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"Personne n'en sortira vivant", de Marc Villard

Publié le par Nébal

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VILLARD (Marc), Personne n’en sortira vivant, Paris, Rivages, coll. Noir, 2003, 153 p.

 

Suite de mes pérégrinations dans des tout petit bouquins, et tant qu’à faire dans mes tentatives pour découvrir un brin les polars français. J’étais dans un lieu de perdition quand la conversation a porté sur Marc Villard. Intrigué, intéressé même par ce qui s’en disait, j’ai demandé un titre idéal pour découvrir l’auteur, et on m’a dirigé sur ce court recueil de nouvelles qu’est Personne n’en sortira vivant. Titre alléchant, qui en dit long sur la noirceur de la chose, ce qui n’est certes pas pour me déplaire.

 

Et, effectivement, Marc Villard assène ici au lecteur au fil des pages bon nombre de coups de poing dans la gueule, ou plus probablement dans le bide. Personne n’en sortira vivant, c’est noir, oui ; c’est rude, sec et violent ; mais c’est surtout plus qu’à son tour sordide. L’auteur fait ici volontiers dans le cracra, voire le franchement dégueulasse. Tout va mal, mais le pire est encore à venir. Le lecteur, du coup, s’il en sort vaguement vivant malgré tout, ne s’en va pas indemne après avoir fermé le recueil.

 

J’ai coutume de dire qu’un livre (ou une autre œuvre, d’ailleurs) qui parvient à mettre le lecteur mal à l’aise a nécessairement quelque chose d’intéressant. Mais j’ai l’impression, avec Personne n’en sortira vivant, d’avoir trouvé la limite à cet axiome un peu facile. En effet, si le goût du sordide de l’auteur se montre très efficace, et si l’on se retrouve bel et bien régulièrement nauséeux en tournant les pages de ce bref recueil, c’est à mon sens d’une manière trop « presse-bouton » pour être véritablement pertinente. Certes, Marc Villard sait manipuler son lecteur à merveille, il sait appuyer là où ça fait mal, et faire en sorte que la sensation de malaise se prolonge quelque temps encore après que l’on a fini telle ou telle nouvelle. L’atrocité des situations n’est pas un vain mot, et, sous cet angle, Personne n’en sortira vivant ne laisse certainement pas indifférent. Mais de là à emporter l’adhésion (mon adhésion, en tout cas) ? Je n’en ai pas le sentiment.

 

Je reconnais pourtant bien des qualités à la chose, et notamment une qui pourrait tout légitimer, au-delà de la seule efficacité : l’habileté de la plume de l’auteur. Car, oui, Marc Villard écrit bien, de toute évidence. Son style incisif et musical se montre particulièrement approprié, et autorise l’auteur à dénicher du beau dans le plus sordide. Assez jolie performance sous cet angle.

 

Mais ce n’est à mon sens pas suffisant pour me convaincre de l’intérêt de ce recueil. Oui, il est bien fait ; oui, il met mal à l’aise ; mais moi, en tout cas, il ne m’a pas vraiment passionné. J’en ai tourné les pages sans véritable plaisir, quand bien même un brin pervers ; la vague nausée qui m’a saisi m’a paru trop mécanique pour que je m’en délecte. Oui, décidément, c’est le caractère « presse-bouton » de ce recueil qui m’a déçu… Je n’irais pas jusqu’à parler de « facilité », le travail de l’auteur saute aux yeux, mais le fait est que toutes ces situations tragiques, ces drames (et surtout ceux du quotidien), m’ont finalement laissé assez froid. Paradoxe que je m’explique assez mal, même s’il tient peut-être en partie à une certaine répugnance à me laisser manipuler de la sorte.

 

Plus d’un auteur, pourtant, en usant de mécanismes assez similaires, a su me passionner, de Sade à Palahniuk ; et le malaise terrible que j’ai éprouvé à la lecture de la scène claustrophobe du greffe dans Le Procès de Kafka reste un de mes plus grands souvenirs de lecture. Au cinéma, j’ai pris mon pied devant des films d’horreur tels que La Dernière Maison sur la gauche ou Cannibal Holocaust pour des raisons assez similaires, et ce en dépit des imperfections flagrantes de ces réalisations. Et la lecture de Personne n’en sortira vivant m’a ramené à toutes ces expériences. Mais elle m’a finalement laissé assez froid ; pourquoi ce qui a marché si souvent ne s’est pas montré aussi convaincant ici, alors que l’auteur fait preuve d’une indéniable adresse formelle, je ne me l’explique pas très bien… Question à creuser.

 

Mais le fait est que je n’ai pas retiré grand-chose de cette lecture. Oh, il y a bien eu quelques nouvelles pour me séduire, et en premier lieu « Dany bécote les cieux », chouette histoire carcérale qui m’a vraiment plu en dépit d’un postulat pas hyper crédible. Quand Marc Villard s’amuse avec les stars du cinéma, comme dans « Joliet Jake » ou « Qu’est-ce que la vie, Marcello ? », c’est de même assez intéressant. Dans le registre le plus trash, vraiment jusqu’au-boutiste, j’ai aussi trouvé de l’intérêt à « Ceux de la colline » (pour le coup, le mot « sordide » tient de l’euphémisme). Mais le reste ? Pas grand-chose à se mettre sous la dent à mon sens. Il y a le style, oui ; la musique, dans la forme comme dans le fond ; mais ces histoires ne m’intéressent pas vraiment.

 

En fait, j’ai un peu eu à la lecture de ce court recueil la triste impression de voir se confirmer certains de mes plus bêtes préjugés à l’encontre du polar français (auquel je ne connais rien, faut-il le rappeler…) : la dimension sociale m’a paru caricaturale, et le trash tenir trop du « trashouille » pour être vraiment honnête. Les ficelles sont grosses, donc ; la mécanique est apparente, sans être belle ; et, au final, c’est l’ennui qui l’emporte.

 

Bon, c’est pas dramatique, hein ; mais je n’ai décidément pas trouvé mon bonheur dans Personne n’en sortira vivant

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"Le Pont de San Luis Rey", de Thornton Wilder

Publié le par Nébal

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WILDER (Thornton), Le Pont de San Luis Rey, [The Bridge of San Luis Rey], traduit de l’américain par Julie Vatain-Corfdir, Paris, L’Arche, [1927] 2014, 123 p.

 

J’allais écrire que cette lecture était le pur produit du hasard… Mais, en même temps, le thème de ce très court roman de Thornton Wilder, prix Pulitzer 1928, est justement celui du hasard et de la nécessité. Alors quoi ? Était-ce un accident, vraiment ? Ou bien y avait-il une intention, quelque part ? Après tout, ce n’était pas par hasard que je déambulais dans cette librairie précisément, et ce n’était pas un hasard si ce livre y était exposé bien en évidence… La couverture ne payait pas de mine, mais le livre était court, comme la plupart de ceux que j’ai envie de lire en ce moment ; n’y avait-il pas, dès lors, quelque complot de quelque perfide libraire qui, connaissant mes failles, aurait mis ce livre précis à cette place précise dans l’espoir de susciter ma curiosité et de m’extorquer, l’épicier, la somme de 18 € tout de même (oui, tout de même…) ? Allez savoir… En temps normal, je suis plutôt partisan du hasard ; je ne crois pas au destin (même si c’est une idée qui me fascine, maintenant que j’y pense, j’ai gribouillé plusieurs texticules en traitant…), et encore moins à un quelconque Vieux Barbu ordonnant de sa main impérieuse la marche du monde et des crétins qui le peuplent… Mais cette question est bien évidemment plus complexe, et ne manque pas de me séduire. Peut-être était-il donc « écrit », malgré tout, que je lirais et que j’aimerais Le Pont de San Luis Rey

 

Le 20 juillet 1714, au Pérou, le pont de San Luis Rey, sur la route reliant Lima à Cuzco, s’effondre, emportant avec lui cinq voyageurs. Voilà qui aurait pu n’être qu’un simple fait-divers, quand bien même tragique. Mais Frère Genièvre s’empare du drame, et va lui conférer une dimension inattendue ; en fait, il va même, à sa manière, le faire entrer dans l’histoire… Frère Genièvre, en effet, est un produit de son temps, au croisement de la foi et de la raison, et qui entreprend dans un sens de réconcilier les deux. Il faut dire qu’en France – or c’est bien la France qui inspire paradoxalement le conte péruvien de Thornton Wilder –, nous dirions que nous sommes alors au crépuscule du Grand Siècle, et à l’aube du siècle des Lumières ; autrement dit en plein dans cette Crise de la conscience européenne qui fait l’objet du célèbre essai de Paul Hazard. Frère Genièvre est à la fois homme d’Église et homme de science ; et c’est sur cette dernière qu’il entend fonder sa foi… au risque de basculer dans l’hérésie. Il s’interroge donc sur l’effondrement du pont de San Luis Rey (un roi français, donc…), et cherche dans la biographie des victimes « l’intention » permettant de l’expliquer.

 

Dès lors, ce bref roman est constitué pour l’essentiel des portraits de trois figures essentielles (les deux autres victimes y sont liées, bien sûr) : la Marquesa de Montemayor, destinée à devenir par-delà sa mort une grande dame des lettres espagnoles (le personnage est un décalque assumé de Madame de Sévigné) ; Esteban, le jumeau survivant bien malgré lui ; Oncle Pio, l’aventurier et homme de théâtre. Tous sont indirectement liés, notamment au travers d’un personnage bien réel, cette fois : la Périchole, immense comédienne de l’époque (Thornton Wilder l’a semble-t-il dénichée dans un texte de Mérimée).

 

Trois portraits tragiques : la Marquesa de Montemayor est en conflit permanent avec sa fille (mais c’est à elle qu’elle destine ses si brillantes lettres), est rejetée de la cour du vice-roi, et subit les quolibets de la Périchole ; Esteban ne se remet pas de la mort de son frère jumeau, fou amoureux de la Périchole ; Oncle Pio, enfin, ne parvient pas à admettre que la Périchole abandonne le théâtre, autant dire sa vie. L’actrice est ainsi au cœur de l’histoire, personnage aussi admirable que répugnant, tour à tour les deux, ou simultanément peut-être… Ombre charismatique qui écrase les victimes du pont de San Luis Rey de sa superbe impitoyable. Mais la raison de « l’accident » est peut-être ailleurs, dans ce qui les a poussés, chacun de son côté, à emprunter ce pont au moment fatidique… à l’aube d’une vie nouvelle, placée sous les signes conjoints de la rédemption et de l’amour, au sens le plus religieux du terme.

 

Peu importe, dès lors, que l’on adhère ou pas au propos de Thornton Wilder (sans même parler du Frère Genièvre…), si tant est qu’il y en ait vraiment un : « Un accident, peut-être »… « Une intention, peut-être »… Au-delà de cet agencement des chapitres qui porte sans doute en lui une part de la réponse, on est encore en droit de s’interroger. Mais, en ce qui me concerne, l’important est probablement ailleurs, dans ces portraits si finement exécutés de personnalités à part, dans un cadre à la fois exotique et tellement proche. L’adresse psychologique de l’auteur n’a d’égale que l’élégance de sa plume ; c’est ainsi dans le fond comme dans la forme que ces personnages sont merveilleusement campés.

 

Le Pont de San Luis Rey est un magnifique camée, où chaque détail est mûrement pensé et exécuté avec tout l’art que l’on est en droit d’attendre d’un auteur méticuleux. Une très belle œuvre, aussi dense que subtile, qui emporte l’adhésion du lecteur en suscitant son empathie. Le hasard a bien fait les choses, donc ; ou peut-être est-ce la nécessité qui, une fois n’est pas coutume, a fait le bon choix à ma place, en me glissant ce très beau roman entre les mains…

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"La Véritable Histoire de Billy the Kid", de Pat F. Garrett

Publié le par Nébal

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GARRETT (Pat F.), La Véritable Histoire de Billy the Kid, [The Authentic Life of Billy, the Kid, the Noted Desperado of the Southwest, Whose Deeds of Daring and Blood Have Made His Name a Terror in New Mexico, Arizona and Northern Mexico, by Pat F. Garrett, Sheriff of Lincoln County, N. Mex., by Whom He Was Finally Hunted Down and Captured by Killing Him], traduit de l’anglais par Estelle Henry-Bossonney, préface de Thierry Beauchamp, Toulouse, Anacharsis, [1882] 2008, 202 p.

 

Billy the Kid est à n’en pas douter une des plus fameuses figures mythiques du Far West. Mais aussi, paradoxalement peut-être, une des plus mystérieuses. Votre serviteur, en tout cas, a toujours eu du mal à le cerner, même s’il est vrai que je n’ai commencé à m’y intéresser un tant soit peu qu’avec la lecture de Quién es ? de Sébastien Doubinsky. Il faut dire que l’on a raconté à peu près tout et n’importe quoi sur son compte, et ce dès son meurtre par le non moins célèbre (du coup) Pat Garrett, shérif du comté de Lincoln, désormais indissociable de sa légende.

 

Le présent ouvrage en témoigne, et à plus d’un titre à vrai dire, qui prétend livrer enfin (ou déjà…) la « véritable » histoire du Kid, mais consiste pour une bonne part en affabulations pures et simples, d’ailleurs non exemptes de contradictions ; et la préface de Thierry Beauchamp en rajoute une couche, en apportant certes d’indispensables éclairages sur la rédaction de ce texte séminal, mais aussi en livrant, quand bien même de manière autrement synthétique, sa propre version de la vie du Kid… qui tourne à peu de choses près à l’hagiographie, ou du moins l’apologie. Cruel desperado pour les uns, héros pour les autres, le Kid, pour être mort à l’âge de 21 ans, n’en a pas moins suscité les fantasmes des deux camps « pour » et « contre ». Ce qui participe bien sûr de ce statut mythique, et en fait une figure comparable à, disons, Jesse James.

 

La « gloire » du Kid a rejailli étrangement sur son meurtrier, Pat F. Garrett, qui a signé cette « véritable histoire » parue en 1882, très peu de temps après les faits, alors que la littérature s’était déjà emparée du phénomène, essentiellement au travers des dime novels qui faisaient les délices des pieds-tendres avides d’Ouest sauvage et cruel. Mais il n’en est bien sûr pas le véritable auteur, quand bien même il apparaît dans le récit (très tardivement) à la première personne ; l’écrivaillon derrière la chose était un certain « Ash » Upson (qui apparaît d’ailleurs lui aussi dans le texte, à la troisième personne du coup), journaliste itinérant porté sur la boisson, nous dit-on, et les citations de Shakespeare… même si, à la lecture de son œuvre, c’est bien plutôt de Walter Scott qu’il s’agit, qui est cité par moments à peu près une page sur deux, et presque systématiquement à contre-emploi ! Il faut dire que l’auteur avait la plume volontiers lyrique, pour ne pas dire pompeuse, ce qui contribue d’ailleurs à l’intérêt de la chose. Disons-le tout net, nous ne sommes pas ici en présence de « grande littérature » ; mais c’est parfois sacrément rigolo…

 

L’ouvrage peut être en gros divisé en trois parties. La première, totalement fantaisiste ou presque, raconte les premières années du Kid (difficile de parler de sa « jeunesse », du coup…) ; la pièce centrale, passablement complexe, c’est la « guerre du comté de Lincoln », conflit entre un gros éleveur et des plus petits ainsi que des commerçants, ce qui n’a pas manqué de me rappeler L’Homme des vallées perdues (dont Shane, du coup, subit un éclairage un peu différent…), voire Warlock ; enfin, la dernière partie raconte la longue traque du Kid par Pat Garrett, jusqu’à son meurtre dans des circonstances un tantinet ambiguës (d’aucuns parlaient d’assassinat, et Pat Garrett, qui en avait été innocenté, se sent contraint de se justifier ici).

 

Le portrait du Kid qui y est fait est étonnant, voire déroutant ; Pat Garrett, soucieux de passer pour un héros, doit forcément avoir un adversaire à sa mesure (pas question, donc, de faire de Billy un couard, comme certains l’avaient prétendu) ; mais la geste chevaleresque du shérif du comté de Lincoln passe aussi par une amplification des traits du Kid, qui est finalement présenté sous un jour assez sympathique : si Pat Garrett justifie son action, il ne fait pas pour autant de sa proie un être démoniaque, foncièrement mauvais, dénué de toute qualité. Bien au contraire ! Par un étrange retournement, du coup, c’est bel et bien le Kid qui est le véritable héros de cette histoire, et Pat Garrett, s’il revendique à sa manière lui aussi sa part d’héroïsme, a quelque chose de la sinistre Némésis… Aussi, La Véritable Histoire de Billy the Kid, dès 1882, amorce-t-elle dans un sens la réévaluation des faits et gestes du Kid. On n’en est certes pas encore à l’apologie qui suivra, mais ce texte étrange et bancal la contient paradoxalement quelque peu en germe.

 

C’est pour une bonne part ce qui fait l’intérêt de cette publication, et justifie sa réédition chez les très recommandables gens d’Anacharsis. Le portrait ambigu qui y est dessiné est tout à fait fascinant, à sa manière ; et la traque finale a bien quelque chose d’épique. On n’en fera pas pour autant un « bon western » : il manque pour cela une vraie plume ; le récit, malgré son amusant lyrisme, est très « journalistique » et passablement lapidaire (ce qui ne le rend pas toujours très facile à suivre, d’ailleurs). On est donc loin du brillant des romans précités, et de la plupart des autres que j’ai pu lire depuis l’été dernier. Peu importe, ce n’est pas pour cela que l’on lit cette Véritable Histoire de Billy the Kid. Il n’en reste pas moins qu’arrivé aux dernières pages (très instructives, notamment pour ce qui est de la double justification de Pat Garrett, à la fois pour avoir tué le Kid et pour publier ainsi son histoire – on l’accusait déjà d’être une sorte de vautour capitalisant sur son fait d’armes…), je ne savais toujours pas, au juste, qui était le Kid… Desperado ou héros, probablement les deux… Voleur, oui, meurtrier, aussi, sans doute… Mauvais ? Voilà qui est plus délicat. Une légende, en tout cas…

 

On peut s’interroger à vrai dire sur ce statut de légende, sur cette étrange attraction pour les « mauvais garçons », les truands, les brutes, que l’on ressent volontiers, qui que l’on soit, et qui en vient à quasiment déifier des crapules qui ne le méritent probablement pas, voire de sacrés connards, et à excuser voire légitimer leurs actions les plus sordides. Mais on en restera ici au stade de l’interrogation, je n’ai pas le bagage pour tenter d’y apporter un quelconque éclaircissement. Simple lecteur, je ne peux que faire part de ma satisfaction à la lecture de ce texte, divertissant et plus qu’à son tour rigolo, même s’il faut bien prendre conscience de ce dont il s’agit : un récit journalistique et orienté, tout sauf littéraire. Intéressant à n’en pas douter ; mais pour les westerns, veuillez voir ailleurs.

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"Un cercle d'oiseaux", de Hayden Trenholm

Publié le par Nébal

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TRENHOLM (Hayden), Un cercle d’oiseaux, [A Circle of Birds], traduit de l’anglais (Canada) par Christophe Bernard, [s.l.], Les Allusifs, [1993] 2013, 125 p.

 

Une fois n’est pas coutume, j’ai lu ce bref roman sur un coup de tête : la couverture m’a attiré, la quatrième de couv’ intrigué, tant par sa présentation de l’ouvrage que par celle de l’auteur, qui fait essentiellement dans la science-fiction, figurez-vous, mais dont je n’avais jamais entendu parler jusqu’à présent – il faut dire que c’est là sa première traduction française (le livre n’est cependant pas tout jeune – il a vingt ans, mais cela je ne l’ai découvert qu’en cours de lecture).

 

Nous sommes le 31 décembre 1999 ; tandis que le monde s’apprête à fêter le passage à l’an 2000, le narrateur – qui n’est a priori pas si vieux que ça – est cloîtré dans une chambre d’hôpital à Edmonton. Il souffre d’une affection baptisée « aminesis », la mort de la mémoire (une sorte d’Alzheimer ?). Ses souvenirs sont de plus en plus flous, il ne se rappelle pas toujours ce qui s’est passé, ni pourquoi il est là, ni la nature de cette affection (qu’il a notée sur une feuille à la tête de son lit, au cas où) ; il ne sait pas forcément davantage quand nous sommes, et où nous sommes ; il ne se souvient même pas quand il a pissé pour la dernière fois.

 

Mais il explore cette mémoire déficiente, des traces plus ou moins anciennes refont surface, jusqu’à perturber son présent. Il n’est pas en 1999, non, mais quelques années plus tôt à peine, ou bien quelques décennies, cela dépend. Il n’est pas forcément au Canada, mais peut-être en voyage en Espagne, ou au Mexique – sous acide. Il ne nous dit pas son nom, pas plus qu’il ne le dit aux autres, dans ses souvenirs tronqués – il prend soin de se dissimuler.

 

Et puis, un chapitre sur deux, nous suivons, dans la première moitié du XXe siècle cette fois, le destin tragique de Billy/Bill/William. Une histoire riche de souffrances, physiques comme morales : la crise s’abat impitoyable sur cet homme qui a connu la douleur et l’humiliation de bien des manières différentes.

 

Et, unissant ces deux trames, il y a, au-delà de la Grande Histoire que l’on n’oublie, elle, jamais en toile de fond, des indices, des révélations fugaces, des horreurs singulières. Un homme sombre. Un autre aux yeux gris très écartés. Des femmes, qui meurent. Des accidents de la route. Des sévices, des impostures, des mesquineries. Du feu. Des oiseaux, enfin, qui tracent des cercles dans le ciel…

 

Un cercle d’oiseaux n’est pas vraiment le livre idéal pour se réconcilier avec la vie. Il en développe au fil des pages une vision foncièrement noire, morbide même ; dans sa quête de souvenirs, le narrateur semble s’attarder surtout sur les mauvais (ça me rappelle quelqu’un…) ; quant à la vie de Billy/Bill/William, elle a les accents d’une tragédie personnelle, chaque étape ou presque étant plus horrible que la précédente. « Life is a hideous thing », comme disait l’autre…

 

N’empêche : se souvenir est important, constitutif. Un cercle d’oiseaux décortique avec une adresse certaine les mécanismes de la mémoire et du rêve. La mécanique est à vrai dire ici tellement belle qu’elle ne se cache pas – limite de l’exercice, peut-être, qui souligne coïncidences, traits saillants et autres mots-clefs, dévoilant une ossature minutieusement conçue où rien, absolument rien, n’est laissé au hasard.

 

Si Un cercle d’oiseaux oscille entre « blanche » et, disons, fantastique, il emploie ainsi en même temps quelques méthodes du roman policier, voire du thriller ; peu importe, dès lors, si le héros ne quitte véritablement son lit d’hôpital que pour essayer d’aller pisser : le roman n’en est pas moins palpitant, et le lecteur attentif note précieusement les récurrences pour percer la clef (car on suppose bien vite qu’il y en a une) des souvenirs du narrateur, et ce qui les unit à Billy/Bill/William. L’enquête avance au fil des pages, les traumatismes se recoupent ; le rire de l’homme sombre, l’attention de celui aux yeux gris très écartés, se font plus pressants. Il y a une lumière blanche à l’horizon – forcément. Et l’on s’y dispute à l’avance une âme en lambeaux.

 

Atout, donc, et limite en même temps. On reconnaîtra en effet que l’astuce de la mise en scène (l’auteur est aussi dramaturge) et l’adresse du marionnettiste jouent à la fois pour et contre le roman ; et qu’en définitive, les ultimes « révélations » tombent un peu à plat, le lecteur ayant facilement une longueur d’avance : c’est que tout, ici, apparaît nécessaire, déterminé, inéluctable. Dès lors, ce n’est pas forcément un problème : il ne faut sans doute pas s’attendre à une œuvre à chute, quand bien même Un cercle d’oiseaux en emprunte la forme et les méthodes. Encore une fois, ce roman est à mon sens avant tout une belle mécanique : celle des souvenirs et des rêves, méticuleusement analysée. Et, sous cet angle, c’est une assez belle réussite.

 

On ne reste en tout cas pas indifférent à ce qui nous y est conté, et Hayden Trenholm, en professionnel accompli, sait jouer avec son lecteur d’une manière assez intéressante, propice au questionnement, tant de la mémoire et de la mort que de la littérature, en tant qu’objet ou fin en soi. Pas mal du tout.

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"Lovecraft Studies", no. 32

Publié le par Nébal

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Lovecraft Studies, no. 32, West Warwick, Necronomicon Press, Spring 1995, 36 p.

 

Où, après une longue pause, l’on retourne donc aux Lovecraft Studies (j’avoue que ce fanzine me parle un poil davantage que le néanmoins très recommandable Crypt of Cthulhu).

 

C’est Robert H. Waugh qui ouvre le bal avec « « The Picture in the House » : Images of Complicity », analyse passablement pointue d’une nouvelle de Lovecraft par ailleurs plutôt mineure à mes yeux. Il s’agit pour l’auteur de rendre un peu moins abstraite une analyse qu’il avait développée dans le volume An Epicure in the Terrible (dont je vous parlerai un de ces jours), reposant notamment sur la distinction entre plusieurs modes de perception. Intéressant, mais ça ne m’a tout de même pas parlé plus que ça (et peut-être aurait-il fallu que je lise d’abord l’article en volume pour vraiment saisir les intentions de l’auteur).

 

Suivent deux articles consacrés à une nouvelle autrement plus importante dans l’œuvre lovecraftienne : « Celui qui chuchotait dans les ténèbres ». L’article de Darrell Schweitzer, « About « The Whisperer in Darkness » » est une critique enthousiaste et sans aucun doute pertinente, mais qui en reste en peu trop aux généralités pour pleinement satisfaire. On y préfèrera la passionnante communication de Steven J. Mariconda « Tightening the Coil : The Revision of « The Whisperer in Darkness » », étude à nouveau très pointue des différents états conservés de la nouvelle, du manuscrit original à la version publiée. On y voit l’évolution, parfois sur des points de détail, d’autres fois au contraire pour des aspects majeurs, du travail de Lovecraft, qui s’est étalé sur plusieurs mois (et plusieurs États, puisque le gentleman pas reclu de Providence l’avait emmené avec lui au cours d’un long voyage). Que ce soit en raison de nouvelles idées ou de critiques formulées par ses amis, le texte a ainsi connu bien des modifications avant de nous parvenir tel qu’on le connaît. De la découverte de Pluton (Yuggoth !) à la mise en scène finale, l’article explore méticuleusement le processus de création lovecraftien, ce qui amène à souligner par ailleurs, outre le brillant de la nouvelle dans son ensemble, un certain nombre de faiblesses, malgré tout…

 

Paul Montelone s’intéresse quant à lui à une autre nouvelle majeure de Lovecraft (pas vraiment du « Mythe », cette fois), à savoir « Les Rats dans les murs ». « « The Rats in the Walls » : A Study in Pessimism » part de la célèbre ouverture de « Arthur Jermyn » : « Life is a hideous thing... » L’auteur montre comment cette sentence définitive, si elle n’éclaire pas vraiment, somme toute, la nouvelle qu’elle introduit, pourrait par contre servir parfaitement à définir celle qu’il étudie. Après avoir méticuleusement décortiqué la nouvelle (en insistant notamment, ce qui m’a paru intéressant, sur la notion de souffrance), l’auteur l’éclaire ainsi à la lumière des écrits de Schopenhauer ; même si Lovecraft n’en avait qu’une connaissance très superficielle, la rencontre opère, et le résultat est tout à fait passionnant. On voit ainsi une première phase proprement « pessimiste » dans la philosophie lovecraftienne, avant qu’il ne développe un « indifférentisme cosmique » plus caractéristique de son œuvre, et notamment des textes dits « du Mythe ».

 

Donald R. Burleson livre enfin « Lovecraft : Textual Keys », qui s’intéresse donc au symbolisme ambigu de la clef (et de tout ce qui va avec) dans l’œuvre lovecraftienne, en commençant bien sûr par « La Clef d’argent ». Mouais. Beaucoup de blabla, trouvé-je ; ce n’est pas inintéressant, mais je n’en ai pas retiré grand-chose pour autant.

 

Le numéro s’achève traditionnellement sur les chroniques. Ben P. Indick s’intéresse tout d’abord à H.P. Lovecraft in the Argosy : Collected Correspondence from the Munsey Magazines, petit volume édité par S.T. Joshi ; on y voit déjà quelques traits majeurs de la pensée lovecraftienne telle qu’elle a pu s’exprimer en public (dont son racisme…), mais aussi, ce qui est amusant, quel petit con le (futur) grand auteur pouvait être quand il maniait la plume pour abreuver de correspondance une revue (plus de détails sur tout cela dans l’indispensable I Am Providence). David E. Schultz s’intéresse aux Miscellaneous Writings de Lovecraft, gros volume cette fois, mais toujours édité par le patron S.T. Joshi (à réserver aux fans). Marc A. Michaud s’intéresse enfin à quatre volumes de lovecrafteries, montrant ainsi bien à quel point les abondants écrits du « Mythe » postérieurs à Lovecraft sont avant tout des derletheries, et s’interrogeant sur leur signification éditoriale. Il se montre très réservé pour Le Cycle de Shub-Niggurath édité par Robert M. Price et pour Encyclopedia Cthulhiana de Daniel Harms (deux titres de Chaosium), ainsi que pour The Starry Wisdom : A Tribute to H.P. Lovecraft édité par D.M. Mitchell, et plus enthousiaste pour Shadows over Innsmouth, édité par Stephen Jones, dont je vous parlerai un de ces jours.

 

Suite au prochain numéro…

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"Brûlons tous ces punks pour l'amour des elfes", de Julien Campredon

Publié le par Nébal

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CAMPREDON (Julien), Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, avant-propos de Dominique Bordes, [s.l.], Monsieur Toussaint Louverture, coll. Véloce, [2006] 2011, 157 p.

 

Je me dois sans doute de préciser que j’ai connu (si peu, mais connu quand même) Julien Campredon avant de lire ses livres.

 

Il y a de ça quelques années, en effet, l’énigmatique individu qui se faisait alors appeler sire Planchapain avait signé un bien curieux article dans lequel il vantait les mérites d’un bref recueil de nouvelles portant le titre non moins curieux de Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes, titre il faut bien le reconnaître très planchapinesque. Aussi ai-je cru dans un premier temps à un canular, de la part de ce triste sire qui se répandait parallèlement en éloges de Paul-Loup Sulitzer ou encore Francis Lalanne.

 

Mais non, le livre existait bel et bien, portait bel et bien ce titre saugrenu, et avait été édité par un certain Monsieur Toussaint Louverture, maison dont on ne parlait alors certes pas autant qu’aujourd’hui. Mais je n’ai été persuadé de la réalité de la chose que par une soirée toulousaine impromptue, au cours de laquelle le camarade Planchapain a ramené chez moi, en plus de bières, ledit Julien Campredon. Qui est quelqu’un de très sympathique, osons le dire, quand bien même occitan (et ça se sent) (personne n’est parfait).

 

Nous nous sommes recroisés de temps à autre en librairie après mon déménagement sur Paris, et il a bien fallu que j’achète le livre mentionné plus haut (dans une très jolie réédition, toujours chez le Monsieur), ainsi que L’Attaque des dauphins tueurs. Et puis le temps a passé sans que je trouve moyen de lire les deux petits ouvrages. Ça ne pouvait pas durer, mais il faut bien reconnaître que le fait que je connaisse, même si peu, Julien Campredon ne me facilitait pas la tâche – crainte de ne pouvoir parler « objectivement » (aha) des écrits du monsieur, que je les aime ou pas, et crainte aussi (nous vivons dans un triste monde tragique) que l’on remette en cause mon « objectivité » (aha) au prétexte que, hein, bon. Mais j’ai donc franchi le pas, en commençant par ce Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes.

 

(Moi j’aurais surtout envie de brûler tous ces elfes pour l’amour des punks, s’il en existait encore, mais c’est une autre histoire.)

 

Le recueil s’ouvre sur une prétendue « Note de l’éditeur » qui donne le ton, en phagocytant une excellente nouvelle expliquant les déboires de Julien Campredon avec « La Bibliothèque de Babel » de Jorge Luis Borges. Un texte aussi drôle que pertinent, lorgnant pas qu’un peu vers l’absurde, quelque part entre voyage nécessairement philosophique et bureaucratie nécessairement kafkaïenne ; c’est très drôle, c’est bien vu, et qui plus est c’est bien écrit. Si.

 

Et le reste du recueil est à l’avenant (à l’exception du vaudeville « De l’homme idéal de ma femme, d’elle et de ma maîtresse », qui m’a laissé de marbre, mais bon, un seul écueil, c’est assez peu pour être souligné). Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes regorge de nouvelles drôlement bizarres et bizarrement drôles, en forme de contes ou de fables, où la plume plus que sympathique de l’auteur s’en donne à cœur-joie, son imagination (nécessairement débridée) n’étant pas en reste, hou-là, non.

 

Je ne vais pas détailler par le menu ce petit livre, ça serait sans doute un peu absurde (mais bon, en même temps, l’absurde est ici un maître-mot…). Mais on y navigue agréablement entre satire sociale (avec une prédilection pour les ronds-de-cuir provinciaux) et fantaisie burlesque, avec de temps à autre aussi une touche d’émotion tout de même (ainsi dans « Tornar a l’hostal ou Les Mémoires d’un revenant », qui a réussi à me toucher malgré sa thématique de retour à la terre nécessairement occitane, ce qui n’est pas une mince performance).

 

La nouvelle donnant son titre au recueil en est une belle illustration, où des gardiens de musée (à l’accent prononcé con) massacrent à tour de bras, avec un arsenal à faire bander John Rambo, les hordes de prolos à iench’ qui risqueraient autrement de s’infiltrer dans le temple de la Kulture, et en y ramenant leurs bières, en plus. Autre jolie réussite, dans un genre assez proche, « Avant Cuba ! », ou la lutte sociale de nos jours, n’opposant plus glorieux prolétaires et abjects capitalistes, mais tristes chômeurs et odieux soixante-huitards en place ; aussi drôle que juste. J’ai également trouvé délicieuse « Jean-François Cérious ne répond plus », biographie belle et rigolote d’un politicard de campagne qui a pour principale qualité (…) de faire des discours chiants ; joli portrait de famille, destinée inattendue, c’est du tout bon.

 

Je m’arrête là – il y aurait sans doute bien des bonnes choses à dire sur le reste, également recommandable, que oui, mais à quoi bon ? Ce serait prendre le risque de réduire Brûlons tous ces punks pour l’amour des elfes à un vulgaire catalogue, ce qu’il n’est assurément pas. Que Julien Campredon se rassure, donc – et avec lui le libraire qui, et l’éditeur qui : ce livre est fort bon. Si. Pas besoin, donc, d’envoyer un message en recommandé avec accusé de réception de mon poing dans ta gueule pour obtenir remboursement dudit ; et l’auteur pourra se passer de manger du saucisson de foie (la drôle d’idée…).

 

Un jeune écrivain à suivre, donc ; je vous parlerai prochainement de L’Attaque des dauphins tueurs, autre recueil de chez Monsieur Toussaint Louverture dont j’attends du coup le plus grand bien. Et merci, sire Planchapain : vous avez vu juste. Bravo, bravo, bravo.

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"Guide du Mythe de Cthulhu", de Patrice Allart

Publié le par Nébal

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ALLART (Patrice), Guide du Mythe de Cthulhu, préface de Joseph Altairac, Amiens – Paris, Encrage – Les Belles Lettres, coll. Travaux, série Cahiers d’études lovecraftiennes, 1999, 158 p.

 

Ça doit être vrai, que les meilleures choses ont une fin : nous voici donc arrivés au dernier des six « Cahiers d’études lovecraftiennes », confié cette fois à Patrice Allart, qui s’intéresse, au-delà de Lovecraft seul, à sa postérité (littéraire pour l’essentiel). On l’a en effet souvent noté, et il est à vrai dire difficile d’échapper à ce phénomène : quelles que soient les limitations que l’on pourrait être tenté de donner au prétendu « Mythe de Cthulhu », le fait est que l’œuvre lovecraftienne a suscité un enthousiasme tel, d’abord parmi certains écrivains de l’entourage (éventuellement purement épistolaire) du Maître, puis chez des héritiers plus ou moins légitimes, que les aspects les plus flagrants (même si pas nécessairement les plus profonds, donc) (aha) de sa création l’ont largement dépassé. Aussi, il est bien rare que l’on se contente de « lire Lovecraft » : à sa suite, on est amené à côtoyer un certain nombre d’épigones, plus ou moins talentueux (rarement autant que le gentleman de Providence, certes…), qui ont à leur tour donné dans le « Mythe de Cthulhu », au moins en surface, et ont ainsi participé d’un mouvement collectif de création littéraire sans commune mesure à notre époque – même si l’on peut être tenté, à plus ou moins bon droit, d’évoquer certaines œuvres anciennes pour ne pas dire antiques qui ont de même fait appel à plusieurs auteurs, pas forcément identifiables ; ce qui nous renvoie à l’essence même de la mythologie.

 

J’ai pour ma part découvert Lovecraft et ses suiveurs à peu près en même temps, et il m’a longtemps été difficile de faire la part des choses, ainsi. Ado, j’ai lu en parallèle les quatre volumes chez « Présence du futur » (l’essentiel du Lovecraft « pur ») et les deux coffrets publiés chez Presses Pocket qui avaient tendance à mettre indûment le nom de Lovecraft en avant, quand il n’était pas forcément présent au sommaire : on trouvait ainsi, sous le nom de « Papiers du Lovecraft Club », les prétendues « collaborations posthumes » d’August Derleth (et mettre le nom de Lovecraft sur ces couvertures était pour le moins gonflé… tous les éditeurs qui les ont publiées n’ont pas nécessairement commis cette imposture), et, parallèlement, sous le titre « Abominable Cthulhu » si je ne m’abuse, les « révisions » de Lovecraft et des anthologies de nouvelles lovecraftiennes, dont surtout les « Légendes du Mythe de Cthulhu » compilées par August Derleth (toujours lui), et, là encore, si le contenu pouvait être plus ou moins lovecraftien, rares étaient les textes attribuables effectivement à notre faux reclus préféré. Cela fait une éternité que je n’ai pas lu ces textes – et sans doute aurais-je bien du mal aujourd’hui pour la plupart (en tout cas pour les « collaborations posthumes »… je reste curieux pour ce qui est des anthologies, que je relirai peut-être un de ces jours, qui sait ?). Mais ils ont bel et bien constitué pour moi une porte d’entrée à l’œuvre lovecraftienne, œuvre qui a bien vite dépassé son créateur.

 

Certes – et l’on rejoint ici le débat sur l’existence du « Mythe de Cthulhu » –, bon nombre de ces lovecrafteries-là ne sont lovecraftiennes qu’en surface, reprenant des procédés d’HPL sans en retenir la philosophie sous-jacente (sans même la comprendre, parfois – souvent…). Le « Mythe de Cthulhu », ici, ne consiste pas tant en une horreur cosmique matérialiste et désabusée soulignant la vacuité de l’existence humaine, qu’en une énumération (parfois caricaturale tellement elle est excessive) de « dieux », de lieux et de livres, litanie empruntée au Maître puis à ses épigones également, constituant un vaste corpus de références où chacun a voulu, à tort (surtout) ou à raison, apporter sa pierre à l’édifice – souvent, donc, dans la vision derlethienne du Mythe, finalement anti-lovecraftienne au possible.

 

Ce sont toutes ces œuvres (de plus ou moins bon goût) que Patrice Allart étudie dans ce court volume. L’entreprise est audacieuse (il a dû en lire, des drouilles…), instructive à n’en pas douter (il y a là-dedans de quoi se constituer une forte bibliothèque de lovecrafteries, et les curieux – pervers, comme de juste – ne manqueront pas de noter certaines références pour une lecture ultérieure), mais nécessairement condamnée à une rapide obsolescence (dont témoigne déjà une des annexes) ; car le Mythe est bien vivant, au moins dans cette acception d’apparence, et les récits lovecraftiens au moins par la forme, mais aussi exceptionnellement par le fond, continuent de pulluler aujourd’hui, phénomène qui a même probablement tendance à s’accélérer depuis que Derleth n’est plus là pour « canoniser » les textes, le Mythe constituant une sorte de patrimoine collectif, un domaine public auquel sacrifient volontiers des cohortes d’écrivains et d’écrivaillons plus ou moins doués (suivez mon regard… non, cherchez pas, faudrait regarder partout en même temps, en fait) ; on aurait même l’impression que l’horreur lovecraftienne est un passage quasi obligé pour les « auteurs » qui s’intéressent au genre – jusqu’à constituer un sous-genre en elle-même.

 

Patrice Allart se livre donc ici pour l’essentiel à une indexation des contributions au Mythe, ce qui donne à ce volume de vagues airs de catalogue. Les principales œuvres du Mythe sont ainsi présentées, de Lovecraft lui-même aux plus modernes de ses suiveurs (à la veille du XXIe siècle ; il y en a eu des centaines d’autres depuis…) ; présentées (et résumées), mais pas vraiment critiquées, ce qui constitue à mon sens la principale faiblesse de ce volume autrement fort intéressant : tout est ainsi peu ou prou mis sur le même plan, et c’est parfois très regrettable (Brian Lumley et son indicible « cycle de Titus Crow » se voient même décerner des lauriers !) ; on regrettera de même qu’il n’y ait pas ici de véritable interrogation sur la notion même de « Mythe de Cthulhu », l’auteur s’en tenant trop souvent (mais pas toujours, heureusement) à une approche très large, mais façon « sens commun » ou pure « intuition ». Mais bon : on ne va pas réécrire le livre, hein… ce qui serait aujourd’hui un travail encore plus titanesque qu’à l’époque.

 

Patrice Allart parle donc ici tout d’abord des œuvres de Lovecraft (tout de même) ; on passe ensuite à celles des deux autres auteurs de la « trilogie Weird Tales », Robert E. Howard et Clark Ashton Smith ; puis il y a – nécessairement – August Derleth, pour ses « collaborations posthumes » et ses anthologies. Les « Légendes du Mythe de Cthulhu » définissent ainsi une première génération d’épigones ; mais il y en a d’autres, à commencer par celle de Ramsey Campbell, Brian Lumley donc, etc. L’héritage du Maître dans la « terreur moderne » (Stephen King, Dean Koontz, Graham Masterton, etc.) est également évoqué, dans le chapitre le plus ouvert (et le plus intéressant ?) de ce livre. Le fandom, également (Crypt of Cthulhu, surtout) ; et le développement du Mythe en France.

 

Restent encore des annexes sur les illustrations et bandes dessinées (mais l’auteur y a consacré un court volume sur lequel je reviendrai un de ces jours, de même qu’à son étude comparative de Lovecraft et Jean Ray, sujet qui lui tient visiblement à cœur) et sur le cinéma, avant de compléter le panorama par ce qui constituait alors les plus récentes publications de fictions lovecraftiennes – les volumes édités par Chaosium et repris en France par Oriflam « Nocturnes », souvent dirigés par Robert M. Price (je regrette d’ailleurs que le jeu de rôle n’ait pas été étudié ici…).

 

L’ouvrage n’est pas sans défauts (outre qu’il est parfois un brin approximatif – voyez par exemple la mauvaise attribution, récurrente, du Culte des goules du comte d’Erlette), et sa lecture a quelque chose d’un brin monotone (forcément), mais elle n’en est pas moins intéressante. Elle permet de prendre conscience de la portée du « Mythe de Cthulhu », déjà considérable à l’époque. Et on ne manquera pas de noter telle ou telle référence pour une lecture ultérieure. Même en craignant le pire… mais que voulez-vous, on est un petit fan ou on ne l’est pas ; pour ma part, je le suis, et, comme je l’ai laissé entendre plus haut, même si aujourd’hui je fais bien la différence entre les textes de Lovecraft et d’après Lovecraft, je reste curieux de ces derniers, comme s’il y avait malgré tout un bloc faisant sens en lui-même…

 

Tout à fait appréciable, donc, quand bien même largement obsolète.

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"Les Lames du Cardinal", de Pierre Pevel

Publié le par Nébal

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PEVEL (Pierre), Les Lames du Cardinal, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction – Fantasy, [2007] 2013, 396 p.

 

Une fois n’est pas coutume, c’est essentiellement la curiosité rôlistique qui m’a amené à lire Les Lames du Cardinal de Pierre Pevel, premier tome de la trilogie éponyme. Sans-Détour vient en effet tout juste d’en sortir une adaptation, qui, à vue de nez, m’a l’air plutôt alléchante. Et sans être un grand amateur de romans de cape et d’épée – à vrai dire, à part bien sûr, mais il y a très longtemps, Les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, modèle évident du présent ouvrage, je n’en ai pas lu des masses –, j’avais un a priori plutôt favorable sur le mélange de ce genre avec la fantasy. Mais j’ai tout naturellement voulu d’abord lire les romans ayant inspiré le jeu avant de me lancer dans son éventuelle acquisition (onéreuse comme de juste).

 

Or Les Lames du Cardinal sont en cours de réédition chez Folio Science-fiction (la série « Fantasy » avec son odieux cachet de cire) après avoir été publiées originellement chez Bragelonne, et l’éditeur de poche en a fait un véritable événement, avec cette étrange jaquette affichant fièrement des récompenses plus ou moins glorieuses – dont une étrangere, tout de même… Ça commençait à faire beaucoup, mais il ne faut pas vendre la peau du Breton avant de l’avoir torturé, etc. Bon. J’achète le premier tome, histoire de.

 

Et là j’ai déjà un fameux souci pour le présenter, ce premier tome. En effet, passé les généralités – nous sommes en France à l’époque de Richelieu, il y a des tensions avec l’Espagne, et il y a des dragons –, difficile de résumer ce roman qui prend terriblement son temps pour se mettre en place. À peu de choses près, « l’histoire » (un bien grand mot) des Lames du Cardinal ne commence qu’à la moitié du livre environ. C’est dire si ça traîne. D’ici là, on subit bon gré mal gré la reconstitution desdites Lames, une sorte d’équipe de super agents secrets au service du Cardinal, commandés par le capitaine La Fargue. On suit donc une kyrielle de personnages, hélas tous plus ternes les uns que les autres, et accumulant les clichés (avec une mention pour l’inévitable truculent Gascon). Il y a des gentils. Il y a des méchants. Il y a des traîtres. Des faux et des vrais. Mais on s’emmerde.

 

Et à vrai dire, ça ne s’arrange guère une fois terminée cette looongue mise en place… Difficile de se prendre de passion pour cette intrigue vague et mollassonne, accumulant rebondissement prévisibles et révélations qui tombent à plat, avec une accélération finale qui en rajoute dans le ratage. Une entrée en matière plutôt douloureuse, donc, pour cette trilogie…

 

Et, du coup, je ne comprends pas. Je ne comprends pas ce qui peut bien « justifier » le succès de cette série (au-delà du malentendu évoqué plus haut et dont j’ai été victime). Ce roman est en effet plein de vide. Il n’a rien pour lui. Les personnages sont nuls, l’intrigue nulle, la construction plus qu’à son tour critiquable, le style insipide et saturé de mauvais traits didactiques évoquant tant un mauvais roman historique qu’un mauvais roman jeunesse. Alors quoi ?

 

Je me suis senti floué.

 

Du coup, je doute de me taper la suite, si elle doit être du même niveau. Quant au jeu de rôle… On va dire que tant pis ?

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"Black Flag", de Valerio Evangelisti

Publié le par Nébal

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EVANGELISTI (Valerio), Black Flag, [Black Flag], traduit de l’italien par Jacques Barbéri, Paris, Rivages, coll. Fantasy, [2002] 2003, 170 p.

 

Lors de mon « western summer », on m’avait prêté Anthracite, western de Valerio Evangelisti de très bonne réputation. Je ne l’ai cependant toujours pas lu… En effet, j’avais appris que le héros de ce roman, le palero (sorcier) mexicain Pantera, était d’abord apparu dans un autre roman, Black Flag, mélangeant plus ouvertement western et imaginaire (et même auparavant dans une nouvelle du recueil Métal hurlant, mais bon…). Or ce Black Flag n’avait pas été repris en poche, et n’avait connu qu’une seule édition de par chez nous, dans la défunte collection « Fantasy » de Rivages (qui avait également publié les « Nicolas Eymerich ») ; j’ai cependant pu me le procurer, mais divers impératifs m’ont empêché de le lire jusqu’à aujourd’hui, et ce en dépit de sa brièveté. Mais c’est désormais chose faite…

 

Black Flag constitue une variation sur la méthode des « Nicolas Eymerich » (une allusion en passant à la RACHE confirme d’ailleurs que nous sommes dans le même univers), et alterne ainsi entre plusieurs époques. Lors du prologue et de l’épilogue, nous assistons à l’assaut de Panama par les Américains peu après le Onze-Septembre (et ça y fait diablement penser, très volontairement, ainsi qu’en témoigne le discours de George W. Bush en exergue – j’ai trouvé ça de très mauvais goût…). Puis on alterne un chapitre sur deux entre le réveillon de l’an 3000 – la Terre y est devenue un gigantesque hôpital psychiatrique où les Schizophrènes massacrent allègrement leurs comparses (on peut penser au roman de Philip K. Dick Les Clans de la lune alphane, en – nettement – plus gore et sans l’humour…) – et la fin de la guerre de Sécession, entre le Texas et le Missouri. Disons-le tout net : seule cette partie-là (de loin la plus longue, heureusement) mérite qu’on s’y attarde, le reste ne se rattachant que très artificiellement à cette trame principale – comme dans un « Nicolas Eymerich » raté, quoi… ce qu’est largement ce Black Flag, malgré l’absence du célèbre inquisiteur.

 

Nous y suivons donc le sorcier métis Pantera. Embauché à Laredo pour faire la peau d’un loup-garou tueur de putes, il est trahi par ses commanditaires, et ne trouve le moyen de survivre qu’en s’échappant en compagnie de sa proie (qui s’attache rapidement à lui), et en rejoignant ainsi bon gré mal gré la troupe de bushwhackers (voyez ici) du tristement célèbre Bloody Bill Anderson (en compagnie notamment des frères Jesse et Frank James). Suit une insoutenable série de massacres, jusqu’à ce que Pantera se souvienne enfin de ce qui lui est arrivé à Laredo et y retourne pour se venger…

 

Le « drapeau noir » du titre a plusieurs significations. Il renvoie bien sûr au groupe de punk, dont les chansons fournissent titre et exergue aux chapitres de Pantera. Au-delà, c’est le drapeau de l’anarchie, sinon de l’anarchisme ; un certain anarchisme du moins, hyper-individualisme sauvage dans la lignée de Stirner et annonçant Nietzsche, incarné dans le roman par le docteur français Bellegarrigue, qui voit dans les Etats-Unis en guerre le terrain idéal pour prêcher cette ultime révolution sanglante qui verra l’homme se débarrasser de toute forme d’autorité (et annonce ainsi l’an 3000 des autres chapitres). Ce drapeau noir, enfin, brandi par les bushwhackers, c’est l’antithèse du drapeau blanc : pas de quartier, et tant pis si même les confédérés sont pris de nausée à l’idée que ces brigands irréguliers se battent en principe pour la même cause (pas l’esclavage, pour Bellegarrigue, mais la liberté, donc).

 

Et donc : du sang. Black Flag enchaîne les massacres les plus abominables, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi Pantera y participe (sans les cautionner vraiment, mais bon). Le roman est riche en scènes fortes, si violentes qu’elles marquent à n’en pas douter. Mais, à vrai dire, il m’a surtout donné une impression d’overdose de gore, ne provoquant que l’écœurement. Pas d’humour, pas davantage de sens.

 

Ou presque. Du sens, il y en a. Mais, si l’on peut se reconnaître (votre serviteur itou) dans la noirceur de ce roman ultra pessimiste et nihiliste, on peut tout aussi légitimement renâcler devant les implications de cette débauche de violence. En effet – et ce n’est pas une première – je dois dire que le discours politique de Valerio Evangelisti m’a un tantinet gonflé dans ce roman. L’anti-américanisme est nécessairement primaire, a fortiori dans le prologue et l’épilogue (vraiment puants, ai-je trouvé) ; l’anti-psychiatrie des chapitres futuristes confine au ridicule ; quant à la critique d’une société déréglée telle qu’elle se présente dans les chapitres de Pantera, elle est pour le moins excessive, virant à la caricature. Bref, je ne me suis pas reconnu dans la « pensée » véhiculée par Black Flag, c’est rien de le dire…

 

Cela pourrait ne pas être gênant, ou du moins pas tant que ça. Hélas, le ratage complet des chapitres autres que ceux de Pantera et l’absence de véritable motivation (sans parler de l’histoire…) chez ce dernier ne font que confirmer à mon sens le jugement émis plus haut : même sans Eymerich, Evangelisti fait ici du Eymerich ; mais du mauvais : outrancier, mal branlé, un poil puant, et potentiellement un peu con-con.

 

Une déception, donc ; qui ne m’empêchera pas de lire Anthracite, hein : ce dernier roman a bien meilleure réputation ; mais j’espère que Valerio Evangelisti y a corrigé les travers de ce Black Flag franchement médiocre.

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"H.P. Lovecraft. Fantastique, mythe et modernité"

Publié le par Nébal

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H.P. Lovecraft. Fantastique, mythe et modernité, Colloque de Cerisy, avant-propos par Gilles Menegaldo, Paris, Dervy, coll. Cahiers de l’hermétisme, 2002, 464 p. + [16 p. de pl.]

 

Après une assez longue interruption (pour diverses raisons indicibles), retour aux lovecrafteries avec ce gros volume très dense (et très sérieux : ne pas se fier à l’étrange collection dans laquelle il a été publié…) qui me paraît constituer aujourd’hui, avec ses défauts, un des points d’orgue de l’exégèse française en la matière – à vrai dire, j’ai un peu le sentiment qu’il joue aujourd’hui le rôle du vieux Cahier de L’Herne, à bien des égards frappé d’obsolescence. Il s’agit des actes d’un colloque de Cerisy dirigé par Jean Marigny et Gilles Menegaldo qui s’est tenu du 3 au 10 août 1995, et qui visait à faire le point sur le sujet près de trente ans après ledit Cahier de l’Herne.

 

Entre autres, puisque, après un « Avant-propos » signé Gilles Menegaldo présentant l’ensemble du colloque, on passe immédiatement à un déconcertant article de Maurice Lévy intitulé « Lovecraft, trente ans après », où l’auteur de Lovecraft ou du fantastique brûle en quelque sorte ce qu’il a adoré jadis (à peu près à l’époque du Cahier de l’Herne, donc). Ce quasi-reniement de Lovecraft a de quoi laisser perplexe, et me paraît se fonder sur de mauvaises raisons, notamment en ce qu’il n’apporte pas à proprement parler de nouveaux éléments sur le sujet : seul le regard porté par l’auteur a changé. Ne nous y attardons pas, ça n’en vaut pas la peine (alors que le vieil essai précité reste très lisible aujourd’hui).

 

Je ne m’attarderai pas davantage sur « Lovecraft, précurseur de la théorie de la déconstruction », article « audacieux » signé Donald R. Burleson, pour la mauvaise et simple raison que je n’y ai à peu près rien compris… et que le peu que j’ai cru comprendre ne m’a guère paru pertinent.

 

Gilles Menegaldo livre ensuite « Résonances poesques dans la fiction de H.P. Lovecraft », une bonne synthèse sur l’influence exercée par celui que Lovecraft considérait comme son maître, voire comme son Dieu.

 

On continue sur les influences (mais réciproques, cette fois) avec Florent Montaclair et « L’Influence d’Abraham Merritt sur Howard Phillips Lovecraft : vers un renouvellement des motifs fantastiques », qui vient dans un sens compléter les articles de Michel Meurger sur la question dans Lovecraft et la S.-F. /1 (on notera comment l’un des deux exégètes met en avant la notion de fantastique – mais voyez le titre du colloque… – là où l’autre privilégie la science-fiction, à raison en ce qui me concerne…).

 

« Le Timbre du silence » d’Alain Chareyre-Méjan s’intéresse à l’importance du son dans la fiction lovecraftienne. Thème important, certes (voyez par exemple les développements de Michel Houellebecq sur les sens, de manière générale, dans sa lecture), mais je dois dire n’avoir guère été convaincu par cet article quelque peu emprunté (il est vrai que Nébal est un con).

 

Pas vraiment convaincu non plus par « Lovecraft en proie à ses monstres » de Roger Bozzetto, qui ne me paraît pas apporter grand-chose de neuf (mais il est vrai que Nébal est un con, qui se répète, en plus).

 

J’ai davantage été interpellé par « Le Rhéteur et le pornographe » de Denis Mellier (extrait de son ouvrage Textes fantômes, fantastique et autoréférence), qui revient sur la délicate question du style de Lovecraft (mais écrivait-il bien, à la fin, ce bougre ?), et qui, sans apporter là encore d’éléments fondamentalement nouveaux sur ce sujet abondamment traité, constitue néanmoins une synthèse appréciable et que j’ai trouvé pour une fois plutôt pertinente.

 

Place à Max Duperray pour « Entre le sublime et le « grotesque » : la phobie de l’autre et sa représentation  dans les rêves régressifs de Randolph Carter ». Tout est dans le titre, ou presque. Je note juste l’originalité relative consistant à traiter de cette « phobie de l’autre » dans un « cycle » qui ne me paraît pas a priori être l’aspect de l’œuvre lovecraftienne qui en témoigne le plus ouvertement. Mais c’est juste.

 

Michel Graux livre ensuite « Meurtres dans la rue d’Auseil, ou les « je » interdits de Lovecraft ». Passons sur le jeu de mots laid du titre… L’idée est que l’emploi très poesque de narrateurs non fiables par Lovecraft (car fous… ou menteurs ?) offre une grille de lecture dans laquelle le Mythe et ses différents aspects ne servent que de couverture pour masquer un meurtre perpétré par celui qui raconte. L’idée n’est pas inintéressante, et me paraît effectivement productive dans quelques (rares) cas. Mais en faire à peu de choses près une grille de lecture applicable à l’ensemble de la fiction lovecraftienne me paraît gonflé, et pas du tout convaincant (d’autant que cette théorie conduit à évacuer le « surnaturel » pour faire du « fantastique » de Lovecraft un système reposant sur l’ambiguïté ; or j’ai toujours été gêné par cette vision du fantastique, qui me paraît bien réductrice – voyez par exemple ici).

 

On passe alors à l’excellent, comme toujours, Michel Meurger pour « Lovecraft et l’imaginaire scientifique : la « weird science », de 1926 à 1931 ». Une fois de plus un article d’une grande érudition, venant compléter les deux volumes des « Cahiers d’études lovecraftiennes » (hop et hop) ; et, décidément, à l’instar de l’auteur, c’est bel et bien de la science-fiction ou au moins de la « weird science » que je vois le plus souvent dans l’œuvre lovecraftienne, dimension qui paraît faire tache dans ce colloque axé sur la notion de « fantastique ». Vieux débat, qu’on pourra juger stérile, mais Nébal a dans l’ensemble choisi son camp, camarades…

 

« Mythe et métamorphose » d’Elsa Grasso est un article assez complexe, s’intéressant notamment à la figure de Pan et à la terreur panique chez Machen et Lovecraft ; intéressant, même si j’avoue ne pas en avoir forcément retenu grand-chose (mais il est vrai que…).

 

Jean-Pierre Picot livre ensuite « Randolph Carter, frère d’Ulysse l’avisé et de Sindbad le marin ». C’est à nouveau une lecture « audacieuse », parfois sans doute exagérée, mais assez intéressante.

 

On passe alors à « La Gémellité et le double monstrueux du moi : deux exemples du double lovecraftien » de William Schnabel. J’avoue n’avoir guère été convaincu… mais je préfère réserver mon jugement pour la lecture de l’ouvrage de l’auteur consacré à la thématique du double, donc.

 

Gilles Menegaldo revient avec « Le Méta-discours ésotériste au service du fantastique dans l’œuvre de H.P. Lovecraft ». Le titre est assez éloquent, et le sujet a été abondamment traité (mais la synthèse reste intéressante). Notons juste, à nouveau, que l’on parle ici de « fantastique »…

 

Jean Marigny poursuit sur cette thématique avec « Le Necronomicon ou la naissance d’un ésotérisme fictionnel » ; pas vraiment d’intérêt pour autant que je m’en souvienne…

 

Suit un très gros morceau, de loin le plus long article de ce volume, avec « Le Thème de la décadence chez C.A. Smith et R.E. Howard » de Lauric Guillaud. Très intéressant,et cela ne fait que confirmer qu’il est temps que je me mette sérieusement à Clark Ashton Smith…

 

Jean Marigny revient en vitesse (et aurait peut-être pu s’en passer…) pour « Robert Bloch et le Mythe de Cthulhu », article qui m’a paru bien approximatif et plus qu’à son tour critiquable (l’éloge de Retour à Arkham est assez impayable…).

 

On aborde ensuite la thématique cinématographique, d’abord avec Jean-Louis Leutrat et « Lovecraft et le cinéma ». Bref, mais pas inintéressant. Le même auteur livre ensuite « L’Égypte et le cinéma dans l’œuvre de Howard Phillips Lovecraft », article un peu fait de bric et de broc, passionnant quand il traite véritablement de Lovecraft, mais largement hors-sujet ensuite…

 

On reste dans le hors-sujet cinématographique avec « Cinéma de la peur, cinéma de l’inconnu : de l’indicible à l’écran (la malédiction de Freaks) » d’Isabelle Viville, qui s’intéresse donc essentiellement au célèbre film de Tod Browning (dont je ne savais pas qu’il avait été si mal accueilli à l’époque). C’est tout à fait intéressant, mais, en dépit des contorsions de l’auteur, on se demande franchement ce que ça vient faire là.

 

Philippe Rouyer livre enfin « Hommages et pillages. Sur quelques adaptations récentes de Lovecraft au cinéma », article nécessairement obsolète qui s’intéresse d’abord (sans doute trop brièvement) aux cas de Stuart Gordon et Brian Yuzna, avant de livrer une critique à juste titre enthousiaste de L’Antre de la folie de John Carpenter.

 

Et le colloque de s’achever sur une « Table ronde. Lovecraft et sa réception en France ». Le sujet m’intéresse grandement (voyez ici), mais cette conversation, qui n’en traite finalement que par la bande ou presque, ne m’a guère paru enrichissante, si l’on excepte quelques données « chiffrées » de Jacques Goimard (on passera sur son éloge déconcertant des abjectes lovecrafteries de Brian Lumley…), et, bien sûr, les interventions toujours pertinentes de Michel Meurger (mais je suis un petit fan).

 

L’ouvrage, gros et dense, contient donc comme de juste un peu de tout, de l’excellent au franchement passable, et souffre à mon sens de quelques partis-pris un brin dommageables (notamment, donc, en insistant sur la notion de « fantastique », ce qui ne pose pas forcément problème, mais surtout en évacuant presque totalement celle de « science-fiction », ce qui est autrement gênant). Mais il constitue à n’en pas douter une référence pour l’exégèse française contemporaine de l’œuvre lovecraftienne. En ce sens, il remplit parfaitement sa mission, et constitue une lecture indispensable pour qui s’intéresse au Maître de Providence et a envie d’approfondir le sujet.

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