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Dying Earth, la Vieille Terre : Le Florilège du Jet Prismatique Excellent, tome II

Publié le par Nébal

Dying Earth, la Vieille Terre : Le Florilège du Jet Prismatique Excellent, tome II

Dying Earth, la Vieille Terre : Le Florilège du Jet Prismatique Excellent, tome II, Archéos – Oriflam, [2000] 2005, 48 p.

 

Le premier tome du Florilège du Jet Prismatique Excellent était essentiellement consacré, on l'a vu, à des scénarios, pour les trois niveaux de jeu, et m'avait paru plus ou moins convaincant. Ce tome II semble en prendre le contre-pied, en se focalisant cette fois sur les aides de jeu (surtout niveau Cugel), et c'est pas plus mal, moi j'dis. En tout cas, c'est une belle réserve d'idées pour des parties toutes plus loufoques les unes que les autres.

 

Il y a cependant une exception (mais toujours dans le domaine des aides de jeu) : les nouveaux Amendements introduits par Sasha Bilton et Phil Masters – qui sont bien, certes, mais auraient du coup parfaitement trouvé leur place directement dans le Compendium des Avantages Indispensables de Cugel.

 

Le reste consiste essentiellement en descriptions de villes, lieux paumés et factions.

 

Lizard présente ainsi de long en large Port de Forell, qu'on ne qualifiera pas exactement de paisible station balnéaire. Ça regorge d'idées, même si elles ne sont pas toutes d'une originalité stupéfiante.

 

Le même Lizard s'intéresse ensuite aux cultes et aux cabales de la Vieille Terre. Car, oui, il y en a toujours pour croire en quelque chose en ce XXIe Éon annonçant la fin de tout, et, oui, ils sont parfaitement cintrés. Cela dit, l'auteur va ici bien au-delà de la simple satire, et il y a amplement de quoi piocher là-dedans.

 

Des sites ruraux (on ne dira pas « bucoliques ») ensuite avec « l'Enfer Vert » : Lizard (encore lui) rapporte de très belles trouvailles ; celles de Ian Thomson sont moins convaincantes, même si pas inintéressantes pour autant.

 

On retourne à une description urbaine, plus complète, riche et enthousiasmante que celle de Port de Forell, avec Efred, la cité-sanctuaire, longuement détaillée par David Thomas. Cette cité qui se veut paisible, bien loin de l'agitation de la plupart des villes de la Terre Mourante, l'est sans doute, mais à quel prix ? Et il faut faire attention aux vrais pouvoirs dans l'ombre, capables de sanctions bien plus radicales qu'un simple exil...

 

On évoquera enfin « Le Collège de l'Infinie Sagesse de Twanlik », sorte de « Bibliothèque de Babel » mâtinée d'Un cantique pour Leibowitz, censée contenir tout le savoir du monde, et visant à sa préservation contre vents et marées, dans l'espoir, peut-être, que viendra un nouvel Éon, où le soleil retardera sa disparition. Une très belle aide de jeu, susceptible de générer bien des aventures.

 

L'ensemble de ce (très) bref supplément est d'ailleurs parsemé de suggestions de scénarios, surtout niveau Cugel, mais elles sont hélas plus ou moins intéressantes...

 

Ce bémol mis à part, il est clair que ce tome II du Florilège du Jet Prismatique Excellent est bien plus intéressant que son prédécesseur (enfin, à mes yeux en tout cas), et constitue un supplément bienvenu. Dommage qu'Oriflam se soit arrêté là...

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"Dans la République de Wes"

Publié le par Nébal

"Dans la République de Wes"

(Tiens, j'avais complètement oublié que j'avais écrit cette uchronie western - je ne me souviens plus dans quel contexte, s'il y avait un AT ou truc - que je viens de retrouver en fouinant dans mon PC. Jamais publiée sur le blog, donc, alors hop...)

 

(EDIT : Ah, si : cette nouvelle avait été écrite pour l'appel à textes de Rivière Blanche Dimension Western ; un refus, donc.)

 

 

Ça a l’air d’être de la légitime défense pure et simple, mais je veux bien être pendu si j’ai jamais rencontré quelqu’un qui était obligé de se défendre de manière légitime aussi souvent que ce garçon

Wild Bill Hickok parlant de John Wesley Hardin,

dans L’Homme aux pistolets de James Carlos Blake

 

Comme pas mal de gens dans la République de Wes, j’ai tué mon premier homme à l’âge de seize ans. Un nègre. Une baraque couturée de partout, mauvaise graine d’ancien esclave, qui a eu la triste idée de me menacer de son couteau après une partie de poker qui avait trop bien tourné pour moi. Ça me faisait un peu mal au derche, déjà, de m’asseoir à la table de ce fils de pute, mais j’avais besoin de pognon, et un joueur de plus, ça ne se refusait pas. Même lui. Mais il l’a vraiment eu mauvaise, le con. Mon full aux dames par les valets l’a complètement retourné, il m’a accusé de tricher, a renversé la table et s’est jeté sur moi. Erreur. Je n’avais encore jamais utilisé mon Colt sur un homme, mais ça m’empêchait pas de l’avoir sur moi – pour le genre, ou au cas où, comme vous voudrez –, et je n’ai pas hésité à m’en servir. En fait, je n’ai pas eu le sentiment de faire quoi que ce soit. Un instant j’étais assis tranquille et tout content d’avoir raflé le pot, le suivant j’avais l’arme en main, le canon fumait, et ce connard s’écroulait, une balle en plein cœur. C’était irréfléchi, instinctif.

 

Dans l’Union, on m’aurait peut-être fait chier pour ça, mais pas à El Paso, Texas, en cette belle année 1899. La figure du président. On connaissait tous son histoire, forcément. Alors j’imagine que ça a joué en ma faveur.

 

Oh, je n’en ai pas tiré de fierté pour autant. Je n’avais rien de ces prétendants à la gâchette désireux de se constituer au plus tôt un tableau de chasse. J’ai jamais été un mauvais bougre, au fond, faut pas croire ce que les gens disent. Juste un type qui a une fâcheuse tendance à se retrouver au mauvais endroit au mauvais moment.

 

Et donc à El Paso, Texas, en cette belle année 1899, j’ai commencé à tuer. Je n’envisageais certes pas d’en faire une profession, mais les circonstances… Bon, c’était pas tout à fait les mêmes que pour Wes, l’Union était bien obligée de nous foutre la paix, on n’avait même plus à supporter leurs maraudeurs – j’ai jamais été un pistolero « politique », comme le président. Mais pas un desperado non plus. Faut pas croire ce que les gens disent.

 

 

Bon, j’ai un peu fait le « régulateur » au tournant du siècle, c’est vrai. C’était dans la bande de Bobby Joe. On était jeunes, on était cons, on était fauchés, surtout. Alors on a un peu écumé le sud-ouest. Quelques virées au Mexique, aussi, mais ça, c’était presque un sport national, en ce temps-là. Personne pouvait nous en vouloir. Enfin, à part les Mexicains, bien sûr, mais qui a quelque chose à foutre de la parole d’un Mexicain ?

 

Non, franchement, faut pas croire ce que les gens disent. J’ai bien commis quelques boulettes, mais comme tout un chacun, quoi. Et je n’ai jamais – jamais – tué qu’en état de légitime défense. Comme Wes.

 

Wes a toujours été mon modèle. Bon, en cela, je n’étais pas très original. Le président, c’était notre héros à tous. Déjà, c’était notre libérateur. Sans lui, on serait encore coincés dans l’Union, à se faire pomper le pétrole par ces putains de Yankees. Et puis… ben, c’était une figure, quoi. Un homme, un vrai. Un type qui s’était jamais laisser marcher sur les pieds, qu’a toujours su rester digne, fidèle à ses convictions. L’homme le plus dangereux du Texas, on disait… Mais faut pas croire ce que les gens disent.

 

Enfin, je dis ça, mais avant que Wes devienne un personnage « officiel » avec toute la littérature qui va avec, c’est bien dans les dime novels que j’ai fait sa connaissance, et il y a plus fiable, comme source. Qu’est-ce que j’ai pu en bouffer, de ces trucs ! C’était l’Ouest comme je l’ai toujours rêvé – c’est pas ma faute si je suis arrivé en ce monde un peu tard pour y participer moi-même. Mais depuis que je suis tout petit, j’ai baigné dans cet univers coloré de cow-boys et d’Indiens, de brigands et de justiciers, avec la Frontière comme horizon, qui recule, recule… Wes y avait sa place, bien sûr. C’était mon préféré, déjà.

 

Alors vous pensez bien que j’étais à ses genoux quand, en 1895, après avoir échappé à la mort une énième fois dans les rues d’El Paso en abattant ce chien de John Selman Sr., il a retrouvé la flamme de sa jeunesse et entamé sa campagne pour l’indépendance du Texas. Jours de liesse ! On avait cru le perdre après toutes ces années passées en prison, et la prétendue « rédemption » qui avait suivi, mais Wes était en fait toujours le même homme, sa vigueur et ses convictions étaient intactes. Assagi, sans doute, ce n’était plus le chien fou de sa jeunesse, et il avait la gâchette moins facile… mais toujours aussi sûre. Mais surtout : ce charisme ! Il avait tout pour lui, et il a tout donné pour nous. Putain, qu’est-ce que je pouvais l’aimer…

 

J’ai tout suivi, tout. Je ne ratais pas une miette de son combat contre l’Union. J’étais gamin, je ne saisissais pas tout, bien entendu, mais on n’a jamais eu besoin de comprendre pour admirer. Et papa ne tarissait pas d’éloges sur le Libérateur. Le soir, il me racontait les moindres détails. Déjà, cette image : un homme seul se dresse contre les puissants États-Unis ! On aurait pu croire qu’il était fou, mais tu parles : seul, il ne l’est pas resté longtemps. La rancœur était grande, au Texas, depuis la fin de la guerre civile ; les choses ne s’étaient pas apaisées avec les années, les gens l’avaient toujours aussi mauvaise. On avait applaudi à la mort de ce fils de pute de Lincoln, bien sûr, mais, insidieusement, la colère grondait toujours, cet exutoire n’y mettait pas un terme. On se racontait toujours les glorieux souvenirs de Johnny Reb, avec une nostalgie mêlée de rancœur. Mais pas de désillusion. On aurait pu le croire, hein, mais non : la flamme restait vivace. Grâce à des types comme Wes.

 

Merde, c’est le Texas ! Remember the Alamo ! On avait giclé les Mexicains, on pouvait bien faire pareil avec ces connards de Yankees.

 

Et on l’a fait.

 

Maintenant que c’est rentré dans les livres d’histoire, ça donne peut-être une impression de facilité, je sais pas, genre : c’était écrit… Mais il a fallu se battre. Trois longues années de guerre, contre la monstrueuse machine de l’Union. David contre Goliath, quoi. Mais je vous apprends rien : au final, c’est David qui gagne. Parce que sa cause est juste, et parce qu’il est plus malin. Et Wes l’était sacrément, malin. Ce n’était pas qu’un tireur de première, c’était aussi un brillant tacticien. Et, bon, les dime novels en témoignaient déjà : il a toujours eu de la chance au jeu. Il nous l’a transmise, cette chance. Un miracle ? Moi je dis que le destin se force. Il faut des héros, oui, mais Wes en était un, et pas qu’un peu. Et il a su faire vibrer la flamme de la revanche dans le cœur des Texans. L’heure avait sonné.

 

Trois putains de longues années de guerre. Ça, on peut dire que le sang a coulé. Mais surtout celui des Yankees, en définitive. Mal dirigés, mal préparés pour la guérilla, ils ne faisaient pas le poids contre la détermination des Républicains de Wes. Oh, ils en ont commis, des massacres ; des expéditions punitives, pour « pacifier » l’État rebelle, qu’ils disaient. Les politicards de Washington ont toujours eu de ces mots… Mais pour chaque goutte de bon sang texan qui touchait le sol, un combattant se levait, qui la faisait payer au centuple. Ils pouvaient bien nous traiter de rebelles, de terroristes… On avait raison. Contre ça, ils ne pouvaient rien. Et ils l’ont eu dans le cul.

 

Bon, l’appui de la « communauté internationale » a pu jouer, aussi. Les Mexicains, bizarrement – enfin, peut-être que non – nous ont très vite soutenu. Les Anglais ont mis plus de temps, mais ils s’y sont mis aussi. Et ils ont entraîné pas mal de monde avec eux. Pas un hasard si c’est à Paris qu’a été signé le traité mettant fin à la guerre et reconnaissant de nouveau l’indépendance du Texas.

 

1899. Nous étions libres, Wes était élu président, et je commençais à tuer.

 

Des fois, je me dis qu’il n’y a pas de hasard.

 

Alors oui, c’est dans la République de Wes que j’ai fait parler la poudre. Combien de fois ? Franchement, j’ai perdu le compte. Bon, je ne crois pas avoir atteint le tableau de chasse du président, et je n’ai de toute façon jamais eu cette ambition, mais c’est vrai, j’ai envoyé plus d’un connard au cimetière. Attention, hein : ils l’avaient tous cherché. Faut pas croire ce que les gens disent. On a fait de moi une sorte de tueur au sang-froid, un serpent vicieux qui dégaine et tire sans raison, pour le simple plaisir de tuer. Des conneries. Ceux qui me connaissent vraiment vous le diront, tous : je suis vraiment pas le mauvais bougre. Sang-froid, mon cul ! C’est parce que j’ai toujours eu le sang chaud, oui, que j’en suis là, aujourd’hui, dans cette putain de cellule, à regarder par la grille le gibet qui s’élève.

 

Demain, je m’y trémousserai.

 

Il y en aura pour vous dire que ce n’est que justice. Moi, ce que j’en dis, c’est que ce sont eux, les monstres à sang-froid. Les fils de putes lâches qui tuent d’un mot, et ceux encore plus lâches qui vienne se délecter du spectacle. Moi, j’ai jamais aimé les exécutions. Si on doit tuer quelqu’un, c’est face à face, à armes égales. Pas comme ça. C’est ça, le vrai meurtre. Pas ce que j’ai fait.

 

Et ne croyez pas que je suis en train de gémir sur mon sort, là. Je n’ai pas peur. Ils ont dit que je devais mourir, eh bien, je mourrai. Aussi dignement que possible. J’aurai mon courage, eux n’auront que la lâcheté de leur prétendu « bon droit ». Non, je n’ai pas peur. Je ne sais pas ce qui m’attend après, mais je me suis jamais dégonflé, je vais pas commencer à me pisser dessus maintenant.

 

Et, tant qu’on y est : je n’ai toujours pas de haine. Du mépris, tout au plus. Oui, sans doute, ça : je vous méprise, vous les foies jaunes, assassins « légaux » et spectateurs complices, dans le même sac, là. C’est vous les coupables.

 

Mais quoi, qu’est-ce que vous imaginez ? Que je l’ai bien cherché ? Que j’avais qu’à pas ? Vous ne savez rien, la voilà la vérité. Rien. Rien de rien.

 

Vous n’étiez pas là, déjà. Vous ne l’avez pas vu, éméché, de mauvais poil, déjà un pied dans la tombe, se lever en titubant dans l’arrière-salle de ce saloon borgne où il venait s’encanailler. L’œil trouble et la moustache frémissante, la voix grasse et l’équilibre douteux. C’est lui qui a dégainé le premier. C’est lui qui a tiré.

 

Et qui a raté.

 

Pas moi. Et j’allais certainement pas lui donner une deuxième occasion de m’abattre. J’ai fait ce que j’avais à faire, ce que tout homme digne de ce nom aurait fait. Mais ça, vous autres, vous ne pouvez pas le comprendre.

 

Et il y a autre chose que vous ne saurez jamais, un truc qui n’appartiendra qu’à moi, le temps que les livres d’histoire le digèrent.

 

Vous ne saurez pas ce que ça fait, d’être l’homme qui a tué John Wesley Hardin.

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Pub copinage : "Le Mont 84", d'Yves & Ada Rémy

Publié le par Nébal

Pub copinage : "Le Mont 84", d'Yves & Ada Rémy

RÉMY (Yves & Ada), Le Mont 84, Évry, 2015, 415 p.

 

Hop.

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Pub copinage : "Roche-Nuée", de Garry Kilworth

Publié le par Nébal

Pub copinage : "Roche-Nuée", de Garry Kilworth

KILWORTH (Garry), Roche-Nuée, [Cloudrock], traduit de l’anglais par Monique Lebailly, Paris, Scylla, [1988-1989] 2015, 204 p.

 

Hop.

 

(J’avais déjà parlé de la précédente édition ici.)

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Pub copinage : "Il faudrait pour grandir oublier la frontière", de Sébastien Juillard

Publié le par Nébal

Pub copinage : "Il faudrait pour grandir oublier la frontière", de Sébastien Juillard

JUILLARD (Sébastien), Il faudrait pour grandir oublier la frontière, Paris, Scylla, coll. 111 111, 2015, 60 p.

 

Hop.

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"Histoires", d'Arno Schmidt

Publié le par Nébal

"Histoires", d'Arno Schmidt

SCHMIDT (Arno), Histoires, traduction de l'allemand et postface par Claude Riehl, Auch, Tristram, coll. Souple, [1966, 2000] 2015, 174 p.

 

Drôle de métier que celui d'écrivain, quand même. Entre 1955 et 1959, époque de composition de ces Histoires, Arno Schmidt a déjà publié ce que l'on considère souvent comme son chef-d'œuvre, asseyant son style comme sa renommée, l'extraordinaire Scènes de la vie d'un faune. Il n'en vit pas pour autant, bien sûr, et loin de là ; il est même passablement dans la dèche, et ses rapports avec ses éditeurs sont conflictuels, ces derniers refusant de publier ses œuvres ultérieures. C'est alors qu'un ami – un Méphistophélès ? – lui fait cette suggestion saugrenue : se tourner vers les journaux et revues... et écrire des histoires – ô mon Dieu ! – « simples » et immédiatement « compréhensibles » de tous. C'est de ces papiers éparts que va naître ultérieurement ce recueil d'Histoires, effectivement – mais peut-être en apparence seulement ? – d'un abord nettement plus aisé que Scènes de la vie d'un faune, même si le dernier texte, baptisé de manière arrogante « Parasélène et yeux roses (n° 24 de la série Faust de l'auteur) », en rappelle quelque peu la manière.

 

Pour le reste, nous avons donc... des Histoires, « compréhensibles » et cependant plus riches qu'il n'y paraît, et certes pas dénuées d'intérêt. En fait, Arno Schmidt y déploie tout son sens du détail et de l'anecdote, autre façon d'envisager un grand écrivain, et ceci quitte à picorer dans ses propres œuvres... ou dans celles des autres (on a inévitablement parlé de « plagiat », mais le terme n'est guère approprié ; disons plutôt « recyclage »...).

 

On peut distinguer deux catégories dans ces Histoires : dans la première, qui occupe essentiellement le début du recueil malgré quelques retours plus tardifs, nous vivons dans la bonne société allemande réunie autour du chef géomètre Stürenburg, à la retraite, petit cénacle très XIXe siècle qui raffole de contes macabres et d'anecdotes cruelles. Ces histoires « macabres » (au sens où il y a souvent au moins un mort à la clé) sont probablement les plus « classiques » du recueil, mais elles me paraissent aussi les plus réussies ; la peinture de ce petit monde bourgeois, fait de pédants et de bigotes, est un vrai délice. On s'identifie très tôt à ces personnages hautement caricaturaux, et l'on s'immisce ainsi dans leur conversation futile, qui est cependant pour l'auteur l'occasion de déployer son savoir passionné sur la géométrie, l'astronomie, etc.

 

Le reste n'est certes pas négligeable pour autant. Exeunt Stürenburg et compagnie, oui, mais reste le narrateur, à l'âge fluctuant, généralement écrivain, généralement aigri, toujours dans la dèche. On tend bien évidemment à reconnaître, sous ces « déguisements » qui ne déguisent en somme rien, l'Arno Schmidt d'alors, avec ses lubies (notamment bibliophiles) et son « voyeurisme », qui en fait là encore un maître de l'anecdote. L'anodin prend vie sous la plume inspirée de l'auteur, qui se livre mine de rien, et à partir de ce quasi-rien, à des études de mœurs très fines, ou à des circonvolutions psychologiques, sociologiques, politiques, philosophiques, ce que vous voudrez.

 

Et puis, des fois, il se lâche malgré tout, ainsi dans « son » Faust, peut-être manière de régler ses comptes avec la littérature allemande, qui rappelle au-delà qu'Arno Schmidt n'est pas qu'un peintre d'anecdotes, mais sans doute avant tout un puissant styliste, redoutable dans son maniement iconoclaste de la langue (félicitations inévitables au traducteur Claude Riehl) ; j'aurais envie de dire « poète », du coup, mais un vrai...

 

Contrairement à ce que prétend la quatrième de couverture, je ne ferai pas de ces Histoires une porte d'entrée idéale pour l'œuvre d'Arno Schmidt : elles sont trop « normales »... Mais ce détour par la « normalité » n'empêche en rien ces brefs textes de constituer un recueil fort recommandable, témoignant des multiples facettes d'un écrivain de génie.

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"Epées et démons", de Fritz Leiber

Publié le par Nébal

"Epées et démons", de Fritz Leiber

LEIBER (Fritz), Epées et démons, [Swords and Deviltry], traduit de l'américain par Jacques Parsons (et Brian Hester pour la préface), Paris, Opta – Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1970, 1972, 1977, 1982] 1984, 251 p.

 

Et là j'ai d'emblée envie de demander pourquoi.

 

POURQUOI ?

 

À l'heure où l'on nous abreuve jusqu'à plus soif, mais depuis longtemps à vrai dire, de sous-fantasy, qui trouve certes aisément preneur dans notre triste monde tragique, pourquoi certains des plus grands classiques du genre, ses meilleurs représentants, sont-ils relégués dans les tréfonds de l'inconscient fantaisiste ? On a certes fini par avoir des belles éditions des « Conan » de Robert E. Howard (et plus puisque affinités) chez Bragelonne, de « Kane » de Karl Edward Wagner en Lunes d'encre puis en Folio-SF (un terrible flop, ai-je cru comprendre), et d' « Imaro » de Charles Saunders en Mnémos... Autant de contre-exemples qui semblent démontrer que j'abuse un peu avec mon « pourquoi ». Eh. Bon, d'accord, en fait, une seule chose le « justifie » : à l'heure où j'écris ces lignes, le « cycle des Épées » de Fritz Leiber n'est pas disponible en neuf. Constat déprimant, aggravé par un début de réédition chez Bragelonne... qui n'a jamais été conduit à terme.

 

Et je trouve ça triste, quand même. Parce que, qu'on le veuille ou non, Fafhrd et le Souricier Gris figurent parmi les personnalités les plus notables de l'heroic fantasy (ou sword'n'sorcery, comme vous voudrez), et que Lankhmar, la métropole cosmopolite où ils séjournent régulièrement, est sans doute LA ville emblématique du genre (je ne vois qu'Ankh-Morpork pour rivaliser, dans un genre bien différent – même si je ne serais pas étonné d'apprendre que Terry Pratchett, pour le coup, s'était justement inspiré de Fritz Leiber). Avec le « cycle des Épées », classique d'entre les classiques, Fritz Leiber a donné une coloration urbaine à la fantasy, qui lui manquait jusque-là, et a mis au premier rang un semi-barbare frustré dans sa quête de civilisation (et donc à la fois un nouveau Conan, et un anti-Conan) et un apprenti magicien raté, tout deux contraints de se faire voleurs (ou parfois contre-voleurs), ce qui changeait un peu la donne, et a eu une influence considérable – sur les œuvres de fantasy ultérieures, mais aussi en matière de jeu de rôle, par exemple : si l'on prend le vénérable Donjons & Dragons, il apparaît clairement que la classe de voleur trouve ici une bonne part de son inspiration (même s'il faut y rajouter Jack Vance, notamment avec « la Terre mourante ») ; la suite, du coup...

 

Ce tome inaugural qu'est Épées et démons obéit, comme les volumes ultérieurs, à une chronologie interne qui n'a rien à voir avec les dates de publication (elles-mêmes potentiellement différentes des dates de composition) ; je suppose que les nouvelles ont été quelque peu retouchées en vue de leur publication en volume de la sorte.

 

Aussi s'agit-il d'une pure introduction, mais qui passe cependant très bien, sous la forme de trois nouvelles (assez longues dans l'ensemble). La première, « Les Femmes des Neiges », explique comment le barbare nordique Fafhrd a fui sa tribu et sa tyrannie (empruntant une forme matriarcale...), délaissant toutes ses responsabilités pour assouvir sa soif de civilisation. Dans la deuxième, « Le Rituel profané », nous nous tournons cette fois vers l'apprenti sorcier Souris, et voyons comment il devient le Souricier Gris, du fait notamment de son échec à choisir entre magie blanche et magie noire (on peut d'ores et déjà noter que par la suite, pour ce que j'en ai lu, la dimension « magique » du personnage est un peu mise de côté, tandis qu'il devient surtout un archétype de voleur).

 

Les deux héros souffrent grandement dans ces deux nouvelles, qui ne leur épargnent rien, physiquement comme psychologiquement. Mais il y trouvent aussi tous deux l'amour... Un amour qui ne saurait être que tragique, comme le dévoile le titre de la dernière nouvelle, « Mauvaise Rencontre à Lankhmar », qui introduit, dans une débauche de magnificence comme de caniveaux débordant de fange, la métropole de la Toge Noire, la plus grande ville de Newhon. Mais quelle est au juste cette mauvaise rencontre ? Celle de Fafhrd et du Souricier Gris (la seconde, en fait, après un épisode anecdotique précédant les deux premières nouvelles) ? Celles de leurs amantes respectives ? Celle de la Guilde des Voleurs à laquelle ils s'opposent en contre-voleurs « chevaleresques » – même si, nobles intentions et ivresse mises à part, ils n'ont jamais tant ressemblé à leurs ennemis ? Celle – plus probablement – du mage employé par la Guilde, dont la brume noire et les toiles d'araignées auront des effets si terribles ?

 

C'est par ailleurs ce qui fait la force de ce premier tome du « cycle des Épées » : si, par la suite, l'horreur comme l'humour auront leur rôle à jouer, je retiens ici une certaine puissance tragique fort à propos, jusque dans les scènes les plus cocasses à vrai dire (car il y en a déjà), et jusque dans les scènes d'action les plus rondement menées. Autant dire que cette « vieillerie » n'a en rien vieilli...

 

Suite avec Épées et mort...

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"L'Anneau Unique : Contes et Légendes des Terres Sauvages"

Publié le par Nébal

"L'Anneau Unique : Contes et Légendes des Terres Sauvages"

L'Anneau Unique : Contes et Légendes des Terres Sauvages, Ubik – Edge, 2013, 151 p.

 

Sauf erreur, Contes et Légendes des Terres Sauvages est le premier supplément publié en français pour L'Anneau Unique : Aventures dans les Terres Sauvages (oui, avant même l'Écran du Gardien des Légendes et Guide de la Ville du Lac ; on notera d'ailleurs qu'il n'est pas fait mention des Hommes du Lac comme origine culturelle – même chose à vrai dire dans Ténèbres sur la Forêt Noire dont je vous parlerai prochainement).

 

Il s'agit d'un recueil de sept scénarios, permettant d'arpenter une bonne partie des Terres Sauvages. Ils peuvent être joués soit en one-shots (surtout les premiers), soit en campagne (celle-ci prenant de plus en plus d'importance au fur et à mesure ; les derniers scénarios sont ainsi intimement liés, avec même une phase de communauté qui saute).

 

On m'avait vanté la qualité de la gamme de L'Anneau Unique, et ce premier véritable contact en est déjà une belle confirmation. On notera que, si le livre est un peu austère, il est par contre d'une lecture très agréable, faisant preuve d'une grande clarté dans l'expression et dans l'exposition (ce qui à mon sens faisait défaut dans le livre de base). Hormis quelques renvois au bestiaire (limité) de L'Anneau Unique, toutes les informations nécessaires sont disponibles là où elles sont le plus utiles (ce qui vaut pour les encadrés, qui ont généralement tendance à m'énerver dans la mesure où ils cassent un peu la lecture, mais ils sont ici parfaitement justifiés et toujours bien placés).

 

Au-delà, chose remarquable, l'esprit des romans de Tolkien est parfaitement respecté dans ce monde sauvage et rural, où les voyages abondent (mais toujours soigneusement préparés, et avec leurs périls propres), et où les rencontres, pour être rares, sont déterminantes (on notera d'ailleurs une nouvelle règle bienvenue, venant compléter la tolérance, et déterminant la réaction de l'interlocuteur).

 

Les sept scénarios sont en principe conçus pour être de plus en plus ardus (même si je mettrais pour ma part un bémol en ce qui concerne la fin du deuxième, un des très rares épisodes vraiment « donjonneux » de l'ensemble, qui m'a l'air assez coriace à vue de nez).

 

Pour le reste, on a droit à un peu de tout, mais toujours dans un esprit très tolkienien. Ce qui se ressent notamment lors des épisodes de combat les plus épiques : pas question ici de convertir de l'Orque en XP, il y en a trop et cela ne servirait à rien. Non : les joueurs doivent faire preuve de stratégie, et la fuite est une option à ne jamais négliger.

 

Cela dit, tout cela se rapporte aux motivations des personnages, dont la part d'Ombre peut connaître d'impressionnants sursauts les conduisant à la mélancolie...

 

La possibilité de jouer ces scénarios en quasi-campagne m'incite à ne pas détailler outre-mesure les différents épisodes ; en tout cas, on en a pour son argent. Je vais quand même m'autoriser un petit SPOILER pour la fin, où les personnages sont de plus en plus confrontés au Roi du Gibet, un spectre qui faisait office de tortionnaire dans les geôles de Dol Guldur, et qui incarne en partie le retour de l'Ombre dans les Terres Sauvages, jusqu'à une nouvelle bataille déterminante pour s'emparer de Dale... et plus encore, mais là je me tais.

 

Au final, Contes et Légendes des Terres Sauvages me fait l'effet d'un très bon recueil de scénarios, et la possibilité de le moduler en campagne est très intéressante – d'autant qu'elle peut ainsi faire office de prologue au gros machin qu'est Ténèbres sur la Forêt Noire, dont je vous causerai prochainement. On appréciera notamment combien il se montre respectueux de l'univers de Tolkien sans faire dans la servilité timide pour autant. Je n'y mettrais à vrai dire qu'un seul bémol, tout relatif : le niveau de difficulté m'a l'air assez élevé, peut-être trop... mais bon, ça s'adapte.

 

Prochaine étape : le Guide des Terres Sauvages.

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"World War Cthulhu", de Brian M. Sammons & Glynn Owen Barrass (ed.)

Publié le par Nébal

"World War Cthulhu", de Brian M. Sammons & Glynn Owen Barrass (ed.)

SAMMONS (Brian M.) & BARRASS (Glynn Owen) (ed.), World War Cthulhu : A Collection of Lovecraftian War Stories, illustrations intérieures de M. Wayne Miller, Portland, Dark Regions Press, 2014, 347 p.

 

Ben oui, une anthologie lovecraftienne de plus. Quand je vous dis que je peux pas suivre le rythme... De temps en temps, quand même, j'en chope une, soit que j'ai un bon a priori (par exemple pour les Black Wings éditées par S.T. Joshi, voyez ici pour la troisième livraison), soit que je suis curieux – avec éventuellement une certaine dose de perversion masochiste... World War Cthulhu relève clairement de cette seconde catégorie ; je l'ai achetée sur un coup de tête – il faut dire que j'avais commencé à m'intéresser, en jeu de rôle, à Achtung ! Cthulhu, même si la présente anthologie est loin de se limiter à la Seconde Guerre mondiale – et j'avais un peu peur de ce que j'allais y trouver... Mais j'ai lu la chose quand même. Et finalement c'était pas si pire, plutôt, même, une bonne surprise...

 

L'idée de base de cette anthologie, assez explicite dans le sous-titre, peut paraître étrange. En effet, quoi qu'en disent les éditeurs dans leur avant-propos, l'évocation de la guerre chez Lovecraft est assez rare ; il y a bien « Le Temple », et des toutes petites choses dans « Herbert West, réanimateur », par exemple ; à la limite, « Le Cauchemar d'Innsmouth », pour son final, mais vraiment à la limite, hein (on mettra à part les affrontements entre créatures du « Mythe », comme par exemple dans Les Montagnes Hallucinées). Pas grand-chose, donc. Pourtant, l'idée de corréler le « Mythe » avec la guerre a fait florès, et c'est loin d'être la première fois que des pastiches jouent cette carte (parfois pour une réussite remarquable – lisez par exemple « A Colder War » de Charles Stross –, plus souvent sans doute pour des récits pulp anecdotiques), et ce sans même parler des jeux de rôle (il y en a un qui s'appelle justement World War Cthulhu, d'ailleurs, mais aucun lien pour ce que j'en sais). Pourquoi pas, du coup ?

 

… peut-être parce que le risque est grand de se retrouver avec des atrocités du genre de « Loyalty » de John Shirley, qui ouvre le présent recueil (le pire des choix !). Le contexte est celui d'une « guerre des mondes » futuriste, sans autre précision. Les humains désemparés y réveillent Cthulhu pour lutter contre les envahisseurs, quitte à passer un pacte avec le Grand Méchant Poulpesque... Si c'est pas une idée à la con, ça ; anti-lovecraftienne au possible... La filiation est très nette avec les pires récits d'August Derleth et peut-être plus encore de Brian Lumley, ce qui veut tout dire ; mais c'est peut-être encore plus (!) à côté de la plaque, et parfaitement ridicule. Je ne vous cacherai pas que la lecture de cette indicible merde m'a fait très peur pour la suite...

 

Par la suite, quelques textes, disons-le, sont effectivement mauvais, sans atteindre à la stupidité de « Loyalty ». Par exemple, « The Turtle » de Neil Baker, qui remonte à la guerre d'Indépendance, et bourre sa nouvelle avec un prototype de sous-marin, des Profonds, et Dagon en prime ; c'est très mauvais, et ça fonctionne d'autant moins que l'existence de ces vilaines bébêtes y est peu ou prou notoire... W.H. Pugmire, dans « To Hold Ye White Husk », donne une suite au « Temple », façon onirique (cauchemardesque, bien sûr), mais ça n'a pas grand intérêt. William Meikle traite de la Seconde Guerre mondiale dans « Broadsword », où les Mi-Gos lancent un ultimatum bourrin aux chefs d'États impliqués pour qu'ils mettent fin à la guerre (gnu ?)... et ça ne fonctionne pas, dans tous les sens du terme. Konstantine Paradias, dans « The Sinking City », se projette dans le futur, pour un nouvel assaut sur R'lyeh, et ça n'a absolument aucun intérêt. Suit immédiatement « The Shape of a Snake » de Cody Goodfellow, qui prend pour cadre la Seconde Guerre américano-mexicaine ; le lieutenant-colonel Roosevelt, futur président des États-Unis, se retrouve littéralement dans un très gros bordel ; mais c'est bourrin et assez vite lassant.

 

Heureusement, le reste est de meilleure tenue. Il y a bien des récits médiocres, ou sympa sans plus, mais qui se lisent... T.E. Gran remonte à la guerre d'Indépendance avec « White Feather », l'assez « joli » portrait d'un capitaine de marine qui sombre dans le blasphème après avoir découvert un ersatz d'Innsmouth ; voui, pas mal... Christine Morgan évoque la guerre de Troie dans « The Ithiliad » ; les Troyens y adorent les Grands Anciens... Amusant, sans plus ; la fin est bien, ceci dit. Les éditeurs de l'anthologie donnent ensuite « Dark Cell », un récit contemporain finalement pas si guerrier que ça, ou du moins pas de la manière dont on le conçoit d'habitude : un traître à l'IRA et un agent de la CIA s'y allient contre des tarés druidiques qui souhaitent lâcher en plein Londres des Sombres Rejetons de Shub-Niggurath ; moui, divertissant... Tim Carran évoque à nouveau la Seconde Guerre mondiale dans « The Procyon Project », où un vétéran de Guadalcanal est confronté à un plan visant à faire des Grands Anciens (mais d'abord des Mi-Gos) des armes de destruction massive, et forcément ça tourne mal ; un peu concon, mais surtout anodin... Et l'anthologie de se conclure sur « Wunderwaffe » de Jeffrey Thomas, qui prend le cadre futuriste de Punktown, l'univers créé par l'auteur, basé sur le voyage dimensionnel ; un mélange de bonnes idées, et d'autres nettement moins bonnes, pour un résultat médiocre, comme de juste.

 

Et puis il y a de bons textes. Stephen Mark Rainey, dans « The Game Changers », prend pour cadre la guerre du Vietnam, et livre une variation sur (entre autres) « La Couleur tombée du ciel » ; l'ambiance est chouette, et c'est plutôt bien vu. Robert M. Price, avec « The Sea Nymph's Son », nous dit toute la vérité sur l'Iliade, et notamment sur Achille, et ça passe plutôt bien. Edward M. Erdelac retourne au Vietnam dans « The Boonieman », récit parfaitement horrible (avec une touche de Clive Barker ?), et très convaincant. David Conyers & David Kernot livrent « The Bullet and the Flesh », qui a pour cadre une atroce guerre civile au Zimbabwe, avec des enfants soldats faisant face à des rejetons de Shub-Niggurath employés comme armes ; et bon appétit, bien sûr ! Autre jolie réussite, « Long Island Weird – The Lost Interviews » de Charles Christian (qui traite vaguement de la Seconde Guerre mondiale, voire d'autres conflits, mais c'est en filigrane) est un chouette délire conspirationniste à plusieurs voix, bourré de références (ce qui peut gaver, mais je trouve que là ça passe bien). Bien aimé aussi « The Yoth Protocols » de Josh Reynolds, chouette variation sur la guerre froide à partir du « Tertre », avec une belle ambiance. Lee Clark Zumpe retourne à la Première Guerre mondiale dans « A Feast of Death », qui narre le sort tragique de prisonniers britanniques en Turquie ; belle ambiance, cadre original, on regrettera quand même un peu que la fin soit aussi précipitée... L'anthologie est dédiée à C.J. Henderson, décédé peu avant sa parution, et dont on lira ici « Mysterious Ways », nouvelle qui commence à l'époque romaine, puis se poursuit de nos jours, avec un Nyarlathotep particulièrement méphistophélique, et une « fausse victime », et c'est pas mal du tout. Suit « Magna Mater » d'Edward Morris, pour la Première Guerre mondiale : une nouvelle très mystérieuse et inquiétante (traitant notamment du trésor de Rennes-le-Château), comprenant de nombreuses allusions, entre autres à Clark Ashton Smith et William Hope Hodgson, et c'est bien. « Cold War, Yellow Fear » de Peter Rawlik est une intéressante variante sur le « Signe Jaune » dans le contexte pour le moins tendu de la crise des missiles cubains. Suit immédiatement « Stragglers from Carrhae » de Darrell Schweitzer, qui se déroule en Asie mineure, à l'époque romaine, après une sévère défaite des légionnaires contre les Parthes ; ça oscille entre cauchemar horrible et farce grotesque, et c'est étonnamment bien vu.

 

Ben, au final, c'était pas si pire... Non, franchement, plutôt une bonne surprise. Certes, ça n'a rien d'indispensable/génial/transcendant, mais les textes plus que corrects tendent quand même à dominer. Alors, oui, il faudrait brûler tous les responsables de la publication de « Loyalty », mais en dehors de cette mauvaise première impression, le reste est satisfaisant ; on n'y trouve pas d'aussi bons textes que dans Black Wings III, par exemple, mais peu importe : oui, bonne surprise. Juste un petit regret pinailleur : tout ceci m'a paru quand même un peu trop américano-centré ; mais bon, ça va.

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"L'Homme des jeux", de Iain M. Banks

Publié le par Nébal

"L'Homme des jeux", de Iain M. Banks

BANKS (Iain M.), L'Homme des jeux, [The Player of Games], traduit de l'anglais par Hélène Collon, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1988, 1992, 1996] 2012, 478 p.

 

Retour au « cycle de la Culture » de Iain M. Banks avec L'Homme des jeux, deuxième titre de la série en VO (après Une forme de guerre), mais étrangement le premier à avoir été traduit en français. Il faut dire que nombreux sont ceux qui m'avaient présenté ce deuxième tome comme une meilleure introduction au cycle que le premier, que j'avais bien aimé, certes, mais qui m'avait laissé aussi un brin perplexe, avec son trip old school « Pirates de l'espace », et surtout sa fâcheuse tendance à tirer à la ligne, notamment lors des (nombreuses) scènes d'action. C'est malgré tout avec un a priori plutôt positif que j'ai entamé la lecture de L'Homme des jeux, espérant y trouver, sous sa couverture particulièrement hideuse, plus frontalement tout ce que je me sentais en droit d'attendre de ce cycle réputé.

 

Cela dit, là aussi, on fait dans la référence à des classiques de la SF – cette idée d'un jeu central au niveau politique m'a inévitablement fait penser à Philip K. Dick (Loterie solaire, Les Joueurs de Titan, voire mais c'est plus discutable Le Temps désarticulé), et donc probablement derrière à l'ignoble A.E. Van Vogt (Les Joueurs du Ā?). Une ambiance un peu différente du baroque vancien d'Une forme de guerre, mais un jeu (aha) de références tout de même, qui ne saurait sans doute être innocent.

 

Bon, la Culture, vous connaissez : c'est cette grand civilisation galactique ou presque, anarchisante et hédoniste, avec à sa tête, si tant est qu'elle en ait une, des intelligences artificielles ultra-balaises appelées Mentaux ; une société libérale et même libertaire, forcément pacifiste et non-hégémonique. Forcément, hein ? Sauf que c'est là que le bât blesse – ce qu'on avait déjà pu constater dans Une forme de guerre. Du coup, je n'ai pas le sentiment de spoiler quoi que ce soit ici : dans L'Homme des jeux, comme dans le précédent volume, Iain M. Banks questionne l'universalisme utopique, cette tendance profondément libérale (mais qui a essaimé ailleurs...) à vouloir, via le soft power, faire le bonheur des autres malgré eux...

 

Ici, nous avons donc la Culture d'un côté, et Azad de l'autre. Tout y est Azad, d'ailleurs : c'est le nom de l'empire, dont l'existence a longtemps été tenue secrète par la Culture, mais c'est aussi celui du jeu qui attribue les responsabilités les plus notables, et jusqu'à celle de l'Empereur, passé quelques « grandes années ». Tout y est Azad, donc, et le jeu décide de tout.

 

Ce qui en fait un jeu idéal pour Gurgeh, qui n'en avait bien sûr jamais entendu parler jusque-là. Gurgeh, il faut le dire, est un joueur-de-jeux, et un des meilleurs de la Culture – voire le meilleur. Il a pratiqué des dizaines de jeux, mémorisé règles et stratégies par centaines, et toujours ou presque trouvé le moyen de triompher.

 

Mais une « faute de jeu » (une gourmandise, disons) va le mettre dans le pétrin, un vilain drone menaçant de le faire chanter. Ledit drone sait que Gurgeh a été joint il y a peu par Contact, la branche de Circonstances Spéciales, sans autre précision sur ses intentions. Or notre drone, qui a été exclu en raison de son mauvais caractère de Circonstances Spéciales, entend bien réintégrer cette agence, et incite ainsi Gurgeh à accepter la mystérieuse offre de Contact.

 

L'offre ne reste pas mystérieuse bien longtemps, certes ; on lui demande, à lui l'humain de la Culture, d'aller participer au tournoi d'Azad (ce qui implique une absence de cinq ans, tout de même). Oh, bien sûr, en dépit de la formation accélérée que lui fournira son vaisseau durant le long voyage, il ne pourra que perdre, hein ? Sauf que Gurgeh est un sacré joueur-de-jeux ; et après quelques doutes bien légitimes, il parvient à regagner une certaine confiance en lui qui devrait lui assurer une bonne place, disons honorable, dans le classement final : une première pour un étranger en provenance d'une civilisation inconnue d'Azad.

 

Mais c'est qu'il joue vraiment bien, le bougre ; il ne va pas aller jusqu'à affronter l'Empereur-Régent sur son terrain, tout de même ? Si ?

 

Et si c'était ce que la Culture voulait dès le début ? C'est qu'elle est bien jolie, la Culture... mais elle est aussi sacrément manipulatrice. Et ambitieuse, quoi qu'elle prétende...

 

Bilan ? Eh bien, à l'instar d'Une forme de guerre, L'Homme des jeux est à n'en pas douter un bon roman. Il gomme un peu les traits les plus fâcheux de son prédécesseur (ça tire notamment un peu moins à la ligne, même si le livre fait son poids), tout en mettant en avant quelques belles trouvailles façon « ethno-SF », un peu à la Vance encore, mais pour le coup peut-être davantage à la Le Guin (une influence du cycle plus que probable), par exemple les trois sexes des sujets d'Azad ; on mentionnera aussi, parce que wahou, le magnifique écosystème de la Planète de feu où se conclut la partie. Les personnages sont plus ou moins intéressants (Gurgeh m'a paru assez terne, son agaçant drone-bibliothèque est autrement plus chouette, mais il en va de même de quelques-uns de ses adversaires au jeu d'Azad), le style oscille entre le banal et le bon voire très bon, l'intelligence du propos ne saurait faire de doute (même si on comprend donc vite où Banks veut en venir).

 

Et tout cela donne... un bon roman, oui. Mais si bon que ça ? Je n'en ai hélas toujours pas l'impression... Sur ces deux premiers volumes, le « cycle de la Culture » me déçoit un peu (sentiment à vrai dire confirmé par la suite, j'en suis au cinquième roman, et...). Il est vrai que j'en attendais beaucoup... Prochaine étape : L'Usage des armes.

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