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Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

"Bifrost", n° 53

Publié le par Nébal


Bifrost, n° 53, Saint Mammès, Le Bélial’, janvier 2009, 182 p.

 

Bon, ayant participé – même si ce n’est qu’un chouia – à la chose, il ne me paraît pas honnête d’en faire un compte rendu…

 

Donc je vais faire ma feignasse, et me contenter de rappeler que s’y trouvent quatre de mes comptes rendus : La Nuit de la lumière de (feu) Philip José Farmer (pp. 77-79), À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner (pp. 86-87), Crépuscule d’acier de Charles Stross (pp. 90-91), et enfin Perdido Street Station de China Miéville dans le guide de lecture consacré à l’auteur (pp. 146-149).

 

 

Mais il y a quand même une partie de ce numéro que j’ai envie de commenter (parce que c’est le jeu) : les Razzies 2009, le prix du pire. Juste quelques remarques en passant, sur ce que j’ai pu en lire.

 

Je note, parmi les nominés, catégorie « pire nouvelle francophone », Maudit soit l’éternel ! de Thierry Marignac, qualifié à juste titre de « sous Frédéric Dard anti-cureton, une infâme bouillie dure à digérer (mais qui, pour une raison incompréhensible, fait rigoler les mongoliens) » ; il n’a pas eu le prix, c’est donc qu’il y avait du lourd en face…

 

Rien à dire pour la « pire nouvelle étrangère », je n’ai rien lu de tout ça.

 

Du lourd aussi, à vue de nez, dans la catégorie « pire roman francophone », mais n’ayant lu aucune de ces horreurs probables, je n’ai rien à en dire.

 

Par contre, en « pire roman étranger » et « pire traduction », le lauréat est Code source de William Gibson : ça semble se vérifier, je suis le seul à avoir aimé ce bouquin… Franchement, quitte à se payer un gros machin, le dernier G.P.I. (pas lu) m’aurait semblé plus approprié, ou, dans la catégorie « parution longtemps attendue d’un truc qui se révèle nul, en fait », Gravité de Stephen Baxter, pas mentionné (mais, il est vrai, publié au Bélial’). Certes, pour la « pire traduction », l’allusion était tentante ; mais, parmi les nominés, j’aurais pour ma part récompensé Élizabeth Vonarburg pour Les Disparus de Kristine Kathryn Rusch.

 

Le prix de la pire couverture a été très justement renommé « prix Jackie Paternoster de la pire couverture », ce qui permet de fait un doublé en l’attribuant aux éditions de l’Atalante (il n’est pas cité ici, mais j’avais déjà dit deux mots de ce que je pensais de la couv’ de La Dernière Colonie de John Scalzi, attention les yeux…). Rien à redire.

 

Du lourd encore pour le prix de la non-fiction, même si je trouve le jury bien dur avec Jeanne-A Debats ; figurait parmi les nominés « l’immense Roland C. Wagner » pour sa croisade anti-Vélum ; je lui aurais volontiers donné le prix, plus généralement pour son comportement sur le ouèbe. J’accorderais dans mon immense mansuétude une circonstance atténuante à ceux qui l’ont suivi, en raison du buzz entretenu (trop longtemps et maladroitement, qui plus est) sur ce bouquin, très bon certes, mais quand même pas si bon que ça.

 

Sans surprise, j’aurais pour ma part donné le « prix de l’incompétence éditoriale », parmi les nominés, aux Moutons électriques « pour leur célèbre suivi de corrections sur Fiction n° 8 ». En notant cependant que Bifrost, des fois, c’est pas beaucoup mieux, mais bon, quand même...

 

Le « prix putassier » a toujours été mon préféré : parmi les nominés, Gilles Dumay, Albin Michel, Gérard Klein, Mnémos, Pygmalion, Télémaque et Les Trois Souhaits avaient tous de bonnes raisons d’y figurer. Le prix est revenu à Mnémos, mais je l’aurais pour ma part sans hésiter attribué à Télémaque pour Un peu de ton sang de Theodore Sturgeon (ça m’avait vraiment énervé, cette arnaque…).

 

Rien à dire sur le « Grand Master Award », je ne suis pas qualifié pour en juger.

 

Puis vient enfin le « prix des lecteurs ». Je n’ai pas voté, pas plus que l’année dernière. Ce prix me paraît en effet être une erreur. Là où un jury, dont les membres sont connus (malgré le pseudonyme transparent), peut se permettre d’être bête et méchant, la populace ainsi amenée à s’exprimer verse quasi nécessairement dans le lynchage et la vendetta, protégée par son anonymat et l’effet de masse. Ça n’a pas manqué cette année, avec en troisième place le Cafard cosmique ; promis, on fera mieux la prochaine fois. Sans surprise, Milady a gagné, et l’Atalante eu sa deuxième place. Quitte à taper sur les éditeurs, cela dit, j’aurais pour ma part employé le même argumentaire que pour l’Atalante, mais en l’appliquant à J’ai lu, parce que, à ce stade, c’est quand même triste, ma bonne dame.

 

« Et on s’amuse, et on rigole… »

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"Fiction", t. 8

Publié le par Nébal


Fiction, t. 8, Lyon, Les Moutons électriques, automne 2008,  335 p.

 

Ils sont un peu agaçants, chez Fiction, des fois. Cette « anthologie périodique » est généralement de très haut niveau, avec à l’occasion des numéros exceptionnellement bons (le tome 7, par exemple), et d’autres nettement en dessous de ce que l’on est en droit d’attendre. Hélas, ce tome 8 en est un triste exemple à mes yeux. D’autant que ce numéro, par ailleurs rare en textes francophones, est régulièrement traduit avec les pieds, et – j’en ai l’impression, du moins – encore plus saturé de coquilles que d’habitude (un exploit !), et parfois même émaillé de fâcheux oublis dans le suivi des corrections (dont un éloquent « ??? » dans l’article de Raphaël Colson – p. 316 – qui m’a fait sourire, je le confesse). En fait, pour toutes ces raisons, auxquelles il faut ajouter la relative brièveté du numéro – et l’édito n’a fait que renforcer cette impression –, j’ai eu le sentiment de tenir entre les mains un numéro tout simplement pas fini. Ce qui m’effraye un peu : cela commencerait-il à sentir le sapin ?

 

Évoquons tout d’abord l’aspect graphique, traditionnellement un des points forts de Fiction. En dehors de la jolie couverture, il y a cette fois à boire et à manger. Côté positif, on retiendra notamment les illustrations de J.-J. Grandville qui émaillent le numéro, ainsi que les portfolios d’Hans Georg Rauch (pp. 241-246 ; impressionnant) et de J. Allen St. John (pp. 303-308 ; du pulp tout ce qu’il y a de savoureux). De l’autre côté de la balance, hélas, David de Thuin nous livre une courte BD totalement dénuée d’intérêt (« Prémonition », pp. 103-106), et Béatrice Tillier (pp. 196-209) nous inflige d’insupportables ‘tites fées banales au possible (je hais ce genre de fées, bordel ! qu’est-ce que ça vient foutre ici ?).

 

Tant qu’on est dans les reproches, profitons-en pour évacuer rapidement un des points faibles habituels de Fiction : les non-fictions (eh eh). Les deux chroniques d’André-François Ruaud, sans grand intérêt (« Féerie en exil », pp. 162-169, qui arrive bien après la bataille, et pontifie laborieusement ; « Pour s’envoyer en l’air le regard. De mythe en mythe », pp. 322-331, pas inintéressant, comme d’habitude, mais pas forcément à sa place) tendent à confirmer que le monsieur est bien meilleur éditeur qu’essayiste ou chroniqueur. Cependant, cette fois, il sauve un peu l’honneur, tant sont mauvaises les deux seules autres non-fictions de ce numéro : une « analyse » (faut le dire vite) de La Route par le compère Raphaël Colson, qui arrive carrément après la guerre, et se pose tristement en bande-annonce du pas glorieux Science-fiction. Les Frontières de la modernité (« La Route, ou le crépuscule de la civilisation », pp. 309-321) ; et la chronique ultra-dispensable de Serge-André Matthieu, totalement à côté de la plaque (« Carnet de bal. À travers le monde du vrai », pp. 210-219).

 

Passons maintenant aux nouvelles. Pour les Français (etc.), ça sera vite vu : Timothée Rey est tout seul dans son coin ; la médiocrité et l’artifice de son texte oulipien-chiant n’en ressortent que davantage (« Évasion sans issue », pp. 221-225).

 

Pour le reste, il y a un peu de tout. « Le Calorique » de Paolo Bacigalupi (pp. 7-39) ne parvient décidément pas à m’intéresser à cet auteur ; son texte anti-OGM, s’il a gagné le prix Theodore Sturgeon (mais pourquoi ?), m’a paru affreusement convenu. Mais il y a pire dans le genre, ainsi qu’en témoigne immédiatement le creux « Tikuka » d’Anna Feruglio Dal Dan (pp. 41-71).

 

En farfouillant un peu, je n’ai rencontré que des éloges pour le texte suivant, « Cordes » de Kathleen Ann Goonan (pp. 73-89) – et de même, plus loin dans le numéro (pp. 257-302), pour « Dernier été à Mars Hill » d’Elizabeth Hand (qui a d’ailleurs raflé les prix Nebula et World Fantasy) ; pour ma part – mais les traductions au polonium y sont peut-être pour quelque chose –, j’avoue avoir peiné sur ces deux textes dégoulinants, sirupeux, et pitoyables (dans tous les sens du terme). Comme quoi, hein…

 

Le premier texte à avoir retenu mon attention est une vieillerie, « Le Professeur et le médium » d’Harry Morgan (pp. 91-102), une sympathique variation sur le thème de Flatland – que l’on retrouve plus tard avec Vandana Singh, dont « Le Tétraèdre » (pp. 171-195) est en outre agréablement dépaysant.

 

Suit ce qui constitue à mon sens le meilleur texte de ce numéro, dû à l’habitué Jeffrey Ford : son « Whiskey nocturne » (pp. 107-129), inventif et adroit dans la description de son bled paumé, m’a séduit et touché. Ouf. Autre bonne nouvelle, « Urdumheim » de Michael Swanwick (pp. 131-161), chouette fantasy babylonienne, donne envie de lire le dernier roman de l’auteur, situé dans le même univers.

 

Bien plus loin, après l’exercice de style laborieux de Timothée Rey, nous trouvons une succession de courtes nouvelles plus ou moins expérimentales. On commence avec le très correct « Noir, gris, vert, rouge et bleu : lettre d’un peintre célèbre depuis la Lune » de Ben Greenman (pp. 227-231). Kevin N. Haw nous explique ensuite les « Conditions à remplir pour obtenir la Médaille du Mérite Mythologique » (pp. 233-235) : amusant… Mais la « Grippe de personnages » de Robert Reed (pp. 237-240) ne m’a par contre pas convaincu. Ray Vukcevich livre ensuite un texte en demi-teinte sur le test de Turing ; c’est assez drôle, mais un peu bancal (« Glacial Réconfort », pp. 247-250). Le dernier de ces textes est à mon sens le plus réussi (« L’Esprit de Noël » de Kurt Luchs, pp. 251-255 – antidote salutaire au sirupeux précédemment évoqué, et sur lequel on enchaîne immédiatement).

Non, y’a pas : ce numéro de Fiction m’a déçu. J’espère que le tome 9 saura redresser la barre…

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"Pensées, provocs et autres volutes", de Serge Gainsbourg

Publié le par Nébal


GAINSBOURG (Serge), Pensées, provocs et autres volutes, Le Cherche Midi – LGF, coll. Le Livre de poche, Paris, [2006] 2007, 155 p.

 

Impossible à chroniquer, mais ça faisait un moment que j’avais envie de le mentionner en passant. Ce recueil d’aphorismes, de paroles et autres interventions déviantes sur les plateaux télé est délicieux de poésie et de cynisme, d’humour et de machisme.

Idéal pour quand on va sur le trône.

Et sinon, Gainsbourg, c’est l’meilleur.

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"This is not America", de Thomas Day

Publié le par Nébal

 

DAY (Thomas), This is not America, Ris Orangis, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2009, 121 p.

 

Parmi les dernières productions livresques d’ActuSF, on trouve notamment ce petit mais joli volume dû à la plume de Thomas Day, auteur dont j’ai déjà eu l’occasion de vous entretenir à plusieurs reprises. Je ne cacherai pas que ses alter ego éditeur (surtout) et critique m’ont souvent plus convaincu que l’auteur, qui n’a jamais emporté mon adhésion pleine et entière. Néanmoins, pour ce qui est de l’écrivain Thomas Day, le nouvelliste m’a toujours paru plus doué que le romancier, et capable d'écrire de fort bonnes choses – voyez notamment Sympathies for the Devil.

 

Or, derrière le titre à nouveau musical de ce dernier opus, qui évoque furieusement David Bowie, c’est-à-dire Dieu (pas ce qu’il a fait de mieux, cela dit), c’est bien trois nouvelles que l’on trouve regroupées, trois textes dépeignant une Amérique « qui n’est tellement plus elle-même qu’on a déjà l’impression de la connaître », nous dit joliment la quatrième de couv’. Attention, pas d’anti-américanisme primaire ici (ouf), mais du rêve américain, avec ses idoles et ses tares et ses interstates, trituré jusqu’à la moelle par un auteur qui connaît son sujet.

 

On débute avec « Cette année-là, l’hiver commença le 22 novembre » (pp. 9-49), qui nous explique à demi-mots ce qui s’est vraiment passé ledit 22 novembre 1963 à Dallas, en jouant plus ou moins sérieusement de l’inévitable histoire secrète, avec des vrais morceaux de l’inévitable théorie du complot. Un texte rondement mené, palpitant de bout en bout et tout ce qu’il y a de sympathique. Dommage, toutefois – mais cela faisait évidemment partie du jeu – qu’on ait plus ou moins déjà lu ça cent fois…

 

Dans le versant délirant de l’auteur, qui s’affiche plus ouvertement, on préférera probablement « American Drug Trip » (pp. 51-86), chouette variation dickienne sur les univers parallèles, avec plein de choses réjouissantes et improbables dedans. Une autre vision de l’Amérique, bourrée de références et pour le moins jubilatoire. En plus, on y retrouve Bowie, nettement plus inspiré ; alors, bon… Le meilleur texte du recueil à mes yeux.

 

La dernière nouvelle, « Éloge du sacrifice » (pp. 87-122), est plus grave en apparence, mais les références abondent à nouveau. J’avoue rester un peu perplexe devant ce texte, bourré de bonnes idées et posant un terrible dilemme, mais dont le fond me paraît un tantinet bancal. Jolies scènes de bataille, cela dit (même si les Thermopyles, j’en ai un peu soupé…). Un texte étrange, qui mériterait sans doute une nouvelle lecture d’ici quelque temps.

Au final, This is not America est un recueil plutôt convaincant, très sympathique sans être transcendant, et qui se lit tout seul. Une chouette friandise en attendant (eh oui, quand même) le nouveau roman de l’auteur, directement en Folio-SF.

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"La Fille aux cheveux noirs", de Philip K. Dick

Publié le par Nébal

 

DICK (Philip K.), La Fille aux cheveux noirs, [The Dark Haired Girl], traduit de l’américain par Gilles Goullet, préface de Norman Spinrad, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [1988, 2002] 2004, 176 p.

 

Quoi ? Comment ? Un inédit de Philip K. Dick en Folio-SF ?

 

 

Mais comment ai-je pu passer à côté ?

 

JE FONCE !

 

Histoire de conserver mon titre chèrement acquis de fanatique décérébré.

 

 

Ah, mais voilà, aussi. Je me disais bien. Ce Dick-là n’est ni un roman, ni un essai. C’est en fait un recueil de lettres, entrecoupées de rêves. De l’érudition dickienne pure, dont on pourra s’étonner que cela soit sorti en poche, et directement qui plus est.

 

Au fil de ces lettres à diverses femmes (mais les plus longues sont adressées à la mère de l’auteur), on en apprend quelque peu sur la vie de Philip K. Dick, et sur son obsession souvent notée de la fille aux cheveux noirs du titre, à un moment de sa vie où, entre révélations mystiques, délires toxicomanes, déceptions amoureuses et tentatives de suicide, il n’est pas au sommet de sa forme…

 

Si elles sont parfois intéressantes et/ou amusantes, ces lettres n’ont cependant d’intérêt que pour les ultra-fanatiques de Dick, versant érudition et analyse. Même moi, j’avoue douter de l’intérêt de la chose pour un plus large public. Pas grand chose à dire de plus…

 

Pas inintéressant pour les fans (qui n’apprendront pas forcément grand chose, cela dit), ce bref ouvrage est largement dispensable, et même déconseillé, pour les autres.

 



Mon Dieu, j’ai écrit qu’un texte de Dick était « dispensable »… Pardonnez-moi, Seigneur !

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"Si par une nuit d'hiver un voyageur", d'Italo Calvino

Publié le par Nébal

 

CALVINO (Italo), Si par une nuit d’hiver un voyageur, [Se una notte d’inverno un viaggiatore], traduit de l’italien par Danièle Sallenave et François Wahl, préface par Paul Fournel, [Paris], Seuil, coll. Points, [1979, 1981, 1990] 1995, 286 p.

 

Je me rends bien compte que, toutes choses égales par ailleurs, il m’est toujours très difficile d’écrire des comptes rendus au jour d’aujourd’hui. Mes derniers texticules, je le reconnais volontiers, sont d’un intérêt plus que douteux. Pas facile… Et encore moins alors que ma liste de choses à faire – scientifiquement établie – m’interpelle au petit matin, alors que je me vautre dans la clinophilie, pour me dire : « Eh, oh, Dugland ! Aujourd’hui tu dois leur causer de Si par une nuit d’hiver un voyageur d’Italo Calvino ! » Chose effrayante s’il en est, ce roman étant des plus étranges et difficiles à concevoir, et – horreur glauque – n’étant même pas de la science-fiction pour ados attardés.

 

« M’enfin, Nébal, pourquoi l’as-tu lu, alors ? »

 

Oui, c’est vrai que cela pourrait être une bonne chose de commencer par-là. Eh bien, voilà : c’est la faute à Francis Berthelot, qui avait parlé de ce roman – de cette « transfiction », transgressive tant pour ce qui est du fond que de la forme – dans sa Bibliothèque de l’Entre-Mondes, à très juste titre, et m’avait définitivement convaincu qu’il fallait que je lise ce… cette chose bizarre, là. Je cite le premier paragraphe de sa note, tiens (pp. 176-177) :

 

« Auteur transgressif s’il en est, Calvino nous offre avec cet ouvrage – un des derniers qu’il ait écrit – une éblouissante déconstruction de la notion même de roman : éblouissante car à la fois d’une intelligence suprême, d’une constante inventivité dans l’humour comme dans l’émotion, et enfin d’une lecture captivante, autant de traits qui coexistent rarement à l’intérieur d’un même texte. »

 

Et tout cela est rigoureusement exact.

 

 

Bon, allez, je retourne dans ma chambre, pour ne rien faire ou bien jouer à Patapon 2, j’hésite.

 

« Eh, oh, la feignasse, là ! Tu vas me bouger ton gros cul en surpoids et me poursuivre ce compte rendu miteux, et plus vite que ça ! »

 

Pfff…

 

Bon, alors : Si par une nuit d’hiver un voyageur. Un roman dont le héros est le Lecteur. Pas comme les « livres dont vous êtes le héros » de mon enfance avec les numéros et tout, hein. Seulement, le roman interpelle régulièrement le Lecteur, et s’adresse à lui à la deuxième personne (chose qui m’horripile habituellement, mais qui, ici, passe comme papa dans maman).

Car le Lecteur est confronté à un problème : il veut lire le dernier roman d’Italo Calvino, intitulé Si par une nuit d’hiver un voyageur, mais une erreur d’impression dans son exemplaire l’en empêche, un seul et même chapitre étant répété jusqu’à la fin. Alors il retourne à la librairie (où il croise bientôt la Lectrice, bien sûr, qui est confrontée au même problème), désireux de lire la fin du roman qu'il a eu entre les mains. Mais il n’y parviendra pas, puisque, au cours des chapitres dont il est le héros, il se verra chaque fois, pour une raison ou une autre, refiler, non pas un roman, mais un début de roman. Il y en aura même dix, de ces débuts ouverts à tous les possibles, dix dont les titres forment une longue phrase justifiant que le Lecteur, en définitive, referme son livre, sachant qu’il vient de terminer Si par une nuit d’hiver un voyageur, le roman d’Italo Calvino.

 

Alors, oui, ça expérimente pas mal. Mais c’est tout simplement bluffant. Et tout ce qu’a pu en dire Francis Berthelot plus haut est étrangement vrai. Impressionnant, à quel point ce roman que l’on pouvait craindre aride et lourd dans sa démonstration, reste sempiternellement léger et fluide, joueur même, emporté par une plume savoureuse et un sens du rythme tout à fait remarquable. Tout au long de ces pages, le lecteur ne s’ennuie pas un seul instant, se prenant au jeu du Lecteur et désireux de voir où le conduira sa quête, tandis que les débuts de roman que le Lecteur est amené à lire, bien loin de seulement frustrer le lecteur, l’incitent à exercer son imagination ; Si par une nuit d’hiver un voyageur tient ainsi dans une certaine mesure de « l’œuvre ouverte », mais sait également rattraper le lecteur en bout de course pour le reprendre dans ses filets et le guider insidieusement au travers d’une Europe de l’Est fantasque, jusqu’à la fin, le moment où il pourra à son tour refermer Si par une nuit d’hiver un voyageur, le phénoménal roman d’Italo Calvino.

Un livre sur les livres, sur les lecteurs et sur les auteurs. Et là où l’on pouvait craindre le pensum, un livre d’une légèreté complice tout à fait singulière, passionnant de bout en bout, magnifiquement écrit, transgressif au possible, et tout simplement génial. À lire à tout prix.

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Des zombies partout

Publié le par Nébal


BÉTAN (Julien) & COLSON (Raphaël), Zombies !, avec la collaboration de Julien Sévéon, Lyon, Les Moutons électriques, coll. Bibliothèque des miroirs, 2009, 342 p.

 

BROOKS (Max), Guide de survie en territoire zombie, [The Zombie Survival Guide], traduit de l’anglais par Patrick Imbert, illustrations de Max Werner, Paris, Calmann-Lévy, coll. Interstices, [2003] 2009, 318 p.

 

BROOKS (Max), World War Z. Une histoire orale de la guerre des zombies, [World War Z], traduit de l’anglais par Patrick Imbert, Paris, Calmann-Lévy, coll. Interstices, [2006] 2009, 428 p.

BALAGUERÓ (Jaume) & PLAZA (Paco), [Rec]
Titre original : [Rec].
Année : 2007.
Pays : Espagne.
Genre : Horreur / Zombies / Survival / « Mockumentary ».
Durée : 75 min.
Acteurs principaux : Manuela Velasco, Ferran Terraza, Jorge Serrano…

ROMERO (George A.), Diary of the Dead
Titre original : Diary of the Dead.
Titres alternatifs : Chroniques des morts-vivants, George Romero’s Diary of the Dead, Land of the Dead 2.
Année : 2007.
Pays : États-Unis.
Genre : Horreur / Zombies / Satire / « Mockumentary ».
Durée : 95 min.
Acteurs principaux : Michelle Morgan, Joshua Close, Shawn Roberts…

Partout, vous dis-je, ils sont partout.

Youpi !

Car, je ne sais pas si je vous l’ai déjà dit, mais j’aime les zombies. Oh, oui.

C’est « le seul mythe moderne », à en croire Deleuze et Guattari… ou, en ce qui me concerne, le rabat du bel essai sobrement intitulé Zombies ! de Julien Bétan et Raphaël Colson, tout récemment publié aux Moutons électriques, dans la toute nouvelle collection de la « Bibliothèque des miroirs ». Un beau bouquin abondamment illustré, qui vient prolonger des articles que l’on avait pu lire dans Fiction. Le zombie y est envisagé sous toutes ses formes, du vaudou à l’infection, et sur tous les supports (même si on note, sans surprise, le caractère éminemment cinématographique de la bestiole). Idéal pour les novices, cet essai n’apprendra pas forcément grand chose aux amateurs (quoique… disons que l’on pourra noter ici ou là quelques oublis – pas forcément dramatiques dans l’ensemble –, ou regretter que les analyses des films de zombie post-Romero, sérieux ou pas, soient finalement assez limitées), mais est d’une lecture agréable, bien conçu, et d’une richesse indéniable. Après le laborieux Science-fiction. Les Frontières de la modernité, c’est un sacré soulagement (même si c’est à nouveau truffé de coquilles…). Nébal être content.

Mais dans la foulée sont également sortis deux autres ouvrages zombifiques, dus à la plume de Max Brooks (oui, le fils de Mel), et fort bien traduits par Patrick Imbert. On passera assez vite sur l’amusant Guide de survie en territoire zombie (tout est dans le titre), sans oublier pour autant d’en placer illico un exemplaire dans votre bunker perso, pour quand les zombies débarqueront vraiment. « Ce livre peut vous sauver la vie », après tout. Et si la plaisanterie est un peu longuette, on avouera néanmoins qu’elle est tout à fait savoureuse, multipliant les clins d’œil et surfant allègrement sur les délires type « théorie du complot », etc. À lire par petits bouts, sauf peut-être la dernière partie, évoquant avec talent les résurgences du virus zombifique au cours de l’histoire.

Bien plus intéressant est le pendant de cet ouvrage, clairement romanesque cette fois, publié en parallèle, à savoir World War Z. Une histoire orale de la guerre des zombies (très chouette couverture, d’ailleurs).

(Au passage, je signale une bizarrerie dans la keufna où j’ai fait l’acquisition de ces deux beaux volumes de l’excellente collection Interstices : le Guide de survie en territoire zombie se trouvait au rayon SF, tandis que World War Z était en littérature anglo-saxonne ; comme quoi, on est bien dans l’interstitiel. Ou alors c’est juste que les lecteurs de SF sont plus bêtes ou plus blagueurs que les autres, je vous laisse le choix.)

Bon, World Warz Z, donc. Un roman construit comme un documentaire (succession de témoignages ; c’est à la mode, faut croire – suivez mon regard en direction du très bon Outrage et rébellion de Catherine Dufour), mais qui n’a cette fois rien d’une vilaine blague. Le ton est tout ce qu’il y a de sérieux et de grave. Et, chose étrange, cela marche magnifiquement bien. Max Brooks a su tirer les meilleures leçons des films de Romero pour construire un roman effrayant et fort, où l’horreur pure ne néglige jamais la satire sociale... et l'humanité. À n’en pas douter un des meilleurs romans de ce début d’année 2009, que je vous recommande chaudement, que vous soyez fanatique de zombies ou pas.

Parlons maintenant un peu de cinéma, avec deux films sortis à peu près à la même époque et aujourd’hui disponibles en DVD (depuis un petit moment déjà), que je n'ai vus que tout récemment, et qui présentent d’étonnantes (?) similitudes, puisqu’il s’agit de deux films de zombies filmés caméra à l’épaule façon « mockumentary ».

Commençons par [Rec], des Espagnols Jaume Balagueró et Paco Plaza. Un petit budget horrifique ma foi fort bien foutu (alors que Balagueró ne m’avait jusqu’alors pas convaincu – j’avais été très déçu par La Secte sans nom…), où nous suivons une équipe de télévision partie filmer la vie d’une caserne de pompiers, et qui se retrouve bientôt enfermée dans un immeuble où… bon, y’a des zombies. Intéressant de voir que pour une fois, il ne s’agit pas d’empêcher les zombies de rentrer, mais bien pour les vivants en sursis d’essayer de sortir. Le film se montre très efficace, et les auteurs s’amusent avec leur caméra, passant par une multitude de ficelles destinées à accentuer l’effet de réel (mouvements non contrôlés, son qui foire, lumière, batterie, etc.). Et c’est fort sympathique, même si nettement moins bon qu’on a pu le dire ici ou là. La fin, en ce qui me concerne, m’a d’ailleurs tristement déçu… Une honnête série B, efficace (au premier visionnage, en tout cas), et c’est l’essentiel.

Diary of the Dead
, en dépit des apparences, n’a à peu près rien à voir. Romero revient ici aux racines de son cinéma zombifique, le film ne prenant pas la suite de Land of the Dead, mais retournant aux débuts de l’épidémie. Nous y suivons une équipe de cinéma, cette fois, partie tourner un film d’horreur minable très Hammer au moment où les morts commencent à ressusciter. Alors, tout en essayant de survivre, l’apprenti réalisateur décide de filmer pour « informer les gens », en diffusant ses images sur le ouèbe. Comme toujours chez Romero, le zombie est un prétexte autorisant une cinglante satire sociale. Mais cette fois, hélas, ça ne marche pas vraiment. Le point de départ est pourtant intéressant dans son ambiguïté : on nous informe immédiatement que le film revendique son montage, et que de la musique a été rajoutée ; on brise ainsi les codes du Projet Blair Witch ou de [Rec] (et de Cannibal Holocaust, etc., et dans un sens de La Nuit des morts-vivants…) pour s’interroger sur le point de vue et la vérité. Mais il y a un double problème qui rend ce film décevant. D’une part, on pourra remarquer que si, dans la plupart des films de ce genre, on peut se poser la question « pourquoi continuent-ils à filmer ? », cette fois c’est plutôt l’inverse : « Pourquoi commencent-ils à filmer ? ». Passé le superbe (faux) plan séquence du prologue, une fois que l’on a rejoint notre petite troupe d’étudiants, la magie est brisée par l’invraisemblance : il n’y a aucune raison pour que le jeune réalisateur filme les engueulots de ses acteurs (en exagérant d’ailleurs sur « l’effet de réel »), ou s’empresse de les interroger façon TV réalité ou casting alors que le drame débute, ou a fortiori qu’il filme jusqu’à ses scènes de ménage… Ce problème de vraisemblance m’a paru gênant, quand bien même il participe sans doute (avec une foultitude de clins d’œil) de la réflexion du film sur l’information et la manipulation. D’autre part, le film semble se chercher entre humour et horreur, des passages de pure comédie venant de temps à autre parasiter le propos autrement très grave, là encore d’une manière peu vraisemblable et déstabilisante. Diary of the Dead contient des éléments intéressants, mais n’emporte pas l’adhésion. Avec ce film bancal, on est très loin des meilleurs Romero.

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"Une étoile m'a dit", de Fredric Brown

Publié le par Nébal

 

BROWN (Fredric), Une étoile m’a dit, [Space on my Hands], traduit de l’américain par Jacques Papy, [Paris], Denoël – [Gallimard], coll. Folio Science-fiction, [1954, 2000] 2005, 300 p.

 

Après une longue interruption, retour à Fredric Brown, avec ce troisième recueil de nouvelles de SF, bien différent des excellents Lune de miel en enfer et Fantômes et farfafouilles. Là où l’on (enfin, moi, en tout cas) connaît surtout l’auteur de l’indispensable Martiens, go home ! en tant que spécialiste des short stories vraiment très très short, Une étoile m’a dit n’est composé que de huit nouvelles de taille « conventionnelle ». Et, par ailleurs, si l’auteur est connu pour faire dans la SF humoristique, qui domine dans les deux recueils précités, ce n’est clairement pas le cas dans celui-ci, sauf rares exceptions qui n'en sont pas totalement : les récits sont généralement teintés d’une certaine gravité (que l’on avait déjà pu constater, néanmoins), et se place clairement sous le signe de la folie.

 

Il en va ainsi dès la première nouvelle, « Quelque chose de vert… » (pp. 9-24), variation sur le mode tragique de Robinson Crusoë. Une nouvelle glaçante, quand bien même largement prévisible.

 

« Anarchie dans le ciel » (pp. 25-68), avec son postulat improbable et son excellente chute, ramène le sourire, mais contient malgré tout au fond un certain malaise dans son portrait de l’homme confronté à l’absurde (ou au nonsense, comme vous voudrez), et il en va dans un sens un peu de même pour les récits policiers SF « Tu n’as point tué » (pp. 69-95) et plus encore le long « Cauchemar » (pp. 133-197), un texte interrogeant la réalité et la folie derrière une enquête policière impossible.

 

Entre temps, si « Les Myeups » (pp. 97-114) nous a ramené au versant le plus humoristique de Fredric Brown, « Un coup à la porte » (pp. 115-131), pour n’être pas dénué d’une certaine malice, s’est montré à son tour plutôt sombre et grave. Rappelons ces superbes premières lignes, caractéristiques du talent de l’auteur : « Je connais une jolie petite histoire d’épouvante qui tient en deux phrases : Le dernier homme sur la Terre était assis tout seul dans une pièce. Il y eut un coup à la porte… » Balaise, tout de même.

 

Retour ensuite à quelque chose de plus léger (en apparence ?) avec « Mitkey » (pp. 199-232), sa souris astronaute et son savant fou nécessairement allemand doté d’un accent à couper au couteau…

 

Mais c’est en définitive l’angoisse de la folie qui clôt ce recueil, avec le terrible « Tu seras fou » (pp. 233-300), quand bien même la folie, selon l’usage comique, consiste ici à se prendre pour Napoléon Bonaparte. Mais supposons un instant que ce soit vrai ? Très fort.

Une étoile m’a dit
est donc un recueil tout ce qu’il y a de recommandable. Ce n’est sans doute pas la meilleure porte d’entrée à l’œuvre de Fredric Brown, ni l'ouvrage le plus représentatif de son talent. Aussi, à la différence de Lune de miel en enfer et de Fantômes et farfafouilles, on n’en fera peut-être pas une lecture indispensable. Elle vaut néanmoins le détour, et éclaire d’une facette plus ou moins inattendue le talent d’un auteur phare qui avait décidément plus d’un tour dans son sac.

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La "Trilogie de Gormenghast", de Mervyn Peake

Publié le par Nébal


PEAKE (Mervyn), Titus d’Enfer, [Titus Groan], illustrations de Mervyn Peake, traduit de l’anglais par Patrick Reumaux, préface d’André Dhôtel, Paris, Phébus, coll. Libretto, [1959, 1998] 2006, 502 p.

 

PEAKE (Mervyn), Gormenghast, [Gormenghast], illustrations de Mervyn Peake, traduit de l’anglais par Gilberte Lambrichs et Patrick Reumaux, préface de Patrick Reumaux, Paris, Phébus, coll. Libretto, [1968, 1977, 2000] 2006, 552 p.

 

PEAKE (Mervyn), Titus errant, [Titus Alone], illustrations de Mervyn Peake, traduit de l’anglais par Patrick Reumaux, préface d’André Dhôtel, Paris, Phébus, coll. Libretto, [1959, 1967, 1979, 2001] 2006, 281 p.

 

Ayé, j’ai enfin lu la « trilogie de Gormenghast ». Bon, sans doute pas au meilleur moment (parce que, attention, c’est du lourd), mais je l’ai lue. Enfin. Depuis le temps qu’on m’en disait le plus grand bien ! Mais, si le retard s’est accumulé, ce n’est pas ma faute, d’abord. C’est tout simplement parce que, si je trouvais sans difficulté aucune les tomes 2 et 3 (Gormenghast et le bien plus court Titus errant), je n’arrivais pas à mettre la main sur le premier volume, Titus d’Enfer. Nulle part ; j’ai essayé toutes les librairies toulousaines, et, non, ce tome 1 manquait toujours. Heureusement, il y a Scylla ; et lors d’une virée parisienne, après un léger temps d’arrêt, j’ai enfin pu faire l’acquisition du tout.

 

Ne restait plus qu’à lire ces 1300 et quelques pages. Facile…

 

Ben non. Pas si évident que ça. Parce que j’ai rarement lu quelque chose d’aussi touffu. La plume de l’auteur (jusqu’alors connu essentiellement en tant qu’illustrateur) est d’une générosité peu commune, et se déploie au travers de longues et riches descriptions, le tout constituant à peu de choses près un gargantuesque et précieux poème en prose, d’un abord aride et quelque peu effrayant. La « trilogie de Gormenghast », qu’on se le dise, se mérite. Mais le jeu en vaut la chandelle.

 

En tout cas, en parler n’est pas non plus évident, ce que le traducteur Patrick Reumaux admet volontiers lui-même dans sa préface à Gormenghast. Régulièrement, quand je me baladais en lisant ces beaux volumes, il se trouvait quelqu’un pour me poser la question inévitable : « Ça parle de quoi ? »

 

 

Ben, euh…

 

Pas facile, vous dis-je.

 

Mais essayons. Nous avons donc Gormenghast, un château titanesque au pied d’une montagne. Dans ce château réside la noble famille d’Enfer, et une armada de serviteurs. Le premier roman débute alors que les habitants apprennent la naissance de Titus, héritier du titre, destiné à devenir le 77e comte d’Enfer et seigneur de Gormenghast. Mais, à la Tristram Shandy, Titus, pour donner son nom à deux des trois volumes, n’apparaît encore guère dans le premier, qui s’achève avec son premier anniversaire. Nous suivons jusqu’alors essentiellement deux trames : la lutte sans merci entre deux des principaux domestiques, le valet Craclosse et le chef cuisinier Lenflure, et l’ascension (sociale et « concrète ») de l’arriviste Finelame, manipulateur ambitieux et avide de vengeance, que Julien Sorel, à côté, bah c’est un peu un pédé, quand même. Pour le reste, nous nageons dans les rites immuables et absurdes qui rythment la vie de Gormenghast. Et là, quoi qu’en dise le préfacier André Dhôtel, qui parle de « gaffe », il y a tout de même bien à mon sens un peu de Kafka dans tout ça ; mais pas celui du Château, non, davantage celui du Procès. Et du Lewis Carrol aussi, mais davantage celui de Sylvie et Bruno que celui d’Alice (voyez les professeurs, notamment, dans le deuxième tome). Et beaucoup d’autres choses, qui font de Titus d’Enfer un roman inclassable, foisonnant, brillant – c’est magnifiquement écrit (et traduit) – mais aussi terrifiant. Un brin ennuyeux parfois – d’autant que l’on ne sait pas où l’on se rend –, le plus souvent fascinant néanmoins (j’ai dévoré les 200 dernières pages, en gros).

 

Gormenghast reprend le fil quelques années plus tard, et se place sous le signe de la révolte prométhéenne, Finelame poursuivant son œuvre de destruction, tandis que Titus, enfant, se montre de plus en plus rebelle aux rites, à la Loi et à l’école, et rêve de vagabondage. Ce deuxième tome amplifie tout ce qui faisait la saveur du premier volume, jusqu’à s’achever en une saisissante apothéose. Et, au long des deux romans, les morts s’accumulent, et la folie s’insinue de plus en plus dans le château, dont la faune, pourtant bien barrée dès le départ, sombre dans le délire alors qu’un déluge submerge progressivement Gormenghast.

 

Dans Titus errant, enfin, le 77e comte d’Enfer et seigneur de Gormenghast, adolescent, succombe à l’appel de l’extérieur, et quitte sa demeure ancestrale, pour se perdre dans un monde peut-être plus déjanté encore que celui dans lequel il avait grandi jusqu’alors, et où l’on en vient à questionner la réalité de Gormenghast, inconnu de tous. Ici, j’avouerai – lèse-majesté ? – que ce troisième roman, pour être deux fois plus court que les précédents, et sans doute plus rythmé (il se découpe en très brefs fragments), ne m’a pas autant séduit, et m’a plutôt ennuyé. L’absence du fascinant cadre du château, sans doute. Et overdose, peut-être.

 

Il n’en reste pas moins que cette trilogie, si elle a de quoi rebuter, constitue bien un monument littéraire unique en son genre. L’abord n’est pas facile, mais les visions et la poésie qui coulent de ces pages sont une récompense à la hauteur du challenge. Et l’on comprend mieux, par ailleurs, l’influence qu’a pu avoir Mervyn Peake sur certains des auteurs maintes fois rencontrés en Nébalie, et en premier lieu Michael Moorcock (et peut-être Edward Whittemore, aussi).

À lire. Courage, bonne chance, « nous sommes avec vous », mais n’hésitez pas.

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"L'Aleph", de Jorge Luis Borges

Publié le par Nébal

 

BORGES (Jorge Luis), L’Aleph, [El Aleph], traduit de l’espagnol par Roger Caillois et René L.-F. Durand, [Paris], Gallimard, coll. L’Imaginaire, [1962, 1967, 1977] 2007, 220 p.

 

Après Le Livre de sable, et avant de revenir aux indispensables Fictions, j’ai poursuivi mes lectures borgessiennes avec cet excellent recueil paru (après quelques tours et détours labyrinthiques) dans la non moins excellente collection « L’Imaginaire » chez Gallimard.

 

« Le recueil de la maturité de Borges conteur », nous dit Roger Caillois. Je le crois volontiers, d’autant qu’il m’a encore davantage séduit que le plus tardif dans l'ensemble Livre de sable. Ce bref volume comprend en effet nombre de merveilles, le plus souvent d’une concision caractéristique de l’auteur (si l’on excepte notamment la première nouvelle, « L’Immortel », plus longue que d’habitude, mais non moins fascinante). On y trouve en tout cas toutes les obsessions de l’auteur, le labyrinthe, le double, la mort et l’infini, autant de thèmes souvent traités en usant de références bibliographiques fantaisistes, quand ils ne s’inscrivent pas dans la tradition orale du conte. La plume de l’auteur s’y montre particulièrement sobre et acérée, et le lecteur se régale du début à la fin, les nouvelles se répondant mutuellement pour former un recueil d’une unité inattendue.

 

Une seule nouvelle ne m’a pas véritablement convaincu, à savoir « Le Zahir », qui m’a laissé pour le moins perplexe (pourtant…). Le reste est un vrai bonheur, et notamment les nouvelles « macabres » et/ou labyrinthiques traduites originellement par Roger Caillois, qui constituent à mon sens le cœur du recueil : « L’Immortel », « Histoire du Guerrier et de la Captive », « La Demeure d’Astérion », « La Quête d’Averroës », « L’Écriture du Dieu », « Abenhacan el Bokhari mort dans son labyrinthe », et « Les Deux Rois et les Deux Labyrinthes ». J’y rajouterais, de mémoire, « Les Théologiens » et « L’Aleph ».

 

Plus encore que pour Le Livre de sable, il me paraît impossible de décortiquer davantage le recueil sans sombrer dans la paraphrase ou l’anéantissement du charme ; j’ajouterais que, au jour où je rédige cette note, ma lecture de L’Aleph commence un peu à dater, et mes souvenirs en sont plus ou moins flous (ou, peut-être plus exactement, confus), de l’eau ayant coulé sous les ponts… Plutôt que d’écrire des bêtises, je préfère donc m’en tenir (bêtement, peut-être ; paresseusement, sans doute) à ces quelques lignes, ou vous renvoyer à la note de Francis Berthelot dans sa Bibliothèque de l’Entre-Mondes.

Et vous recommander chaudement cet excellent recueil, emblématique d’un des plus grands écrivains du XXe siècle.

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