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Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

"Le Temps incertain", de Michel Jeury

Publié le par Nébal

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JEURY (Michel), Le Temps incertain, Paris, Robert Laffont – Presses Pocket, coll. Science-fiction, [1973] 1979, 252 p.

 

J’avais pris un mauvais départ avec Michel Jeury, auteur phare s’il en est de la science-fiction frrrrrrançaise, et qui avait a priori tout pour me plaire, dans la mesure où on en a souvent fait un « Dick français ». En effet, je l’ai découvert en lisant au pire moment (pour des raisons toutes personnelles)  Soleil chaud, poisson des profondeurs, et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’expérience n’avait pas été concluante : ce troisième tome de la « trilogie chronolytique » (mais chacun peut se lire indépendamment, peu importe l’ordre) m’avait fait l’effet d’un roman imbitable, auquel je n’avais absolument rien panné, et dont la lecture m’avait semblé d’autant plus pénible qu’il était pollué par un ennuyeux et omniprésent jargon SF… Du coup, arrivé à la fin, je n’avais absolument rien à en dire. Aussi est-ce en partie à cause de ce roman (l’autre partie étant l’excellent  Yama Loka terminus de Léo Henry & Jacques Mucchielli, que j’avais adoré mais dont je me sentais incapable de parler) que j’avais alors abandonné mon blog pour près d’un an. Ce qui a retardé d’autant plus ma lecture des deux autres tomes de la trilogie, Le Temps incertain et Les Singes du temps… Mais, une fois de plus, c’est la lecture de  La Science-fiction en France de Simon Bréan qui m’a décidé à sauter le pas, avec le premier volume, généralement considéré comme le chef-d’œuvre de l’auteur.

 

Le Temps incertain s’ouvre sur une citation… de Philip K. Dick, donc, influence revendiquée :

 

« J’ai le sentiment profond qu’à un certain degré il y a presque autant d’univers qu’il y a de gens, que chaque individu vit en quelque sorte dans un univers de sa propre création : c’est un produit de son être, une œuvre personnelle dont peut-être il pourrait être fier. »

 

Voilà qui annonce la couleur. Les manipulations temporelles de Michel Jeury via la chronolyse (pas évidente à définir, on va s’abstenir…) aboutissent en effet à autant d’univers subjectifs, dotés d’une réalité qui n’est pas moindre que la réalité supposée objective et la même pour tous ; c’est dans ce sens que le temps devient incertain, et que l’on navigue tant bien que mal dans l’Indéterminé.

 

Le roman s’ouvre sur une scène tout d’abord à peu près normale (pour un roman de SF s’entend) : vers le milieu du XXIe siècle, le docteur Robert Holzach, psychronaute de son état pour l’Hôpital de Garichankar, entre en chronolyse profonde ; il a pour mission de « contacter » un homme de 1966, Daniel Diersant, qui pourrait être d’une importance déterminante pour… on ne sait pas vraiment encore quoi. Et puis, dès la fin du chapitre, ça commence à partir en couille, formellement surtout ; mais fond et forme sont en fait indissociables dans ce roman, ainsi que la suite en témoigne bien vite.

 

Nous rencontrons donc bientôt Daniel Diersant. Nous sommes en 1966, dans la région parisienne. Diersant est (était ?) chimiste et traducteur technique pour une importante entreprise pharmaceutique franco-allemande (mais, ainsi qu’on nous le rappelle souvent, les chronolytiques n’existaient pas en 1966). Une guerre de succession fait rage dans la boîte, et Diersant, plutôt discret, a néanmoins choisi son camp. Il a rendez-vous avec un ponte de l’entreprise, et s’y rend en voiture.

 

Et c’est là que les choses dérapent.

 

Suite à… un accident ? l’absorption d’une drogue ? les deux ? tout autre chose ? Diersant se retrouve en chronolyse, plongé dans le Temps incertain. Ce qui se traduit par la répétition de scènes connaissant de subtiles variations (pour le coup, j’ai beaucoup pensé à Glissement de temps sur Mars de Philip K. Dick) et n’obéissant pas à la linéarité. On ne compte pas les fois où Diersant klaxonne à l’entrée de l’usine, puis, après un bref saut temporel, se retrouve harcelé par la 404 grise du flic de la boîte, Forestier. Sans parler du reste.

 

Et Diersant, bien malgré lui, de se retrouver ainsi plongé dans un cauchemar circulaire, où les boucles temporelles s’entremêlent sans que ne se dessine la moindre échappatoire (dans un premier temps tout d’abord ; mais peut-être la solution se trouve-t-elle sur la plage aux deux soleils de la Perte en Ruaba ?). En fait, il semblerait que notre « héros » se retrouve coincé dans la guerre que se livrent l’empire industriel HKH (pour Harry Krupp Hitler ?) et les hôpitaux autonomes dont Garichankar ; une guerre impitoyable, prenant place tant dans le Temps incertain que dans l’univers « physique ». Il lui faudra choisir son camp… ou pas.

 

En attendant, les séquences se répètent, avec d’infimes variations, pourtant fondamentales. Et Diersant, progressivement, d’acquérir un certain contrôle sur son périple dans l’Indéterminé, de faire varier les scènes, en disant ou pas les mots, en croisant ou pas tel ou tel personnage, parfois en s’effaçant devant la personnalité plus aventureuse du marin à la main atrophiée Renato Rizzi…

 

Bluffant.

 

On peut craindre, au début, l’exercice de style un peu vain, redouter que l’emboîtement des séquences « aléatoires » et répétitives ne tienne pas la route sur les quelques 250 pages du roman. Et pourtant si. Et c’est tout sauf vain. Et c’est tout sauf lassant. Michel Jeury fait preuve ici d’une dextérité rare, qui rend le roman (accessoirement – ou pas – fort bien écrit) aussi palpitant que fascinant. On pense effectivement beaucoup à Philip K. Dick, mais au meilleur de sa forme ; on peut aussi penser, de manière anachronique sans doute (mais bon, hein, c’est la chronolyse après tout), à Christopher Priest, puisque bien des choses ici se jouent sous l’angle de la perception.

 

Mais cela n’enlève rien à la singularité du Temps incertain, qui est bien, cette fois je ne prétendrai pas le contraire, le chef-d’œuvre que l’on a dit. Le roman est d’une efficacité redoutable, proprement cauchemardesque, et en même temps teinté d’espoir, avec les Pêcheurs de la Perte en Ruaba. Si la réalité est ici truquée, le « héros » comme le lecteur participent du truquage, et, en fonction des choix, délibérés ou subis, peuvent se dessiner tant des tableaux d’horreur (les incendies d’HKH sont proprement dantesques) qu’une vague utopie, séduisante dans son abstraction.

 

Roman unique en son genre et visionnaire (Jeury, ici, préfigure aussi dans un sens le cyberpunk), Le Temps incertain colle une sacrée baffe. Je suis bien loin de la déception de  Soleil chaud, poisson des profondeurs (qu’il faudrait peut-être que je relise, cela dit, dans de meilleures conditions), et mon enthousiasme pour ce roman ne saurait faire de doute. Brillant, aussi intelligent que beau et efficace, Le Temps incertain a effectivement tout du chef-d’œuvre. De la science-fiction française, certes, mais aussi au-delà. Indispensable.

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"La Quête des héros perdus", de David Gemmell

Publié le par Nébal

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GEMMELL (David), La Quête des héros perdus, [Quest for Lost Heroes], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Alain Névant, Paris, Bragelonne – Milady, [1990, 2003] 2011, 413 p.

 

C’est Nouwël ! Et, chez Nébal, qui dit Nouwël dit Gemmell.

 

BEUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARH !!!

 

 

Mais là, pour le coup, pas tant que ça, en fait.

 

C’est un peu décevant.

 

Mais ça ne fait aucun doute : La Quête des héros perdus est loin d’être le roman le plus beuarhesque du cycle « Drenaï ». Oh, je vous rassure, ça se frite tout du long pour un oui pour un non, et on y retrouve bien des traits typiques de la production BCF de David Gemmell, des héros nécessairement vieillissants à la fin toute naze (mais là, je dois dire qu’il s’est surpassé, ce type était décidément incapable de conclure un bouquin de manière satisfaisante). N’empêche, tout au long de la lecture de cette Quête des héros perdus, j’ai balancé entre deux opinions : 1°) Celui-là est VRAIMENT nul ; 2°) Mais en même temps, avec tout autre auteur que Gemmell derrière le clavier, ça aurait pu donner quelque chose de… ou pas.

 

 

Mmmh.

 

Probablement « ou pas ».

 

‘fin bon, n’allons pas trop vite en BEUA… besogne. Et commençons par résumer la chose.

 

La Quête des héros perdus se déroule en gros une génération après  Le Roi sur le Seuil. Tenaka Khan a bâti un empire nadir sans pareil, et s’est enfin emparé de Dros Delnoch. Il n’a connu qu’une seule défaite, en territoire gothir, à Bel-azar, où il a dû affronter un quintet de héros ‘ach’ment balaises : Charéos le Maître d’Armes, héritier caché du Comte de Bronze ; Beltzer le géant à la hache (comme d’hab’) ; les deux archers (potentiellement pédés) Finn et Maggrig ; et Okas, l’Homme Tatoué aux mystérieux pouvoirs. Il les a même rencontrés, un soir, mais les a épargnés. C’est que ce sont les fantômes-à-venir

 

Mais le roman débute bien après la bataille de Bel-azar, alors que c’est Jungir Khan, le fils de Tenaka, qui règne sur les Nadirs. Charéos a repris son boulot de maître d’armes auprès du comte de Talgithir. Mais, un jour, le héros de Bel-azar punit le fils du comte pour son arrogance, et le paternel le prend mal. Très mal. Charéos n’a d’autre choix que de s’exiler.

 

En route, il tombe sur Kiall, un jeune couillon de bouseux romantique, dont le village a été pillé par les Nadrens, qui se sont emparés des femmes pour les vendre comme esclaves. Parmi elles, Ravenna, la belle de Kiall. Enfin, façon de parler : elle ne l’aime pas (ça aussi, ça arrive souvent, chez Gemmell)… Mais Kiall est amoureux jusqu’au bout du gland, et a juré, ce qui est bien entendu absurde, de la délivrer. Et parce que Charéos est un peu con et n’a rien d’autre à foutre, il décide, là, comme ça, sans raison, de lui venir en aide.

 

Bien évidemment, très vite, la Volonté de la Source va faire que l’ancien groupe des héros de Bel-azar va se reconstituer. Et sans véritable raison, donc (à part peut-être la nostalgie de leurs anciens actes héroïques, notamment pour Beltzer), ils se mettent tous à aider Kiall dans sa quête absurde.

 

Mais, bien évidemment là encore, la Source voit plus loin, et la quête des héros perdus va prendre une tournure un peu plus grandiose (mais pas moins absurde) que de simplement partir à la rescousse d’une pouffiasse de fermière…

 

Vous aurez compris que ce roman, étant dû à la plume de David Gemmell, est très bête. Mais il aurait pu ne pas l’être totalement. Ce groupe de héros vieillissants, en effet, aurait pu fournir le prétexte d’une intéressante étude de caractères ; lancés dans une quête débile, et bien moins impressionnante et « nécessaire » que leurs anciens exploits, les héros perdus auraient pu, oui, constituer de bons personnages, et leur périple être propice à une réflexion un peu plus astucieuse que d’habitude sur la vanité de l’héroïsme et le temps qui passe… Mais on est chez Gemmell ; alors la psychologie des personnages, hein… Non, je vous rassure, nous sommes bien en présence d’archétypes en carton, tout justes bons, en dehors de la baston, à balancer des lieux communs pseudo-philosophiques et des vannes pourries, et la réflexion n’est pas vraiment de mise dans cet énième bourrinade au canevas décidément bien répétitif. Il s’agit de se latter contre le monde entier, de trancher des bras et des têtes, de hurler BEUAAAAAAAAAAAAAARH, et de sauver la princesse. Banal.

 

Et du coup frustrant, à plus d’un titre. Car si Gemmell nous prive dans La Quête des héros perdus de toute « profondeur » (mais ça on pouvait s’y attendre…), il nous prive également de ce pour quoi il est le plus doué (relativement s‘entend), à savoir les grosses scènes de bataille bien beuarhesques. On reste ici à l’échelle du petit groupe. Alors forcément…

 

Bon, après, même si c’est objectivement « pas très bon », voire « encore plus mauvais que d’habitude », je me suis quand même amusé à cette lecture couillonne (je suis décidément très bon public, des fois, mais je m’en rends compte, alors ça m’excuse presque). Il y a de l’action en permanence, justifiée par rien, mais c’est pas grave. Ça fuse, et ça divertit. C’est idiot, mais efficace. C’est du Gemmell, quoi.

 

Même si le « beuarh » est cette fois discret.

 

Prochain épisode : Les Guerriers de l’hiver.

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"Foetus-party", de Pierre Pelot

Publié le par Nébal

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PELOT (Pierre), Fœtus-party, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, 1977, 188 p.

 

S’il est un auteur que la lecture de  La Science-fiction en France de Simon Bréan m’a donné envie de découvrir plus avant, c’est à n’en pas douter Pierre Pelot (qui signait auparavant Suragne au Fleuve Noir). Il faut dire que le bonhomme m’a franchement bluffé avec son chef-d’œuvre (hors SF, cela dit)  C’est ainsi que les hommes vivent ; mais j’en avais bien aimé aussi, à un degré incomparablement moindre certes mais tout de même, La Rage dans le troupeau, et d’autres titres (souvent bizarres, les titres) me faisaient de l’œil depuis pas mal de temps déjà. Cette virée dans les romans de science-fiction français des années 1950-1980 était donc une occasion de choix pour découvrir un peu plus l’auteur, probablement un des plus importants des années 1970 pour ce qui est du genre, et le plus représentatif (avec Jeury ?) des « réalités truquées » plus ou moins dickiennes qui fondent, à en croire Simon Bréan, le paradigme de la science-fiction française de ces années-là. Ce qui, bien évidemment, ne peut que me parler. Je me suis donc emparé d’un certain nombre d’ouvrages dudit Pierre Pelot (généralement assez courts), et ai décidé un peu au pif (mais le titre me plaisait bien) de commencer par Fœtus-party.

 

Dans le futur glauque décrit par Pierre Pelot (se situant a priori aux environs de l’an 2600), la Terre paye les pots cassés du grand gâchis capitaliste de notre époque et de politiques paradoxales ayant abouti à une situation intenable. La nature n’est plus. Il n’y a plus de villes, il y a la Ville, qui recouvre les trois quarts de la planète. Et y vivent (vivent ?) tant bien que mal quinze milliards d’habitants. C’est trop, à l’évidence. Le problème de surpopulation est ici central (on pense, entre autres, à Soleil Vert, dont on retrouve la conséquence fameuse du recyclage des cadavres, bouffés par les vivants).

 

Le Saint-Office Dirigeant est à la tête de la société. Mais, s’il a été fondé sur des bases humanistes (comme un syncrétisme de diverses tendances religieuses réagissant au grand gâchis), il est aujourd’hui contraint à des mesures bien loin de ses origines et ambitions premières. Et la préoccupation constante de la société décrite dans Fœtus-party est la mort. Souvent (en principe, du moins) volontaire : on incite, par des slogans, les vieux au suicide ; lors des « fœtus-parties », on donne aux fœtus la possibilité de choisir de vivre ou non ; on joue au Poniachet, où le vainqueur comme le vaincu se voient offrir la mort… Mais il y a aussi, bien sûr, la répression, implacable, et qui fait grand usage de la peine capitale. Il faut, d’une manière ou d’une autre, que la mort de l’individu soit au bénéfice du plus grand nombre.

 

Mais les dés sont pipés. Au Poniachet, le Rebelle perd toujours. Et, au-delà, c’est la réalité elle-même qui est truquée, par les deux bouts : les fœtus, donc, se voient offrir un simulacre de vie destiné à déterminer s’ils veulent ou non vivre ; les suicidés à la pilule H-O, dit-on, se voient également offrir une autre vie, qui, pour eux, dure des années, quand seulement quelques secondes s’écoulent à l’extérieur. Comment, dès lors, être sûr de vivre ? Ne baigne-t-on pas dans l’illusion ? La question obnubile régulièrement les personnages de Fœtus-party.

 

Les personnages. Parlons-en. Il y a, outre les candidats du Poniachet que nous retrouvons de temps à autre, Gédéon Trash, qui a illégalement laissé tomber son emploi à la biscuiterie SOD pour devenir un minable petit trafiquant de drogue, en l’occurrence d’HYP – 1000, une substance supposée augmenter les chances du fœtus de choisir la vie. Il y a, du coup, ses premiers clients de la journée (l’action du roman reste centrée sur une seule journée), Mark et Eva Lipton ; ils en sont à leur troisième et dernière tentative d’avoir un enfant (les deux premiers ont choisi la mort lors de la fœtus-party), d’où leur recours au HYP – 1000. Et il y a, enfin, amnésique, le Visiteur. Ross ? Jent ? Le Visiteur. Qui, comme tel, se voit offrir un tour d’horizon de la Ville. Et qui pourra apprendre bien des choses au cours de son périple, à l’instar du lecteur.

 

J’avouerai que, au cours de ma lecture, je suis longtemps resté sceptique, voire un peu déçu, par Fœtus-party. Pourtant, au final, c’est une impression très positive qui demeure. Du fait, probablement, de l’ambiance merveilleusement glauque que Pierre Pelot parvient à instaurer en moins de 200 pages – belle performance –, une atmosphère très noire, désespérante, sordide, teintée (une fois n’est pas coutume) de cynisme, voire de misanthropie. Avec une louche d'absurde en prime.

 

« Le bien, comme le mal, n’existe pas. Rien n’existe. Sauf la connerie. »

 

Trash nous le dit très rapidement. Dès lors, la morale semble dépassée par le cauchemar humain de Fœtus-party. Le roman ne laisse absolument aucune échappatoire… si ce n’est la mort. Toujours. Horizon indépassable, solution unique, et tant qu’à faire pour le plus grand bien de tous.

 

Vraiment ?

 

Une réussite, donc. Au goût de vomi, certes, mais une réussite. Un bon Pelot, qui laisse augurer du meilleur pour mes lectures ultérieures.

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"Oms en série", de Stefan Wul

Publié le par Nébal

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WUL (Stefan), Oms en série, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1972] 1993, 190 p.

 

Stefan Wul, dit « le météore de la science-fiction française » (l’expression est de Jean-Pierre Andrevon, si je ne m’abuse), a assis sa réputation sur une dizaine de romans publiés au Fleuve Noir « Anticipation » dans les années 1950 (dont celui-ci), avant de revenir aux affaires seulement le temps de Noô quelques 25 ans plus tard. Pour ma part, je n’en avais lu jusqu’à présent que Niourk, dans ma prime adolescence (et dans une collection « jeunesse », si je ne m’abuse, mais on y reviendra), roman dont je ne me souviens quasiment de rien, si ce n’est que je l’avais trouvé ben chouette. La lecture de  La Science-fiction en France de Simon Bréan m’a donné envie d’approfondir, du coup, mes connaissances wulesques. Et il m’a semblé opportun de débuter par Oms en série, un des plus célèbres romans de l’auteur, et peut-être le plus célèbre, dans la mesure où il a été adapté  en film d’animation sous le titre La Planète sauvage par René Laloux sur des dessins de Topor (dans ma grande honte, je dois confesser ne pas avoir vu ce film, enfin je crois) (ou alors y a longtemps) (ou bien j’ai oublié) (ou y sentait pas bon…), et plus récemment, si j’ai bien tout suivi, en BD (mais en théorie toute l’œuvre de Wul devrait y passer, là encore si j’ai bien tout suivi).

 

Un lointain futur. Cela fait un bail que l’humanité a sombré dans la décadence, la civilisation ayant commencé par stagner avant de connaître un net recul. Puis les hommes, rebaptisés « Oms », ont été importés sur Ygam par les natifs de cette planète, les Draags, géants amphibies qui les envisagent comme d’amusants animaux de compagnie.

 

Au début du roman, la jeune Tiwa ne cache ainsi pas sa joie quand elle apprend que l’Ome des voisins a donné naissance à deux bébés, dont un doit lui revenir, qu’elle baptise Terr (ça va plus vite que « Terrible »). La petite famille draag est enchantée par le petit Om. Mais Tiwa ne doit pas négliger ses leçons pour autant ; alors, régulièrement, l’Om sur ses genoux – elle ne peut pas s’en passer – elle enfile ses écouteurs et suit l’instruction ; ce qu’elle ne sait pas, c’est que le petit Terr bénéficie lui aussi de ses leçons (d’autant que les Oms ont un développement bien plus rapide que les Draags). L’Om apprend ainsi à parler (véritablement, et pas seulement « sussucre »), à lire, l’ygamographie, etc.

 

Et arrive ce qui devait arriver : un jour, Terr s’enfuit. Et il tombe sur une communauté d’Oms « sauvages », qui bénéficie grandement de ses connaissances plus poussées que la moyenne. Notamment il parvient ainsi à sauver sa tribu (et une autre) d’une entreprise de désomisation dans le parc où il s’est réfugié. Et à partir de là, les choses vont très vite : Terr prend de plus en plus d’importance au sein de la communauté des Oms sauvages, jusqu’à en devenir le chef. Et il lance l’idée de l’Exode : les Oms doivent construire des navires pour aller vivre dans un des continents « naturels » d’Ygam, où les Draags les laisseront en paix.

 

Mais, parallèlement, un naturaliste draag, Maître Sinh, s’inquiète de la prolifération des Oms sauvages et de leur développement rapide, témoignant d’une intelligence croissante. À terme, les Oms ne vont-ils pas devenir une « race maîtresse », mettant en péril la domination des Draags ? Aussi en vient-il à suggérer des mesures radicales, comme une désomisation générale…

 

N’y allons pas par quatre chemins : il s’est produit pour Oms en série ce qui s’est produit dans mon souvenir pour Niourk (et peut-être pour d’autres Wul, mais ça, je le verrai prochainement), à savoir que, si le roman a été originellement publié dans une collection « adulte » (enfin, si tant est qu’un lecteur de SF, a fortiori au FNA, puisse être considéré comme adulte, bien sûr), il a aujourd’hui tous les traits d’un roman « jeunesse », et même vraiment très très « jeunesse ».

 

C’est que c’est bien gentillet, tout ça (pour ne pas dire niais). Et si ça se lit bien, d’autant que l’écriture est très simple, plus que simple même, le fait est que l’amateur de SF contemporaine « adulte » ne s’y retrouvera pas forcément. Oms en série est à cet égard sans doute une lecture bienvenue, voire idéale, pour initier les chiards à la science-fiction. Mais au-delà ? Je suis doute.

 

Certes, je ne me suis pas ennuyé un seul instant à la lecture de ce court roman débordant d’idées, et je ne regrette vraiment pas ma lecture. Mais de là à en faire l’éloge, et, une fois de plus, à en faire un chef-d’œuvre de la science-fiction française ? Non. Pour une classe d’âge bien précise tout au plus. Mais dès que les poils commencent à pousser, ça devient quand même « un peu trop » simple. La naïveté du propos, très caricatural, comme la fin qui, après l’inévitable phase de baston, se montre d’un optimisme qui a de quoi laisser pantois, les personnages archétypaux au possible, la plume régressive, tout cela réserve Oms en série au plus jeune lectorat. Celui-ci saura probablement s’en délecter ; mais les autres pourront faire l’impasse, ou – ce qui fut dans un sens mon cas – se contenter de le lire à titre « documentaire », comme le témoignage d’une époque où la SF ne s’embarrassait pas de chichis et allait à l’essentiel, pour le meilleur et pour le pire ; on a quand même, aujourd’hui, du mal à comprendre l’enthousiasme des lecteurs de SF « adultes » des années 1950 pour ce roman certes correct mais bien (donc) gentillet. Contexte, contexte… Mais ça ne fait pas tout.

 

À faire lire à vos gamins/neveux/victimes dans la cave, etc. Vous pouvez y passer aussi, ça ne peut pas faire de mal, mais il ne faut pas en attendre trop. Aujourd’hui…

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"La Sortie est au fond de l'espace", de Jacques Sternberg

Publié le par Nébal

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STERNBERG (Jacques), La Sortie est au fond de l’espace, Paris, Denoël, coll. Présence du futur, [1956] 1990, 249 p.

 

Quoi de mieux, le jour de la supposée FIN DU MONDE, que de lire un (court) roman traitant de la profonde connerie de l’espèce humaine et narrant son annihiliation ? Bon, pour être franc, ce fut plus une coïncidence qu’autre chose. Mais ça tombait à pic. Et peut-être, inconsciemment, cela explique-t-il en partie pourquoi j’ai finalement lu La Sortie est au fond de l’espace avant le recueil de nouvelles Entre deux mondes incertains, qui prenait la poussière depuis bien trop longtemps dans ma commode de chevet (mais je l’en ai sorti, du coup). Bon, la vraie raison est sans doute ailleurs, cela dit, et à chercher, une fois de plus, dans  La Science-fiction en France de Simon Bréan… Mais peu importe.

 

Après un très intéressant – et à bien des égards très lucide – prologue décrivant narquoisement l’évolution du monde depuis les années 1970 (le roman date de 1956), La Sortie est au fond de l’espace (pas très fan de ce titre, au passage, mais bon) débute par une belle journée de février 1998. Une journée destinée à faire date et à rester dans l’histoire… si histoire il devait y avoir par la suite. C’est en effet de ce jour que s’enclencha le processus destiné à mettre fin à l’espace humaine. Le narrateur anonyme, mauvais journaliste de son état, y assiste pour sa part dans un bar : quand le serveur ouvre le robinet, ce n’est pas de l’eau qui coule, mais un amas répugnant de larves bien vivantes. Notre journaleux croit tenir un scoop, mais l’événement l’a en fait pris de vitesse : dans les villes du monde entier, le phénomène se produit ; les microbes sont devenus géants, et on compte déjà quelques victimes, qui ont bu de l’eau juste avant la transformation fatidique…

 

Au début, les gens ne paniquent guère. On croit que le problème sera rapidement réglé, et le gouvernement se montre rassurant. Mais, bientôt, il faut se rendre à l’évidence : le problème ne sera pas réglé aussi facilement… Commence alors, dans la brutalité de l’état d’exception, un exode vers les campagnes, encore épargnées par l’étrange phénomène (seul l’eau filtrée par les canalisations est affectée). Mais celles-ci sont touchées à leur tour, et les fleuves et rivières de se transformer en répugnantes masses microbiennes en mouvement… Des morts, encore, de plus en plus nombreux.

 

On décide un exil là où il n’y a pas d’eau, pour fuir le problème : dans le désert. Les morts se multiplient de manière exponentielle, ce nouvel exode est particulièrement destructeur. Et, sous la supervision du savant J.-H. Diegher (seul personnage nommé du roman, avec Wiana, la compagne du narrateur), on se lance dans une entreprise folle, la seule chance de survie pour une fraction infime de l’espèce humaine : lancer des fusées avec à leur bord quelques milliers de rescapés à destination de Mars…

 

L’humanité est déjà presque annihilée. Mais elle n’est pas au bout de ses peines. Mars, en effet, malgré son atmosphère respirable (…), se révèle un environnement franchement hostile, où il est impossible de s’établir. Nouveau départ, nouvelle fuite en avant… vers une autre planète tout aussi invivable. Et les morts s’accumulent, au fil des voyages, de planète cauchemardesque en planète cauchemardesque… jusqu’à ce que les Terriens tombent sur les Sconges, originaires d’une autre galaxie, et si hospitaliers.

 

Sous la forme d’un journal, La Sortie est au fond de l’espace conte donc les derniers jours de l’espèce humaine (je n’ai pu m’empêcher, à cet égard, de penser à d’autres romans du même type, notamment, outre ceux de Ballard,  Quinzinzinzili de Régis Messac et  Génocides de Thomas Disch – que j’avoue avoir préférés, cependant, mais c’est une autre histoire). Jacques Sternberg est connu pour être un maître de l’humour noir, mais je ne qualifierais certainement pas ce roman de « drôle ». Dominent ici le cynisme, le pessimisme et la misanthropie ; le portrait que dresse l’auteur de l’espèce humaine n’est en effet guère flatteur (mais pas davantage hilarant) : les hommes, ici, sont répugnants, à bien des égards davantage que les microbes géants qui infestent l’eau. Sordides singes insignifiants obnubilés par leur place et leurs règlements, arrogants et stupides, égoïstes et cruels, ils méritent bien tous de crever comme les merdes qu’ils sont.

 

La Sortie est au fond de l’espace, aussi, ressort pas mal du registre de la fable. Ce qui explique sans doute pour une bonne part pourquoi le roman ne s’embarrasse guère de la vraisemblance. Je ne vise pas tant ici l’origine de l’annihilation de l’espèce humaine (pourquoi pas, après tout ?) que la posture du narrateur et l’exode spatial des rescapés terriens. Mais bon, on s’en fout un peu. Et, quelque part, cela confère même à ce roman un certain charme, relevant peut-être davantage du « merveilleux scientifique » antérieur que de la science-fiction à proprement parler.

 

Quoi qu’il en soit, et malgré ce défaut tout relatif (et quelques autres : si le style est dans l’ensemble agréable, on relève tout de même quelques pains ici ou là), La Sortie est au fond de l’espace frappe au ventre, et fait mal. On ne ressort pas indemne de la lecture de ce court roman qui malmène l’humanité avec une sorte de jubilation sadique. Et, même si l’on peut rester sceptique dans un premier temps devant certains développements, les derniers chapitres, absolument fabuleux, dans l’utopie des Sconges, relèvent le niveau et, cette fois, sont pleinement convaincants (malgré une révélation ultime qui n’en est pas une).

 

Ce n’est pas parfait, donc, mais c’est indéniablement fort. Une lecture bienvenue, une fois de plus idéale pour les fêtes.

 

Allez, crevez tous.

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"Le Roi sur le Seuil", de David Gemmell

Publié le par Nébal

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GEMMELL (David), Le Roi sur le Seuil, [The King Beyond the Gate], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Alain Névant, Paris, Bragelonne – Milady, [1985, 2001, 2009] 2010, 471 p.

 

BEUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARH !!!

 

Qu’on se le dise : Nébal, à Nouwël, lit du Gemmell. Eh oui, les fêtes, c’est l’heure du mauvais goût le plus crasseux, chez moi comme chez les autres. Alors y a pas de raison ma bonne dame. Parallèlement à mon cycle de lectures frrrrrrançaises, je veux du vide-crâne au marteau de guerre, et Gemmell avec son cycle « Drenaï » me paraît bien placé dans cette catégorie. Et l’on attaque direct avec du lourd, avec Le Roi sur le Seuil, roman qui ne fait pas exactement dans la finesse.

 

Nous sommes un siècle après le siège de Dros Delnoch, où Druss et ses potes ont foutu une improbable branlée aux Nadirs d’Ulric (voir  Légende). Mais ça ne va pas hyper bien en Drenaï pour autant : en effet, le meuchant vraiment très très meuchant empereur Ceska y a pris le pouvoir (semble-t-il après une élection) ; et comme il est meuchant vraiment très très meuchant, il fait plein de meuchancetés. Comme par exemple anéantir le Dragon, une troupe d’élite qui l’avait fort bien servi jusqu’alors (ah, oui, tant qu’on y est : le dragon sur la couv’, c’est une statue, y’en a pas de « vrai » dans le roman). Mais, bien évidemment, cet abruti laisse des survivants.

 

Et notamment Tenaka Khan. Tenaka est un sang-mêlé à la double ascendance prestigieuse : côté nadir, il descend d’Ulric ; côté drenaï, il descend de son adversaire le Comte de Bronze. Bien entendu, en tant que tel, il n’est accepté par aucun des deux groupes. Ce qui ne l’empêche pas d’être un putain de bon général, dévoré par la haineuh. Alors, hop, comme ça, ayant tout perdu, sa femme qui ne l’a jamais aimé y compris, il décide qu’il n’a rien de mieux à foutre que d’aller buter Ceska.

 

Mais la mission d’assassinat des origines prend vite une tournure inattendue (enfin, pas tant que ça : on est chez Gemmell) : en effet, à chaque fois que Tenaka s’arrête en chemin pour faire du feu – c’est-à-dire souvent, Gemmell aime bien le feu –, il fait une rencontre improbable (mais non, voyons ! c’est la volonté de la Source !) ; et c’est ainsi que, entre autres, il retrouve ses deux anciens potes du Dragon, Ananaïs qui, sous ce nom ridicule, est un guerrier ach’té balaise, hélas défiguré par un Uni de Ceska (c’est-à-dire une vilaine bébête semi-humaine), et Decado, authentique tueur psychopathe qui s’est fait prêtre – logique – et se retrouve à la tête des Trente (voir  Légende encore une fois).

 

Et l’assassinat projeté se mue donc en rébellion ouverte, le petit groupe de base grossissant à chaque rencontre (et donc à chaque feu) jusqu’à devenir une véritable armée. Enfin, « véritable », c’est vite dit : en face, il y a quand même bien plus de salopards armés jusqu’aux dents, avec à leur tête les Unis pas si invincibles que ça, et les Templiers Noirs, reflet chaotique et meuchant des Trente.

 

Et donc…

 

BASTON !

 

BEUAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAARH !!!

 

Bon. Objectivement, c’est sans doute très mauvais. Plus qu’à son tour ridicule (le début avec les innombrables rencontres autour du feu est quand même à se tordre), Le Roi sur le Seuil est en outre un roman parfaitement crétin, pas toujours très crédible (c’est le moins qu’on puisse dire ; d’ailleurs, la fin est presque aussi naze que celle de Légende), et plombé par d’interminables discussions pseudo-philosophiques d’une naïveté confondante, avec moult délires un brin puants sur le courage, la FORCE, la camaraderie virile, sans parler de l’amûûûûûûûr, etc.

 

Mais ça tabasse. Et, après tout, je n’en demandais pas autre chose. Et là, faut dire ce qui est : Gemmell connaît à cet égard son métier, et se montre très pro pour les scènes de baston, et, plus encore, celles de bataille, tout à fait palpitantes. Heureusement, d’ailleurs, parce qu’en dehors de ça…

 

‘fin bref.

 

Nébal aussi fait dans l’improbable, comme son maître Gemmell : aussi, avec tous les défauts évidents de ce Roi sur le Seuil, j’ai malgré tout bien aimé ; et je l’ai lu d’une traite, comme un bon divertissement ; ce qui doit vouloir dire que ce n’est pas un si mauvais divertissement que ça… Pourtant, même moi, ça me fait mal au derche de l’écrire. Mais je me suis bien marré, avec le roman ou du roman, peu importe (enfin si, sans doute, mais bon). Je ne recommanderais bien évidemment à personne ce machin brutal et con, mais pour ma part, je ne regrette pas pour autant ma lecture.

 

Même que je vais encore lire du Gemmell ces prochains jours. On se demande bien pourquoi…

 

« Moi je sais ! C’est parce que c’est la FIN DU M… »

 

*SBAF !*

 

Ta gueule.

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"Aux armes d'Ortog", de Kurt Steiner

Publié le par Nébal

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STEINER (Kurt), Aux armes d’Ortog, Paris, J’ai lu, coll. Science-fiction, [1975] 1981, 156 p.

 

De Kurt Steiner, de son vrai nom André Ruellan, j’avais déjà lu, grâce aux rééditions chez Rivière Blanche, quelques romans publiés en leur temps dans la collection « Angoisse » du Fleuve Noir ( hop et  hop), mais je n’avais encore jamais tâté de ses romans de science-fiction, qui ont bien davantage contribué à établir sa renommée. Le diptyque « Ortog », constitué par Aux Armes d’Ortog et Ortog et les ténèbres, est probablement à cet égard une de ses œuvres les plus célèbres, et Jacques Goimard avait déjà attiré mon attention dessus dans Critique de la science-fiction. Mais, une fois de plus, c’est  La Science-fiction en France de Simon Bréan qui m’a décidé à sauter le pas et à me procurer ces deux volumes (ainsi que Tunnel, publié sous le nom d’André Ruellan). J’avoue cependant, malgré cette curiosité relativement ancienne et renouvelée par la lecture de ladite thèse, que j’y suis allé un peu à reculons : je craignais en effet la « SF à papa » (Aux armes d’Ortog fut publié pour la première fois en 1960 au Fleuve Noir « Anticipation »)… et à bon droit, puis-je dire désormais. À ceci près que dans ce genre qui a tout pour me laisser froid a priori, je concède volontiers que nous sommes là en présence du haut du panier.

 

Nous sommes au Le siècle (et pas au XXXe comme le prétend la quatrième de couv’). L’humanité a colonisé les Trois Planètes (Mars et Vénus en plus de la Terre) et établi un avant-poste sur Alpha 3. Mais la Guerre Bleue, ainsi nommée en référence à une terrible arme vénusienne, a ravagé le système solaire et fait trente milliards de morts… Au sortir du conflit, l’humanité exsangue, et qui a pas mal régressé, a établi un nouveau système politique, la Sopharchie, sorte d’aristocratie nobiliaire. Mais elle n’en a pas fini avec les ennuis pour autant : en effet, pour une raison inconnue, les hommes meurent désormais de plus en plus jeunes, et le processus tend perpétuellement à s’aggraver… Et si gérontologues et généticiens cherchent à combattre ce fléau, nombreux sont ceux qui succombent au pessimisme des prêtres qui y voient un châtiment divin pour les horreurs de la Guerre Bleue.

 

C’est ainsi que meurt de façon soudaine le père du héros, Dâl Ortog, un jeune berger de la Terre. Mais, bien loin de se résigner comme le voudrait l’usage, Dâl jure publiquement de tout mettre en œuvre pour arrêter ce mal inconnu. Sacrilège ! Dâl ne doit sa survie, après cette déclaration intempestive, qu’à la protection d’un des trois Maisonniers de son village, qui l’envoie à la capitale Lassénia, auprès des Sopharques les plus progressifs. Et le berger de devenir soldat, puis gladiateur, puis, enfin, Chevalier-Naute, ce qui lui fait intégrer l’aristocratie – il devient Dâl Ortog Dâl – et, surtout, lui permet d’explorer l’espace à la recherche d’un remède. Il est en effet une ancienne prophétie, qui évoque une mystérieuse « Planète des Archanges » qui pourrait bien receler la solution du problème. Et Dâl se voit ainsi rapidement (trop rapidement, on y reviendra) confier le commandement du vaisseau Solaris, en quête de ladite planète et de son Prophète…

 

« SF à papa », donc. C’est rien de le dire : tout cela fleure effectivement le Fleuve Noir « Anticipation », et pas qu’un peu. Le roman, très court, est ainsi focalisé sur l’action, qui ne s’arrête pas de rebondir jusqu’aux toutes dernières pages ; à ce stade, c’en est carrément hystérique. Kurt Steiner ne s’arrête pas sur les détails, et enchaîne les séquences avec une frénésie impressionnante. Tout va très vite dans Aux armes d’Ortog ; trop vite, sans doute : pas le temps de s’arrêter, hop, ça, c’est fait, et donc hop, la suite, faut pas relâcher l’attention du lecteur, qui a payé pour du divertissement, et qui va en avoir, du divertissement, nom d’une pipe en bois ! Ce qui, je l’avoue, même en comprenant bien les impératifs de la publication au FNA, m’a laissé un poil perplexe et même un peu frustré. Cela dit, à la décharge de l’auteur, ça marche : le roman s’enquille très vite, et on n’a pas le temps de s’ennuyer. Cependant, pour ce qui est de la suspension d’incrédulité, cela n’est pas sans poser quelques problèmes : disons-le franchement, si le fond de l’intrigue est plutôt bien ficelé, on n’y croit pas toujours dès l’instant que l’on s’arrête à un épisode en particulier ; ainsi, l’ascension de Dâl de simple berger à Chevalier-Naute au seul prix de quelques épreuves mortelles dans une arène laisse pour le moins sceptique, de même que son attribution immédiate du commandement du Solaris, alors qu’il n’a même pas vingt ans (d’accord, on meurt de plus en plus jeune dans cet univers, mais quand même pas à ce point !) et n’est jamais allé dans l’espace, qui lui fout les boules, en plus…

 

Ce n’est pas là le seul trait « SF à papa » caractérisant Aux armes d’Ortog : à vrai dire, tous les clichés du genre y sont, ou presque. Et si la plume de Kurt Steiner est plutôt agréable dans sa simplicité, sans être exceptionnelle pour autant, faut pas déconner, le fait est qu’il ne lésine pas sur le didactisme propre à la SF de l’époque, que ses personnages sont tristement caricaturaux, que les rebondissements sont, au choix, téléphonés ou relevant du deus ex machina, etc.

 

Mais, oui, ça marche. On ne s’ennuie pas. On tourne les pages l’air de rien, avide de savoir ce qui va se passer ensuite, sans même trop savoir pourquoi (mais on préfère instinctivement ne pas se poser la question).

 

Et, au-delà, il y a tout de même un point qui joue en faveur de ce premier « Ortog », et c’est que, en dépit du rythme sprintesque de la chose, Kurt Steiner parvient à mettre en place une ambiance assez chouette, caractérisée par un pessimisme généralisé (même si, rassurez-vous, bien sûr, Dâl parvient à ses fins…) : l’image de l’humanité que donne le roman n’est guère positive, c’est le moins qu’on puisse dire, et la résignation des prêtres, contre laquelle se rebelle le héros, contamine néanmoins la plupart des personnages à un moment ou à un autre, ainsi que le lecteur, de manière insidieuse ; et ça, j’ai bien aimé.

 

De là à faire d’Aux armes d’Ortog un chef-d’œuvre de la science-fiction française, il y a un pas que je ne saurais franchir… Non. Définitivement non. C’est un roman de gare honnête, une fois encore, et probablement un peu plus que ça, mais pas des masses non plus. C’est à n’en pas douter très efficace, mais ça accumule tout de même les défauts rédhibitoires qui l’empêchent en toute logique d’atteindre à ce statut si souvent galvaudé. Bref : c’est pas mal, pas mal du tout même, mais faut pas pousser mémé dans les orties (sauf si elle le demande) ; c’est sans doute de la meilleure « SF à papa », mais c’est de la « SF à papa » néanmoins. Dès l’instant qu’on accepte cet état de faits, on peut passer un bon moment, mais Aux armes d’Ortog n’a pour autant rien de bouleversant. Pas de quoi fouetter un chat (même si ça fait toujours plaisir) : c’est un bon divertissement, et je lirai volontiers Ortog et les ténèbres (qui a l’air sensiblement différent, mais on verra), et c’est déjà bien. Rien de plus, et rien de moins.

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"A nos pères", de Tarik Noui

Publié le par Nébal

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NOUI (Tarik), À nos pères, Paris, Inculte, 2012, 193 p.

 

Quand je me suis procuré ce court roman à l’occasion des quatrièmes Dystopiales – où Tarik Noui était le seul auteur non étiqueté « imaginaire » –, cela faisait déjà un petit moment que l’on m’en faisait la propagande, en me disant qu’il s’agissait en gros d’un «  Fight Club avec des vieux ». Ce qui, à s’en tenir au pitch, n’est pas faux, mais est tout de même bien réducteur. Je dois dire toutefois que, comme pour les jeunes cons du roman, l’idée de débris se castagnant la gueule me plaisait bien… Mais j’ai le mal en moi, comme vous vous en êtes peut-être rendu compte. Et donc, hop, acquisition, lecture. Et maintenant faut que je vous en cause… sauf que j’ai pas forcément grand-chose à en dire, surtout vu la taille du bouquin (la pagination étant un peu trompeuse : les chapitres sont très courts, et les sauts de page systématiques…).

 

Lucius Marnant est donc un vieux. Pas hyper-vieux, mais vieux quand même. Et à la retraite, bien sûr. Il ne touche donc pas vraiment de quoi subvenir à ses besoins – or, niveau santé, ça tend à se dégrader… Lucius n’a pas grand-chose à faire de ses journées. Comme un vieux, quoi. Il y a bien Mona, qui est vieille, mais bon… Ils baisent toujours, mais elle perd de plus en plus la boule… Et, des fois, comme pour lui rappeler sa triste condition, la nouvelle lui parvient du décès d’un autre vieux de sa connaissance. Il se rend alors au cimetière et assiste, en compagnie d’autres vieux, à l’enterrement dudit vieux.

 

Un jour, ça se passe mal. Un vieux, bourré comme un coing, se met à tripoter la fille du macchabée dans le bar où la célébration s’achève. Lucius lui intime d’arrêter, et lui suggère d’y aller mollo sur les verres. L’autre n’apprécie pas. Bref échange de coups : Lucius étale le malotru pour son compte.

 

Lahire a assisté à la scène. Et il a lié connaissance avec Lucius. Un peu plus tard, il lui propose un marché : participer à des combats de vieux pour la plus grande satisfaction de la jeunesse débauchée, dans le sous-sol d’une boîte de nuit. De quoi gagner un peu d’argent, la somme nécessaire à ses soins, et à son éventuelle entrée dans une maison de retraite digne de ce nom (si tant est qu’il en existe). Lucius accepte. Et il se débrouille plutôt bien. Il y prend goût. Il se sent vivant quand il cogne.

 

« Ce soir mesdames, mesdemoiselles, messieurs, ce soir, comme chaque soir, des hommes finis, des reliques d’un temps qui ne nous intéresse plus, des moins que vivants, vont s’affronter pour essayer de récupérer la dignité qu’ils n’ont plus ! Et devant vous, jeunes, beaux et puissants ! Ils vont déposer leurs dernières forces comme on dépose une offrande au pied de la vie ! »

 

C’est comme ça que Lucius retrouve celui qui se fait désormais appeler Aldo. Aldo fuit la vieillesse. En dandy pathétique, il joue de la façade, et gaspille l’argent qu’il n’a pas en alcool, en drogue et en putes. Une vie. Lucius pratique un peu, bon gré mal gré. De temps en temps, une jeunette bourrée vient s’empaler, autant que faire se peut, sur son sexe à demi mou. Mais ce qui compte, c’est le combat. Toujours le prochain combat. Et l’instinct qui y préside.

 

Bien entendu, tout cela est destiné à mal finir…

 

À nos pères, à l’origine une pièce radiophonique pour France Culture, déploie ce canevas relativement simple en usant d’une structure presque systématique : de très brefs chapitres de deux paragraphes, le premier rapportant le récit et les pensées de Lucius, le second les dialogues en italiques. Ce dispositif singulier fonctionne étonnamment bien.

 

La plume de Tarik Noui, particulièrement laconique, est également très efficace. L’action est d’une violence sèche et frontale – autant vous prévenir, bande de pervers, ça ne fait vraiment pas rire du tout… –, la pensée hachée. Le tout est sobre, dépouillé, sans excès d’aucune sorte. Et surtout pas – ouf – dans le pathos.

 

Ce qui n’empêche pas À nos pères d’être très émouvant, à sa manière. Les scènes avec Mona, notamment, sont poignantes. Et Tarik Noui jette un regard sans concession sur notre société, même si probablement pas d’une manière aussi ouvertement politique que dans  Fight Club. Reste un édifiant tableau de la vieillesse, une réflexion plus subtile qu’il n’y paraît sur la vie, la mort, et toutes ces sortes de choses, portée par de très beaux personnages, Lucius en tête.

 

Pas le livre de l’année, non, mais un bon texte assurément, témoignant d’un réel talent. Aussi violent qu’émouvant, d’une noirceur rare, à faire déprimer le plus optimiste des jeunes cons croquant la vie à pleine dents… en attendant la mort.

 

Une lecture idéale pour les fêtes, donc.

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"Surface de la planète", de Daniel Drode

Publié le par Nébal

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DRODE (Daniel), Surface de la planète, Paris, Hachette, coll. Le Rayon fantastique, 1959, 254 p.

 

Où l’on continue la découverte des classiques de la science-fiction française de la période 1950-1980, avec ce livre rare (deux éditions seulement, sauf erreur) qui me faisait de l’œil depuis un certain temps déjà – j’en avais entendu causer, en tout cas, même si je ne sais plus précisément comment –, mais qui m’est apparu comme une lecture indispensable à cause de la thèse de Simon Bréan sur  La Science-fiction en France. J’ai finalement trouvé la première édition de cette antiquité – dans un état, je vous raconte même pas – et m’en suis prestement emparé, en entamant presque aussitôt la lecture. Ce qui était sans doute une mauvaise idée : parce que, du coup, je l’ai lu en parallèle du fente à bulleux  Enig Marcheur de Russel Hoban, roman avec lequel il partage – avec une sacrée longueur d’avance, certes – quelques points communs ; sauf qu’à la comparaison, il souffre un peu… Mais j’y reviendrai.

 

Ceci dit, qu’est-ce qui m’a poussé à faire l’acquisition de cette vieillerie, me direz-vous ? C’est simple : d’après Simon Bréan, il s’agissait visiblement là d’un OVNI – pardon, OLNI – dans le champ de la science-fiction française de l’époque, et qui fut accueilli comme tel ; d’une part, il reçut immédiatement le prix Jules Verne ; d’autre part, il se fit recevoir plutôt fraîchement par la critique (nombreux développements sur un article de Fiction assez catégorique), même s’il s’en trouvait pour le défendre (dont Gérard Klein, qui réédita donc le roman en Ailleurs & Demain). C’est que, avec Surface de la planète, on est bien loin de la traditionnelle « SF à papa » qui faisait alors les grandes heures du Fleuve Noir « Anticipation ». Le roman – le seul de son auteur, ai-je cru comprendre – est a priori d’une ambition sans commune mesure, notamment – pierre de touche récurrente dans l’histoire du genre – sur le plan stylistique. On a pu dire de Surface de la planète qu’il mêlait science-fiction (plus exactement la variante post-apocalyptique) et Nouveau Roman. Ce qui a paru plus ou moins pertinent, et a plus ou moins convaincu.

 

Nous sommes « en 3850 après l’Hydrogène ». L’humanité – du moins la majeure partie de ce qu’il en reste – s’est réfugiée dans des souterrains, où elle bénéficie du Système : les individus sont séparés les uns des autres, vivant chacun en autarcie dans une cellule ; s’ils peuvent communiquer entre eux par le biais du phone, ils passent néanmoins la majeure partie de leur existence parfaitement seuls, à bouffer les tablettes nutritives que leur fournit un distributeur automatique, seul moyen de découper le temps, et à se plonger dans la Vision, sorte de réalité virtuelle avant l’heure qui les introduit dans des souvenirs du temps d’avant, leur faisant incarner d’autres vies.

 

Mais, un jour – dès le début du roman, en fait (« Ainsi venait de se détraquer le distributeur de tablettes, et celles-ci sortaient du mur en jaillissement continu », première phrase) –, le Système connaît des dysfonctionnements à répétition. La – courte – première partie de Surface de la planète, à la troisième personne, nous présente un certain nombre d’individus baignant dans le Système et la Vision, mais qui sont bientôt contraints de quitter leurs cellules du fait de ces dysfonctionnements, et de prendre le chemin de la Surface – une poignée d’entre eux tout du moins.

 

Puis l’on passe à la seconde partie, qui occupe tout le reste du roman, et est cette fois à la première personne. Le narrateur anonyme fait partie de ces individus ayant regagné la Surface de la planète. À certains égards – au début tout du moins –, il en est même le meneur, multipliant les initiatives quant à ce qu’il faut faire dans cet environnement hostile accablé par le Soleil. Mais bien vite, plus ou moins contraint, plus ou moins par choix, il se retrouve seul, à errer sans véritable but à la Surface. Il y fera un certain nombre de rencontres : on notera ainsi celle d’une communauté d’évadés du Système comme lui, avec un chef, ce qui ne lui sied guère, puis (surtout ?) celle d’un natif de la Surface aux discrètes mutations et à la politesse déstabilisante – car il y eut bien des rescapés pour ne pas s’enfoncer sous terre dans le Système. Il découvrira aussi un environnement étrange, aux dangers parfois imprévisibles – ainsi ces zones dangereuse tombées sous la coupe d’un Réseau bidimensionnel (ici, je n’ai pu m’empêcher de penser, avec un peu d’avance, au gigantesque  Stalker des frères Strougatski), dont le narrateur semble persuadé qu’elles sont vouées à s’étendre jusqu’à englober tout. Mais, pour l’essentiel, son errance a tout de même quelque chose d’absurde et de désabusé, voire nihiliste, jusqu’à la conclusion ambiguë et, dans un sens et de manière toujours aussi anachronique, dickienne avant l’heure.

 

On le voit, du moins je l’espère, à la lecture de ce résumé : Surface de la planète, s’il présente une trame relativement classique (ou qui l’est devenue depuis…), contient bon nombre d’éléments de fond fort intéressants, et parfois visionnaires.

 

Cependant, c’est surtout la forme qui retient l’attention. Le roman témoigne d’une grande ambition stylistique, sans doute rare à l’époque de sa rédaction. Il tient parfois, dans les digressions du narrateur, du poème en prose, vaguement surréalisant, impression renforcée par des jeux de mise en page divers et variés. Mais ce qui frappe surtout – et a un peu parasité ma lecture, donc, puisque le parallèle avec  Enig Marcheur est ici flagrant –, c’est sa manière de triturer le langage, de multiples façons, pour constituer une véritable langue du futur. Rien d’aussi extrême que le parlénigm, non ; mais l’oralité s’écrit, sous forme de raccourcis (« ia » pour « il y a », « dla » pour « de la », etc.), et l’auteur multiplie en outre les mots-valises (sans donner une impression de jargon SF pour autant) ou encore les brusques changements de registre, ponctuant une écriture dans l’ensemble assez soutenue, et usant parfois de mots rares, par des percées de familiarité. Tout cela est aussi déstabilisant qu’intéressant, et, à nouveau, visionnaire.

 

On comprend donc fort bien le choc qu’a dû constituer Surface de la planète à sa parution en 1959. Ce roman ne ressemblait probablement à rien d’autre alors, et avait une bonne longueur d’avance. Pourtant, arrivé à ce point, et tout en reconnaissant les multiples qualités dont le roman de Daniel Drode fait preuve, et qui sont indéniables, je ne peux qu’avouer ma déception (relative). En effet, malgré toutes les bonnes idées dont il fait preuve, le fait est que je l’ai trouvé passablement chiant, ce roman visionnaire… Si la première partie m’a énormément parlé, de même que le début de la seconde, j’avoue m’être assez vite lassé des digressions philosophico-pouétiques du narrateur et de son errance sans but teintée de vague à l’âme ; ce qui fait assurément partie du projet, mais ne m’a pas séduit. Passé l’enthousiasme de la première moitié du roman, en gros, je me suis donc plutôt ennuyé à la lecture de ce roman pourtant court.

 

Il faut dire que la « concurrence » n’arrangeait rien à l’affaire : j’ai donc lu ce livre en parallèle d’Enig Marcheur, et ce dernier, publié une vingtaine d’années plus tard il est vrai, l’a emporté haut la main dans mon estime ; avec le roman de Russel Hoban, nous sommes véritablement en présence d’un chef-d’œuvre qui, trente ans plus tard, n’a rien perdu de son intérêt, et garde toujours quelque chose de singulier et visionnaire (d’autant qu’il se montre à bien des égards plus extrême). Surface de la planète, de son côté, m’a fait l’effet d’une œuvre d’avant-garde, en tant que telle bourrée de qualités, mais qui n’a pas su conserver l’intemporalité qui fait les chefs-d’œuvre tels qu’Enig Marcheur : en fait, ainsi que cela a été souvent noté, rien ne vieillit aussi vite que l’avant-garde, et Surface de la planète en témoigne…

 

D’où ma déception relative. Objectivement, Surface de la planète est sans doute un bon roman ; en son temps, sa singularité en faisait même sans doute un très bon roman, largement au-dessus du lot. Je ne nie certes pas son caractère visionnaire, l’astuce dont il fait preuve, le soin rare apporté au style, ou encore l’intelligence de l’ensemble. Mais voilà : d’une part pour des raisons qui ne tiennent qu’à lui, d’autre part du fait de la « concurrence » mal placée avec Enig Marcheur, le roman de Daniel Drode, avec toutes ses qualités que je n’ai aucunement l’intention de remettre en cause, m’a ennuyé. Aujourd’hui, il ne constitue plus à mon sens qu’un intéressant témoignage de ce que la science-fiction la plus avancée pouvait produire à la fin des années 1950 ; en tant qu’objet d’étude, il est fascinant ; mais sa lecture aujourd’hui, pour l’amateur lambda, ne présente qu’un intérêt très relatif.

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"Le Vampire de Ropraz", de Jacques Chessex

Publié le par Nébal

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CHESSEX (Jacques), Le Vampire de Ropraz, Paris, Grasset – LGF, coll. Le Livre de poche, [2007] 2008, 90 p.

 

Je ne sais pas si je dois m’en féliciter ou m’en plaindre (probablement le premier choix), mais mes libraires de prédilection (que je ne nommerai pas pour ne pas nuire à leur réputation) sont toujours de bon conseil et savent ce qui est à même de me plaire. C’est ainsi qu’ils m’ont fortement recommandé la lecture du Vampire de Ropraz, de l’écrivain suisse Jacques Chessex. On comprendra pourquoi à la lecture de ce délicieux extrait :

 

« Cadavre violé. Traces de sperme, de salive, sur les cuisses dénudées de la victime. Et la mutilation la plus sanglante apparaît dans son horreur.

 

« La main gauche, coupée net, gît à côté du cadavre.

 

« La poitrine, cisaillée à coups de couteau, est profondément charcutée. Les seins ont été découpés, mangés, mâchés, et recrachés dans le ventre ouvert.

 

« La tête, aux trois quarts séparée du tronc, y a été enfoncée après que des morsures très repérables et visibles ont été pratiquées en plusieurs endroits : le cou, les joues, l’attache de l'oreille.

 

« Une jambe, la droite, et la cuisse droite elle aussi, sont hachées jusqu’au pli du sexe.

 

« Le sexe a été découpé, prélevé, mastiqué, mangé, on en retrouvera des restes recrachés, poils pubiens et cartilage, dans la haie dite du Crochet, à deux cents mètres au-dessus de la forge.

 

« Les intestins pendent hors de la bière. Le cœur a disparu.

 

« Il est certain que le dément a extrait le corps de la fosse pour procéder à son aise. Il y a une poignée de longs cheveux et deux larges flaques de sang, en partie absorbées par la neige, près de la tombe profanée.

 

« L’horrible besogne accomplie, le repas bestial terminé, le corps de la jeune martyre a été réajusté au cercueil, à sa place dans la fosse béante. »

 

Ambiance. Et bon appétit, bien sûr !

 

Alors, oui, certes, ça ne pouvait que me parler. Pensez donc ! Nécrophagie, Nécrophilie, zoophilie, pédophilie, inceste, viols en tout genre, etc. N’y manque guère que la coprophagie, mais ça va, j’ai mangé assez de caca pour toute ma vie en lisant Sade (auquel le dernier roman de Chessex semble d’ailleurs rendre hommage ; il a du coup été récompensé par le prix Sade, mais bon, depuis que j’ai appris que Christine Angot l’avait eu, je me méfie un peu).

 

On nous dit en page de garde que Le Vampire de Ropraz est un « roman ». Mais c’est un très (très !) court roman, et qui est semble-t-il fondé sur un fait réel, du genre qu’affectionnent les machins type Le Nouveau Détective et autres trucs bourrés de crimes atroces en gros titres racoleurs. Pourtant, ça ne se passe pas dans l’Oise, mais en Suisse, dans le Vaudois. Et ça commence donc, plus précisément, à Ropraz.

 

Nous sommes en 1903. La jeune et (nécessairement) pure Rosa Gilliéron, fille du juge de paix, meurt d’une méningite. Jusqu’ici, rien que de très normal, sans doute. Mais voilà : deux jours après son enterrement, on retrouve sa tombe profanée, et… ben, je vous renvoie à l’extrait plus haut (lisez-le une deuxième fois, vous savez que ça vous fera du bien).

 

Stupéfaction et scandale devant le crime abominable ! Très vite, on se met à parler d’actes de « vampirisme », et les journaux craignent que « le vampire de Ropraz » frappe à nouveau. On cherche, on dénonce, on ne trouve rien. Et le vampire se fait oublier quelque temps.

 

Et puis, un peu plus tard, coup sur coup, PAF ! Dans deux autres villages, nouvelles profanations de sépultures et mêmes actes constatés (avec de subtiles variantes dont je vous passerai le détail). C’est nécessairement le fait du vampire de Ropraz ! La panique s’empare plus que jamais des habitants de la région, qui craignent que l’ignoble criminel ne s’en prenne à des jeunes filles vivantes !

 

Et puis on trouve le coupable idéal. Charles-Augustin Favez, de son nom. Garçon de ferme, pris en train de baiser une vache (le fermier se méfiait, plusieurs de ses bêtes portaient les traces d’attentats de ce genre et avaient été mutilées là où il faut). De toute évidence, c’est lui ! Après tout, une jeune fille morte et une vache vivante, c’est presque pareil. On s’empare du jeune déviant, du « vampire », et on le met en prison en attendant son jugement.

 

Je vais arrêter là mon résumé, histoire de ne pas tout lâcher (…) dans ce compte rendu. Mais la suite est à l’avenant, un vrai régal pour pervers polymorphes.

 

Jacques Chessex nous rapporte donc cette histoire au plus près, s’en faisant le chroniqueur, à l’aide d’un style parfaitement approprié, dont je ne saurais trop dire s’il est très épuré ou très écrit (à cet égard, j’ai parfois pensé à Pierre Michon, mais le format très court comme l’approche y sont sans doute pour beaucoup, probablement plus que la plume à proprement – ou salement – parler).

 

Et c’est une plongée fascinante tant dans l’univers des fantasmes décadents de la bourgeoisie d’alors (comme de celle d’aujourd’hui sans doute, mais bon) comme dans celui de la « misère sexuelle » de la ruralité suisse, avec ses petites hontes, ses choses dont il ne faut pas parler, surtout pas. Un double univers jumeau, fait de violence aveugle et d’obsessions qui en disent long. Perpétuelle oscillation entre les cris des foules réclamant l’exécution du vampire (cela faisait longtemps que l’on n’avait plus exécuté personne dans la région) et le non-dit de la « crasse primitive ».

 

Le vampire, lui, on en parle. Mais c’est un personnage sacrément intéressant que ce Favez, et qui n’a décidément rien pour lui, le pauvre : placé tout petiot dans une famille qui abuse de lui, peu sociable et capable de violentes crises de colère, il « sent » le vampire, en effet ; mais est autant une victime qu’un bourreau. Les meilleurs moments du roman sont probablement ceux où l’auteur abandonne l’extériorité comme le style de la chronique judiciaire pour se placer dans les pensées de Favez en geôle – là, c’est vraiment très fort –, et notamment quand il reçoit les visites d’une mystérieuse dame en blanc soudoyant le gardien…

 

Maintenant, n’exagérons rien : en dépit du ton adopté dans ce compte rendu – j’avions point pu m’en empêcher… –, il me semble que l’on trouvera sans trop de difficultés plus « salé », et Le Vampire de Ropraz n’est pas un catalogue d’atrocités, bestialités et autres scènes de cul glauque, mais une étude fort bien vue des mentalités campagnardes d’alors, notamment dans leur rapport à la sexualité (nécessairement) déviante. Et non, ça ne soulève pas vraiment l’estomac (enfin, le mien, en tout cas, ça va).

 

Mais je n’en ferai pas non plus une lecture indispensable : c’est un peu court, jeune homme, et sans doute un peu sec. Ça n’en est pas moins très intéressant. Oui, ces libraires pervers ont été de bon conseil, et je les remercie donc. Un de ces jours, je vais peut-être approfondir l’œuvre de Chessex, il peut y avoir des choses fort intéressantes, là dedans.

 

Sur ce, je boufferais bien une cramou… un cassoulet.

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