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Lovecraft au cinéma, d'Alain Pelosato

Publié le par Nébal

Lovecraft au cinéma, d'Alain Pelosato

PELOSATO (Alain), Lovecraft au cinéma. Avec la lettre de Pierre Dagon à Ralsa Marsh, Saint-Denis, Éditions Édilivre Aparis, 2011, 129 p.

 

Elle n'est pas facile, la vie de lovecraftophile compulsif. Pour dénicher très éventuellement un ou deux bijoux – en fait tout au plus des friandises la majeure partie du temps –, elle implique de se farcir quantité d'étrons, « hommages » au Maître dont celui-ci se serait sans doute bien passé. Cela vaut, à l'évidence, pour les très nombreux (trop, trop nombreux) « pastiches » censés participer de la mythologie lovecraftienne (ou plus souvent, hélas, derlethienne) ; mais c'est aussi vrai des essais. À l'évidence, les Joshi sont rares.

 

Prenez ce livre d'Alain Pelosato, par exemple. Je n'arrive pas à comprendre comment j'ai pu en faire l'acquisition. Bon sang : « édité » chez Édilivre – autrement dit pas édité du tout –, ça aurait dû suffire pour me faire fuir cette bouse indigente, mais non. Compulsion... Le nom d'Alain Pelosato aussi aurait dû me faire peur ; mais à l'époque de mon achat, je n'avais sans doute jamais entendu parler du monsieur. Depuis, cependant, on m'a dessiné à plusieurs reprises un portrait guère flatteur de ce sinistre personnage ; et là, après avoir lu – non, soyons honnête, « survolé », parce que bon – ce torchon, ben je comprends mieux, du coup.

 

Mais voilà : je me suis senti contraint de jeter un œil à ce machin quand j'ai appris que je devais participer prochainement, à l'occasion de la Necronomi'con lyonnaise (4 et 5 juillet 2015), à une table ronde sur les adaptations cinématographiques de Lovecraft où serait présent le monsieur (en tête d'affiche, même).

 

Mazette. Risque non négligeable que ça soit sportif, voire violent...

 

Car ce torchon est à n'en pas douter un des pires « livres » que j'ai jamais lus (et pas seulement dans le domaine fangeux de la lovecraftophilie la plus sordide). Rien d'étonnant à ce que ça ait fini chez Édilivre : aucun éditeur digne de ce nom n'aurait accepté de publier cette horreur.

 

Ce « livre » (bon sang que ça fait mal de reconnaître que cette abomination est un livre...) tient en effet de la performance scabreuse (et implique chez le lecteur une dose de masochisme franchement déraisonnable). Construit de bric et de broc, il a certes pour thème essentiel les adaptations cinématographiques de Lovecraft, mais comprend aussi un chapitre (dont on se demande franchement ce qu'il fout là) sur le rapport à la nature dans les œuvres du Maître de Providence, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il n'est guère convaincant, ainsi qu'une nouvelle absolument dénuée du moindre intérêt, « La Lettre de Pierre Dagon à Ralsa Marsh » (Pierre Dagon étant un pseudonyme de « l'auteur »). Bon, inutile de développer outre mesure sur ces bouche-trous...

 

Reste Lovecraft au cinéma, donc. L'essentiel, hein. En notant d'emblée, beau témoignage de sérieux et de professionnalisme, qu'un chapitre entier, d'une quinzaine de pages, est consacré aux films que Pelosato... n'a pas vus. Bon... Cela dit, le reste vaut le détour, même si tout cela est largement redondant dans les différents chapitres, qui reviennent sans cesse sur les mêmes films et les mêmes réalisateurs, témoignage supplémentaire mais particulièrement éloquent de l'absence de véritable plan, autant dire au-delà de méthode, caractérisant ce machin (dépourvu par ailleurs de toute réflexion d'ensemble, ne serait-ce que sur la difficulté à figurer, à représenter l'horreur lovecraftienne...). Le lovecraftophile, même très amateur, n'y apprendra somme toute pas grand-chose (à s'en tenir aux films listés), mais aura l'occasion, régulièrement, en tournant les pages les yeux exorbités et la sueur au front, de tomber sur des morceaux d'anthologie, à mourir de rire, ou à vomir, disons les deux, tiens, et en même temps.

 

Car Alain Pelosato, dans ce bouquin construit n'importe comment, écrit avec les tentacules et à l'évidence pas relu (ça dépasse les simples coquilles : il y a régulièrement d'authentiques fautes, voire, c'est récurrent, des fragments entiers manquants), fait preuve d'un sens critique extraordinaire. Sa synthèse est impressionnante à cet égard ; pour m'en tenir à un exemple, et non des moindres, je mentionnerais la « critique » finale du Re-Animator de Stuart Gordon : « Adaptation des nouvelles Herbert West de Lovecraft. Brrr... » Je vous épargne les autres, ça revient souvent au même. Considérer que ce film dont le gore se veut humoristique puisse faire frissonner, en même temps, c'est assez édifiant. Mais ne lui accorder qu'un « Brrr... » en guise de synthèse finale, même s'il y a eu davantage de développements concernant ce métrage auparavant, relève au choix de l'escroquerie, du je-m'enfoutisme ou de l'incompétence (et peut-être de tout cela à la fois).

 

Mais Alain Pelosato est à n'en pas douter un authentique cinéphile. Je dirais même un cinéphile punk. Seul un cinéphile punk peut en effet trouver du talent à Uwe Boll (pour Alone in the Dark et pour House of the Dead, « qui n'était pas non plus un si mauvais film que cela... »), ou dire de l'affreux Alien vs. Predator de Paul W.S. Anderson que c'est un « superbe film ! ».

 

Bon : le manque de discernement de « l'auteur » est stupéfiant, qui opère un nivellement par le bas dont on aurait envie de ricaner, même s'il se présentait sous la forme hélas commune d'un blog complaisant – alors un livre... Car presque tout est bon, aux yeux de Pelosato. Sans même parler de la fidélité à Lovecraft : pour en rester à Stuart Gordon, on peut ici évoquer le cas de son From Beyond, qui a certes bien des fans parmi les bisseux, mais pour une fois je n'en fais pas partie ; là n'est pas la question, et je veux bien jouer le jeu du « les goûts, les couleurs » ; par contre, prétendre que c'est « fidèle » ? Euh... Je ne me souviens plus des passages SM fétichistes dans la nouvelle de Lovecraft, mais ça doit être que j'ai une mauvaise mémoire.

 

La vision d'Alain Pelosato est à vrai dire plus qu'à son tour perturbante. Et, au-delà des questions d'appréciation, toujours discutables, les erreurs factuelles ne manquent pas : à titre d'exemple, insister, en 2011, sur le caractère « maudit » et « rejeté par l'establishment » de John Carpenter, là où ledit réalisateur est sans doute un des rares à bénéficier d'une reconnaissance critique pour ses films de fantastique ou de science-ficton, même pour les plus B, voire parfois Z, ça témoigne quand même assez de ce que Pelosato a des œillères...

 

J'imagine que je pourrais encore broder, quant à la pure critique, ou, et c'est encore plus gênant, aux lacunes dans l'énumération des films d'inspiration lovecraftienne, ce genre de choses. Mais ce n'est sans doute pas nécessaire : je suppose que les quelques paragraphes qui précèdent suffisent à reléguer ce Lovecraft au cinéma dans les oubliettes de l'auto-édition pour guignols. Fuyez cette horreur. La lovecraftophilie compulsive ne justifie pas tout...

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L'Usage des armes, de Iain M. Banks

Publié le par Nébal

L'Usage des armes, de Iain M. Banks

BANKS (Iain M.), L'Usage des armes, [Use of Weapons], traduit de l'anglais par Hélène Collon, Paris, Robert Laffont, coll. Ailleurs & Demain, [1990] 1992, 415 p.

 

(Euh...)

 

(Mf.)

 

(Faut que je vous avoue un truc : pour rédiger ce compte rendu miteux, je me base sur des notes prises il y a pas loin de deux mois de ça, immédiatement après ma lecture du roman.)

 

(Le problème, c'est que je ne m'en souviens pas du tout... C'est dire si ce troisième tome du « cycle de la Culture » m'a marqué...)

 

(Bon, les bêtises que je vais écrire par la suite sont donc à prendre avec des pincettes, comme d'habitude, oui, mais plus.)

 

(Mes notes d'alors commençaient ainsi :)

 

Tiens ! Ne crions pas victoire trop tôt, mais peut-être que je le tiens enfin, le Banks qui me botte vraiment.

 

(Ouais, tu parles, visiblement...)

 

Jusque-là (Efroyabl Ange1, Une forme de guerre et L'Homme des jeux), j'avais tendance à trouver ça « bon, mais... », et là j'ai envie de dégager le « mais... » (enfin, pas tout à fait, on ne se refait pas).

 

(Aheum...)

 

Le meilleur des livres que j'avais lus a été conservé (je ne parle pas ici des passages phonétiques d'Efroyabl Ange1), et le pire a été en bonne partie évincé (sous-entendu : il n'y a pas trop de tirage à la ligne ou ce genre de choses).

 

Un des principaux intérêts de L'Usage des armes par rapport aux romans précédents est qu'il permet de mieux appréhender la Culture de l'intérieur, quand bien même c'est essentiellement à travers les yeux de Cheradenine Zakalwe, mercenaire de son état (et espion et stratège), en principe non affilié ; ce qui peut rappeler, sur un mode inversé, le Bora Horza Gobuchul d'Une forme de guerre ; leur rapport à la Culture, à l'un comme à l'autre, est « forcé » ; Zakalwe, cependant, a un supérieur au sein de la Culture, Dziet Sma (lourd passif entre les deux), qui a parfois du mal à gérer les méthodes violentes de son pupille.

 

Se pose alors, une fois de plus et avant toute autre considération, la question de l'hégémonie de la Culture ; celle-ci est présente dès le début du cycle, dans une version « soft power », mais elle est cette fois beaucoup plus frontale : la Culture entend bien s'étendre sur les mondes qu'elle « protège », par la force si besoin est. Ambition classique de ces gens (enfin, ici, des Mentaux, probablement...) qui entendent faire le bonheur des autres malgré eux et sans leur demander leur avis...

 

L'Usage des armes est construit sur deux lignes narratives. Dans l'une, au « présent », nous voyons Sma rechercher par tous les moyens Zakalwe pour le faire réintégrer la branche Contact de Circonstances Spéciales (et c'est pas évident), puis, une fois le mercenaire retrouvé, l'engager dans une très complexe mission où la diplomatie et l'espionnage cèdent bientôt la place à la pure stratégie militaire (passablement tordue).

 

L'autre ligne narrative s'intéresse à Zakalwe seul, et remonte dans le temps pour mieux comprendre la psychologie du personnage (un « mieux » tout relatif, le mélange délibéré des époques rendant parfois la lecture confuse au premier abord).

 

Sma et surtout Zakalwe sont des personnages complexes et authentiques, que l'on suit avec plaisir (malgré le final « psychanalytique »?). Leurs motivations sont ambiguës, leurs émotions à fleur de peau, tout cela résultant d'un passé pas toujours facile à admettre, et qui, à l'occasion, remplace la pseudo-guerre « publique » par quelque chose de « privé ».

 

Le style est à l'avenant, qui parvient à éviter dans l'ensemble le tirage à la ligne qui m'avait semblé si pénible dans Une forme de guerre (notamment pour les interminables scènes d'action). On ne devrait pas cependant voir en L'Usage des armes un roman de science-fiction purement « cérébrale » : si l'univers qui y est dépeint est largement moins baroque que celui d'Une forme de guerre, le roman reste divertissant, et – ouf – on ne s'ennuie pas à sa lecture.

 

Et donc voilà : en dehors de quelques pages un peu trop confuses, peut-être, en milieu de roman (mais il y a ici une intention que je peux difficilement saisir avec le recul), L'Usage des armes m'a davantage convaincu que les précédents. Ceci étant, c'est bien avec le suivant, Excession, que j'ai enfin trouvé un roman de la Culture parfaitement à mon goût ; à bientôt, donc.

 

(Et pardon...)

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Pub copinage : "Le Mont 84", d'Yves & Ada Rémy

Publié le par Nébal

Pub copinage : "Le Mont 84", d'Yves & Ada Rémy

RÉMY (Yves & Ada), Le Mont 84, Évry, 2015, 415 p.

 

Hop.

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Pub copinage : "Roche-Nuée", de Garry Kilworth

Publié le par Nébal

Pub copinage : "Roche-Nuée", de Garry Kilworth

KILWORTH (Garry), Roche-Nuée, [Cloudrock], traduit de l’anglais par Monique Lebailly, Paris, Scylla, [1988-1989] 2015, 204 p.

 

Hop.

 

(J’avais déjà parlé de la précédente édition ici.)

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Pub copinage : "Il faudrait pour grandir oublier la frontière", de Sébastien Juillard

Publié le par Nébal

Pub copinage : "Il faudrait pour grandir oublier la frontière", de Sébastien Juillard

JUILLARD (Sébastien), Il faudrait pour grandir oublier la frontière, Paris, Scylla, coll. 111 111, 2015, 60 p.

 

Hop.

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"Histoires", d'Arno Schmidt

Publié le par Nébal

"Histoires", d'Arno Schmidt

SCHMIDT (Arno), Histoires, traduction de l'allemand et postface par Claude Riehl, Auch, Tristram, coll. Souple, [1966, 2000] 2015, 174 p.

 

Drôle de métier que celui d'écrivain, quand même. Entre 1955 et 1959, époque de composition de ces Histoires, Arno Schmidt a déjà publié ce que l'on considère souvent comme son chef-d'œuvre, asseyant son style comme sa renommée, l'extraordinaire Scènes de la vie d'un faune. Il n'en vit pas pour autant, bien sûr, et loin de là ; il est même passablement dans la dèche, et ses rapports avec ses éditeurs sont conflictuels, ces derniers refusant de publier ses œuvres ultérieures. C'est alors qu'un ami – un Méphistophélès ? – lui fait cette suggestion saugrenue : se tourner vers les journaux et revues... et écrire des histoires – ô mon Dieu ! – « simples » et immédiatement « compréhensibles » de tous. C'est de ces papiers éparts que va naître ultérieurement ce recueil d'Histoires, effectivement – mais peut-être en apparence seulement ? – d'un abord nettement plus aisé que Scènes de la vie d'un faune, même si le dernier texte, baptisé de manière arrogante « Parasélène et yeux roses (n° 24 de la série Faust de l'auteur) », en rappelle quelque peu la manière.

 

Pour le reste, nous avons donc... des Histoires, « compréhensibles » et cependant plus riches qu'il n'y paraît, et certes pas dénuées d'intérêt. En fait, Arno Schmidt y déploie tout son sens du détail et de l'anecdote, autre façon d'envisager un grand écrivain, et ceci quitte à picorer dans ses propres œuvres... ou dans celles des autres (on a inévitablement parlé de « plagiat », mais le terme n'est guère approprié ; disons plutôt « recyclage »...).

 

On peut distinguer deux catégories dans ces Histoires : dans la première, qui occupe essentiellement le début du recueil malgré quelques retours plus tardifs, nous vivons dans la bonne société allemande réunie autour du chef géomètre Stürenburg, à la retraite, petit cénacle très XIXe siècle qui raffole de contes macabres et d'anecdotes cruelles. Ces histoires « macabres » (au sens où il y a souvent au moins un mort à la clé) sont probablement les plus « classiques » du recueil, mais elles me paraissent aussi les plus réussies ; la peinture de ce petit monde bourgeois, fait de pédants et de bigotes, est un vrai délice. On s'identifie très tôt à ces personnages hautement caricaturaux, et l'on s'immisce ainsi dans leur conversation futile, qui est cependant pour l'auteur l'occasion de déployer son savoir passionné sur la géométrie, l'astronomie, etc.

 

Le reste n'est certes pas négligeable pour autant. Exeunt Stürenburg et compagnie, oui, mais reste le narrateur, à l'âge fluctuant, généralement écrivain, généralement aigri, toujours dans la dèche. On tend bien évidemment à reconnaître, sous ces « déguisements » qui ne déguisent en somme rien, l'Arno Schmidt d'alors, avec ses lubies (notamment bibliophiles) et son « voyeurisme », qui en fait là encore un maître de l'anecdote. L'anodin prend vie sous la plume inspirée de l'auteur, qui se livre mine de rien, et à partir de ce quasi-rien, à des études de mœurs très fines, ou à des circonvolutions psychologiques, sociologiques, politiques, philosophiques, ce que vous voudrez.

 

Et puis, des fois, il se lâche malgré tout, ainsi dans « son » Faust, peut-être manière de régler ses comptes avec la littérature allemande, qui rappelle au-delà qu'Arno Schmidt n'est pas qu'un peintre d'anecdotes, mais sans doute avant tout un puissant styliste, redoutable dans son maniement iconoclaste de la langue (félicitations inévitables au traducteur Claude Riehl) ; j'aurais envie de dire « poète », du coup, mais un vrai...

 

Contrairement à ce que prétend la quatrième de couverture, je ne ferai pas de ces Histoires une porte d'entrée idéale pour l'œuvre d'Arno Schmidt : elles sont trop « normales »... Mais ce détour par la « normalité » n'empêche en rien ces brefs textes de constituer un recueil fort recommandable, témoignant des multiples facettes d'un écrivain de génie.

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"Epées et démons", de Fritz Leiber

Publié le par Nébal

"Epées et démons", de Fritz Leiber

LEIBER (Fritz), Epées et démons, [Swords and Deviltry], traduit de l'américain par Jacques Parsons (et Brian Hester pour la préface), Paris, Opta – Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1970, 1972, 1977, 1982] 1984, 251 p.

 

Et là j'ai d'emblée envie de demander pourquoi.

 

POURQUOI ?

 

À l'heure où l'on nous abreuve jusqu'à plus soif, mais depuis longtemps à vrai dire, de sous-fantasy, qui trouve certes aisément preneur dans notre triste monde tragique, pourquoi certains des plus grands classiques du genre, ses meilleurs représentants, sont-ils relégués dans les tréfonds de l'inconscient fantaisiste ? On a certes fini par avoir des belles éditions des « Conan » de Robert E. Howard (et plus puisque affinités) chez Bragelonne, de « Kane » de Karl Edward Wagner en Lunes d'encre puis en Folio-SF (un terrible flop, ai-je cru comprendre), et d' « Imaro » de Charles Saunders en Mnémos... Autant de contre-exemples qui semblent démontrer que j'abuse un peu avec mon « pourquoi ». Eh. Bon, d'accord, en fait, une seule chose le « justifie » : à l'heure où j'écris ces lignes, le « cycle des Épées » de Fritz Leiber n'est pas disponible en neuf. Constat déprimant, aggravé par un début de réédition chez Bragelonne... qui n'a jamais été conduit à terme.

 

Et je trouve ça triste, quand même. Parce que, qu'on le veuille ou non, Fafhrd et le Souricier Gris figurent parmi les personnalités les plus notables de l'heroic fantasy (ou sword'n'sorcery, comme vous voudrez), et que Lankhmar, la métropole cosmopolite où ils séjournent régulièrement, est sans doute LA ville emblématique du genre (je ne vois qu'Ankh-Morpork pour rivaliser, dans un genre bien différent – même si je ne serais pas étonné d'apprendre que Terry Pratchett, pour le coup, s'était justement inspiré de Fritz Leiber). Avec le « cycle des Épées », classique d'entre les classiques, Fritz Leiber a donné une coloration urbaine à la fantasy, qui lui manquait jusque-là, et a mis au premier rang un semi-barbare frustré dans sa quête de civilisation (et donc à la fois un nouveau Conan, et un anti-Conan) et un apprenti magicien raté, tout deux contraints de se faire voleurs (ou parfois contre-voleurs), ce qui changeait un peu la donne, et a eu une influence considérable – sur les œuvres de fantasy ultérieures, mais aussi en matière de jeu de rôle, par exemple : si l'on prend le vénérable Donjons & Dragons, il apparaît clairement que la classe de voleur trouve ici une bonne part de son inspiration (même s'il faut y rajouter Jack Vance, notamment avec « la Terre mourante ») ; la suite, du coup...

 

Ce tome inaugural qu'est Épées et démons obéit, comme les volumes ultérieurs, à une chronologie interne qui n'a rien à voir avec les dates de publication (elles-mêmes potentiellement différentes des dates de composition) ; je suppose que les nouvelles ont été quelque peu retouchées en vue de leur publication en volume de la sorte.

 

Aussi s'agit-il d'une pure introduction, mais qui passe cependant très bien, sous la forme de trois nouvelles (assez longues dans l'ensemble). La première, « Les Femmes des Neiges », explique comment le barbare nordique Fafhrd a fui sa tribu et sa tyrannie (empruntant une forme matriarcale...), délaissant toutes ses responsabilités pour assouvir sa soif de civilisation. Dans la deuxième, « Le Rituel profané », nous nous tournons cette fois vers l'apprenti sorcier Souris, et voyons comment il devient le Souricier Gris, du fait notamment de son échec à choisir entre magie blanche et magie noire (on peut d'ores et déjà noter que par la suite, pour ce que j'en ai lu, la dimension « magique » du personnage est un peu mise de côté, tandis qu'il devient surtout un archétype de voleur).

 

Les deux héros souffrent grandement dans ces deux nouvelles, qui ne leur épargnent rien, physiquement comme psychologiquement. Mais il y trouvent aussi tous deux l'amour... Un amour qui ne saurait être que tragique, comme le dévoile le titre de la dernière nouvelle, « Mauvaise Rencontre à Lankhmar », qui introduit, dans une débauche de magnificence comme de caniveaux débordant de fange, la métropole de la Toge Noire, la plus grande ville de Newhon. Mais quelle est au juste cette mauvaise rencontre ? Celle de Fafhrd et du Souricier Gris (la seconde, en fait, après un épisode anecdotique précédant les deux premières nouvelles) ? Celles de leurs amantes respectives ? Celle de la Guilde des Voleurs à laquelle ils s'opposent en contre-voleurs « chevaleresques » – même si, nobles intentions et ivresse mises à part, ils n'ont jamais tant ressemblé à leurs ennemis ? Celle – plus probablement – du mage employé par la Guilde, dont la brume noire et les toiles d'araignées auront des effets si terribles ?

 

C'est par ailleurs ce qui fait la force de ce premier tome du « cycle des Épées » : si, par la suite, l'horreur comme l'humour auront leur rôle à jouer, je retiens ici une certaine puissance tragique fort à propos, jusque dans les scènes les plus cocasses à vrai dire (car il y en a déjà), et jusque dans les scènes d'action les plus rondement menées. Autant dire que cette « vieillerie » n'a en rien vieilli...

 

Suite avec Épées et mort...

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"World War Cthulhu", de Brian M. Sammons & Glynn Owen Barrass (ed.)

Publié le par Nébal

"World War Cthulhu", de Brian M. Sammons & Glynn Owen Barrass (ed.)

SAMMONS (Brian M.) & BARRASS (Glynn Owen) (ed.), World War Cthulhu : A Collection of Lovecraftian War Stories, illustrations intérieures de M. Wayne Miller, Portland, Dark Regions Press, 2014, 347 p.

 

Ben oui, une anthologie lovecraftienne de plus. Quand je vous dis que je peux pas suivre le rythme... De temps en temps, quand même, j'en chope une, soit que j'ai un bon a priori (par exemple pour les Black Wings éditées par S.T. Joshi, voyez ici pour la troisième livraison), soit que je suis curieux – avec éventuellement une certaine dose de perversion masochiste... World War Cthulhu relève clairement de cette seconde catégorie ; je l'ai achetée sur un coup de tête – il faut dire que j'avais commencé à m'intéresser, en jeu de rôle, à Achtung ! Cthulhu, même si la présente anthologie est loin de se limiter à la Seconde Guerre mondiale – et j'avais un peu peur de ce que j'allais y trouver... Mais j'ai lu la chose quand même. Et finalement c'était pas si pire, plutôt, même, une bonne surprise...

 

L'idée de base de cette anthologie, assez explicite dans le sous-titre, peut paraître étrange. En effet, quoi qu'en disent les éditeurs dans leur avant-propos, l'évocation de la guerre chez Lovecraft est assez rare ; il y a bien « Le Temple », et des toutes petites choses dans « Herbert West, réanimateur », par exemple ; à la limite, « Le Cauchemar d'Innsmouth », pour son final, mais vraiment à la limite, hein (on mettra à part les affrontements entre créatures du « Mythe », comme par exemple dans Les Montagnes Hallucinées). Pas grand-chose, donc. Pourtant, l'idée de corréler le « Mythe » avec la guerre a fait florès, et c'est loin d'être la première fois que des pastiches jouent cette carte (parfois pour une réussite remarquable – lisez par exemple « A Colder War » de Charles Stross –, plus souvent sans doute pour des récits pulp anecdotiques), et ce sans même parler des jeux de rôle (il y en a un qui s'appelle justement World War Cthulhu, d'ailleurs, mais aucun lien pour ce que j'en sais). Pourquoi pas, du coup ?

 

… peut-être parce que le risque est grand de se retrouver avec des atrocités du genre de « Loyalty » de John Shirley, qui ouvre le présent recueil (le pire des choix !). Le contexte est celui d'une « guerre des mondes » futuriste, sans autre précision. Les humains désemparés y réveillent Cthulhu pour lutter contre les envahisseurs, quitte à passer un pacte avec le Grand Méchant Poulpesque... Si c'est pas une idée à la con, ça ; anti-lovecraftienne au possible... La filiation est très nette avec les pires récits d'August Derleth et peut-être plus encore de Brian Lumley, ce qui veut tout dire ; mais c'est peut-être encore plus (!) à côté de la plaque, et parfaitement ridicule. Je ne vous cacherai pas que la lecture de cette indicible merde m'a fait très peur pour la suite...

 

Par la suite, quelques textes, disons-le, sont effectivement mauvais, sans atteindre à la stupidité de « Loyalty ». Par exemple, « The Turtle » de Neil Baker, qui remonte à la guerre d'Indépendance, et bourre sa nouvelle avec un prototype de sous-marin, des Profonds, et Dagon en prime ; c'est très mauvais, et ça fonctionne d'autant moins que l'existence de ces vilaines bébêtes y est peu ou prou notoire... W.H. Pugmire, dans « To Hold Ye White Husk », donne une suite au « Temple », façon onirique (cauchemardesque, bien sûr), mais ça n'a pas grand intérêt. William Meikle traite de la Seconde Guerre mondiale dans « Broadsword », où les Mi-Gos lancent un ultimatum bourrin aux chefs d'États impliqués pour qu'ils mettent fin à la guerre (gnu ?)... et ça ne fonctionne pas, dans tous les sens du terme. Konstantine Paradias, dans « The Sinking City », se projette dans le futur, pour un nouvel assaut sur R'lyeh, et ça n'a absolument aucun intérêt. Suit immédiatement « The Shape of a Snake » de Cody Goodfellow, qui prend pour cadre la Seconde Guerre américano-mexicaine ; le lieutenant-colonel Roosevelt, futur président des États-Unis, se retrouve littéralement dans un très gros bordel ; mais c'est bourrin et assez vite lassant.

 

Heureusement, le reste est de meilleure tenue. Il y a bien des récits médiocres, ou sympa sans plus, mais qui se lisent... T.E. Gran remonte à la guerre d'Indépendance avec « White Feather », l'assez « joli » portrait d'un capitaine de marine qui sombre dans le blasphème après avoir découvert un ersatz d'Innsmouth ; voui, pas mal... Christine Morgan évoque la guerre de Troie dans « The Ithiliad » ; les Troyens y adorent les Grands Anciens... Amusant, sans plus ; la fin est bien, ceci dit. Les éditeurs de l'anthologie donnent ensuite « Dark Cell », un récit contemporain finalement pas si guerrier que ça, ou du moins pas de la manière dont on le conçoit d'habitude : un traître à l'IRA et un agent de la CIA s'y allient contre des tarés druidiques qui souhaitent lâcher en plein Londres des Sombres Rejetons de Shub-Niggurath ; moui, divertissant... Tim Carran évoque à nouveau la Seconde Guerre mondiale dans « The Procyon Project », où un vétéran de Guadalcanal est confronté à un plan visant à faire des Grands Anciens (mais d'abord des Mi-Gos) des armes de destruction massive, et forcément ça tourne mal ; un peu concon, mais surtout anodin... Et l'anthologie de se conclure sur « Wunderwaffe » de Jeffrey Thomas, qui prend le cadre futuriste de Punktown, l'univers créé par l'auteur, basé sur le voyage dimensionnel ; un mélange de bonnes idées, et d'autres nettement moins bonnes, pour un résultat médiocre, comme de juste.

 

Et puis il y a de bons textes. Stephen Mark Rainey, dans « The Game Changers », prend pour cadre la guerre du Vietnam, et livre une variation sur (entre autres) « La Couleur tombée du ciel » ; l'ambiance est chouette, et c'est plutôt bien vu. Robert M. Price, avec « The Sea Nymph's Son », nous dit toute la vérité sur l'Iliade, et notamment sur Achille, et ça passe plutôt bien. Edward M. Erdelac retourne au Vietnam dans « The Boonieman », récit parfaitement horrible (avec une touche de Clive Barker ?), et très convaincant. David Conyers & David Kernot livrent « The Bullet and the Flesh », qui a pour cadre une atroce guerre civile au Zimbabwe, avec des enfants soldats faisant face à des rejetons de Shub-Niggurath employés comme armes ; et bon appétit, bien sûr ! Autre jolie réussite, « Long Island Weird – The Lost Interviews » de Charles Christian (qui traite vaguement de la Seconde Guerre mondiale, voire d'autres conflits, mais c'est en filigrane) est un chouette délire conspirationniste à plusieurs voix, bourré de références (ce qui peut gaver, mais je trouve que là ça passe bien). Bien aimé aussi « The Yoth Protocols » de Josh Reynolds, chouette variation sur la guerre froide à partir du « Tertre », avec une belle ambiance. Lee Clark Zumpe retourne à la Première Guerre mondiale dans « A Feast of Death », qui narre le sort tragique de prisonniers britanniques en Turquie ; belle ambiance, cadre original, on regrettera quand même un peu que la fin soit aussi précipitée... L'anthologie est dédiée à C.J. Henderson, décédé peu avant sa parution, et dont on lira ici « Mysterious Ways », nouvelle qui commence à l'époque romaine, puis se poursuit de nos jours, avec un Nyarlathotep particulièrement méphistophélique, et une « fausse victime », et c'est pas mal du tout. Suit « Magna Mater » d'Edward Morris, pour la Première Guerre mondiale : une nouvelle très mystérieuse et inquiétante (traitant notamment du trésor de Rennes-le-Château), comprenant de nombreuses allusions, entre autres à Clark Ashton Smith et William Hope Hodgson, et c'est bien. « Cold War, Yellow Fear » de Peter Rawlik est une intéressante variante sur le « Signe Jaune » dans le contexte pour le moins tendu de la crise des missiles cubains. Suit immédiatement « Stragglers from Carrhae » de Darrell Schweitzer, qui se déroule en Asie mineure, à l'époque romaine, après une sévère défaite des légionnaires contre les Parthes ; ça oscille entre cauchemar horrible et farce grotesque, et c'est étonnamment bien vu.

 

Ben, au final, c'était pas si pire... Non, franchement, plutôt une bonne surprise. Certes, ça n'a rien d'indispensable/génial/transcendant, mais les textes plus que corrects tendent quand même à dominer. Alors, oui, il faudrait brûler tous les responsables de la publication de « Loyalty », mais en dehors de cette mauvaise première impression, le reste est satisfaisant ; on n'y trouve pas d'aussi bons textes que dans Black Wings III, par exemple, mais peu importe : oui, bonne surprise. Juste un petit regret pinailleur : tout ceci m'a paru quand même un peu trop américano-centré ; mais bon, ça va.

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"L'Homme des jeux", de Iain M. Banks

Publié le par Nébal

"L'Homme des jeux", de Iain M. Banks

BANKS (Iain M.), L'Homme des jeux, [The Player of Games], traduit de l'anglais par Hélène Collon, préface de Gérard Klein, Paris, Robert Laffont – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1988, 1992, 1996] 2012, 478 p.

 

Retour au « cycle de la Culture » de Iain M. Banks avec L'Homme des jeux, deuxième titre de la série en VO (après Une forme de guerre), mais étrangement le premier à avoir été traduit en français. Il faut dire que nombreux sont ceux qui m'avaient présenté ce deuxième tome comme une meilleure introduction au cycle que le premier, que j'avais bien aimé, certes, mais qui m'avait laissé aussi un brin perplexe, avec son trip old school « Pirates de l'espace », et surtout sa fâcheuse tendance à tirer à la ligne, notamment lors des (nombreuses) scènes d'action. C'est malgré tout avec un a priori plutôt positif que j'ai entamé la lecture de L'Homme des jeux, espérant y trouver, sous sa couverture particulièrement hideuse, plus frontalement tout ce que je me sentais en droit d'attendre de ce cycle réputé.

 

Cela dit, là aussi, on fait dans la référence à des classiques de la SF – cette idée d'un jeu central au niveau politique m'a inévitablement fait penser à Philip K. Dick (Loterie solaire, Les Joueurs de Titan, voire mais c'est plus discutable Le Temps désarticulé), et donc probablement derrière à l'ignoble A.E. Van Vogt (Les Joueurs du Ā?). Une ambiance un peu différente du baroque vancien d'Une forme de guerre, mais un jeu (aha) de références tout de même, qui ne saurait sans doute être innocent.

 

Bon, la Culture, vous connaissez : c'est cette grand civilisation galactique ou presque, anarchisante et hédoniste, avec à sa tête, si tant est qu'elle en ait une, des intelligences artificielles ultra-balaises appelées Mentaux ; une société libérale et même libertaire, forcément pacifiste et non-hégémonique. Forcément, hein ? Sauf que c'est là que le bât blesse – ce qu'on avait déjà pu constater dans Une forme de guerre. Du coup, je n'ai pas le sentiment de spoiler quoi que ce soit ici : dans L'Homme des jeux, comme dans le précédent volume, Iain M. Banks questionne l'universalisme utopique, cette tendance profondément libérale (mais qui a essaimé ailleurs...) à vouloir, via le soft power, faire le bonheur des autres malgré eux...

 

Ici, nous avons donc la Culture d'un côté, et Azad de l'autre. Tout y est Azad, d'ailleurs : c'est le nom de l'empire, dont l'existence a longtemps été tenue secrète par la Culture, mais c'est aussi celui du jeu qui attribue les responsabilités les plus notables, et jusqu'à celle de l'Empereur, passé quelques « grandes années ». Tout y est Azad, donc, et le jeu décide de tout.

 

Ce qui en fait un jeu idéal pour Gurgeh, qui n'en avait bien sûr jamais entendu parler jusque-là. Gurgeh, il faut le dire, est un joueur-de-jeux, et un des meilleurs de la Culture – voire le meilleur. Il a pratiqué des dizaines de jeux, mémorisé règles et stratégies par centaines, et toujours ou presque trouvé le moyen de triompher.

 

Mais une « faute de jeu » (une gourmandise, disons) va le mettre dans le pétrin, un vilain drone menaçant de le faire chanter. Ledit drone sait que Gurgeh a été joint il y a peu par Contact, la branche de Circonstances Spéciales, sans autre précision sur ses intentions. Or notre drone, qui a été exclu en raison de son mauvais caractère de Circonstances Spéciales, entend bien réintégrer cette agence, et incite ainsi Gurgeh à accepter la mystérieuse offre de Contact.

 

L'offre ne reste pas mystérieuse bien longtemps, certes ; on lui demande, à lui l'humain de la Culture, d'aller participer au tournoi d'Azad (ce qui implique une absence de cinq ans, tout de même). Oh, bien sûr, en dépit de la formation accélérée que lui fournira son vaisseau durant le long voyage, il ne pourra que perdre, hein ? Sauf que Gurgeh est un sacré joueur-de-jeux ; et après quelques doutes bien légitimes, il parvient à regagner une certaine confiance en lui qui devrait lui assurer une bonne place, disons honorable, dans le classement final : une première pour un étranger en provenance d'une civilisation inconnue d'Azad.

 

Mais c'est qu'il joue vraiment bien, le bougre ; il ne va pas aller jusqu'à affronter l'Empereur-Régent sur son terrain, tout de même ? Si ?

 

Et si c'était ce que la Culture voulait dès le début ? C'est qu'elle est bien jolie, la Culture... mais elle est aussi sacrément manipulatrice. Et ambitieuse, quoi qu'elle prétende...

 

Bilan ? Eh bien, à l'instar d'Une forme de guerre, L'Homme des jeux est à n'en pas douter un bon roman. Il gomme un peu les traits les plus fâcheux de son prédécesseur (ça tire notamment un peu moins à la ligne, même si le livre fait son poids), tout en mettant en avant quelques belles trouvailles façon « ethno-SF », un peu à la Vance encore, mais pour le coup peut-être davantage à la Le Guin (une influence du cycle plus que probable), par exemple les trois sexes des sujets d'Azad ; on mentionnera aussi, parce que wahou, le magnifique écosystème de la Planète de feu où se conclut la partie. Les personnages sont plus ou moins intéressants (Gurgeh m'a paru assez terne, son agaçant drone-bibliothèque est autrement plus chouette, mais il en va de même de quelques-uns de ses adversaires au jeu d'Azad), le style oscille entre le banal et le bon voire très bon, l'intelligence du propos ne saurait faire de doute (même si on comprend donc vite où Banks veut en venir).

 

Et tout cela donne... un bon roman, oui. Mais si bon que ça ? Je n'en ai hélas toujours pas l'impression... Sur ces deux premiers volumes, le « cycle de la Culture » me déçoit un peu (sentiment à vrai dire confirmé par la suite, j'en suis au cinquième roman, et...). Il est vrai que j'en attendais beaucoup... Prochaine étape : L'Usage des armes.

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"Dix Petits Nègres", d'Agatha Christie

Publié le par Nébal

"Dix Petits Nègres", d'Agatha Christie

CHRISTIE (Agatha), Dix Petits Nègres, [Ten Little Niggers], traduit de l'anglais par Gérard de Chergé, postface de François Rivière, Paris, Librairie des Champs-Élysées – LGF, coll. Le Livre de poche, [1939-1940, 1963, 1993] 2012, 222 p.

 

Je me souviens encore de mes premiers émois littéraires – avant que je ne me mette à tout dévorer suite à ma découverte émerveillée du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien, s'entend. Il s'agissait probablement, et tout d'abord, de L'Appel de la forêt de Jack London, puis de Vingt-Mille Lieues sous les mers (surtout) et De la Terre à la Lune de Jules Verne (par contre, en dépit de tous mes efforts, je ne suis jamais parvenu à terminer Autour de la Lune...). Mais il y eut aussi entre-temps une période durant laquelle je me suis pris d'intérêt, sinon de passion, pour les récits policiers « à l'ancienne ». C'est ainsi que mon peu de goût pour Edgar Allan Poe ne m'a pas empêché de lire et relire les aventures de C. Dupin (et en premier lieu bien sûr le Double Assassinat dans la rue Morgue), mais j'ai surtout dévoré alors les Sherlock Holmes de Sir Arthur Conan Doyle (quelques-uns, en tout cas ; je me tâte, j'aimerais bien tenter la relecture un de ces jours...).

 

Et puis, un peu plus tard, il y a eu Agatha Christie. J'ai sans doute beaucoup moins pratiqué la « Duchesse de la Mort » que ses devanciers précités (même si j'en ai vu un certain nombre d'adaptations cinématographiques ou télévisuelles, inévitablement), mais je n'en ai pas moins été bluffé par certaines de ses plus belles réussites, sommets du genre, perfections du whodunit d'une astuce diabolique ; et là je pense avant tout au Crime de l'Orient-Express et plus encore aux Dix Petits Nègres. En fait, cela faisait longtemps que l'envie me titillait de retenter l'expérience avec ces romans (ou avec Le Meurtre de Roger Ackroyd, que, honte sur moi, je n'ai pas lu...), pour voir s'ils me feraient toujours le même effet aujourd'hui. Désœuvré, errant dans une cafeteria d'hosto, je suis il y a peu tombé sur un présentoir où une vingtaine de livres étaient proposés à la vente ; c'est-à-dire, grosso merdo, 95 % de Musso-Levy-Pancol... Mais je suis pourtant tombé par hasard sur un exemplaire de Dix Petits Nègres. L'occasion faisant le larron, j'en ai fait l'acquisition... et ai à nouveau dévoré cette merveille.

 

Est-il vraiment nécessaire de rappeler ici l'intrigue de ce monument du suspense ? Bon, allez, pour la forme... Dix personnes de toutes conditions (ce qui inclut deux domestiques) sont invitées à passer un séjour sur la mystérieuse Île du Nègre, sur laquelle courent les rumeurs les plus folles quant à son acquéreur et ses projets. Quoi qu'il en soit, les dix répondent présents à l'appel d'un certain A.N. O'Nyme (ben tiens...), et les voilà qui embarquent pour l'île coupée de toute civilisation. Les hôtes sont étrangement absents (…), mais tout est assuré pour que ce séjour se déroule dans les meilleures conditions. Les invités apprennent bien vite à se connaître, et à se haïr ou s'apprécier. Mais il y a cette comptine idiote des « Dix Petits Nègres » affichée dans chaque chambre, nursery rhyme morbide apparemment sans raison d'être. Et il y a ces statuettes de petits nègres dans le salon – au nombre de dix.

 

Tout se passe bien, jusqu'à ce qu'un gramophone se fasse entendre, qui accuse les dix personnes présentes d'avoir commis un homicide d'autant plus odieux qu'il échappe à la loi. Le jeune Marston prend cela à la rigolade, se ressert un verre... et tombe foudroyé par le poison. Il n'y aura bientôt plus que neuf statuettes... Et chacun de se mettre en piste de l'assassin : est-il extérieur au groupe, dissimulé quelque part sur l'île... ou, pire encore, fait-il partie des convives ? Horreur et paranoïa se conjuguent avec un brio inégalé tandis que les morts s'accumulent et que les statuettes disparaissent une à une. Il faudra alors se rendre à l'évidence : personne ne se tirera vivant de cette île de cauchemar...

 

L'intrigue, disons-le, est parfaite. Horrible de bout en bout, pourtant toujours crédible et d'une mécanique à toute épreuve, elle emporte le lecteur angoissé dans une mise à l'épreuve de la fatalité dans ce qu'elle peut avoir de plus impitoyable.

 

Certes, Agatha Christie n'était probablement pas une très grande styliste : on soupire parfois devant ses abus de points de suspension ou d'exclamation, ou encore son usage immodéré des italiques (clichés du suspense depuis, on trouve à vrai dire ça dans tous les thrillers ou presque...). Mais peu importe : quelle conteuse d'exception ! Une fois entamé Dix Petits Nègres, il est impossible de lâcher ce roman jusqu'au fin mot de l'histoire, merveilleusement conçue, et qui en fait bien, à n'en pas douter, un chef-d'œuvre du genre.

 

Mais quel genre, d'ailleurs ? Policier ? J'ai un peu de mal à user de ce qualificatif en l'occurrence ; c'est tout de même bien différent des Hercule Poirot ou Miss Marple... Nous sommes bien plutôt ici devant un thriller, voire un pur roman d'horreur ; un concitoyen m'a fait remarquer que, dans un sens, ça tenait du slasher, et je suis tout à fait d'accord...

 

Comme le note François Rivière dans sa postface, « le whodunit (qui a fait le coup ?) s'associe au howdunit (comment s'y est-il pris ?) dans un duel serré de l'auteur avec le lecteur, celui-ci restant bon gré mal gré soumis à l'insoutenable tension d'une dissimulation totale des manigances de l'assassin ». Et c'est ainsi, en s'éloignant du whodunit pur, que « Christie réalise un autre exploit, celui de ne pas composer à proprement parler un ''roman policier'', mais un roman ne ressemblant à rien de ce qu'ont produit ses confrères et néanmoins rivaux, […] un livre inclassable mais dans lequel se reflète comme en un miroir de sorcière tout son art poétique. »

 

Et c'est là l'essentiel : roman à part, il est surtout d'une efficacité incroyable qui transcende les étiquettes. Et on peut bien le qualifier de chef-d'œuvre : quelque chose comme 20 ou 25 ans après ma première lecture, j'en suis ressorti à nouveau béat d'admiration pour l'art de l'auteur (tout en disposant d'un recul que je n'avais certes pas gamin). Pas dit qu'ils soient très nombreux, les livres (a fortiori dits « populaires ») à même de faire cet effet... Dix Petits Nègres est une leçon virtuose, le thriller ultime, celui que trop d'écrivaillons cherchent à copier, sans jamais pouvoir l'égaler. Ils ont encore beaucoup de boulot pour arriver à faire aussi fort...

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