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Recherche pour “Dan Simons”

"Arachne", de Jean-Daniel Brèque (dir.)

Publié le par Nébal


BRÈQUE (Jean-Daniel) (dir.), Arachne. Sept contes de fantastique et de terreur modernes, choisis et présentés par Jean-Daniel Brèque, traductions de Pierre-Paul Durastanti et Jean-Daniel Brèque, La Valette, Arachne, 1984, 151 p.

Tiens, aujourd’hui, pour une fois, je vais faire dans le collector velu. Mais alors velu de chez velu. Du genre que je n’aurais probablement jamais mis la main dessus (et que je n'en aurais même pas entendu parler, d'ailleurs) en temps normal. Un témoignage d’un beau projet éditorial du milieu des années 1980, initié par (l’immense, on ne le répétera jamais assez) Jean-Daniel Brèque. Une petite maison d’édition (plus ou moins associative, à ce que j’en ai compris) du nom d’Arachne, destinée à promouvoir le fantastique et la terreur modernes.

 

Genres qui m’ont toujours été chers, et dont je ne peux que déplorer qu’ils soient aussi délaissés. Aujourd’hui plus que jamais, sans doute : finis, les Pocket Terreur et autres Territoires de l’inquiétude ; en dehors du Stephen King annuel et d’une ou deux sorties de temps à autre hors collection (par exemple, le fantabuleux, sublime, extraordinaire Terreur de Dan Simmons, traduit par devinez qui), et (allez) une ou deux nouvelles dans telle ou telle revue passablement confidentielle, il n’y a à peu près rien, nothing, zobi, nada (les récurrents navets vampiriques de base ne comptent pas, soyons sérieux). La seule collection « visible » dédiée au genre est, à ma connaissance, l’Ombre de Bragelonne (lisez Mélanie Fazi ; lisez Gudule). Ailleurs, on répète que le fantastique et la terreur, ça ne se vend pas, ça n’intéresse personne, blah blah blah. Bon, je veux bien le croire, hein (même si – je sais, je me répète –, vu le regain d’intérêt pour le cinéma d’horreur ces dernières années, et les pulsions vampirico-morbides des jeunes gogoths, j’avoue être un peu sceptique). Mais voilà : moi, ça m’intéresse, merde !

 

Hélas, mille fois hélas… Jean-Daniel Brèque, à la fin de sa (très) brève « Introduction » (p. 5), nous donne « rendez-vous, bientôt [espère-t-il], pour Arachne 2 ». Mais cette nouvelle anthologie n’a jamais vu le jour… Et Arachne n’a eu à son catalogue, outre ce recueil, qu’une nouvelle illustrée de Michael Bishop, La Fiancée du Singe, dont je vous parlerai un de ces jours. Dommage…

 

D’autant que la qualité était au rendez-vous. Certes, si l’on se contente de feuilleter distraitement Arachne, on pourrait en douter : couverture cartonnée marron, ignoble typo machine à écrire qui pique d’autant plus les yeux qu’elle n’est pas justifiée… Pas de doute, ça sent le fanzinat. Mais un coup d’œil au sommaire suffit pour s’intéresser à la bête : parce que, quand même – pour m’en tenir aux noms que je connaissais déjà, moi l’inculte –, Michael Bishop, Fritz Leiber et Ramsey Campbell. Eh oui. Tout de même.

 

Quatre des sept nouvelles composant Arachne sont anglo-saxonnes (et traduites par Jean-Daniel Brèque, sauf celle de Ramsey Campbell, traduite par Pierre-Paul Durastanti ; pas les pires traducteurs, quoi), les trois autres étant le fait d’auteurs français plus ou moins débutants. Initiative louable, mais là, je dois dire que nos compatriotes ne s’en tirent pas très bien. Évacuons donc.

 

Gérard Coisne (essentiellement traducteur, pour ce que j’en ai compris) nous livre avec « Par où êtes vous entré ? » (pp. 23-45) un conte fantastique assez bancal, qui aurait pu être intéressant, mais ne parvient pas à convaincre. Une enquête laborieusement administrative peu aidée par une plume un tantinet affectée, s’achevant tout à coup dans une (bien trop brève, hélas) séquence fantastique lourde d’effluves gothiques façon Hammer. Cela aurait pu être amusant, mais les deux parties s’emboîtent mal, et la sauce ne prend pas. Dommage…

 

« Les Crabes dans la neige » (pp. 81-91) est, à en croire la brève présentation de Jean-Daniel Brèque, le premier texte publié de Nathalie Rimlinger. Et c’est aussi le dernier, si l’on doit se fier aux zélés catalogueurs de la NooSFere (m’sieur Brèque mentionnait pourtant une autre nouvelle… ?). Et, pardon, mais peut-être est-ce tant mieux. Parce que le fait est que c’est vraiment pas bon. Un style très lourd, maladroitement prétentieux : c’est tout ce que j’ai pu retenir de cet ennuyeux « conte de Noël ». Levons un voile pudique sur ce ratage, de très loin le moins bon texte de cette anthologie en ce qui me concerne.

 

Finalement, c’est peut-être Christian Cogné qui s’en tire le mieux, avec « Le Jeu des remparts » (pp. 121-142) : une, heu, road-story en forme d’hommage (plus ou moins désabusé) à la beat generation, avec quelques passages sympathiques, même si ce personnage de routard capitaliste peut laisser perplexe, voire agacer. Honnête, cela dit.

 

Mais, pas de doute, l’intérêt (comme la vérité) est ailleurs, et ce sont sans surprise les auteurs bien autrement chevronnés d’outre-Manche et d’outre-Atlantique qui font d’Arachne une anthologie tout à fait recommandable.

 

Deux bons textes, déjà : celui de Charles L. Grant, « Damon » (pp. 7-21), d’abord une assez émouvante histoire familiale traitant de l’amour quand il n’est pas partagé, et sombrant progressivement dans la terreur la plus glaçante. Très efficace, une bonne entrée en matière pour l’anthologie.

 

Parallèlement, le Britannique Ramsey Campbell (qu’on a connu plus ou moins en forme, que ce soit dans ses pastiches lovecraftiens ou dans ses textes plus directement « mainstream horror ») fournit une bonne conclusion à Arachne avec « Les Téléphones » (pp. 143-152), une nouvelle d’horreur paranoïaque également placée sous le signe de l’efficacité.

 

Mais j’ai gardé le meilleur (à mes yeux, en tout cas) pour la fin. Le vétéran Fritz Leiber nous offre avec « Ailes noires » (pp. 93-120) une variation sur le thème classique du double en forme de mauvaise blague névrotique teintée d’érotisme et de perversion. C’est d’un goût douteux, et pourtant délicieux.

 

Mais c’est Michael Bishop qui remporte la partie avec « Les Murailles de Tyr » (pp. 47-79), une nouvelle horrible d’humanité et de tendresse, émouvante, et d’autant plus insoutenable. L’intrigue est capillotractée, mais peu importe : le malaise et la cruauté qui suintent de ce texte brillamment écrit emportent l’adhésion. Une vraie réussite.

 

Aussi, au final, si la partie francophone se révèle tristement faible, la partie anglo-saxonne vaut franchement le détour, et fait d’Arachne un recueil très recommandable.

 

Alors maintenant, j’attends Arachne 2.

Hop.

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"Axis", de Robert Charles Wilson

Publié le par Nébal

WILSON (Robert Charles), Axis, [Axis], traduit de l’anglais (Canada) par Gilles Goullet, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2007] 2009, 388 p.

 

Voilà bien un roman que j’attendais comme le Messie. Normal : il s’agit de la « suite » (on y reviendra) de l’excellentissime Spin, à n’en pas douter un des meilleurs romans de SF de ces dernières années, dûment récompensé par le prix Hugo, et probablement la meilleure vente du genre en France depuis l’excellentissime également Hypérion de Dan Simmons (ce qui remonte un peu, tout de même…). Un succès mérité pour un roman foisonnant, bourré d’idées science-fictives géniales, mais qui ne négligeait pour autant ni le style ni l’humanité. Bref : un chef-d’œuvre, comme on aimerait en lire plus souvent. Axis part donc avec un sacré handicap, tant son prédécesseur avait mis la barre haute…

 

Mais revenons un peu en arrière. Spin débutait par une scène d’anthologie : la disparition des étoiles. Pour des raisons mystérieuses, la Terre s’y retrouvait enchâssée dans une étrange barrière qui la séparait du reste du système solaire. Mais cette séparation se voyait en outre doublée d’un étrange phénomène temporel : au-delà de la barrière, le temps s’écoulait à une vitesse folle, des millions d’années s’écoulant en l’espace de quelques minutes terriennes… Nous suivions trois personnages confrontés à ce phénomène pour le moins déstabilisant, et pouvant décider à terme de l’extinction de l’humanité.

 

J’éviterai d’en dire davantage, au cas où certains n’auraient encore pas lu ce roman. Restent pourtant deux points à préciser, fondamentaux pour Axis (attention les gens, donc). Tout d’abord, l’expérience martienne, qui eut entre autres pour conséquence la découverte d’une véritable pierre philosophale, un traitement de rajeunissement autorisant un « Quatrième Âge » pour l’humanité… vite devenu illégal. Enfin, une ultime intervention des Hypothétiques, les mystérieux créateurs de la barrière, qui ont placé dans l’océan Indien un portail vers un monde vierge, Equatoria, semble-t-il modelé spécifiquement à destination de l’humanité.

 

Axis se déroule sur Equatoria, une trentaine d’années après la fin de Spin, avec – principalement… – de nouveaux personnages (même si les renvois au premier tome en rendent la lecture indispensable ; et pourquoi se priver, de toute façon ?). Le Nouveau Monde a été largement colonisé. Parmi ces nouveaux pionniers, nous en suivons essentiellement deux : Lise Adams, fausse journaliste à la recherche de son scientifique de père, fasciné par le Quatrième Âge et les Hypothétiques, et mystérieusement disparu voilà quelques années, et son ancien amant Turk Findley, pilote de son état, aventurier et baroudeur qui plus est. Un 34 août (si, si), ils se retrouvent, de même que l’ensemble de la population d’Equatoria, confrontés à un étrange événement : une pluie de cendres mystérieuses, qui semblent formées de débris de machines – de débris des Hypothétiques ? –, suscitant parfois à l’arrivée de nouveaux phénomènes tout aussi incompréhensibles. Bien évidemment, on sent derrière cette curieuse pluie la main des Hypothétiques. Mais que signifie-t-elle et quelles seront ses conséquences à plus ou moins long terme ?

 

Le jeune Isaac aussi a été confronté à la pluie de cendres. Mais il se pourrait bien que cet enfant hors-normes, élevé à l’ouest de Port-Magellan, la capitale d’Equatoria, par une communauté hors-la-loi de Quatrièmes Âges, soit directement lié au phénomène. Son chemin croisera bientôt celui de Lise et de Turk : tout semble bel et bien lié…

 

Axis, à l’instar de son illustre prédécesseur, ne manque pas d’idées science-fictives géniales. Mais l’intrigue se situe à un tout autre niveau, plus microcosmique. Les personnages, très humains, sont à nouveau placés au centre du canevas et, plus que les phénomènes mystérieux – générateurs cela dit de très belles séquences –, ce sont les réactions de ces individus qui intéressent Robert Charles Wilson.

 

A priori, ce nouveau roman dispose donc des atouts qui avaient hissé Spin au rang de l’excellence. Pourtant, cette fois, la sauce prend moins bien… La faute, sans doute, à une intrigue construite à la manière d’un thriller, avec plus ou moins de réussite. Je plaide coupable : ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer en ces pages, les thrillers ne m’ont jamais botté ou presque. Hélas, Axis ne fait que confirmer cette règle : j’ai eu du mal à m’intéresser aux déboires de Lise et de Turk, d’autant que le rythme de l’histoire ne se montre guère haletant (l'atmosphère étant plutôt à la mélancolie). C’est d’autant plus regrettable que les bonnes idées ne manquent pas, que certaines scènes, teintées d’apocalypse, sont absolument superbes, et que la plume de l’auteur leur fait honneur. Axis est à l’évidence un bon roman, et regorge de pépites science-fictives (un peu en retrait, cela dit) et humaines. Mais le fait demeure : le thriller qui est censé lier la sauce se révèle, à mes yeux en tout cas, plus ennuyeux qu’autre chose, d’autant qu’il ne lésine pas sur les clichés. En outre, les personnages, s’ils restent très humains, m’ont semblé plus ternes et plus « téléphonés » que le beau trio au cœur de Spin

Dommage… mais, sous cet angle,
Axis ne soutient pas la comparaison, inévitable même si à plus ou moins bon droit, avec Spin. Un roman victime de la malédiction des suites, qui, sans être fondamentalement mauvais, ne se montre pas la hauteur de ce que l’on était en droit d’attendre… Un bon roman, sans doute, mais guère plus, et en tout cas pas un chef-d’œuvre, loin de là ; et il y a fort à parier que nombre des admirateurs de Spin seront déçus par cette séquelle un peu bancale. Rien de dramatique, mais c’est tout de même un peu triste…

Cela dit, cela ne m’empêchera bien évidemment pas de me jeter sur le troisième tome, Vortex, dès sa sortie française ; mais en espérant que Robert Charles Wilson saura relever le niveau, après ce tome intermédiaire – tome de transition dans l’œuvre de l’auteur ? – finalement guère satisfaisant.

CITRIQ

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Spéciale Dédicace à Album Toulouse, wesh wesh (07-06-08)

Publié le par Nébal


Or donc, il advint que, le samedi 7 juin 2008 à la librairie Album Toulouse, il y eut une fort belle rencontre SF / fantastique / fantasy. Avec plein de gens bien venus signer leurs livres (qu'ils sont bien aussi).

Tenez : nous avions Nicolas Bally (pour sa nouvelle dans l'anthologie Vampires), Sébastien Bermès (illustrateur aux éditions Glyphe - Vampires, (Pro)Créations...), Michelle Bigot (pour sa couverture de En quête de Nathalie Salvi, chez Griffe d'Encre), Jean-Daniel Brèque (pour Orphée aux étoiles, mais aussi ses traductions d'Edward Whittemore, Dan Simmons, Lucius Shepard, Poul Anderson, etc.), Sire Cédric (avec son fan club ; il dédicaçait sa nouvelle dans Vampires, mais aussi le CD de son groupe Angelizer, et le reste tant qu'à faire - pour ma part, ça a été Dreamworld), Lucie Chenu (pour son anthologie De Brocéliande en Avalon, même si, pour moi, ce fut (Pro)Créations...), Jeanne-A Debats (pour sa novella La Vieille Anglaise et le continent), Gudule (pour plein de choses, mais notamment son récent omnibus chez Bragelonne Le Club des petites filles mortes), Claude Mamier (pour Les contes du vagabond) et enfin Christophe Sivet (illustrateur, entre autres de la couverture de La Vieille Anglaise et le continent). A noter qu'Estelle Vals de Gomis devait venir (pour son anthologie Vampires), mais que finalement non, zut.

N'empêche : comme le disait si bien l'excellente et indispensable M'âme Martin : "Y sont beaux, y sont frais, mes auteurs !" Sa Marquise fut aussi diabolique que d'habitude ; mais les vampires gogoths ont à peine touché au Bloody Mary (ah, ces jeunes, alors...).

Adonc tout ceci fut fort réjouissant. Le médiocre Nébal s'est dit que cela pourrait être bien de prendre quelques photos (vu que le ridicule ne tue pas, etc.). On fait c'qu'on peut, hein...

Hop.

EDIT : A la demande générale d'efelle, je rajoute des petites légendes.

Re-EDIT : Et merci les gens bien qui m'aident à les compléter !


Un sixième de Michelle Bigot, Claude Mamier, Gudule, Lucie Chenu, et un demi Sébastien Bermès.


Au fond, Claude Mamier et Lucie Chenu ; Nicolas Bally devant Sébastien Bermès, Sire Cédric au premier plan ; debout, Lise N. à gauche, Gudule au fond à droite.


Sébastien Bermès ; au premier plan à gauche, Claude Mamier.


M'âme Martin.


M'âme Martin et Jeanne-A Debats.


Christophe Sivet ; on entrevoit derrière Jeanne-A Debats (debout) et Michelle Bigot (assise).


Un bout de la tête de Jeanne-A Debats, Christophe Sivet, Michelle Bigot, Claude Mamier, la main de Gudule qui signe, Lucie Chenu, Sébastien Bermès et Nicolas Bally ; debout, Michelle Charrier.


Gudule.


Gudule et Lucie Chenu.


Au fond, un demi Claude Mamier, Gudule, Lucie Chenu et un tiers de Sébastien Bermès ; premier plan, Sire Cédric et Nicolas Bally.


Jeanne-A Debats, Christophe Sivet et Michelle Bigot.


Une demie Nicole Hibert, Jeanne-A Debats et Michelle Bigot.


Jean-Daniel Brèque.


Debout, devant la table, Michelle Charrier, et au fond, Jean-Daniel Brèque ; pour le reste, on ne distingue vraiment que Claude Mamier et Lucie Chenu...


Au fond, debout, un demi Jean-Daniel Brèque ; assis, Jeanne-A Debats, Christophe Sivet, Michelle Bigot, Claude Mamier, Gudule, une demie Lucie Chenu, et au premier plan Sébastien Bermès.


Jean-Daniel Brèque... heu... ensuite, je savions pas qui... puis Nicole Hibert et Jeanne-A Debats.


Jean-Daniel Brèque, Jeanne-A Debats, Christophe Sivet, Michelle Bigot, Claude Mamier, pas du tout Gudule mais bel et bien Michelle Charrier, et Lucie Chenu ; à droite, une petite partie du fan club de Sire Cédric empêche de le voir, ainsi que Nicolas Bally et Sébastien Bermès (debout, de dos, je suppose qu'il s'agit de David Duquenoy).


Michelle Bigot, Claude Mamier, Michelle Charrier, Gudule et un demi Sébastien Bermès.


Nicolas Bally, Lucie Chenu et Lise N.


Nicolas Bally et Sire Cédric.


La même chose, le monsieur à droite je savions pô (... ?), puis un demi Jean-Daniel Brèque.


Sébastien Bermès.


Le rayon mangas / comics où avait lieu la dédicace (les auteurs et illustrateurs étaient entassés dans le fond).


On passe au resto, le soir, et... je sais pas qui c'est. Mais j'ai cru comprendre que la dame avait dirigé le Fleuve Noir fut un temps (EDIT : ah ben maintenant je sais, donc : Nicole Hibert et Laurent Delpit).


David Duquenoy, M'âme Martin, et... heu... je sais pô.


Lucie Chenu et... heu... je sais pas non plus (EDIT : mais si, voyons ! Nienna et Deedlot).


Je sais pas pour les jeunes filles à gauche (EDIT : mais si, donc ! Un tiers de Nienna et Deedlot), mais sinon Sébastien Bermès et Jeanne-A Debats.

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"Dans la dèche au Royaume Enchanté", de Cory Doctorow

Publié le par Nébal

 

DOCTOROW (Cory), Dans la dèche au Royaume Enchanté, traduit de l’américain par Gilles Goulet, [Paris], Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2003] 2008, 229 p.

 

Voilà un bouquin dont vous avez nécessairement entendu parler. Enfin, « vous »… J’entends par-là les adolescents attardés qui lisent de la SF et autres geeks qui consument leur non-vie sur le ouèbe pendant que là, dehors, en ce moment-même, et par cette chaleur, les gens honnêtes, intelligents et de bon goût travaillent, battent leur femme et, des fois, votent. C’est qu’on en a beaucoup parlé, de ce Dans la dèche au Royaume Enchanté, et plus encore, à vrai dire, de son auteur, l’omniprésent activiste libertaro-internaute Cory Doctorow. Je ne vais donc pas revenir ici sur le monsieur, d’autres en ont très bien parlé (voyez par exemple , ce qui vous permettra accessoirement d’accéder à ses œuvres complètes – in english in ze text – gratuitement et légalement, elle est pas belle la vie ?). Pour dire les choses autrement, et employer l’expression consacrée : il y a eu un sacré buzz autour de ce bouquin. Enfin, surtout autour de son auteur.

 

Perso – ça doit être un reste de ma crise d’adolescence tardive –, j’ai tendance à me méfier du buzz. Et, honnêtement, si les idées prônées par le monsieur ne me paraissent pas inintéressantes, loin de là, je n’en ferais pas non plus pour ma part un cheval de bataille ; je ne me sens de toute façon que rarement militant... Bon, tout ça pour dire que, en dépit de la facilité d’accès aux œuvres de Cory Doctorow, je n’en avais jamais lu jusqu’alors, et je ne m’en portais pas plus mal (mais bon : mon anglais est médiocre, et j’aime pas lire sur un écran – ça, c’est bien un des rares aspects par lesquels je suis un vieux réac). Et les critiques que j’ai pu lire ici ou là de ce Dans la dèche au Royaume Enchanté étaient dans l’ensemble plutôt mitigées ; ça sentait la baudruche qui fait « pschiiiiiiiiit », pour citer un ancien haut-fonctionnaire… Sans doute est-ce en fait une des raisons pour lesquelles j’ai finalement fait l’acquisition et la lecture de ce court roman – révolte adolescente toujours – ; ça, et peut-être aussi – j’ai honte – la couverture assez sympa, même si sans grand rapport avec le contenu. Et là…

 

Comment dire.

 

Je suis un peu embêté, du coup.

 

Serais-je moi aussi une victime du buzz ? A priori, non, voyez plus haut. Et puis d’ailleurs, d’autant plus non... que j’ai l’impression d’être beaucoup plus enthousiaste pour ladite chose que bon nombre des critiques autrement plus compétents que votre médiocre serviteur qui ont eu l’occasion de s’exprimer à ce sujet. Et…

 

Comment dire.

 

 

Je ne prétendrai pas que Dans la dèche au Royaume Enchanté est un chef-d’œuvre de la littérature contemporaine, ça serait ridicule. Je ne prétendrai même pas, jouant le jeu de la ghettoïsation science-fictionnelle, que Dans la dèche au Royaume Enchanté est un chef-d’œuvre « de la science-fiction ».

 

Pourtant, j’ai adoré, hein.

 

Mais ce n’est même pas cela qui importe vraiment.

 

Non, je suis convaincu que vous devez le lire, parce que…

 

Heu…

 

Parce que c’est quelque chose…

 

 

Voilà : c’est « quelque chose ». Quelque chose d’important, même. En dépit de tout ce qu’on pourrait lui reprocher (j’y viendrai), et au-delà du buzz, Dans la dèche au Royaume Enchanté me paraît être un de ces bouquins que l’on doit avoir lu, que l’on aime ou pas. Quant à expliquer pourquoi, je ne suis pas certain d’en être capable… Bon, on verra bien.

 

Le cadre, tout d’abord. Un futur relativement proche, vers la fin du XXIe siècle. Le monde tel que nous le connaissons n’est plus : place à la Société Bitchun. Dans celle-ci, la mort a été vaincue : en cas de fâcheux accident, hop, on produit un clone, et il suffit ensuite d’y charger une sauvegarde, comme dans un jeu vidéo. Ou, à la limite, si vous voulez prendre un peu de distance, vous pouvez choisir le « temps mort » : vous vous endormez, et vous vous réveillez quand vous le voulez, dans 10, 20, 30, 100, 1000, 10 000 ans… Le « héros » du roman, Julius, est ainsi un jeune homme en dépit de ses 150 ans et de ses décès occasionnels.

 

Mais ce n’est pas tout : du fait de nouvelles découvertes dans le domaine énergétique, la Société Bitchun a également vaincu le travail. Les gens – joie ! joie ! – n’ont plus besoin de travailler, ils ne travaillent éventuellement que s’ils en ont envie (remember Fourier, dans un sens) : tout, dans la Société Bitchun, est loisir. Si Julius a obtenu trois doctorats, appris dix langues étrangères, composé plusieurs symphonies, et s’il s’investit aujourd’hui dans le bon fonctionnement de Disney World, ce n’est pas dans une optique carriériste, ou parce qu’il est nécessaire de travailler pour « gagner sa vie », selon l'horrible et stupide expression, mais simplement pour passer le temps, par plaisir, par envie. Ca tient de l’utopie, non ? « Et comment ! », fulmine l’encravaté sarkozyste sorti d’HEC. « Ca ne tient pas ! Et l’argent, alors ? A moins que tout cela ne soit COMMUNISTE ?!? » Mais non ; simplement, l’argent non plus n’existe pas dans la Société Bitchun, qui est une sorte de méritocratie ultime. L’argent a en gros été remplacé par le whuffie. Le whuffie, c’est un peu un « blog rank », « google rank », ou ce que vous voudrez, permanent et attaché à la personne ; ou un score de « réputation », comme dans un jeu vidéo, une fois de plus. Les humains, nécessairement, sont tous connectés en permanence au réseau, et ils ont ainsi en permanence accès à leur propre whuffie et à celui des gens qu’ils croisent. Si vous faites des choses chouettes, si l’on parle de vous en bien, si vous fréquentez des gens qui ont un bon whuffie, alors votre whuffie augmente ; et si votre whuffie est élevé, les gens tiendront compte de votre opinion, vous aurez toujours une table dans les meilleurs restaurants, une chambre dans les meilleurs hôtels, une place réservée dans les navettes spatiales, une voiture, de la bonne bouffe, etc. Par contre, si vous multipliez les boulettes (ou si vous ne faites rien…), si l’on dit du mal de vous ici ou là, si vous fréquentez des gens avec un whuffie faible, alors votre whuffie dégringole, éventuellement jusqu’à zéro. Et là, en gros, vous n’existez pas : vous êtes à la rue, les gens vous bousculent sans vous voir, ou détournent le regard s’ils ont le malheur de consulter votre whuffie… Bref : le whuffie, c’est la vie. Vous voyez l’expression saugrenue récurrente dans les films ricains, « c’est pas un concours de popularité » ? Ben là, si, justement : la vie dans son ensemble est toujours et plus que jamais un concours de popularité ; il n’y a plus de façade mesquine, ni d’alternative : pour exister, vous devez être reconnu, vous devez agir et faire parler de vous en bien (au moins un minimum : certains, après tout, se content de peu). Et le whuffie ne se capitalise pas vraiment, pas plus qu’il ne s’hérite totalement : il est en fluctuation constante, oscillant en permanence du haut vers le bas, ou du bas vers le haut. La Société Bitchun est ainsi, oui, une méritocratie ; le problème, bien sûr, est que le mérite ne s’évalue pas objectivement. Ce sont les autres qui jugent de votre mérite ; ainsi, ce qui fait « l’intérêt » d’une personne n’est en définitive qu’indirectement ce qu’elle fait : ce qui compte avant tout, c’est le regard des autres, ce qu’elles pensent et disent de cette personne. Et cela n’est pas forcément « juste », loin de là, d’autant que le fonctionnement intrinsèque de la Société Bitchun, calibré sur le consensus et l’opinion générale, ne facilite pas exactement l’audace, l’innovation et l’expression personnelle, mais tend plutôt à favoriser le conservatisme et les pures techniques de communication, stratégies médiatiques éventuellement creuses, mais séduisantes.

 

Et Julius va en faire l’amère expérience, l’utopie de la Société Bitchun devenant peu à peu pour lui un enfer. Car si la Société Bitchun a débarrassé l’humanité de la mort, du travail et de l’argent, autant de données fondamentales de notre société contemporaine, elle n’en a pas moins conservé, par le biais du whuffie, ces autres enjeux déterminants que sont le pouvoir et, indirectement, le cul (cela dit, il n’y a que peu de fesse dans le roman ; eh, les personnages sont des geeks, après tout… mais le whuffie joue son rôle là aussi, bien sûr).

 

Julius, justement. Parlons-en. Julius, qui a assisté à l’émergence de la Société Bitchun, a vécu pas mal de choses, et a fait pas mal de trucs. Mais il est régulièrement pris d’une puissante et déraisonnable passion pour Disney World (celui de Floride), où il va de temps à autre se ressourcer, concrétisant ainsi un vieux fantasme régressif. Et puis, la dernière fois, il a décidé de prolonger l’expérience, et est finalement resté à Disney World. Il a rejoint une des nombreuses adhocs qui s’occupent de la gestion du parc, et y a rencontré l’amour, en la personne de la charmante Lil. Tout allait bien dans le meilleur des mondes, très Bitchun, avec de la joie et de la barbe-à-papa, et des crétins de cosplayers (bonjour les pléonasmes) en veux-tu en voilà. Et puis Dan a débarqué, comme ça ; Dan, un missionnaire de la Société Bitchun, qui avait voué sa vie à convertir les réacs isolés aux bienfaits de la nouvelle société ; autant dire quelqu’un qui avait un putain de whuffie à l’époque où Julius a fait sa connaissance ! Mais c’est fini, tout ça : la Société Bitchun est partout, et Dan s’ennuie, tourne suicidaire, le whuffie à plat… Bref, pour lui, c’est le moment où jamais d’aller faire un saut à Disney World. Et puis…

 

Et puis Julius est assassiné.

 

Bon, c’est pas bien grave, en même temps : il venait de se sauvegarder. Mais voilà : le temps qu’il se « réveille », une nouvelle adhoc, menée par la très efficace Debra qui s’était occupée précédemment du parc Disney chinois, s’est installée à Disney World, et « s’est emparée » du Hall Of Presidents, avec un concept révolutionnaire qui lui fait gagner plein de whuffie. Pour Julius, à l’évidence, les deux événements sont liés ; et il voit clair dans le jeu de Debra : elle compte bien s’emparer de tout le parc, au mépris de l’esprit Disney, esprit d'entraide et de coopération ! Pas question qu’elle mette la main sur la Mansion, la maison hantée. Julius est près à tout pour éviter cela ; à tout, et même et surtout le pire. La paranoïa aidant, s’engage bientôt une « guerre » d’adhocs en plein cœur du Royaume Enchanté, les concepts et philosophies Disney-Bitchun s’affrontant pour une poignée de whuffie… or le whuffie de Julius commence à dégringoler.

 

J’imagine que vous vous en doutez déjà, mais ça ne coûte pas grand chose de le dire : ce qui fait l’intérêt de Dans la dèche au Royaume Enchanté, ce ne sont ni les personnages, ni l’histoire, ni le style (j’y reviendrai), mais bien avant tout le cadre. Et, sur ce plan, c’est une très grande réussite. Avouons que cela fait plaisir, pour une fois, de tomber sur un roman de SF qui développe autant d’idées extrêmement riches en si peu de pages… Et le whuffie ! Quelle idée géniale… Il y a de cela quelque temps, je vous avais causé du numéro de Yellow Submarine intitulé Envies d’utopie, et j’avais dit plein de bêtises à cette occasion. J’avais aussi fait part d’une certaine déception… Mais voilà, justement : Dans la dèche au Royaume Enchanté est à mon sens le type même de ce que la rencontre entre l’utopie et la science-fiction peut produire de meilleur. J’ai même envie de dire que je n’ai pas lu de variation sur l’utopie aussi riche, lucide et pertinente depuis, disons, la « trilogie martienne » de Kim Stanley Robinson (que je cite d’autant plus volontiers qu’il semble de bon ton, ces derniers temps, de lui casser du sucre sur le dos…). (Note : il y aurait peut-être bien une exception, à ce que j’ai cru comprendre, avec la « Culture » de Iain Banks, mais je n’en ai encore jamais lu le moindre roman, honte sur moi…) Et cela me paraît d’autant plus frappant et indéniable que Cory Doctorow parvient à mêler ici les deux versants du mode utopique que j’avais naïvement distingués, à savoir l’utopie programmatique et l’utopie critique, et à briller dans les deux cas.

 

La Société Bitchun, à vue de nez, à tout d’une utopie « au sens vulgaire » : si elle est dans un sens ou-topos (du fait de la césure historique : Doctorow, et on le comprend, ne s’étend pas sur les procédés de sauvegarde ou la révolution énergétique), elle apparaît avant tout comme eu-topos, en s’attaquant en priorité à ces éléments fondamentaux de la société contemporaine que sont la mort, le travail et l’argent. Ici, Doctorow emprunte plus ou moins consciemment à Saint-Simon, à Fourier, à Lafargue, parmi tant d'autres, et va plus loin encore ; il nous montre, certes au prix d’un artifice de narration, la possibilité d’une société « idéale », débarrassée des rivalités de classes et de nations, débarrassée des institutions politiques également, une société où la liberté est le maître-mot, sans pour autant (en principe…) générer les inégalités insurmontables et les injustices « pragmatiques » auxquelles semble nous condamner l’ultra-libéralisme économique dominant. J’avoue que – et je m’étais déjà exprimé rapidement à ce sujet – retourner à l’interrogation politique « pure », déliée des prétendus « impératifs » économiques, me paraît particulièrement salutaire, et pour le coup jubilatoire… Et le cadre du Royaume Enchanté, bien entendu, est idéal pour inscrire cette utopie dans le « réel ». Et c’est ici que s’opère le retournement de l’utopie programmatique à l’utopie critique. Le monde que nous décrit Doctorow, à bien des égards, semble une extrapolation de son discours contemporain sur Internet, etc. Mais Doctorow, en même temps, et en dépit de son « whuffie » dont on peut bien dire qu’il est énorme (on a assez répété ici ou là que – pour citer la quatrième de couverture – le magazine Forbes l’a classé « parmi les personnalités les plus influentes du Web »), se montre lucide, et nous tend par ce biais un miroir déformant de certaines dérives que l’on peut d’ores et déjà constater au travers de l’expansion des NTIC, nous renvoyant au fameux dicton – pour une fois pertinent ! – selon lequel l’enfer est pavé de bonnes intentions. La Société Bitchun, entièrement fondée sur le whuffie, est une méritocratie, ainsi que nous l’avons déjà vu ; mais elle porte en elle-même le germe de sa propre décadence (tiens, c'est très grec, ça...), l’importance du paraître et du jugement d’autrui corrompant bientôt la méritocratie en médiacratie, puis en médiocratie… et elle peut, de la sorte, se montrer particulièrement oppressive, en dépit de l’absence d’institutions politiques (il y a bien les adhocs, mais elles fonctionnent sur une base de pur volontariat, et c'est là encore en définitive le whuffie qui domine). Le Royaume Enchanté, clinquant, absurde… et un tantinet beauf tout de même, en est l’illustration la plus parlante que l’on puisse concevoir. D’autant qu’on ne saurait trouver plus geek.

Et c’est pour cette raison que les critiques régulièrement formulées à l’encontre de l’intrigue très « limitée », des personnages creux et du style « journalistique » de ce roman ne me paraissent pas vraiment porter.

 

L’intrigue est « limitée » ? C’est vrai. J’ajouterai même que le dernier twist était à mes yeux sacrément dispensable (ou peut-être, plus exactement, maladroitement amené). Effectivement, tout au long du roman, on voit en gros une bande de crétins se friter métaphoriquement la cheutron pour le train-fantôme de Disney World : alors on ne s’ennuie pas, non, mais, oui, ça fait léger, comme enjeu… et c’est tant mieux. Non, rien d’apocalyptique ou de déterminant, rien d'héroïque non plus, mais une bonne grosse tranche de médiocre pour laquelle des médiocres s’enflamment. La vraie vie, quoi ; et aussi celle du ouèbe. Devant la mesquinerie des affrontements de Julius et Débra pour le contrôle de la Mansion, j’avoue avoir régulièrement pensé aux ahurissants « débats » qui polluent régulièrement le ouèbe et auxquels, mea culpa, je prends ma part comme tout le monde : prenez, ces derniers temps, « l’affaire » du bouquin de Sylvain Gouguenheim, ou une certaine annulation de mariage (groumf...), voire le retour en France d’une vacancière de longue durée ; le mot magique « Sarkozy », partout et tout le temps ; ou, sur les forums de SF, les mots magiques « Bragelonne », « Van Vogt » (gnihihihihi !), fut un temps « Dantec » ou « Damasio » (sans parler de Houellebecq…), mais aussi « critique/chronique/objectivité/subjectivité », « définition du genre », « mort du genre », « putain de fantasy » et j’en passe… C’est pas plus glorieux, non ? De même pour ce qui est de l’enthousiasme démesuré de certains geeks pour leur sujet de prédilection (voyez les pages hilarantes sur le recrutement de Kim…), dont j’avoue être régulièrement coupable, et peut-être même en ce moment précis… Et, à mon sens, ça n’en rend Dans la dèche au Royaume Enchanté que plus pertinent. Autrement dit : on est quand même une belle bande de crétins, hein…

 

Et de geeks, bien sûr, pour beaucoup. Comme Cory Doctorow semble-t-il, et comme ses personnages assurément. D’où leur caractère « en creux », à certains égards… Mais, au-delà d’une éventuelle incompétence de l’auteur qu'on stigmatiserait peut-être un peu trop hâtivement, je dois dire que je le trouve parfaitement approprié, dans ce monde où l’homme se retrouve en quête d’être (c’est bien toute la problématique tournant autour du personnage de Dan), et où il n’existe en définitive qu’en tant qu’il est perçu par les autres : peut-on demander à un score de whuffie et à un réseau de connaissances d’avoir de la profondeur ? J’en doute. Et, dans la lignée des archétypes, j’ai tendance à croire que l’on a souvent lu bien pire… voire que l’on fait quotidiennement bien pire : juger un personnage à son whuffie et à son cercle, est-ce vraiment pire que de traduire « Qui êtes-vous ? » par « Quel est votre travail ? », comme cela semble être aujourd’hui la règle ?

 

Non, franchement, on a lu pire. Et il en va de même à mes yeux pour ce qui est du style « journalistique ». Certes, Cory Doctorow, dans ce roman en tout cas, n’est pas un grand styliste ; en même temps, il ne pique pas les yeux, et c’est déjà pas mal… Avouons qu'en SF notamment, on a souvent encensé bien pire. Et surtout, en fait de phrasé « journalistique », j’y vois surtout un assez remarquable sens de la formule, pour le coup parfaitement approprié. Un incipit tel que celui de Dans la dèche au Royaume Enchanté, personnellement, je ne crache pas dessus ! Et on pourrait citer bien d’autres passages dans ce goût-là. Et puis, honnêtement : voir quelqu’un aborder des thèmes aussi riches et complexes avec un style toujours simple et fluide, et souvent drôle, je trouve ça franchement très appréciable… C’est à vrai dire presque une leçon, que certains obscurantistes pédants prenant prétexte de leur prétendue profondeur, ne dépassant pas toujours le catalogue de citations absconses, pour faire dans l’hermétique écorcheur d’yeux et d’oreilles à défaut d’entendement, pourraient utilement méditer. Je trouve.

 

Cela dit, Nébal est un con…

Aussi n’ai-je pas forcément été très pertinent dans cette longue note, mea culpa : peut-être ai-je dit des bêtises grosses comme moi, et sans doute y avait-il bien mieux à dire. Sans doute… Raison de plus pour en faire l’expérience, non ? Quand bien même je l’ai adoré, je ne garantis pas que vous aimerez Dans la dèche au Royaume Enchanté. Mais je vous engage fortement à le lire : d’une manière ou d’une autre, c’est « quelque chose ». Et c’est bien plus riche que ça n’en a l’air. Comme une sorte de SF idéale, dans un sens...

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"Mémoire vive, mémoire morte", de Gérard Klein

Publié le par Nébal

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KLEIN (Gérard), Mémoire vive, mémoire morte
, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs & Demain, 2007, 334 p.
 
Est-il encore nécessaire de présenter Gérard Klein ?
 
 
Probablement, en fait. Parmi les inconscients qui rodent à l’occasion sur ce blog miteux, il en est qui ne s’intéressent guère à la science-fiction, et qui pourraient subitement croire que L’Instit’ écrit des livres, et, pire que tout, que je trouve le moyen de les lire et d’en parler… Non, je vous rassure, mes candides lecteurs, ce Gérard Klein-là n’a rien à voir avec celui qui est devenu depuis le décès de Jacques Martin (sous vos applaudissements) le maître incontesté de la pédopornographie télévisuelle soft à destination des mémères ménopausées. Le Gérard Klein dont j’entends vous parler, c’est le vrai, le seul, l’unique. Une légende vivante, dans le milieu de la SF française. Si, si. Auteur de SF dès l’époque héroïque où les Français découvraient tout juste Asimov, Heinlein, Sturgeon et Van Vogt (et trouvaient même du talent à ce dernier, c’est dire !), puis, entre autres, fondateur en 1969 de la fameuse collection Ailleurs & Demain chez Robert Laffont, la première en France à avoir publié de la science-fiction en grand format, et ainsi, progressivement, à l’avoir émancipée de l’étiquette « roman de gare / mauvaise littérature » qui lui colle hélas encore aujourd’hui chez les cons (je vous parlerai bientôt de La Route de Cormac McCarthy). Ce qui fait déjà d’Ailleurs & Demain une collection historique. Mais le plus fort, ma bonne dame, c’est qu’Ailleurs & Demain existe encore aujourd’hui, toujours entre les mains de Gérard Klein, et ça, c’est unique. La collection a ainsi gagné au fil des années un prestige incomparable, publiant nombre d’incontournables du genre, souvent primés, parmi lesquels on peut citer Fritz Leiber, Philip K. Dick, Robert Silverberg, Ursula K. Le Guin, Norman Spinrad, et, surtout, Dune de Frank Herbert et Hypérion de Dan Simmons, œuvres majeures s’il en est. Et aujourd’hui encore, même si les sublimes couvertures métallisées d’antan ont laissé la place aux hideux travaux pratiques de Jackie Paternoster (le kilt psychédélique du présent volume figurant parmi le moins pire de la production paternostérienne), même si l’on a vu apparaître à l’occasion dans le catalogue de la collection quelques indignités pour des raisons que la raison n’ignore certainement pas (les préquelles et séquelles de Dune par le fiston Herbert et un complice), Ailleurs & Demain reste une collection de référence, riche en merveilles, et s’autorisant même à l’occasion quelques prises de risques, ainsi avec la publication récente du sublime « Quatuor de Jérusalem » d’Edward Whittemore.
 
Donc Gérard Klein est une légende vivante. En conséquence – et l’ego souriant du bonhomme n’y est probablement pas pour rien –, Gérard Klein fait l’objet d’un véritable culte, peu avare en flagornerie. J’avoue avoir moi-même joué à l’occasion au « sycophante glaireux » (copyright Eric H.), prosterné devant le Divin Maître. Entendons-nous bien : nulle flatterie hypocrite là-dedans, nulle méchanceté moqueuse non plus ; pour ce que j’en sais, Gérard Klein a de l’humour, et mon respect à son égard ne saurait être mis en doute. Ceci dit, comme j’ai été sommé de m’en expliquer, c’était avant tout le directeur de collection que j’admirais ; quant à l’auteur, je n’en avais lu qu’une seule nouvelle, « Le Rôle de l’homme », publiée dans un récent Bifrost à l’occasion d’un volumineux dossier consacré à Gérard Klein (et reprise dans ce volume), laquelle, je dois bien le reconnaître, ne m’avait pas laissé un souvenir impérissable… Alors le Divin Gérard Klein m’intima d’expier mes péchés, en lisant au plus vite L'épargne des ménages (Paris, PUF, coll. L’Economiste, 1970, 223 p., écrit en collaboration avec Louis Fortran – voui, Gérard Klein est aussi économiste ; là, j’avoue avoir eu un peu la flemme, honte sur moi…) et Mémoire vive, mémoire morte, qui venait tout juste de paraître. Chez Ailleurs & Demain.
 
Nous parlons donc bien d’un recueil de nouvelles de Gérard Klein publié par Gérard Klein dans la collection dirigée par Gérard Klein, avec une, non, deux préfaces de Gérard Klein. Certes, la pratique est courante et n’est finalement pas scandaleuse, mais j’avoue que, à mon sens, cela peut bien autoriser le sourire, voire le sarcasme. Même de la part de Gilles Dumay dans le dernier Bifrost, quand bien même le retour à l’envoyeur serait assez aisé pour le coup, et probablement en pire (enfin, en même temps, je dis ça, mais je n’ai pas lu Resident Evil… étrangement, j’avoue qu’il ne me tente guère…). Gilles Dumay s’est donc fendu d’une critique assez acerbe contre le « recueil de vieilleries ». Une critique à mon sens parfaitement légitime (même si je suis loin d’être toujours d’accord avec lui, Gilles Dumay est un critique que j’estime), et qui, dans un sens, me paraissait même plutôt rafraîchissante au milieu du concert de louanges plus ou moins sincères… Me restait néanmoins à me forger ma propre opinion. C’est parti.
 
Mémoire vive, mémoire morte est donc un recueil de nouvelles de Gérard Klein, ne comprenant qu’un seul inédit, et parcourant un demi-siècle de carrière. Ce que l’auteur, avec le sourire, présente d’entrée de jeu à sa manière inimitable : « Attention, ce recueil est historique. » (p. 7) Et c’est pas faux, dès l’instant que l’on veut bien comprendre qu’il y a là davantage qu’un ego boursouflé.
 
Dans un premier temps, intitulé « Naguère », Gérard Klein nous livre trois nouvelles relativement récentes et qui figurent parmi ses préférées. On commence ainsi avec « La Serre et l’Ombrelle » (pp. 17-47), une nouvelle écrite en 1989 pour un numéro spécial de Libération consacré au réchauffement climatique. Et c’est bien à mon sens une excellente entrée en matière, extrêmement riche, fourmillant d’idées ; un texte assez étrange, également, où les souvenirs et les procédés de « l’âge d’or » se mêlent avec un relatif bonheur à des procédés et des interrogations plus contemporains. Une très bonne nouvelle, inventive et prenante, intelligente aussi (loué soit le Divin Gérard Klein de ne pas tomber dans le piège écolo-bobo de la tentation réactionnaire). Un regret, pourtant ; il y avait là, à mon sens, matière à un texte plus long, qui aurait pu éviter les écueils d’une fin en queue de poisson, jouant un peu artificiellement du deus ex machina ; mais c’est ce que Gérard Klein lui-même semble admettre dans sa préface, invoquant en guise d’explication (parfaitement légitime) les limites nécessairement imposées par le journal pour ce texte.
 
« Mémoire vive, mémoire morte » (pp. 48-76), ensuite, est présentée par l’auteur comme étant sa nouvelle préférée (p. 9). De manière assez surprenante, Gérard Klein s’y livre à une science-fiction assez moderne, qui n’a pas été sans me faire penser à Greg Egan dans certains de ses meilleurs textes. Un récit intéressant, à nouveau, quand bien même il m’a semblé parfois un peu trop alambiqué sur le plan formel. Restent quelques très belles pages, et une interrogation originale et pleine de sens, pour un texte doux-amer, sourdement angoissant et nostalgique. Beau, tout simplement.
 
On change radicalement d’atmosphère avec « ACME ou l’Anti-Crusoé » (pp. 77-86), un texte relevant à peu de choses près de l’exercice de style résolument expérimental. A priori, ce genre de textes ne m’attire guère, quand il ne va pas jusqu’à m’irriter. C’est donc avec une certaine appréhension que j’en ai entamé la lecture. Pourtant le résultat m’a semblé plutôt concluant, notamment en ce que l’expérimentation ne s’y révèle pas gratuite, mais partie intégrante du récit, qui la justifie. Si certains jeux calligraphiques, jeux de mots, etc., peuvent laisser de marbre, voire agacer un tantinet, j’ai néanmoins été surpris d’y croiser ici ou là quelques jolies formules, véritablement poétiques. Assez convaincant, donc.
 
On aborde alors la deuxième partie du recueil, intitulée « Jadis », composée de nouvelles figurant déjà en 1958 dans le recueil Les Perles du temps. La transition est à vrai dire assez brutale. Gérard Klein semblait s’interroger à ce sujet, mais, très honnêtement, je doute qu’un lecteur non averti commette l’erreur de mettre tous les textes composant Mémoire vive, mémoire morte sur le même niveau. Tout cela est indubitablement daté ; non que cela soit en tant que tel un défaut – certains textes sont très réussis –, mais il n’en reste pas moins que cette deuxième partie est à mon sens et de très loin la moins intéressante du recueil.
 
Elle commence néanmoins de manière plutôt sympathique, avec « Le Monstre » (pp. 89-105), nouvelle dont le titre n’est certainement pas le plus original de tous les temps, mais qui se révèle assez agréable, un peu à la manière d’un vieil épisode de La Quatrième dimension particulièrement noir. « La Fête » (pp. 106-115) est également une réussite : une nouvelle triste et poétique, assez saisissante. De même pour « Les Abandonnés » (pp. 116-124), intéressante pièce de science-fiction paranoïaque à base d’univers parallèles qui n’est pas sans évoquer Philip K. Dick (sans qu’il y ait eu influence pour autant, semble-t-il, la nouvelle étant antérieure à la découverte de Dick en France).
 
La suite m’a beaucoup moins convaincu, et ce dès « L’Ecume du soleil » (pp. 125-159) : si le texte touche de par ses personnages très humains et leur fascination bien compréhensible pour les étoiles, il n’en est pas moins verbeux et finalement assez vite ennuyeux. Dommage… « Les Voix de l’espace » (pp. 160-177) et « Impressions de voyage » (pp. 178-186) poursuivent hélas dans cette voie, et s’oublient rapidement.
 
Les choses s’améliorent quelque peu par la suite, tout d’abord avec « Bruit et Silence » (pp. 187-196), intéressante nouvelle sur la télépathie, qui souffre cependant un peu de la comparaison avec des classiques du genre, plus récents il est vrai (je n’ai pas encore lu L’oreille interne de Robert Silverberg – publié en France par Gérard Klein, d’ailleurs, si je ne m’abuse –, c’est pour bientôt promis juré, mais je pourrais citer par exemple L’Homme nu de Dan Simmons). « Civilisation 2190 » (pp. 197-202), le plus vieux texte du recueil, et une des premières nouvelles de l’auteur, est également assez sympathique, débordant d’un humour là encore assez dickien (mais voir plus haut).
 
Avec « Les Prisonniers » (pp. 203-219), on retombe hélas un cran en-dessous. J’avoue n’avoir vraiment pas été convaincu par ce récit allégorique passablement verbeux ; et il s’agirait pourtant d’une version quelque peu expurgée, Gérard Klein, qui ne cache pas une certaine faiblesse pour ce texte, expliquant dans la préface qu’il s’est « efforcé d’écourter dans cette réédition la philosophie un rien bavarde mais peut-être toujours d’actualité sur le conformisme et le refus de la réflexion personnelle » (p. 11). Certes, mais un élagage supplémentaire n’aurait peut-être pas été de trop…
 
On passe ensuite à la troisième partie de Mémoire vive, Mémoire morte, intitulée « Brèves et temps incertains », et qui reprend des textes très divers et généralement parmi les plus récents, à l’exception du premier, la short story vraiment très très short intitulée « Tout conte fait » (p. 223), plutôt lourdingue et dont on aurait pu se passer. Suit une deuxième short story vraiment très très short, « La Question » (p. 224), heureusement bien plus intéressante, à la fois amusante et pertinente, un peu à la manière de Fredric Brown.
 
« Spéculons sur l’avenir » (pp. 225-242), ensuite, est une nouvelle assez originale sur la base du voyage dans le temps, où l’économiste joue avec l’écrivain, pour un résultat particulièrement intéressant et bien vu, où la spéculation cynique des premières pages finit par laisser la place à une sorte d’utopie délicieusement naïve (ou bien… ?). Un des meilleurs textes du recueil à mon humble avis.
 
Après quoi « Pour en finir avec l’An 2000 » (pp. 243-250) constitue une pochade rafraîchissante, qui ne prête qu’à rire, mais c’est déjà bien.
 
« Dernière idylle » (pp. 251-269) retrouve ensuite une tonalité paranoïaque nettement dickienne (parfaitement assumée, Dick est cette fois cité dans le texte) et en même temps gentiment grivoise. Si la chute est téléphonée, le résultat est tout de même assez convaincant.
 
C’est moins vrai pour ce qui est du texte suivant, « Le Rôle de l’homme » (pp. 270-278), déjà lu dans Bifrost, donc, qui est certes assez charmant, mais donne trop l’impression d’avoir déjà été lu ailleurs. Pour ma part, cela m’a un peu fait penser au superbe Demain les chiens de Clifford Simak et, sans surprise, Gérard Klein ne soutient pas ici la comparaison…
 
« Trois belles de Bréhat » (pp. 279-289), le seul inédit de ce recueil, m’a également laissé un sentiment assez mitigé. Ce texte ne relevant pas de la science-fiction, sorte de poème en prose hautement introspectif et un tantinet expérimental, séduit par sa puissance émotionnelle et sa justesse en même temps qu’il agace par ses maladresses occasionnelles et ses prétentions stylistiques pas toujours bien maîtrisées.
 
Enfin, en guise de « Coda », « Point final » (pp. 293-301) se révèle une franche réussite, noire et troublante, parfaitement appropriée à la tonalité générale du recueil.
 
Ah, mais ce n’est pas tout à fait fini, en fait (y’en a un peu plus, je vous le mets ?), puisque l’on trouve également en guise d’annexe (avant une imposante bibliographie) la « Préface à l’édition de 1982 des Perles du temps : Mais qu’avons-nous perdu ? » (pp. 305-312). Mais, honnêtement, on peut s’en passer : on ne retire à mon sens pas grand chose de ce texte tenant un peu du serpent de mer, et un peu borné à l’occasion…
 
A mon tour de conclure : on l’aura compris, je ne qualifierai certainement pas Mémoire vive, mémoire morte de chef-d’œuvre incontournable, ni même de « très bon ». Cela dit, même s’il est par nature relativement inégal, il constitue néanmoins un bon recueil, qui se lit agréablement. J’aurais dans un sens envie de dire qu’il s’agit en outre d’une lecture intéressante car – oui, effectivement – « historique ». Ce recueil nous offre l’occasion de parcourir près d’un demi-siècle de science-fiction française, en suivant les traces de l’un de ses plus prestigieux représentants. Et ce n’est pas rien. Pour le jeune béotien que je suis, il n’est en effet guère aisé de se procurer les ouvrages de science-fiction française antérieurs aux années 1990 : pour bon nombre d’entre eux, la seule solution est encore de faire le tour des bouquinistes, et l’on se retrouve alors souvent noyé devant un flot de petits bouquins aux couvertures bigarrées, pour bon nombre d’entre eux sombrés dans l’oubli, et où le meilleur côtoie le pire… Ne serait-ce qu’à cet égard, en ce qui me concerne, Mémoire vive, mémoire morte vaut le détour. D’autant qu'il vaut assurément plus qu’un simple « document » (ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit), dans la mesure où certains des textes le composant sont de franches réussites.
 
Après cette seule lecture, je ne cacherai pas que, chez Gérard Klein, l’éditeur me paraît toujours plus admirable que l’auteur ; mais l’auteur me paraît néanmoins très intéressant, et bien plus moderne et subtil que ce à quoi je m’attendais. Et tout cela me donne bien envie de rajouter dans mon étagère de chevet Les Seigneurs de la guerre, semble-t-il le plus fameux roman de Gérard Klein, et dont on a dit le plus grand bien. A suivre…

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"Mister B. Gone", de Clive Barker

Publié le par Nébal

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BARKER (Clive), Mister B. Gone, London, Harper Collins, coll. Voyager, 2007, 248 p.

 

Inutile, sans doute, de revenir ici sur la présentation de Clive Barker. Vous avez nécessairement entendu parler d’Hellraiser, d’Imajica, des Livres de sang… et sur ce blog j’avais eu l’occasion de vous entretenir, en littérature, de Cabale, et, au cinéma, du Maître des illusions. Autant dire qu’en matière d’horreur et de fantastique le sieur Barker se pose là, ayant sa place bien particulière et sa patte immédiatement identifiable au sein du tiercé de tête des écrivains de terreur que j’aurais tendance à pronostiquer, et à composer à ses côtés de Stephen King (of course) et Dan Simmons.

 

Avec Mister B. Gone, je vais aujourd’hui vous entretenir plus précisément de son « long awaited return […] to the classic horror story ».

 

 

Enfin, ça, c’est ce que dit la quatrième de couverture, mais on aura vite l’occasion de se rendre compte que c’est des craques.

 

Non. Ce que l’on peut en dire plus objectivement, par contre, c’est qu’il s’agit de sa dernière publication française, puisque ce Mister B. Gone a été traduit il y a à peine un peu plus d’un an sous le titre assez peu compréhensible et qui lâche un peu trop le morceau de Jakabok : le démon de Gutenberg, en Denoël Lunes d’encre. Pourquoi l’avoir lu en anglais, alors ? Ben, parce que l’occasion fait le larron…

 

« Demonation! »

 

Ce livre n’est pas un livre comme les autres. Il a en effet la particularité de s’écrire au fur et à mesure de la lecture, les lettres se réarrangeant pour former les mots que lira le lecteur. Car ce livre est possédé par un démon du Neuvième Cercle du nom de Jakabok Botch, également connu sous le nom de Mister B. Oui, un démon. Bien sûr que les démons existent ! Et les anges aussi, cela va de soi. Mais peu importe. Non, ce qui compte, c’est de BRÛLER CE LIVRE.

 

 

TOUT DE SUITE !

 

« Burn that book. » Telle est la supplique lancinante de Jakabok Botch, qui revient telle un leitmotiv tout au long des quelques 250 pages de ce court roman (une taille idéale, juste ce qu’il faut). Tour à tour menaçant, séducteur, pathétique, Mister B. insiste : nous devons brûler ce livre.

 

 

Mais bien évidemment, nous autres lecteurs, nous ne sommes pas de ces gens qui brûlent les livres ; et la curiosité nous aiguillonne, qui nous pousse à tourner les pages jusqu’à la dernière, pour savoir, au juste, ce que ce livre si particulier raconte.

 

Car il en a, des choses, à raconter. Et, en échange du feu de joie qui lui ferait tant plaisir, Jakabok passe avec le lecteur un marché : il accepte de lui raconter son histoire.

 

Et c’est là que, pour ceux qui en douteraient encore devant la récurrence des « Burn that book! », apparaît clairement la vérité quant à la « classification » (beuh) de Mister B. Gone : ce livre-là n’est certainement pas un roman d’horreur – ou disons, plus exactement, à peine, car il y a bien de quoi frissonner un chouia sur le tard, dans la version baroque et sadique propre (non, sale !) à Barker –, mais bien avant tout une réjouissante comédie. À vrai dire, l’enfance de Jakabok dans le Neuvième Cercle évoque, tout autant que la manière de Barker si ce n’est plus, celle de son confrère Neil Gaiman, voire celle d’un Tim Burton première époque…

 

Mais si le déluge d’inventivité commence déjà, et se montre déjà séduisant, le livre ne décolle à mon sens (si j’ose dire) que lorsque Jakabok, parricide, tombe dans un piège tendu par des humains et se retrouve sur notre bonne vieille Terre en plein Moyen Âge. Les péripéties s’enchaînent alors à toute vitesse, parfois hilarantes – voyez Jakabok succomber à son premier amour –, jusqu’à ce que notre petit démon carbonisé à deux queues fasse, très vite, la rencontre de Quitoon, un démon autrement plus balaise. Et si Jakabok, dans son enfance, était fasciné par les mots, Quitoon, lui, l’est par les machines qu’inventent les hommes. Il propose à Jakabok de l’accompagner dans ses pérégrinations, et les deux démons d’arpenter bientôt les routes de l’Europe médiévale, formant un véritable couple (sans surprise, les connotations homosexuelles ne manquent pas, jusqu’à l’apothéose onirique du « mariage » entre Quitoon et Jakabok). Et ils feront ainsi pendant bien des années, jusqu’à ce qu’ils entendent parler d’une invention destinée à changer la face du monde ; le fruit du génie d’un certain Gutenberg (disons-le, puisque le titre français lâche l’affaire), dans la bonne ville de Mayence…

 

Mister B. Gone est un roman qui, à bien des égards, ne devrait pas fonctionner. Sans trop en dire, les menaces de Jakabok à l’encontre du lecteur tombent un peu à plat, ce qui nuit considérablement à l’efficacité du roman sur le plan horrifique. Mister B. Gone, en outre, joue la carte de la surenchère permanente, ce qui est toujours dangereux : Jakabok ne cesse de nous promettre, dans les pages qui suivront, des secrets toujours plus importants, jusqu’au grand Secret final… qui peut naturellement décevoir. Enfin, bien qu’étant court (et à mon sens d’une taille idéale, donc), Jakabok : le démon de Gutenberg joue énormément sur l’aspect répétitif, ainsi que cela a déjà été noté ; on peut être à cet égard bon public – ce fut mon cas –, mais je comprendrais très bien que l’on trouve le procédé lassant…

 

Et pourtant, à mes yeux en tout cas, ça marche. Tout d’abord parce que c’est très drôle : encore une fois, Mister B. Gone est clairement une comédie, même s’il n’est pas vendu comme tel (mais j’ai vu que l’édition française était à cet égard plus honnête et/ou lucide). Les malheurs de Mister B. sont souvent hilarants, et Barker maîtrise très bien tant le comique de situation que l’art difficile de la parodie (et, bien sûr, le comique de répétition…). On ajoutera que les personnages sont remarquablement bien campés, et plus particulièrement les deux principaux, Jakabok bien sûr, et son compagnon Quitoon : les sentiments de Mister B. à l’égard de ce dernier, sentiments contradictoires et très violents comme seuls le grand amour et la haine absolue peuvent les faire naître, ressortent avec brio de ces pages autrement légères. Encore que pas toujours si légères que cela, bien sûr : sous couvert de farce, Barker balance évidemment quelques piques bien senties… Le style de l’auteur, enfin, est d’une efficacité remarquable, à la fois fluide et baroque – ce qui n’est pas donné, tout de même –, d’une lecture très aisée en anglais au passage. On l’appréciera d’autant plus dans les – rares – passages réellement horrifiques, où son écriture fait mouche comme à l’habitude.

 

 Alors, certes, Mister B. Gone n’est pas un « grand roman ». Ce n’est pas, non, certainement pas, « the long awaited return of Clive Barker, the great master of the macabre, to the classic horror story ». Clive Barker a fait bien mieux (là, tout de suite, je pense à Imajica – mais peut-on vraiment les comparer, tant ça n’a rien à voir ?), on ne l’attendait pas forcément sur ce registre, et il est possible que ses fans soient déçus. On sent, par contre, comme le dit encore une fois très justement l’édition française, que l’auteur s’est fait plaisir en l’écrivant. Et c’est plutôt agréable, ma foi (si j’ose dire, bis), et assez communicatif. Pour ma part, si je ne saurais vous recommander véritablement la lecture de ce Mister B. Gone – cela me paraîtrait trop hasardeux –, je ne vous cacherai cependant pas que j’ai franchement pris beaucoup de plaisir à lire cette autobiographie démoniaque. À bon entendeur…

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"Eon", de Greg Bear

Publié le par Nébal

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BEAR (Greg), Eon, traduit de l’américain par Guy Abadia, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont / LGF, coll. Le livre de poche science-fiction, [1985, 1989, 1994] 2006, 664 p.
 
En tant qu’amateur de science-fiction, j’ai souvent tendance à déplorer l’existence de romans qui semblent donner raison aux pires poncifs employés pour dénigrer le genre, a fortiori si ledit roman est en outre présenté comme un « classique », voire un « incontournable ». Car il y a bien des réputations indues dans le monde de la SF (dans un sens comme dans l’autre, d’ailleurs). Personnellement, que l’on puisse toujours recommander la lecture de Van Vogt à un novice en science-fiction me sidère… Qu’on ne se méprenne pas sur mes propos, toutefois : je n’ai rien contre la science-fiction de pur divertissement, et, de temps à autre, même si c’est assez rare, j’aime bien me défouler à la lecture d’un space op’ plus ou moins bourrin, sans être rebuté par la minceur de l’intrigue, l’inconsistance de personnages réduits au stéréotype et l’indigence de l’écriture, simplement parce que les idées sont bonnes et que, d’une manière ou d’une autre, cela fonctionne. Ce que je n’aime pas, en fait, c’est qu’il y ait tromperie sur la marchandise. Et c’est hélas ce que j’ai ressenti à la pénible lecture de ce très surfait Eon.
 
C’est d’autant plus triste que c’est le premier roman de l’auteur auquel je m’attelle, et qu’il ne me donne guère envie de poursuivre plus avant. Pourtant, dans la présentation du bonhomme, il est bien des aspects qui me semblaient alléchants : plus ou moins lié au mouvement cyberpunk, et en même temps représentatif d’une certaine hard-SF jouant au possible la carte de la fascination et du sense of wonder… Pourquoi pas ? Eon, premier tome d’une ambitieuse trilogie (les suivants étant Eternité – que j’ai eu le malheur d’acheter dans la foulée… – et Héritage), était même particulièrement loué, présenté comme le roman ayant assuré la consécration de l’auteur, et, pour reprendre les mots de la très flatteuse – bien sûr… – quatrième de couverture, une œuvre s’inscrivant en plein dans « la grande tradition de la science-fiction échevelée, émerveillée, sidérante ». Miam, non ?
 
Non. C’est triste à dire, mais non.
 
Il est pourtant bien des arguments qui semblent plaider en faveur du roman, et notamment son indéniable richesse. Eon fait en quelque sorte figure de somme de la science-fiction, reprenant et renouvelant nombre de thèmes très divers, comme on aura l’occasion de le voir en en survolant l’histoire ; seulement il n’a pas la finesse des Cantos d’Hypérion de Dan Simmons, pour citer une autre œuvre ambitieuse (à peu près contemporaine, d’ailleurs) procédant plus ou moins de la sorte. On y trouve en effet des éléments de space opera, dans un récit décrivant pourtant un futur très proche (déjà passé pour nous ; Gérard Klein, dans sa préface, est bien gentil de parler « d’uchronie a posteriori », en gros, là où l’on pourrait être tenté, plus méchamment, de ne voir qu’une vaine tentative de spéculation politique particulièrement mal branlée et peu lucide), avec un Big Dumb Object, des extraterrestres, des mutants, des implants, des voyages dans le temps, des univers parallèles, une apocalypse et une épaisse couche de hard-SF par-dessus tout ça… Il y en aurait donc pour tous les goûts, en principe. Sauf que, loin d’obtenir un pur rayon de lumière diaphane (avec un chœur d’anges tant qu’à faire), à mélanger toutes ces couleurs Greg Bear n’obtient qu’un vilain paté maronasse, sans attraits et sans saveur.
 
Mais envisageons plutôt l’histoire qui nous est contée. Au début du XXIe siècle apparaît « par accident » dans notre système solaire un étrange astéroïde que les Américains ont tôt fait de surnommer « le Caillou » et les Soviétiques (l’URSS ne s’est donc pas effondrée chez Greg Bear, elle est même plus rude que jamais…) « la Patate » (ce qui dénote dans les deux camps une imagination phénoménale, mais passons). Etrange, certes : d’un côté comme de l’autre, on finit par comprendre qu’il s’agit en fait d’un vaisseau interstellaire de 300 km de long. Nous avons donc notre Big Dumb Object, comme on dit, énième variation sur Rama et compagnie. Comme Rama, d’ailleurs, le Caillou, s’il semble tout d’abord inhabité, n’en contient pas moins, dans ses sept immenses chambres, bien des mystères tout à fait fascinants, à même de tétaniser le plus blasé des scientifiques. Des villes entières, déjà, totalement désertes. Mais aussi des bibliothèques contenant des milliers d’ouvrages rédigés dans des dizaines de langues… terriennes, et qui semblent provenir, ainsi que le Caillou en général, du futur ; un futur à bien des égards horribles, puisque ces ouvrages évoquent pour nombre d’entre eux « la Mort », à savoir une terrible guerre nucléaire ravageant la Terre et entraînant la disparition de quatre milliards de ses habitants, perspective d’autant plus terrifiante que ces sinistres événements sont supposés avoir lieu très prochainement, aux environs de 2005… Dernier mystère, et non le moindre, cette septième chambre… qui semble avoir une profondeur infinie, s’étendant sur plusieurs milliers (millions ? milliards ?) de kilomètres, et où l’on suppose bientôt que se sont réfugiés les habitants du Caillou, de toute évidence humains, et potentiellement les descendants de ceux qui y mènent l’enquête…
 
C’est plutôt intéressant, tout ça, et je n’oserais certainement pas prétendre que Greg Bear est quelqu’un qui manque d’idées : les bonnes idées sont là, et nombreuses. Pourtant, la sauce ne prend pas.
 
Premier élément à charge : la… on va dire la « rédaction ». « Style » est tout à fait inapproprié, et « écriture » semble encore trop aimable. Disons-le franchement, employons cette expression qui agace assez souvent, mais qui reste la plus parlante en l’espèce : oui, Eon est « mal écrit ». Il est même très mal écrit, à la limite du pathétique par endroits. Et je ne vise pas spécialement, ici, l’abondance de phrases « simples » type « sujet – verbe – complément » (quand bien même elle est frappante), si souvent stigmatisée dès que l’on parle de style : une écriture simple et sobre n’est pas nécessairement mauvaise. Si Eon me semble aussi lamentable à cet égard, c’est bien davantage, au contraire, par sa tendance à en faire trop, et maladroitement qui plus est. Dans ce pavé, on ne compte pas, par exemple, les scènes de remplissage et les vaines tentatives de métaphores… Certaines descriptions me semblent à la limite représentatives de ce qu’il ne faut pas faire, et Eon, de manière générale, n’a même pas le minimum de subtilité qui survit encore dans le plus assumé et le plus alimentaire des romans de gare. Si seulement cela pouvait jouer en faveur de la fluidité du récit ! Loin de là, le côté hard-SF n’y étant probablement pas pour rien, on tend régulièrement à s’empêtrer dans un fouillis incolore et brumeux qui achève de ruiner la concentration défaillante du lecteur.
 
Et les personnages n’arrangent certainement pas ce triste tableau. Archétypaux au possible, ils sont tous autant que les autres d’une pauvreté anémique, ayant au mieux l’épaisseur d’une feuille de tabac à rouler. Alors autant ne pas s’aventurer dans les terres dangereuses de la psychologie et des sentiments, sous peine de déconvenue sévère, ou au mieux d’éclats de rire incontrôlables (notamment pour les inévitables scènes de cul – assez rares, ceci dit). On accordera notamment une mention spéciale aux personnages russes pour leur manque effarant de subtilité : Eon semble ainsi se rattacher à la pire tradition du cinéma reaganien, les Soviétiques y ayant en gros la consistance et la vraisemblance des infames cocos que Chuck Norris expédiait alors habituellement par paquets de douze dans les réjouissants nanars de la Cannon. Stupides et bornés, presque invariablement méchants, ils n’ont rien pour eux, les pauvres…
 
Resterait, peut-être, malgré tout, le rêve, l’émerveillement ? Ben non. On est bien loin ici de la « hard-SF » (le terme a pu être critiqué) d’un Stephen Baxter, fascinante et passionnante (voyez mon compte rendu de Temps), ou même du bien plus aride Greg Egan ; Bear n’a pas non plus le sens de la pédagogie et la clarté d’expression, la passion de la découverte, caractérisant par exemple un Kim Stanley Robinson dans sa superbe "Trilogie martienne". Non : ici, la science sert de caution au rêve dans les premières évocations des mystères du Caillou, mais s’empresse bientôt de l’anéantir, dans une confusion verbeuse et totalement obscure pour le non-initié qui lasse très vite, et n’est finalement abandonnée que pour laisser le champ libre à une sorte de mysticisme totalement déplacé et pour ainsi dire ridicule de la façon dont il est amené.
 
J’arrête, je m’énerve tout seul… Eon a plu, semblerait-il. Pour ma part, il m’a semblé au mieux médiocre, et surtout terriblement chiant. Ce fut laborieux que d’arriver jusqu’au bout (et j’avoue avoir lu plus ou moins en diagonales les cinquante dernières pages…). A l’heure actuelle en vacances, et persuadé avant mon départ que je me régalerais avec ce roman dont j’avais entendu dire autant de bien, j’avais également embarqué sa suite Eternité, que j’étais censé lire dans la foulée. Ben désolé mais j’en n’ai pas la force, là… Comme je suis masochiste et que je tiens souvent à finir ce que j’ai entamé, je le lirai sans doute un jour prochain… Mais là, j’ai préféré lire et relire des nouvelles de Theodore Sturgeon ; comme une cure de bonne science-fiction (et fantasy) pour faire passer la pilule de cette cruelle déception.

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"Une forme de guerre", de Iain M. Banks

Publié le par Nébal

"Une forme de guerre", de Iain M. Banks

BANKS (Iain M.), Une forme de guerre, [Consider Phlebas], traduit de l’anglais par Hélène Collon, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs et Demain, [1987] 1993, 477 p.

 

Il est totalement incompréhensible que je n’aie toujours pas lu le « cycle de la Culture » de Iain M. Banks. En effet, cette œuvre passablement monumentale – dont j’ai entendu parler, forcément, depuis un bail – avait semble-t-il tout pour me plaire, dans la mesure où l’auteur, décédé il y a peu hélas, y décrivait a priori une utopie post-humaine hédoniste et libertaire, ce qui ne pouvait que me parler (est-il nécessaire que je vous renvoie encore à Eclipse Phase ?), et avait en outre le bon goût d’interroger sa raison d’être et son attitude à l’égard des autres civilisations. Tout cela ne pouvait que me plaire. Et pourtant, je viens tout juste de sauter le pas… peut-être parce que les attentes étaient trop élevées ? Aucune idée, en fait.

 

Toujours est-il que mon premier contact avec Iain M. Banks, hors Culture (ou peut-être pas totalement, selon une intéressante analyse de l’éditeur), ce fut l’étonnant Efroyabl Ange1 (avec sa traduction parfaite signée Anne-Sylvie Homassel). Ce fut… déconcertant. Et, dois-je dire, pas totalement convaincant à mes yeux. Mais sans préjuger de la curiosité qui me portait à capitaliser les volumes du « cycle de la Culture » (et on m'en avait donné pas mal !) en attendant le moment où je m’y mettrais enfin. Du coup, maintenant, je les ai tous, et n’ai plus aucune raison de retarder l’échéance. Allez, hop, c’est parti ! Et en commençant par le commencement, ce Une forme de guerre (le titre original, renvoyant à un poème de T.S. Eliot, est aussi sonore qu’éclairant, Consider Phlebas), premier tome publié du cycle outre-Manche, mais étrangement le troisième chez nous, du fait supposé-je d’un choix pour le moins discutable de Gérard Klein ; mais il faut savoir que chacun a son mot à dire sur « l’ordre » dans lequel aborder ce cycle…

 

Consider Phlebas, donc, nous plonge dans la longue guerre opposant la Culture, lointaine civilisation humaine ultra-technologique qui affiche son progressisme et sa tolérance tout en se livrant à un expansionnisme culturel (eh) ambigu, aux Idirans, extra-terrestres (oui, forcément...) tripèdes qui se sont lancés dans un djihad galactique pour la plus grande gloire de leur Dieu (ce qui est passablement d’actualité, sans doute...). Forcément, ces deux modes de pensée contradictoires, et aux ambitions rivales, ne pouvaient déboucher que sur un conflit (dont l’origine et le déroulement sont explicités en appendice, et c'est aussi passionnant que pertinent).

 

On peut sans doute supposer que le lecteur, a fortiori occidental d’ailleurs, se reconnaîtra davantage dans les valeurs politiques et morales de la Culture que dans cette agressive religion idirane dont le Dieu n’a même pas le bon goût d’être anthropomorphe. Mais ce n’est pourtant pas Balvéda, agent de Circonstances Spéciales, branche de Contact de la Culture (entre espionnage, subversion et diplomatie), qui tiendra ici le rôle de personnage principal. Non : place à son ennemi tout désigné, le Métamorphe (donc humain, mais métamorphe néanmoins) Bora Horza Gobuchul. Comme la plupart des membres de son espèce, Horza a embrassé la cause idirane contre celle de leurs frères humains. Ou peut-être que non, en fait : le Dieu des Idirans, Horza n’y croit sans doute même pas… Seulement il a une dent (une molaire, on va dire) contre la Culture et l’hégémonie qu’elle tend de plus en plus à incarner. Et ce point de vue autre est particulièrement appréciable, amenant le lecteur à dépasser nécessairement tout manichéisme, opposant un hypothétique bien progressiste et tolérant (?) à un mal archaïque et religieux. Il est vrai que le prosélytisme fait se ressembler les deux causes, et la Culture tue probablement au moins autant que les fous de Dieu d’en face… Car, contrairement à ce que les Idirans avaient déduit de la « force morale » de la Culture en n’envisageant que son idéologie affichée, celle-ci n’est certainement pas « faible », et, acculée, montre les crocs, se battant pour sa survie avec une fougue qui n’a rien à envier à celle des plus dangereux prédateurs.

 

Horza, donc, échappe à la mort sur une planète partisane de la Culture où les Idirans l’avaient envoyé prendre la place d’un gérontocrate (ce qui n’avait pas trompé l'astucieuse et rusée Balvéda). Recueilli par ses commanditaires, il se voit confié une nouvelle mission : les Idirans souhaiteraient en effet mettre la main sur un Mental de la Culture (une intelligence artificielle) qui s’est montré particulièrement malin et leur a glissé entre les pattes de manière pour le moins audacieuse. Celui-ci se serait réfugié sur le Monde de Schar, une « Planète des Morts » placée sous la protection des Dra’Azon, inconcevables extra-terrestres (oui, forcément, bis...) ayant atteint un niveau de développement les rapprochant de l’omnipotence, nécessairement neutres dans ce conflit galactique qui ne les intéresse en rien, mais qui interdisent en principe l’accès à ces planètes pour des raisons qu’il n’appartient à personne de questionner ; mais Horza était en fait déjà allé sur le Monde de Schar, qui abrite une base métamorphe : il est à l’évidence un candidat tout désigné pour s’y rendre et mettre la main sur le Mental fugitif.

 

Et là… surprise. Dans les thématiques, dans le fond, Consider Phlebas relève sans aucun doute d’une certaine science-fiction « pointue », dépassant le pur divertissement (qui ne saurait être autre que vulgaire, comme chacun sait). Mais, très concrètement, et durant l’essentiel du roman… il s’agit en fait d’une histoire de « pirates de l’espace », qui m’a presque nécessairement fait penser à du Star Wars, dans un sens, même si j’aurais surtout envie d’évoquer ici certains Jack Vance (que j’aime beaucoup, hein, là n’est pas la question), divertissements de haut-vol, baroques et bourrés d’idées, au ton essentiellement léger et aventureux. Et, oui, il y a probablement de ça dans Une forme de guerre (je ne me prononcerai pas encore pour ce qui est des autres volumes du cycle). Il y sans doute ici une part d’hommage ambigu, consistant pour un auteur post-truc à jouer des ressorts éventuellement éculés du space op’ à papa pour aboutir à quelque chose qui, tout en l’évoquant, est subtilement (enfin, plus ou moins…) d’un autre ordre (on a parlé ultérieurement, mais de manière un peu éphémère car abusive peut-être, de « nouveau space opera »). D’ailleurs, Consider Phlebas paraît deux ans avant Hypérion de Dan Simmons, sans doute une charnière dans le genre (et il m’a fortement évoqué par ailleurs la SF de John Varley, qui peut jouer d’un registre similaire – ainsi, mais il a été publié dix ans plus tard, le très bon Le Système Valentine). Mais l’approche est probablement ici encore plus radicale, du fait du ton très aventureux du roman, assez pulp, que l’on devine pourtant parfaitement grave et sérieux sous une couche d’humour British et de références pop un poil déconcertantes…

 

Et oui, du coup, ça m’a surpris. Je m’attendais à vrai dire à tout sauf à ça. Des « pirates de l’espace » ? Quand même ? Ben oui.

 

Bien sûr, cela ne préjuge en rien de la qualité du roman. Au contraire, même : ce jeu adroit avec un imaginaire d’un autre temps participe de la réussite de Consider Phlebas, que je ne mettrais pas en doute. Et l’intelligence du propos est de même indéniable, tandis que la légèreté de l’ensemble n’empêche en rien le roman de verser progressivement dans une gravité désabusée, en rapportant le conflit à l’échelle cosmique, ce qui le rend dérisoire, et d’autant plus dérisoires les agitations laborieuses de Horza et de ses copains mercenaires…

 

Oui, Une forme de guerre est un bon roman. Pas de doute là-dessus. Pourtant, au-delà de ce choc sur lequel je me suis étendu à l’instant, et qui était sans doute finalement bien vu, je dois dire qu’il m’a tout de même un peu déçu… Il est bon, donc, mais pas si bon que ça non plus. Et je pense que ce problème tient pas mal à la forme. En effet, Consider Phlebas est un roman très, très bavard, au sens où il tire vraiment à la ligne en plus d’une occasion, et notamment lors d’interminables scènes d’action parfois franchement pénibles (celles des derniers chapitres m’ont semblé carrément laborieuses, disons-le) : ici, pour le coup, le roman s’éloigne du divertissement à la Jack Vance, qui mettait toujours en avant une extrême fluidité dans l’action, quand bien même celle-ci impliquerait-elle un style purement utilitaire ; or Consider Phlebas, sans se montrer formellement plus élégant pour autant, se noie à plus d’une reprise dans les détails, à décortiquer excessivement l’action : du coup, il faut tant de pages pour ouvrir une putain de porte, ou pour démarrer un putain de train… d’autant que les redondances sont loin d’être exclues (là encore, surtout dans les derniers chapitres, où, non seulement l’action se traîne, mais en outre elle se répète au-delà du justifiable). Et ça, ça m’a un peu saoulé : ce qui est raconté a beau être frénétique – comme lors de la fuite des « pirates » enfermés dans un Véhicule Système Général de la Culture, passage autorisant par ailleurs de beaux éclats de pur « sense of wonder » en jouant la carte du gigantisme –, la narration a quelque chose d’apathique, et ce décalage-là m’a paru pénible (les références antédiluviennes de Banks se montrant autrement plus efficaces).

 

Mais oui, Une forme de guerre est un bon roman – l’inventivité baroque de Banks, son univers parfait à la jonction des extrême, l’intelligence du propos emportent l’adhésion malgré tout. Simplement, il n’est pas si bon que ça. Ce qui explique peut-être sa publication française tardive ? Je n’en sais rien. J’espère simplement que la « suite » se montrera plus convaincante à tous les niveaux ; car j’en attends vraiment, vraiment beaucoup, et ne suis pas pleinement satisfait au sortir de ce tome inaugural : je veux plus, et mieux. Je vais poursuivre avec L’Homme des jeux, on verra bien.

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"Le Brig "Le Terreur", suivi de La Lutte à venir", de Ferdynand Ossendowski

Publié le par Nébal

"Le Brig "Le Terreur", suivi de La Lutte à venir", de Ferdynand Ossendowski

OSSENDOWSKI (Ferdynand), Le Brig « Le Terreur », suivi de La Lutte à venir, traduit [du russe] et préfacé par Viktoriya & Patrice Lajoye, [s.l.], Lingva, coll. « Classiques populaires », 2015, 123 p.

 

Viktoriya et Patrice Lajoye militent depuis quelques années déjà pour faire connaître en France la science-fiction (au sens large) russe (au sens large aussi) : au-delà du blog Russkaya Fantastika (aujourd’hui arrêté, mais qui avait déjà donné lieu à publication), on leur doit ainsi les chouettes anthologies Dimension URSS et Dimension Russie chez Rivière Blanche, par exemple, ou, dans la foulée, le très recommandable La Loi des mages de Henry Lion Oldie chez Mnémos, et la dame Viktoriya a en outre travaillé, chez Denoël « Lunes d’encre », sur la reprise des romans des frères Strougatski, dont l’indispensable Stalker. Leurs activités vont cependant bien au-delà, y compris sur le strict plan éditorial, comme en témoigne par exemple Ilya Mouromets et autres héros de la Russie ancienne, chez Anacharsis.

 

Et ils ont souhaité voler de leurs propres ailes. C’est ainsi qu’ils ont fondé tout récemment leur propre structure, Lingva, qui est pour partie une petite maison d’édition, dont les publications dépassent le seul champ de la science-fiction russe, même si c’est bien ce qui va nous retenir aujourd’hui. Les quelques titres de la collection « Classiques populaires » à ce jour avaient suscité ma curiosité, mais je n’avais pas franchi le pas ; Patrice Lajoye himself m’ayant proposé un service de presse (horreur glauque ! Corruption !) de ce petit volume de Ferdynand Ossendowski (auteur polonais d’origine, mais ici de langue russe), et ledit volume, qui vient tout juste de paraître, traitant en outre pour partie d’exploration arctique (joie, joie ! Notons cependant que le brig Le Terreur dont il est ici question, même si son nom n’a sans doute pas été choisi au hasard, n’est pas pour autant le navire de l’expédition Franklin, qui a entraîné tant de littérature, dont le très chouette Terreur de – ce connard mais talentueux de – Dan Simmons), j’ai sauté sur l’occasion (et je dois confesser ici que, sans cela, je ne l’aurais probablement pas lu… pour une bête raison financière : franchement, 20,50 € pour ces quelques 120 pages, c’est indéniablement beaucoup, mais alors beaucoup trop cher…).

 

Il me faut bien mentionner ici, désolé, que cette publication souffre encore d’un certain « amateurisme »… La mise en page est moche, ce qui n’est pas dramatique certes, mais le texte souffre en outre de quelques coquilles malvenues, et, plus gênant, d’incontestables fautes de français à l’occasion (hélas récurrentes pour certaines, ce qui pique d’autant plus les yeux : le truc avec la mer, là, c’est un « golfe », bon sang, pas un « golf »…), et la traduction n’est sans doute pas toujours de la plus grande élégance. Quant à la préface, si elle a le bon goût de présenter de manière très complète et intéressante l’auteur, son positionnement philosophique et politique et les conditions de rédaction et de publication de ces deux nouvelles longtemps sombrées dans l’oubli, elle a peut-être aussi le mauvais goût de raconter un peu trop ce qui s’y passe (j’aurais donc plutôt tendance à en déconseiller la lecture préalable ; cela dit, dans le cadre de ce compte rendu, je vais bien être obligé de lâcher moi aussi quelques morceaux…).

 

Mais passons (enfin ?) aux textes, deux nouvelles de proto-science-fiction datant des années 1913-1914. « Le Brig "Le Terreur" » est donc pour l’essentiel un récit polaire (miam !), en dépit de son introduction déconcertante sur un étrange phénomène lunaire. On y trouve un très beau spécimen de savant fou (mais alors vraiment fou), mégalomane nihiliste – que les Lajoye placent dans la filiation du capitaine Nemo – qui entend bien détruire l’humanité à l’aide d’un champignon miracle à même de susciter une terrifiante apocalypse écologique, pour partie parce que la femme dont il est éperdument amoureux ne l’aime pas en retour (alors qu’il a fait l’effort de l’enlever, comme de juste – salope !). Face à ce « mauvais » savant, on trouve quelques « bons » savants, qui entendent bien l’empêcher de poursuivre plus avant ses conneries. Le récit, dès lors, en dépit de ce substrat de science-fiction assez intéressant (et pas si convenu que ça, promis), consiste essentiellement en la traque du brig Le Terreur par le Griffon (dont le capitaine est un gros malade lui aussi), et, sous cet angle, il m’a paru nettement moins intéressant – même si le cadre arctique est chouette. C’est à vrai dire le problème essentiel de cette nouvelle, et qu’on retrouve aussi dans la suivante : les idées fusent, souvent bonnes, et qui débouchent parfois sur des tableaux authentiquement fascinants (j’assume parfaitement le terme), mais de tout cela émane aussi un fâcheux parfum d’inachevé, j’aurais même envie de dire de « brouillon » ; la trame, expédiée et confuse, aurait sans doute pu donner matière à un court roman tout à fait passionnant, mais, en l’état, on ressent comme un manque, une frustration… C’est d’autant plus regrettable que le début de la nouvelle est à mes yeux une franche réussite : l’intrigue est amenée petit à petit avec un incontestable brio narratif et un sens du mystère tout à l’honneur de l’auteur ; mais la suite est, osons le mot, bâclée : on a vraiment le sentiment d’un texte écrit au fil de la plume, sans idée précise de la destination…

 

J’ai eu hélas le même sentiment – et même probablement encore plus prononcé – en ce qui concerne « La Lutte à venir », nouvelle (évidemment très politique) d’anticipation cette fois (« cent ans après l’exécution de la dernière suffragette »…), assez clairement dans la filiation de H.G. Wells (avec des vrais morceaux d’Elois et de Morlocks en devenir). On y retrouve le thème des « bons » et des « mauvais » savants, mais avec plus de nuances, grâce à la figure chouettement ambiguë de l’ingénieur anglais James Brighton. La Terre (pour partie ravagée, l’Asie ayant été transformée en un désert… par un champignon, bis) est aux mains de trusts scientifico-industriels qui ont réduit en esclavage les prolétaires, condamnés à travailler dans des souterrains glauques où ils mettent sempiternellement leur vie en danger ; mais il est des savants – qui se trouvent être russes – qui entendent bien lutter contre cette oppression capitaliste, et user de la science pour faire le bonheur de tous… Là encore, si la base tient peu ou prou du lieu commun, même pour l’époque (immédiatement pré-bolchévique ; notons que Ferdynand Ossendowski, s’il rejoindra plus tard l’armée blanche et sera proscrit par le régime soviétique, a alors participé aux événements révolutionnaires de 1905, ce qui lui a valu bien des soucis…), l’auteur fait néanmoins preuve d’un réel talent pour susciter des images fortes et introduire de très chouettes idées. Le tout début de la nouvelle me paraît ainsi vraiment remarquable : l’exécution publique de la dernière suffragette est joliment horrible, et développe une intéressante thématique féministe… dont l’auteur, hélas, ne fait pas grand-chose après coup. Si la nouvelle est parfois visionnaire, et contient de très impressionnants tableaux, elle se perd néanmoins assez vite dans une triste confusion pleine de raccourcis qui donne encore plus que la précédente une triste impression d’inachevé : la fin est salement expédiée, enchaînant les événements à toute vitesse sans grand souci de cohérence et de construction, et débouche sur une conclusion utopique parfaitement niaise. Dommage…

 

Bilan pour le moins mitigé, donc : dans les deux nouvelles, on trouve des scènes remarquables et de belles idées de science-fiction parfois étonnamment visionnaires ; hélas, dans les deux cas, si ça commence bien voire très bien, Ferdynand Ossendowski ne sait de toute évidence pas poursuivre et conclure, et ses textes, brouillons, se révèlent plus frustrants qu’autre chose. Rien d’étonnant dès lors si ces nouvelles, malgré de beaux moments, sont tombées dans l’oubli et n’ont été redécouvertes que récemment par pure érudition science-fictive : elles ne sont tout simplement pas finies…

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"Serpentine", de Mélanie Fazi

Publié le par Nébal

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FAZI (Mélanie), Serpentine, préface de Michel Pagel, Paris, L’Oxymore - Bragelonne, coll. L’Ombre de Bragelonne, [2004] 2008, 317 p.
 
Attention, je vais commencer ce compte rendu par un pseudo-coup de gueule puéril, sans doute exagéré, et potentiellement de mauvaise foi. M’en fous, chuis chez moi, d’abord, alors zob.
 
Donc. On se plaint régulièrement, sur les fora consacrés aux littératures de l’imaginaire, du supposé mauvais état de la science-fiction (en en profitant, comme de juste, pour imputer ce scandale au succès impressionnant de la fantasy). Mais que devrait-on dire, alors, pour ce qui est du fantastique ! Aujourd’hui, j’ai le triste sentiment d’une quasi-inexistence du fantastique. En effet, à peu de choses près, le lecteur amateur du genre ne se voit offrir que deux possibilités dans le mince réduit qui lui est consacré, tout au fond de la librairie (probablement une zone non euclidienne...) : d’une part, il y a les gros best-sellers que l’on désigne parfois, avec un brin de mépris, comme appartenant à la mainstream horror (ce qui n’empêche pas, loin de là, d’y trouver d’excellents auteurs : Stephen King, Dan Simmons – souvent avec des vrais morceaux de science-fiction dedans –, Clive Barker – souvent avec des vrais morceaux de fantasy dedans –, etc.), et des novélisations pathétiques de pathétiques séries TV pour adolescentes pseudo-goth ; d’autre part, les classiques du genre, fin XIXe ou début XXe, qui ont pour bon nombre d’entre eux été absorbés dans la littérature générale. Entre les deux, rien, ou peu s’en faut : au-delà du fanzinat, pas de revue (si l’on excepte Le Visage vert, excellente revue, certes, mais tournée vers les auteurs anciens), peu d’auteurs récents (du moins s’assumant dans le genre : on parlera plus souvent de « littérature blanche », ou de fantasy urbaine, etc. ; enfin, en tout cas, depuis Poppy Z. Brite, j’ai rien vu passer… heu, je parle des bons auteurs, bien sûr : des ressucées stériles et écrites avec les pieds des grands mythes du genre, vampirisme en tête, à destination des flap-flaps juvéniles, on en a bien des livraisons régulières...).
 
Or Mélanie Fazi écrit du fantastique. Mieux : si elle a publié deux romans, elle a avoué son attirance particulière pour la nouvelle, forme singulièrement adaptée au genre, mais réputée impubliable. Elle est pourtant publiée ! Deux de ses recueils viennent en effet de paraître chez Bragelonne (dans la collection L’Ombre de Bragelonne, peu ragoûtante jusque-là), le tout nouveau tout beau Notre-Dame-aux-Ecailles (dont je vous reparlerai bientôt), et ce très bon Serpentine, qui avait été précédemment publié aux défuntes éditions de l’Oxymore, et avait reçu quelques critiques flatteuses, ainsi que quelques récompenses non négligeables (dont le Grand Prix de l’Imaginaire 2005).

Et tout cela est amplement mérité. Michel Pagel, dans sa sympathique et amusante « Préface » (pp. 5-12), ne tarit pas d’éloges à propos du jeune auteur qu’est Mélanie Fazi. Et il a bien raison : si l’on sent encore ici ou là quelques maladresses de débutante, le tout est quand même fort bien troussé, finement écrit, émouvant, et revisite les thèmes classiques du genre avec une élégance qui n’appartient qu’aux meilleurs ; et, comme les meilleurs, elle sait remarquablement maintenir l’ambiguïté qui fait les grands textes du genre, où l’interprétation des événements selon une grille rationnelle ou surnaturelle, naturaliste ou allégorique, est le plus souvent laissée au libre choix du lecteur (le fantastique de Mélanie Fazi est souvent très diffus, n’intervenant que par petites touches d’étrangeté). Oui, on tient bien là un auteur à suivre.
 
« Serpentine » (pp. 15-41), ainsi, se lit très bien : la plume est fluide, le ton juste ; il y a bien une atmosphère particulière dans cette nouvelle prenant place dans un salon de tatouage, une émotion, un sens de la « fêlure » (le mot revient souvent quand on parle de Mélanie Fazi) ; un petit côté vaguement ado gogoth, aussi (l'auteur se défend de tout rattachement à la subculture gothique, mais on va dire que ce préjugé qui revient souvent n’est guère étonnant…), mais pas désagréable, puisque le talent est là. Si la nouvelle vaut plus pour son atmosphère que pour sa chute, elle n’en est pas moins réussie. Sans être exceptionnel, c’est un bon texte ; et c’est déjà pas mal.
 
La suite est bien meilleure, pourtant. Et ce dès « Elégie » (pp. 43-55), troublant monologue d’une mère, tout de douleur et de folie, qui saisit le lecteur aux tripes. Et l’on franchit encore un cran supplémentaire avec la superbe « Nous reprendre à la route » (pp. 57-85) : une nouvelle plus éthérée, contemplative, sombre et touchante, sur les étranges rencontres faites par une voyageuse sur une aire d’autoroute…
 
On retrouve ensuite un certain émoi adolescent auto-destructeur, voire masochiste, dans deux jolies nouvelles très fortes, la troublante « Rêves de cendre » (pp. 87-108), puis l’émouvante « Matilda » (pp. 109-144), que l’on sent toute en réminescences personnelles, et bien évocatrice de la passion de l’auteur pour la musique.
 
On change totalement d’atmosphère avec « Mémoires des herbes aromatiques » (pp. 145-167), charmant conte cruel de fantasy urbaine prenant pour cadre un restaurant grec tenu par une certaine Circé… La chute est téléphonée, le fond peut faire sourire, mais l’intérêt est bien là ; une nouvelle qui donne l’eau à la bouche !
 
Après quoi, « Petit théâtre de rame » (pp. 169-207), qui retrouve l’importance du cadre de « Serpentine » et plus encore de « Nous reprendre à la route », est probablement une de mes nouvelles préférées de l'ensemble du recueil ; une fois de plus un texte touchant et vrai, où le fantastique s’immisce par de petits riens : c’est tout un monde que l’on contemple le long de la ligne 5 du métro parisien ; j’ai pensé, à la lecture de ce texte, à Neil Gaiman dans ses plus belles réussites (dans Sandman, dans certains textes de Miroirs et fumée…) : le cadre est familier, l’auteur se contente de pointer du doigt, l’air de rien, le petit détail qui confère à chaque endroit, à chaque personnage, son caractère unique insoupçonné. Une performance.
 
Mais « Le faiseur de pluie » (pp. 209-247) est également une réussite. Un joli texte contant l’étrange rencontre faite par deux enfants dans la maison de leur grand-mère, en Italie, où ils s’ennuient désespérement ; un récit émouvant et juste, à la nostalgie finement disséminée.
 
Et si les deux dernières nouvelles, « Le passeur » (pp. 249-271) et plus encore le western fantastique de « Ghost Town Blues » (pp. 273-315), qui tranche passablement sur les textes précédents, sentent davantage les textes de jeunesse, avec leurs défauts inhérents, ils n’en sont pas médiocres pour autant, seulement moins bons ; autant dire pas mal du tout.

Serpentine
constitue donc bien un très bon recueil de nouvelles, qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Tout cela est encore un peu jeune, on ne criera pas à la perfection ou au chef-d'oeuvre ; mais c'est le plus souvent remarquablement juste, ce qui pardonne bien des choses. Et j’aurais d’ores et déjà envie de dire, après cette seule lecture, que Mélanie Fazi figure parmi les auteurs français de l’imaginaire dont je vais suivre avec attention la carrière future, aux côtés de Catherine Dufour, Xavier Mauméjean et probablement Jérôme Noirez (pour lui, je devrais pouvoir confirmer très prochainement...). A suivre très bientôt avec Notre-Dame-aux-Ecailles.

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