts-vivants ? Le chaman n’en était pas certain au départ, mais il est maintenant convaincu qu’il est passé par là ; c’est un lieu de pouvoir… et il y a des traces, indiscernables pour qui n’est pas suffisamment avancé dans la connaissance des arcanes. Nicholas fouine quoi qu’il en soit dans le hameau – pas grand-chose à signaler, si ce n’est du matériel pour la mine qu’il aurait été trop coûteux de rapatrier, et des pioches et des pelles à foison ; non, pas de dynamite… Des lampes, par contre, avec un peu d’huile – ce sera indispensable à l’intérieur de la mine.

 

[VI-2 : Danny, Warren] Les PJ gagnent les hauteurs – la mine à proprement parler. Y accéder n’est pas si évident, mais ils y parviennent. À peine arrivés à la double entrée dans la falaise, ils entendent une voix faible, en provenance de l’intérieur, qui appelle à l’aide… Danny fonce aussitôt dans l’obscurité, les autres se montrant plus prudents – sauf Warren, à vrai dire, mais c’est qu’il ne prête pas attention aux appels au secours : il examine minutieusement la mine, les étais, les filons vite épuisés de roche fantôme… Mais Danny parvient à situer la provenance des gémissements – un boyau vers le nord-est. Il s’y rend aussitôt, et appelle les autres : il est tombé sur un corps, d’un homme noir, baignant dans une flaque de sang ; il s’est même demandé s’il ne s’agissait pas d’un cadavre, le corps étant immobile, mais, au bout de quelque temps, il est agité de soubresauts, et appelle à l’aide, d’une voix très faible…

 

[VI-3 : Lozen, Danny, Nicholas, Beatrice, Warren : Cordell ; Fedor] Lozen rejoint Danny ; elle se penche aussitôt sur le corps, et essaye d’examiner ses blessures… mais il y en a tant que toute tentative de soins serait vaine. Nicholas suit, l’arme en main, puis Beatrice – qui reconnaît Cordell, le chef de la communauté des anciens esclaves. Danny lui donne à boire – de l’alcool, « ça guérit tout ». Beatrice va chercher Warren – mieux vaut ne pas se séparer dans ces conditions… Un examen plus approfondi de la part de Lozen révèle que Cordell a perdu beaucoup de sang, à cause de nombreuses griffures partout sur son corps. Danny lui demande ce qui s’est passé ; Cordell parvient à ouvrir les yeux et à les poser sur le bagarreur – mais si celui-ci met en avant que ses amis et lui avaient aidé les anciens esclaves à la communauté, Cordell, lui, ne retient qu’une chose : « Z’étiez avec le shérif... » Mais peu importe : de toute façon, Fedor n’est plus là – il continuera de venger les anciens esclaves… Danny ne comprend rien à ce qu’il raconte. Mais Cordell explique, à grand peine, qu’il avait suivi Fedor ici ; ça devait être une bonne planque… C’était la pire de toutes. « On a été… trop généreux… On… a entendu… les... appels à l’aide… Comme vous avez entendu les miens, ah… Tombés dans le même panneau… Un appât... » Danny se redresse aussitôt et scrute les environs – Nicholas de même ; le sixième sens de ce dernier, dont dispose également Lozen, lui permet de repérer du mouvement dans un boyau prenant la direction du sud. Danny hurle pour que Beatrice et Warren fassent attention… mais n’est-ce pas trop tard ? Un colossal loup-garou déboule dans la salle !

 

[VI-4 : Lozen, Beatrice, Danny, Nicholas, Warren] Par chance, l’étroitesse des boyaux joue contre le loup-garou… mais il demeure un adversaire redoutable. Lozen fait les frais de son premier assaut – qui l’envoie voltiger contre une paroi ! Beatrice se rapproche du combat, en augmentant magiquement sa Compétence de Tir. Danny écarte Lozen pour atteindre le loup-garou – mais le secoue à peine. Nicholas vise la tête – et touche ! Une partie du crâne de la créature explose… mais se régénère aussitôt ; le faux prêtre hurle aux autres de s’enfuir ! Un nouveau coup de gourdin de Danny ne produit pas davantage de résultats… mais la riposte du loup-garou se contente de le secouer. Nicholas tire à nouveau, et fait de lourds dégâts, mais la régénération vient à nouveau les annuler immédiatement. Lozen et lui connaissent les légendes sur les loups-garous – il faut de l’argent, ou de la magie, pour les abattre… Mais Beatrice veut au moins gagner du temps – et en donner aux autres : elle vide son chargeur sur le monstre… qui est réduit à l’état de charpie ! Mais le processus de régénération débute aussitôt – il prendra cependant davantage de temps, vu l’état dans lequel se trouve le loup-garou ! Cela leur ménage quelques précieuses secondes pour s’enfuir… ou pour tenter des choses bizarres ? Warren a la vieille montre en argent de son père… À l’aide de son bras mécanique Roselyne, il l’enfonce dans le corps en charpie du loup-garou ; il sait que cela ne suffira pas – mais en y ajoutant des éclairs de son autre bras, Hippolyte ? Ça marche ! La montre a interrompu le processus de régénération, et les éclairs ont pu faire suffisamment de dégâts pour que ce processus ne reprenne jamais…

 

[VI-5 : Danny : Laughs At Darkness ; Cordell] Laughs At Darkness, qui avait pris son temps, les rejoint une fois le loup-garou vaincu – Cordell est mort le temps qu'il arrive. Danny furieux roue le cadavre de coups, ce qui n’y change rien, mais ça le défoule : il considère maintenant Cordell comme un sinon le responsable de l’invasion de zombies… Mais le veux chaman indien a d’autres préoccupations ; sans s’intéresser le moins du monde à ce qu’ont vécu les PJ, il se contente de leur indiquer un boyau, vers le sud : « C’est par là. » Et il s’y engage…

 

À suivre...

Voir les commentaires