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Articles avec #nebal lit des bons bouquins tag

"La Peur qui rôde", de H.P. Lovecraft & Romain Fournier

Publié le par Nébal

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LOVECRAFT (H.P.) & FOURNIER (Romain), La Peur qui rôde, [The Lurking Fear], traduit de l’américain par Yves Rivière, illustrations de Romain Fournier, Paris, Éditions alternatives, coll. Tango, [1961] 2010, 77 p.

 

Où l’on continue – mais pas à La Clef d’Argent, cette fois – avec les petits bouquins de lovecrafteries diverses et variées. Encore que pas tout à fait, puisque cette fois c’est le maître en personne qui (re)passe à la moulinette nébalienne, avec cette édition joliment illustrée par Romain Fournier de « La Peur qui rôde ».

 

Je confesse n’avoir pas forcément grand-chose à dire de la nouvelle de Lovecraft (antérieure à « L’Appel de Cthulhu », et donc au Mythe comme aux « Grands Textes » ; ne me prenez pas au mot, cela dit : il y avait bien évidemment de très bonnes choses avant « L’Appel de Cthulhu », hein, ce n’est certainement pas moi qui prétendrai le contraire) ; c’est au moins la troisième fois que je la lis, mais elle ne m’avait pourtant laissé aucun souvenir, ce qui n’est pas forcément bon signe (encore que : la plupart de mes lectures proprement lovecraftiennes remontent quand même un tantinet, alors forcément…).

 

Il s’agit d’un récit très abstrait, avec narrateur à la première personne mais dont on ne connaîtra jamais ni le nom ni (véritablement) les motivations. Celui-ci se met en tête de traquer « la peur qui rôde », une mystérieuse bestiole (?) qui sème la terreur et la mort dans les Catskills, notamment dans la région du Mont des Tempêtes, et semble avoir pour havre une inquiétante maison abandonnée, à l’histoire pour le moins funèbre.

 

Une nouvelle assez classique dans le fond, même si l’on y note déjà quelques thèmes fondamentalement lovecraftiens (spoiler !), et notamment celui, très fréquent dans l’œuvre du maître de Providence, de la dégénérescence (avec toutes les connotations darwiniennes d’une part et éventuellement racistes de l’autre que cela suppose – encore que le racisme, ici, ne soit pas aussi fondamental que dans d’autres textes, la dégénérescence y étant le résultat de la consanguinité, non du métissage) ; mais on avouera que l’auteur, dans le genre, aura fait bien mieux par la suite en brodant là-dessus (est-il vraiment nécessaire de citer « Le Cauchemar d’Innsmouth » ?).

 

Formellement, et même si le texte n’est pas exactement bien servi par la traduction, c’est assez intéressant, cela dit. Très lovecraftien, bien sûr – on y retrouve sa tendance à l’emphase et au « dérèglement verbal ». Du coup, c’est un peu lourd à l’occasion (a fortiori en français…), mais cela a un charme indéniable ; les amateurs seront en terrain connu. On notera également à cet égard la construction de la nouvelle, qui, en plus de pratiquer comme souvent l’attaque en force, plongeant le lecteur in media res, conclue chacun de ses « chapitres » sur une image forte en forme de cliffhanger.

 

Cela dit, jusqu’à présent, il n’y a certainement aucune raison de débourser 15 € pour la chose : « La Peur qui rôde » est loin, très loin d’être un chef-d’œuvre de Lovecraft (sans être désagréable pour autant), et, surtout, se trouve dans des éditions de poche pour nettement moins cher (il y a même un mini-recueil dans la collection « Folio 2€ » qui porte ce titre…).

 

Non, bien évidemment, ce qui fait la force de cette édition de « La Peur qui rôde », ce sont les abondantes (au moins une toutes les deux pages, et en pleine page s’il vous plait) illustrations de Romain Fournier. Celui-ci use de plusieurs techniques (dessin, peinture, photo – hélas avec des modèles pas très appropriés, ai-je trouvé… – et numérique), pour un résultat plus que séduisant, et qui n’a pas été sans m’évoquer certains travaux de Dave McKean, notamment (excusez du peu ; bon, c’est peut-être pas tout à fait aussi bien, mais y a de l’idée). Du coup, la lecture de cette nouvelle devient un vrai régal pour les yeux, et on en redemande volontiers ; il semblerait, d’après ce que j’ai pu en lire ici ou là, que l’expérience de la collection « Tango », confrontant donc à chaque fois un nouvelliste et un illustrateur, n’ait guère duré, ce qui est dommage…

 

Mais en l’état, il reste tout de même ce très joli petit ouvrage. Alors, certes, c’est tout sauf une acquisition indispensable, d’autant que c’est (donc) un peu cher pour un texte aussi rapidement lu et disponible ailleurs pour une somme modique, mais c’est quand même une belle expérience, très savoureuse et hautement convaincante. Je ne regrette donc certainement pas mon achat… qui m’a en outre redonné envie, malgré la faiblesse relative de cette nouvelle en particulier, de relire Lovecraft himself (les essais que j’enchaîne en ce moment font de même, faut dire…). Un jour prochain, peut-être…

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"HPL bloc d'éternité", de Christophe Lartas

Publié le par Nébal

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LARTAS (Christophe), HPL bloc d’éternité, Aiglepierre, La Clef d’Argent, coll. NoKhThys, 2012, 43 p.

 

Cette fois, on va vraiment faire bref, avec ce tout petit bouquin (encore) lovecraftien (encore) paru à La Clef d’Argent (encore) et franchement dispensable (encore ?). Un ouvrage passablement différent cependant de ceux que j’ai pu chroniquer ces derniers jours, puisqu’il s’agit d’un recueil de polésie lovecraftienne.

 

Diantre.  L’étrange idée que voilà.

 

Petit récapitulatif à l’usage des gens distraits.

 

Nébal aime Lovecraft (sans déconner ?).

 

Nébal n’aime pas la polésie et les pouètes (comme j’ai pu vous le montrer récemment encore en traitant (mal) de L’Ombilic des Limbes d’Antonin Artaud).

 

Nébal n’aime pas les polésies de Lovecraft (faut dire, Fungi de Yuggoth et compagnie en français, bon, ben, ça rend pas grand-chose ; aucune idée de ce que ça vaut en anglais).

 

Mais Nébal est un fanboy décérébré dès qu’il s’agit de Lovecraft, malgré tout, et est donc prêt à se risquer à la lecture de l’opuscule de Christophe Lartas.

 

(Au passage, en ce moment, j’arrête pas de me faire agresser par des pouètes dans le métro, ce qui ne m’était jamais arrivé jusqu’à présent ; tout cela sent le complot éminemment lovecraftien ; je suis sûr, désormais, qu’il existe un culte secret des pouètes qui a décidé de me faire suer jusqu’à ce que folie ou mort s’ensuive. Gargl.)

 

HPL bloc d’éternité est le troisième bouquin publié par Christophe Lartas à La Clef d’Argent (aucune idée de ce que valent les deux autres, dont je ne crois pas, mais peut-être me goure-je, qu’ils entretiennent véritablement de rapport avec Lovecraft). C’est un recueil de sept poèmes en prose, les cinq premiers étant consacrés aux Grands Anciens les plus célèbres (Cthulhu, Azathoth, Nyarlathotep, Yog-Sothoth et Shub-Niggurath), le sixième étant censément un fragment de l’Al Azif (plus connu sous le nom de Necronomicon), et le dernier, qui donne son titre au livre, étant consacré à l’inventeur de toutes ces choses.

 

Sept poèmes en prose, donc, de longueur à peu près équivalente, et reposant largement sur les mêmes procédés. Tout cela est vaguement surréaliste, comme de juste ; cela sent, surtout, le rituel et l’invocation, notamment dans son fréquent usage de leitmotivs. Et c’est évidemment – surprise ! – très mauvais.

 

Enfin, « très mauvais », j’exagère peut-être un peu. Tout n’est pas forcément à jeter dans HPL bloc d’éternité ; certains passages – rares, mais il y en a – fonctionnent plutôt pas mal, et donnent effectivement l’impression d’invocations plus ou moins guedin et vaguement séduisantes ; à la limite, on pourrait presque voir dans ces quelques passages une aide de jeu correcte pour L’Appel de Cthulhu ou Cthulhu (j’ai dit : à la limite, hein).

 

Las, ça ne fonctionne pas sur la durée, pour tout un tas de raisons. L’usage d’un vocabulaire parfois trop « moderne » en est une ; un anthropomorphisme maladroit accolé aux préoccupations de l’auteur en est une autre (à titre d’exemple : franchement, qualifier le Grand Cthulhu de « spleenétique », ça me paraît pour le moins, euh…) ; sans oublier, tant qu’on en est aux maladresses, l’usage malvenu de références lovecraftiennes venant parfois brouiller la litanie (surtout dans « L’Incohérent messager Nyarlathotep ») ; il y a même, de temps à autre, mais cela n’a rien d’étonnant, quelques incongruités ou trouvailles personnelles qui ont sans doute de quoi faire jaser les puristes (même si je n’en suis pas tout à fait un).

 

Bref : s’il est quelques passages vaguement intéressants (vaguement, hein), l’ensemble oscille néanmoins entre le tout juste correct et le franchement ridicule. Faut dire, l’idée, à la base, n’était pas forcément des meilleures… Je m’y suis risqué malgré tout par fanatisme décérébré, mais ne saurais conseiller à personne d’en faire autant (avec cet élément à charge supplémentaire, récurrent chez La Clef d’Argent que, bon, 7 € pour une quarantaine de pages, hein, bon…).

 

En étant bon prince (ou pas), on reconnaîtra éventuellement à HPL bloc d’éternité d’être rigolo, mais ce n’était probablement pas son intention première… Vous pouvez donc allègrement vous en passer, que vous aimiez la polésie ou non (je crains, d’ailleurs, que les pouètes ne soient beaucoup plus sévères que je ne le suis face à ce truc).

 

Dans les prochains jours, je vais continuer dans les lovecrafteries, encore – surtout – à La Clef d’Argent, et espère que cela sera plus intéressant, tout de même. Mais a priori, oui : là, je suis dans Lovecraft : le dernier puritain de Cédric Monget, et pour le moment je trouve ça plutôt pas mal. À très bientôt, donc.

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"Qu'est-ce que le Mythe de Cthulhu ?", de S.T. Joshi (dir.)

Publié le par Nébal

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JOSHI (S.T.) (dir.), Qu’est-ce que le Mythe de Cthulhu ?, [What Is The Cthulhu Mythos?], avec la participation de Donald R. Burleson, Will Murray, Robert M. Price et David E. Schultz, traduit de l’anglais (États-Unis) par Philippe Gindre, Aiglepierre, La Clef d’Argent, coll. KhThOn, [1987-1988, 1990, 1999-2000] 4e éd. 2007, 57 p.

 

Où l’on continue la découverte des petits bouquins lovecraftiens de La Clef d’Argent, mais cette fois avec un bref essai de la collection « KhThOn ». Qu’est-ce que le Mythe de Cthulhu ? En voilà une question qu’elle est bonne. En effet, contrairement aux apparences peut-être – on a probablement tous l’impression de savoir de quoi il s’agit sans pour autant être capable de le définir, un peu comme la science-fiction diront certains –, la réponse est loin d’être aussi évidente que ça. Lors de la World Fantasy Convention de Providence, le 31 octobre 1986, cinq précieux exégètes se sont donc rassemblés pour en débattre, et le résultat de leur discussion a été reproduit sous la forme de ce petit ouvrage (quelques coupes ont été effectuées afin d’éliminer le hors-sujet, certaines allocutions ont été réécrites pour la forme, et cette dernière édition se voit complétée par deux courtes communications de S.T. Joshi et Will Murray sur l’état de la recherche en la matière outre-Atlantique).

 

S.T. Joshi, qui dirige la table ronde, est probablement à l’heure actuelle l’érudit lovecraftien le plus important ; à l’époque, toutefois, il n’avait pas encore écrit sa fameuse biographie « définitive » de Lovecraft (qu’il va bien falloir que j’arrive à me procurer un de ces jours…), mais avait déjà supervisé l’édition de différents types d’œuvres d’HPL pour divers éditeurs. Il est ici très bien entouré, par quatre exégètes notables, dont j’avoue que je ne connaissais jusqu’à présent que Robert M. Price (pour ses anthologies de lovecrafteries parues chez Chaosium à l’origine, et, chez nous, chez Oriflam ; ainsi que j’ai peut-être eu l’occasion de vous le dire, si ces anthologies sont très inégales, et parfois carrément douteuses, sur le pur plan littéraire, elles contiennent souvent des introductions très intéressantes du directeur d’ouvrage). Notons cependant d’emblée que la conversation est assez vite monopolisée – après la présentation par chacun de sa conception du Mythe de Cthulhu (ou Mythe de Lovecraft, etc.) – par Joshi, Murray et Price, Burleson et Schultz étant pour leur part un peu plus effacés.

 

Et s’il est certains points sur lesquels les divers intervenants se rejoignent assez – notamment pour en foutre plein la gueule à August Derleth… –, chacun tend cependant à camper sur ses positions, plus ou moins irréductibles. On pourrait craindre, dès lors, un débat stérile ; c’est loin d’être le cas : si, à la fin du débat (oral, donc, et pas toujours solidement élaboré), chacun continue largement de s’en tenir à sa conception du Mythe – il y a une conclusion de chacun, répondant à l’introduction –, les échanges n’en sont pas moins fort intéressants et soulèvent bien des pistes passionnantes. Alors, certes, arrivé à la fin, le lecteur peut être un peu perdu dans ces différentes conceptions du Mythe, mais il y a fort à parier qu’il bénéficiera de tous ces éléments de réflexion pour se forger (ou, sans doute, renouveler) sa propre vision du Mythe de Cthulhu.

 

Je ne vais pas rentrer dans les détails de chaque conception, ce n’est pas le rôle de ce compte rendu (lisez donc le bouquin, ah mais). Je relève cependant deux visions largement opposées, qui m’ont paru les plus séduisantes, et au milieu (approximatif) desquelles se situe Joshi lui-même (qui confesse cependant, avec un brin d’exagération provocatrice, il le reconnaît volontiers, ne plus guère s’intéresser aux fictions lovecraftiennes et lui préférer largement ses lettres, etc.).

 

Robert M. Price défend sans doute l’acception la plus large du Mythe de Cthulhu (ce qui n’a rien d’étonnant eu égard à son travail d’anthologiste), et je pense que j’aurais pas mal tendance à le rejoindre personnellement : s’il ne voit pas dans le Mythe un canon rigoureusement organisé – mais ceci semble faire l’unanimité –, il y voit par contre un ensemble de « traditions », non exemptes de contradictions éventuellement volontaires, à la manière des traditions mythologiques et religieuses classiques, et leur empruntant leur forme de cycles ; ce qui justifie à bien des égards la continuation du Mythe par d’autres auteurs que Lovecraft lui-même, même s’il est toujours nécessaire de prendre des précautions à cet égard (notamment, donc, par rapport à August Derleth qui, s’il a un peu joué à l’égard de Lovecraft le rôle de Max Brod auprès de Kafka, ce pour quoi il me semble que l’on peut bien le remercier, a cependant eu tendance à jouer à l’héritier autoproclamé, alors qu’il ne comprenait visiblement pas grand-chose à la vision cosmique de Lovecraft, défendant pour sa part une philosophie toute différente ; d’où certaines absurdités, comme l’organisation stricte du Mythe sous la forme, par exemple, d’un panthéon élémentaire…).

 

Will Murray défend pour sa part une conception du mythe largement opposée, et sans doute radicalement excessive, mais néanmoins très intéressante. Ainsi qu’il le dit lui-même, ses premiers travaux dans ce sens relevaient largement de la blague destinée à faire grincer les dents des lovecraftiens, mais il a fini, en avançant dans ses recherches, par se convaincre lui-même… C’est cet exégète qui défend l’acception la plus limitative du Mythe de Cthulhu : pour lui, en effet, seules trois nouvelles de Lovecraft lui-même peuvent être qualifiées ainsi (« L’Appel de Cthulhu », « La Couleur tombée du ciel » et « L’Abomination de Dunwich ») ; dans ses autres textes – et dans les textes de ses amis comme dans les pastiches et « continuations » ultérieurs –, le Mythe ne consiste guère qu’en gimmicks et clins d’œil (les noms récurrents d’entités ou de livres, empruntés ici ou là), et la force littéraire de ces textes est à son sens bien moindre.

 

Price admet volontiers qu’il s’agit pour l’essentiel de clins d’œil, de codes, dans lesquels il voit avant tout un « décor » ; mais, à son sens, cela ne vient pas pour autant affaiblir l’idée d’un Mythe de Cthulhu et, surtout, cela ne débouche pas sur une acception aussi stricte et limitative ; et s’il faut se méfier de certains imitateurs peut-être sincèrement trompés par la gentillesse de Lovecraft qui les invitait à piocher dans la matière du Mythe et piochait lui-même chez les autres les éléments de décor qui lui semblaient intéressants, cela n’enlève pas pour autant toute pertinence à l’idée d’un cycle mythologique lovecraftien. Simplement, des « auteurs » (le mot est parfois un peu fort…) tels qu’August Derleth ou plus récemment Brian Lumley, ayant une vision philosophique différente, ne reflètent pas les préoccupations cosmiques lovecraftiennes, le gentilhomme de Providence tenant pour sa part d’une forme de matérialisme mécaniste (ce que le catholique Derleth ne pouvait sans doute pas appréhender).

 

Un point qui me paraît intéressant, soulevé si je ne m’abuse par Murray mais qui semble faire l’unanimité, c’est que Lovecraft, en dépit de l’utilisation de tous ces gimmicks tenant chaque fois du décor et ne constituant jamais (sauf peut-être dans les trois textes du Mythe à l’état « pur » tel que Murray le conçoit) le fond, le cœur du récit, Lovecraft, donc, ne s’est jamais vraiment répété. Il usait d’une idée, la poussait jusque dans ses derniers retranchements dans un texte unique, et n’y revenait plus, ou alors dans le seul but d’une amélioration d’un texte de jeunesse (c’est ainsi que l’on passe de « Dagon » à « L’Appel de Cthulhu », fondamentalement la même histoire, à s’en tenir à « l’image » centrale). Ici, l’on voit bien, une fois de plus, la différence avec (le pauvre…) Derleth qui, pour sa part, n’a jamais cessé d’écrire (mal) la même histoire, et a pioché dans le Livre de raison sans vraiment en comprendre l’utilité…

 

Je ne vais pas m’étendre davantage : il ne s’agit ici que de présenter certains aspects de la table ronde qui m’ont paru particulièrement intéressants ; mais il y en a bien d’autres. Si ce Qu’est-ce que le Mythe de Cthulhu est fort court et sans doute trop cher une fois de plus (10 €), c’est néanmoins, vous l’aurez compris, une lecture passionnante, voire indispensable, pour qui s’intéresse à Lovecraft et aux lovecrafteries. Pour ma part, je me suis donc régalé ; et j’en redemande.

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"Les Montagnes hallucinogènes", d'Arthur C. Clarke

Publié le par Nébal

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CLARKE (Arthur C.), Les Montagnes hallucinogènes, ou De Lovecraft à Leacock, [At The Mountains Of Murkiness], traduction [de l’anglais], [introduction] et notes de Philippe Gindre, Dole, La Clef d’Argent, coll. Fhtagn, [1940] 2008, 76 p.

 

Chose promise, chose due, je vais aujourd’hui vous entretenir brièvement du tout petit premier volume de la toute petite collection « Fhtagn » de La Clef d’Argent, consacrée aux pastiches et hommages lovecraftiens. Après avoir abordé il y a peu le Moi, Cthulhu de Neil Gaiman, attaquons-nous donc aujourd’hui (attaquer, c’est le mot…) aux Montagnes hallucinogènes d’Arthur C. Clarke, en notant d’emblée que, là encore, ce très court texte est précédé d’une introduction et suivi de très abondantes notes (un appareil critique paradoxalement plus intéressant que le texte de Clarke en lui-même, autant le dire de suite…) destinées à donner un peu de corps à l’ouvrage, et dues au traducteur Philippe Gindre.

 

Le titre est assez évocateur : Les Montagnes hallucinogènes (At The Mountains Of Murkiness) est évidemment un pastiche des Montagnes hallucinées (At The Mountains Of Madness) d’Howard Phillips Lovecraft, un des plus longs textes du pôpa de Cthulhu et accessoirement (ou pas) un de mes préférés (il faut dire que le cadre polaire n’y est pas pour rien, j’ai déjà eu l’occasion de vous entretenir de ma fascination pour ces récits, par exemple en traitant de Terreur de Dan Simmons ou des Fusils de William T. Vollmann).

 

Par contre, si l’on savait Neil Gaiman porté sur le pastiche lovecraftien, auquel il s’est livré à plusieurs reprises et qui semble presque « logique » eu égard à sa production littéraire habituelle, on peut se demander ce qui a bien pu inciter Arthur C. Clarke, le futur auteur, entre autres, des « Odyssées » (généralement pas top…) et de Rendez-vous avec Rama, à commettre cette chose (au passage, elle est parue en France presque immédiatement après le décès de l’auteur, ce qui m’avait fait bizarre à l’époque…). A priori, en effet, il n’y a pas forcément grand-chose de commun entre l’horreur cosmique de Lovecraft et la hard science de Clarke…

 

Mais c’est que Clarke, alors, est bien loin d’être le grand écrivain de science-fiction que l’on sait : Les Montagnes hallucinogènes date de 1940, et ne correspond qu’à la quatrième entrée de l’imposante bibliographie de l’auteur, alors à peine âgé de 20 ans, et qui n’a même pas encore écrit son fameux articles sur les satellites. Clarke est alors un fan avant d’être un écrivain, un des piliers du jeune fandom britannique nourri des pulps américains ; et parmi ces pulps, il y a Astounding Stories, où Clarke a pu lire, en 1936 et en trois livraisons, le texte « réaliste » et « scientifique » de Lovecraft (eh oui, pour une fois, ce n’était pas dans Weird Tales). Touché par cette longue nouvelle et en même temps désireux de la parodier (déjà !), Clarke écrit donc sa propre version des Montagnes hallucinées pour le fanzine The Satellite (ça tombe bien) ; il paraîtra dans l’avant-dernier numéro de cette revue amateur (à cause de la guerre, ce qui tombe moins bien…).

 

Sans doute n’est-il guère utile de véritablement résumer le texte de Clarke qui, pour être parodique et on ne peut plus court comparé à l’original, y reste néanmoins fidèle dans les grandes lignes : nous avons donc une expédition qui se rend en Antarctique et qui y découvre « les ruines cyclopéennes d’une cité antédiluvienne, vestige d’une civilisation préhumaine disparue ». Rien de neuf pour qui a lu Les Montagnes hallucinées. Évidemment, ce qui change la donne, c’est le ton du récit, qui se veut résolument humoristique.

 

Et c’est là que ça coince.

 

En effet, disons-le tout net, déjà à cette époque, Clarke ne se montre pas vraiment convaincant quand il endosse le costume du petit rigolo… Les Montagnes hallucinogènes se montre à cet égard d’une lourdeur difficilement concevable, notamment dans ses effets sensément burlesques et ses – très nombreux – jeux de mots franchement pourraves.

 

Ici, à la décharge de l’auteur, il faut noter que le texte en anglais est probablement beaucoup moins lourd que la version française. Ce qui ne revient pas pour autant à casser du sucre sur le dos du traducteur Philippe Gindre : dans les notes, celui-ci s’explique sur chacune de ses traductions (de noms et de toponymes, pour l’essentiel), et l’on prend bien conscience des difficultés auxquelles il a dû faire face ; son argumentaire, à chaque fois, se tient, et l’on comprend pourquoi il a choisi d’adopter telle ou telle traduction. Mais le problème, c’est que, en dépit de sa bonne volonté et de sa mure réflexion, le résultat est atrocement lourdingue ; dès le début des Montagnes hallucinogènes, le lecteur se retrouve ainsi agressé à coups de « Professeur Alhamass » (« Nutty »), « Dr E. Thanazy » (« Scraggem »), « Résidence O’Patath » (« Murphy Mansions »), « Dr Lavachy » (« Slump »), « Lady Moisy » (« Lady Muriel Mildew »), « vallée de Poupidoup » (« Oopadoop ») « Professeur Tremblott » (« Palsy »), « Major MacNullard » (« McTwirp »), j’en passe et des pires… Peut-être arriverez-vous à en rire, sait-on jamais, mais, moi, c’est au-dessus de mes forces. Il me semble que ces quelques exemples prélevés dans les toutes premières pages de la nouvelle témoignent assez de son caractère franchement pas drôle, déjà en anglais, mais à l’évidence encore pire en français.

 

Cela dit, le premier responsable de cet échec, c’est bien Clarke lui-même, tout jeune auteur qui se frotte à un monstre et ne parvient tout simplement à rien. Tous ses effets comiques tombent systématiquement à plat, quel que soit le registre dont ils usent. Le texte n’ayant en outre rien de la densité, de l’inventivité et de la richesse de l’original, sans parler de son style quelconque (même si, par moments, c’est bien la plume surchargée de Lovecraft qui se retrouve à son tour parodiée), on se voit contraint de qualifier Les Montagnes hallucinogènes d’échec passablement navrant.

 

Cela dit, de même que pour Moi, Cthulhu, et même s’il faut là encore débourser 5 € pour un texte tout riquiqui en plus d’être mauvais, je ne regrette pas mon achat ; mais c’est que je suis pris à l’occasion de collectionnite aiguë en matière de lovecrafteries… Je ne saurais vous imposer mes perversions, et ne peux donc pas vous recommander ce texte raté et sans véritable intérêt, si ce n’est d’être un objet de curiosité. Mais je peux par contre d’ores et déjà vous dire que tout ce qui est paru sur le sujet chez La Clef d’Argent n’est pas aussi inintéressant : depuis, j’ai lu le très court également Qu’est-ce que le Mythe de Cthulhu ?, sous la direction de S.T. Joshi, et ça, c’était bien chouette ; je vous en cause très vite.

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"L'Ombilic des Limbes", d'Antonin Artaud

Publié le par Nébal

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ARTAUD (Antonin), L’Ombilic des Limbes, précédé de Correspondance avec Jacques Rivière, et suivi de Le Pèse-Nerfs, Fragments d’un Journal d’Enfer, L’Art et la Mort, Textes de la période surréaliste, préface d’Alain Jouffroy, Paris, Gallimard, coll. Poésie, [1927, 1954, 1956, 1968] 2010, 256 p.

 

Comme vous le savez peut-être si vous êtes un habitué de ces pages interlopes, Nébal exècre les pouètes et la polésie. 99 fois sur 100, ça ne marche tout simplement pas sur moi. Rien d’étonnant, à cet égard, si, depuis que j’ai ouvert ce blog, je n’ai causé véritablement polésie qu’une seule fois, avec l’anthologie Poètes de l’Imaginaire de Sylvain Fontaine.

 

Polésie = caca.

 

Voilà.

 

Bon, il y a quelques exceptions, hein : comme tout le monde, et en particulier les adolescents, j’ai pris ma claque avec Les Fleurs du mal de Baudelaire, et j’aime beaucoup Rimbaud, notamment pour Une saison en enfer (mais on va y revenir). Un petit (ou pas forcément si petit que ça, d’ailleurs) Hugo, de temps en temps, ça peut le faire, aussi. Mais pas grand-chose de plus ; et, surtout, la polésie post-rimbaldienne m’est passablement hermétique, et me touche encore moins que celle qui précède, quand elle ne me fait pas tout simplement chier.

 

Mais voilà : de temps en temps (rarement…), il y a des bonnes âmes pour tenter de réviser mon jugement si tranché et à bien des égards débordant de mauvaise foi à l’encontre des pouètes et de la polésie. Cette fois, c’est le citoyen Soleil Vert qui s’est attelé à la tâche, en m’offrant (carrément ; merci encore !) le livre dont je vais (mal) causer aujourd’hui. Un recueil, donc, des premières œuvres d’Antonin Artaud, ce qui, soit dit en passant cher monsieur Vert, n’est peut-être pas la porte d’entrée la plus accessible pour découvrir la polésie, en l’occurrence contemporaine…

 

Antonin Artaud.

 

Son nom ne m’était pas inconnu, bien sûr, malgré mon insondable ignorance en matière de polésie. Je le savais plus ou moins guedin, et, en plus d’être pouète, théâtreux (vous ai-je dit aussi que je détestais le théâtre ?) et plus ou moins essayiste. Autant d’aspects de sa personne qu’on retrouve dans cet Ombilic des Limbes, qui est loin de se limiter au seul petit recueil éponyme.

 

Mais, sans jamais l’avoir lu jusqu’à présent, je m’étais déjà fait (mauvaise foi oblige) une image d’Antonin Artaud, sans doute parce que j’avais plusieurs potes (enfin, notamment un, Sire Planchapain pour ne pas le nommer) qui l’aimaient beaucoup. Cette image, c’était celle d’un pouète post-rimbaldien (justement), qui avait sans doute beaucoup kiffé Une saison en enfer et Les Illuminations, probablement aussi Les Chants de Maldoror de Lautréamont (dont ledit Sire était également fan, quand moi j’ai toujours trouvé ça péniblement adolescent), et qui flirtait plus ou moins avec le surréalisme.

 

Ben vous savez quoi ?

 

Cette image s’est retrouvée largement confirmée par ma lecture de L’Ombilic des Limbes et des autres textes qui l’entourent dans ce petit volume. Et c’est pas forcément bon signe…

 

Disons-le tout net : en effet, j’en suis le premier désolé, citoyen Vert, mais cette lecture n’a pas exactement chamboulé mon exécration des pouètes et de la polésie… Surtout pour une raison primordiale : je n’y ai absolument rien panné. Mais alors rien. Rien de rien. On m’a dit grosso merdo (pour me consoler ?) que celui qui prétendait comprendre la polésie d’Antonin Artaud était un menteur ou un cuistre. Ce qui me rassure en partie, mais en partie seulement.

 

Certes, je peux parfois aimer des textes sans y panner grand-chose, voire rien du tout. La Saison de Rimbaud, déjà évoquée plusieurs fois dans ce compte rendu qui s’annonce encore plus miteux que d’habitude, en est un bon exemple. Le Festin nu de William S. Burroughs en est un autre. Dans l’absolu, ce n’est donc pas inconcevable. Ceci en raison des grâces de l’écriture : la Saison, pour m’en tenir à cet exemple qui est celui qui, sans doute, se rapproche le plus des textes d’Artaud réunis dans ce recueil, j’y pige rien mais j’adore parce que, putain, c’est beau. La plume phénoménale du jeune Arthur fait vibrer mon petit cœur, parvient à susciter en moi toute une kyrielle d’émotions, des visions grandioses dépassant la stricte rationalité. Aussi, il n’était pas impossible que la polésie d’Artaud, en dépit de son caractère ésotérique, me touche ; mais – désolé donc monsieur Vert –, si cela a pu se produire à l’occasion, ce ne fut que trop rarement le cas lors de cette lecture ; non, je n’ai pas trouvé ça spécialement beau ; non, je n’ai pas trouvé ça spécialement puissant ; non, je n’ai pas trouvé ça spécialement stimulant… etc.

 

Le recueil s’ouvre sur la Correspondance avec Jacques Rivière (de la NRF). Ledit Jacques Rivière avait refusé le premier recueil de polésie d’Antonin Artaud. S’ensuivit une correspondance entre l’auteur et l’éditeur, que ce dernier trouva finalement intéressant de publier, en lieu et place des polésies proposées par Artaud. Bon, déjà, là, j’ai rien capté aux échanges de ces deux illustres intellectuels. Tout ce que j’en ai retenu, ce sont les obsessions d’Artaud, sa « maladie » de l’Esprit (presque toujours avec une majuscule) et son égocentrisme non exempt d’une touche de vanité. On sent déjà le bonhomme difficile à gérer, et, à vrai dire, cela ne me l’a pas vraiment rendu plus sympathique. Mais surtout, encore une fois, je n’ai à peu près rien compris à ces échanges relevant plus ou moins de la théorie littéraire (et ce n’est pas la seule fois dans ce recueil où Artaud joue, à sa manière, à l’essayiste, pour un résultat toujours déstabilisant).

 

L’Ombilic des Limbes, premier recueil publié d’Artaud si je ne m’abuse, est un bref fourre-tout où l’on trouve polésie en vers comme en prose, prenant parfois la forme de vagues essais, ou encore de « lettres » (comme – celle-là est amusante – celle adressée au « législateur de la loi sur les stupéfiants » : « tu es un con »…), ainsi qu’une brève et improbable pièce de théâtre, disons une saynète, franchement surréaliste et évidemment impossible à monter, Le Jet de sang. Là encore, à peu de choses près rien compris, et surtout rien ressenti. Tout cela, malgré la théorie qui infuse de temps à autre, évoque un peu l’écriture automatique, qui n’a jamais été à mon sens autre chose qu’une forme même pas vraiment subtile d’escroquerie (mais je suis de mauvaise foi, je vous le répète).

 

Même jugement, en gros, à l’encontre du Pèse-Nerfs, cette fois composé uniquement de petites pièces en prose. Pas compris, pas vibré. Passons.

 

Idem pour les Fragments d’un Journal d’Enfer

 

C’est de très loin L’Art et la Mort qui m’a le plus touché dans ce petit volume. Il y a, cette fois, une certaine beauté formelle que je n’avais pas vraiment rencontrée jusque-là, et une manière de traiter des thèmes difficiles qui a su à l’occasion me parler… même si, bien évidemment, je n’y ai pas compris grand-chose.

 

Restent les Textes de la période surréaliste (Artaud fut un temps à la tête de la Centrale du bureau des recherches surréalistes), d’un intérêt très variable. J’en retiens surtout À la grande nuit, ou Le Bluff surréaliste, « lettre ouverte » assez virulente justifiant le départ d’Artaud du groupe surréaliste quand celui-ci a décidé de se rallier au communisme ; ça, c’est assez intéressant. Pour le reste…

 

L’Ombilic des Limbes est traversé d’obsessions, sur l’Esprit, la maladie, la mort, la sexualité, à la fin la Révolution. Ceci, je l’ai bien ressenti. Mais – donc – cela ne m’a pas vraiment touché, sauf exceptions… Désolé, monsieur Vert : si je te remercie très sincèrement pour ce gentil cadeau, je crains que ce ne fut un échec pour ce qui est de chambouler ma perception de la polésie, en l’occurrence contemporaine. Désolé, vraiment ; mais je ne vais pas te mentir, hein ? Ce livre, à l’évidence, n’était pas pour moi. Tant pis, c’est pas grave (et j’espère que de ton côté tu aimeras Rafael, derniers jours…).

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"Moi, Cthulhu", de Neil Gaiman

Publié le par Nébal

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GAIMAN (Neil), Moi, Cthulhu, ou Qu’est-ce qu’une créature à face de tentacules dans mon genre fabrique dans cette ville engloutie (par 47° 9’ de latitude sud, et 126° 43’ de longitude ouest) ?, [I Cthulhu : Or What’s A Tentacle-Faced Thing Like Me Doing In A Sunken City Like This (Latitude 47° 9’ S, Longitude 126° 43’ W) ?], traduction [de l’anglais], introduction et notes de Patrick Marcel, Aiglepierre, La Clef d’Argent, coll. Fhtagn, [1986-1987] 2012, 47 p.

 

Aujourd’hui, on va faire bref. Non seulement parce que le bouquin dont je vais vous causer est VRAIMENT tout riquiqui (moins de 50 pages, tout de même), mais aussi parce que, autant le dire tout de suite, il ne mérite guère qu’on s’y arrête plus que cela, ou, sans doute, que l’on dépense 5 € (re-tout de même) pour en faire l’acquisition : mieux vaut en ce qui me concerne boire une pinte, ça dure à peu près aussi longtemps et laisse autant de souvenirs (ou pas).

 

Moi, Cthulhu, donc (on va se contenter de ce titre raccourci, même si le titre complet est assez charmant), publié dans la collection « Fhtagn » (c’en est le deuxième titre après Les Montagnes hallucinogènes d’Arthur C. Clarke, dont je vous parlerai probablement très bientôt) de La Clef d’Argent (vous aurez compris que ce petit éditeur est lovecraftien s’il en est, ce qui me plaît bien) (je multiplie les parenthèses si je veux), est une nouvelle écrite en 1986 par un tout jeune Neil Gaiman et publiée l’année suivante dans le fanzine Dagon. Elle est ici accompagnée d’une introduction et d’abondantes notes (sans doute histoire de donner – enfin, d’essayer – un peu de corps à l’ouvrage…) du traducteur Patrick Marcel, qui connaît assurément son sujet (il y a de cela quelque temps, je vous avais dit tout le bien que je pensais de ses Nombreuses Vies de Cthulhu).

 

C’est le premier (à ma connaissance, tout du moins, mais il semblerait bien que) pastiche lovecraftien de Gaiman, qui en commettra quelques autres, à mon sens bien plus intéressants (que ce soit dans sa génialissime BD Sandman, ou sous la forme de nouvelles, reprises en français dans les très recommandables recueils Miroirs et fumée et Des choses fragiles – le pastiche mi-lovecraftien, mi-holmesien figurant dans ce dernier recueil ayant également été repris dans la très sympathique anthologie New Cthulhu, dont je vous avais parlé plus récemment). De même que les suivants, mais avec tout de même nettement moins de brio (ça sent l’auteur débutant), Moi, Cthulhu se veut humoristique, et n’hésite pas à se moquer (gentiment) des outrances du style de Lovecraft et des clichés du Mythe de Cthulhu (sans lui être ici d’une fidélité à toute épreuve, les puristes jaseront peut-être).

 

Le pitch en est fort simple : il s’agit tout simplement pour la plus célèbre des créations de Lovecraft, le Grand Ancien Cthulhu en personne, de raconter sa vie, ou plus exactement sa jeunesse et les raisons qui l’ont amené à se fixer dans la cité engloutie de R’lyeh sur notre bonne vieille Terre. Et Cthulhu, donc, de dicter ses mémoires à un membre de la décidément peu recommandable famille Whateley (qui ne doit pas oublier de nourrir le shoggoth en partant). Vous imaginez bien qu’il s’agit là d’un document exceptionnel, et qui fait la lumière sur bien des choses que Lovecraft avait laissées dans l’ombre…

 

Disons-le tout net : ça n’est quand même pas terrible. Parfois sympathique – oui, on esquisse bien un sourire de temps en temps –, mais tout aussi souvent un peu lourdingue… Gaiman s’y amuse avec le canon lovecraftien tout en y prenant ses aises, et le résultat est d’un intérêt variable selon les pages. Et – surtout – c’est fort court…

 

À la limite, le plus amusant dans tout cela (en dehors du titre interminable), c’est peut-être bien la brève lettre de Neil Gaiman qui accompagne la nouvelle, publiée dans le numéro suivant de Dagon, et dans laquelle l’auteur évoque de méconnues et fort loufoques collaborations entre H.P. Lovecraft et P.G. Wodehouse…

 

La Clef d’Argent est sympathique. Une collection qui s’intitule « Fhtagn » ne peut qu’être sympathique. Neil Gaiman comme Patrick Marcel sont tout aussi sympathiques. Mais de là à dépenser 5 € pour ce Moi, Cthulhu… Non, je ne peux pas décemment le recommander. Même aux lovecraftiens les plus fanatiques. Vous me direz que je l’ai bien fait, moi. Certes. Et je n’irai pas jusqu’à dire que je le regrette, non ; ça fait une petite pièce de collection, amusante sans plus, qui ne dépareille pas dans mes nombreuses lovecrafteries. Si vous êtes prêts à envisager cette perspective, alors peut-être… Sinon, ma foi, on ne pourra guère parler de perte de temps – c’est vraiment expédié en deux temps, trois mouvements, voire moins –, mais on ne saurait prétendre pour autant que cela en vaille la peine. Il y a beaucoup mieux dans le genre, y compris chez Gaiman lui-même (donc).

 

Mais ça ne m’empêchera bien évidemment pas de lire prochainement Les Montagnes hallucinogènes (pastiche de ce qui est peut-être ma nouvelle préférée de Lovecraft), ainsi que les nombreux autres petits bouquins que La Clef d’Argent a consacrés à l’auteur de Providence comme à son Mythe de Cthulhu. Parce que oui, sans doute, quand on aime VRAIMENT, on ne compte pas (et puis c’est sale, de compter)… mais de là à vous inciter à participer de mes lubies, il y a un pas que je ne saurai honnêtement franchir.

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"Mythe & super-héros", d'Alex Nikolavitch

Publié le par Nébal

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NIKOLAVITCH (Alex), Mythe & super-héros, Lyon, Les Moutons électriques, coll. Bibliothèque des miroirs, 2011, 194 p.

 

Ça ne s’est peut-être pas vu, en tout cas depuis un certain temps (il faut dire que, de même que j’ai eu une longue période sans cinéma, j’en ai eu une, un peu plus brève, sans bandes-dessinées…), mais Nébal kiffe les super-héros (également connus sous le nom de « tapettes en collants »). C’est avec les comics, passé un premier temps d’initiation purement franco-belge (comme beaucoup de Franco-Belges), que j’ai fait une bonne partie de mon éducation en matière de BD. Or les super-héros dominent assez largement le genre aux États-Unis (même si l’on ne saurait pour autant négliger le reste de la production américaine, et plus largement anglo-saxonne : il y a tout un monde à découvrir dans la BD indépendante, les strips, etc.). Et donc, gamin tout d’abord, puis plus âgé, je me suis régalé des aventures de ces héros modernes aux costumes bariolés (principalement ceux de Marvel, tels Spider-Man ou les X-Men ; j’ai nettement moins pratiqué DC – je ne parle bien évidemment pas ici de Vertigo, c’est encore autre chose – et Image, pour s’en tenir aux éditeurs les plus connus). Et j’ai fini par y découvrir d’authentiques chefs-d’œuvre : en premier lieu, bien entendu, les extraordinaires « méta-comics » du Divin Alan Moore (qui ne s’est certes pas cantonné à ça), mais ils ne m’ont pas empêché pour autant de dévorer des BD plus « mainstream », récentes comme anciennes (notamment grâce aux « intégrales » éditées par Panini Comics, même si j’ai lâché l’affaire depuis un moment).

 

Aussi, de temps à autre, je continue de faire dans le plus ou moins régressif à base de super-héros et super-vilains, que ce soit directement en lisant les BD, ou en m’intéressant à tout ce qui gravite autour. Ainsi ce bref essai d’Alex Nikolavitch (par ailleurs scénariste et surtout traducteur de comics, et non des moindres : V pour Vendetta, L’Asile d’Arkham, Uncle Sam…), qui connaît à l’évidence très bien son sujet (l’érudition déployée dans ces pages est impressionnante), et qui cherche donc à établir des passerelles entre mythologie au sens le plus classique du terme et super-héros issus des comic books.

 

A priori, rien de bien original dans cette approche, qui paraît dans un sens couler de source (a fortiori pour des super-héros tels que Thor, qui orne la couverture de l’essai, et auquel sont consacrées en toute logique quelques pages). Pourtant, ainsi que l’auteur nous le montre très vite en posant les bases de son argumentaire dans l’introduction, cela n’est pas forcément si évident que ça. Ou, plus exactement peut-être, il s’agit de dépasser le lieu commun de l’analogie facile pour voir ce qu’elle recouvre au juste, en retournant aux sources du mythe et à ses traits les plus caractéristiques (il s’agit donc bien de livrer une authentique « mythologie », dans le sens de « discours sur le mythe »), pour voir en quoi les super-héros des comic books (au sens strict : on débute véritablement avec Superman et le premier numéro d’Action Comics, en 1938) convergent ou, peut-être parfois divergent, avec les Gilgamesh, Ulysse et pourquoi pas Jésus (et compagnie).

 

Alex Nikolavitch se livre donc dans un premier temps à une étude de ces traits caractéristiques des héros antiques, avant de se pencher sur ceux des super-héros contemporains. Et les points communs ne manquent pas, qui permettent véritablement – et cette fois de manière plus raisonnée et argumentée – d’établir des passerelles entre les deux. Au-delà des archétypes que l’on retrouve dans les deux cas (comme le cas particulièrement intéressant du trickster), on peut ainsi noter, pour prendre un exemple qui m’a paru aussi surprenant que pertinent, cette résurgence d’une triade à la Dumézil dans les « super-groupes » que sont la Justice League of America (DC) et les Avengers (Marvel)… C’est à cet ensemble de considérations que se livre le premier chapitre de Mythe & super-héros.

 

Le deuxième paraît s’éloigner un peu de la problématique, mais ce n’est que pour mieux la retrouver : Alex Nikolavitch s’y penche pour l’essentiel sur les œuvres de deux créateurs géniaux à la philosophie passablement opposée, à savoir Jack Kirby et Steve Ditko. On y envisage les divers aspects de leurs productions respectives (ce qui permet au passage de relativiser le titre – pour le moins parlant quant à la thèse soutenue ici – « d’Homère des temps modernes » que Stan Lee s’est lui-même attribué – ce qui ne vient pas nier pour autant son talent, hein), que ce soit avec leurs héros « mystiques » (Thor pour le premier, Dr Strange pour le second) ou leurs sagas cosmiques (c’est d’ailleurs l’occasion d’envisager également le cas de Jim Starlin, un scénariste mégalo que j’ai toujours bien aimé), ce qui nous permet bien de retrouver les mythes et leur transposition moderne.

 

Le troisième chapitre traite largement de la relecture des comics de super-héros par eux-mêmes, des « méta-comics » si l’on y tient. Alan Moore, logiquement, y tient une place importante – Watchmen, ce monument de la bande-dessinée tous genres confondus, fut un événement à certains égards digne de l’apparition de Superman ou de l’éclosion du Marvel Universe, mais il ne doit pas faire oublier d’autres relectures peut-être moins célèbres mais également fort intéressantes, telles que Suprême ou Tom Strong, dont je vous avais causé il y a de ça un bail –, mais on y trouve également des auteurs comme Frank Miller, Warren Ellis ou encore Mark Millar (pour m’en tenir à trois que je connais pas mal et apprécie énormément). C’est également l’occasion de se pencher sur les diverses « crises » connues récemment par les comics super-héroïques (la plus célèbre étant probablement l’ascension et le déclin d’Image, avec ses super-héros graphiques et violents), et qui viennent parfois bouleverser les structures mêmes d’un genre qui connaît une sorte de dialectique perpétuelle, et fort difficile à équilibrer, entre continuité et renouvellement, impératifs éditoriaux et commerciaux d’une part et travail d’auteur et création d’autre part..

 

Si l’essai d’Alex Nikolavitch, abondamment illustré, ne présente pas une thèse bouleversante d’originalité, il sait néanmoins fort bien la défendre, arguments de poids à l’appui, et se révèle plus qu’à son tour des plus pertinents. Une lecture brève mais fort agréable, que je ne manquerai pas de conseiller à tous ceux qui, comme moi, aiment bien quand l’imagination prend véritablement le pouvoir, même sous la forme de types bizarres qui mettent leur slip par-dessus leur pantalon.

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"Jennifer Strange, dresseuse de quarkons", de Jasper Fforde

Publié le par Nébal

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FFORDE (Jasper), Jennifer Strange, dresseuse de quarkons, [The Song of the Quarkbeast], traduit de l’anglais par Michel Pagel, Paris, Fleuve Noir, coll. Territoires, [2011] 2012, 307 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 68 (pp. 99-100).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Et c’est à nouveau sous une couverture totalement à côté de la plaque (et accessoirement – ou pas – sous un titre français plus qu’approximatif) que le Fleuve Noir publie, dans sa collection « young adult » « Territoires », le deuxième tome de la trilogie  « Jennifer Strange » de l’excellent Jasper Fforde.

 

Le premier tome,  Moi, Jennifer Strange, dernière tueuse de Dragons, était tout à fait sympathique, même si l’on pouvait en sortir un brin déçu, eu égard aux attentes que l’on pouvait placer sur un écrivain de la trempe de Jasper Fforde, qui a su nous régaler notamment avec sa fameuse série des  « Thursday Next », ou plus récemment avec  « la Tyrannie de l’arc-en-ciel ». On sentait en effet la différence de public visé, ce qui se traduisait par un délire moindre, plus contrôlé.

 

Avec ce deuxième tome, toutefois, on a rapidement l’impression que l’auteur ouvre les vannes, et s’autorise cette fois tous les excès dans le but de susciter le rire. C’est donc très vite avec un grand plaisir que nous retrouvons les Royaumes Désunis, et plus précisément le royaume de Hereford.

 

L’enfant trouvée Jennifer Strange y dirige toujours, en l’absence du Grand Zambini, l’agence magique Kazam. Et, depuis ses exploits du premier tome, qui ont eu une influence sans pareille sur la magie mondiale (l’énergie sorciérique, ou « crépite »), on peut dire qu’elle ne chôme pas. Néanmoins, elle doit faire face à la concurrence acharnée d’iMagie (oui, parce que tout est tellement plus cool précédé d’un « i »), l’autre agence, dirigée par l’Étonnant Blix, qui se donne du Tout-Puissant Blix, mais parvient difficilement à faire oublier qu’il est le petit-fils de Blix le Hideusement Barbare. Il y a beaucoup de contrats à la clé, dont celui, particulièrement juteux, de la réactivation du réseau de téléphonie mobile… et tous les coups sont permis dans cette lutte de pouvoirs. Kazam se retrouve bientôt dans une fâcheuse situation, alors même que le différend entre les deux entreprises doit se solder par un tournoi de magie.

 

Accessoirement, un quarkon rôde dans les environs, qui pourrait être le double de celui que Jennifer Strange a perdu en Dragonie. Ah, et puis il y a aussi cette histoire d’anneau maudit – mais ça n’a probablement aucune importance, n’est-ce pas ?

 

Sans oublier l’élan transitoire.

 

Jennifer Strange, dresseuse de quarkons s’inscrit résolument dans la foulée de  son prédécesseur. Aussi en reproduit-il largement tant les défauts que les qualités. On notera cependant (et pourquoi pas en bas de page, procédé dont l’auteur use et abuse pour notre plus grand plaisir) que, dans ce roman sans véritable trame générale – ou disons qu’elle reste discrète –, le délire est plus franc, et s’exprime dans une succession de gags tous plus improbables les uns que les autres.

 

Parallèlement, Jasper Fforde garde à l’esprit qu’il s’adresse à un public « young adult », et son art se plie aux contraintes nécessaires de ce cœur-de-cible. Mais sans que cela devienne jamais ennuyeux pour un lecteur plus âgé.

 

Au final, et même s’il n’est pas sans défauts, Jennifer Strange, dresseuse de quarkons convainc en fait davantage que le premier tome – grâce à ses héros sympathiques, ses méchants insupportables d’arrogance, et surtout cette ambiance générale de joyeux délire s’exprimant dans un cadre de fantasy uchronique tout à fait enchanteur (et un brin, juste un brin, subversif). C’est donc une lecture des plus agréables, même si l’on n’en fera pas un achat indispensable.

 

Juste une chose : comme on le dit très justement dans la Perfide Albion, il ne faut pas juger un livre à sa couverture ; c’est le moins qu’on puisse dire dans le cas présent…

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"Avilion", de Robert Holdstock

Publié le par Nébal

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HOLDSTOCK (Robert), Avilion, [Avilion], traduit de l’anglais par Florence Dolisi, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2009] 2012, 426 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 68 (pp. 80-81).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

Le cycle de « la Forêt des mythagos » est assurément le grand-œuvre du regretté Robert Holdstock, et figure d’ores et déjà parmi les classiques de la fantasy. Avilion, écrit et publié bien après les volumes précédents, est le cinquième – et ultime… – roman prenant place dans le bois des Ryhope, et il vient en quelque sorte boucler la boucle, puisque les événements qui y sont rapportés sont les conséquences directes de ce qui nous fut conté dans le premier tome du cycle (lecture préalable indispensable).

 

Petit retour en arrière : le bois des Ryhope, en Angleterre, est un vestige de la forêt primordiale, inchangé depuis l’ère glaciaire. Plus grand à l’intérieur qu’il n’y paraît à l’extérieur, il abrite tout un monde fascinant de créatures et personnages mythiques générés par l’inconscient, les fameux « mythagos », ainsi que les a baptisés George Huxley après toute une vie de recherches passionnées les concernant.

 

Les héros de cet ultime volet sont Yssobel et Jack, les enfants de Steven Huxley, victorieux de son frère Christian, et de la princesse celte Guiwenneth pour laquelle ils se sont affrontés. Les enfants sont donc pour moitié humains et pour moitié mythagos, partagés entre le Sang et la Sève : Yssobel a son côté « rouge » et son côté « vert », quand Jack parle de – et avec – son « fantôme ».

 

Tous deux ont longtemps vécu avec leurs parents dans une villa romaine en plein bois des Ryhope. Mais le départ inopiné de Guiwenneth va mettre fin à cette vie calme et heureuse. Yssobel va se lancer sur les traces de sa mère – mais tout autant, en fin de compte, sur celles de son grand-père maternel Peredur, le vieux roi, et de son oncle paternel Christian, ressuscité à la tête de l’armée intemporelle Légion – et cherche donc à se rendre en Avilion, au cœur de la forêt, que l’on connaissait jusqu’à présent sous le nom de Lavondyss. Jack, de son côté, est attiré par la lisière du bois, et pense trouver auprès de son défunt grand-père George, dans la vieille demeure d’Oak Lodge, les réponses lui permettant de retrouver la trace de sa sœur.

 

Ce double voyage en sens inverse est ainsi le point de départ du roman, qui emprunte largement les traits d’une saga familiale sur trois générations. Mais cette saga, qui pourrait se jouer uniquement sur le mode intimiste, vire à l’épopée en se confrontant, dans les bois, à la légende arthurienne ou encore à l’Odyssée. Et le résultat, pour déconcertant qu’il soit au premier abord – malgré la petite musique familière qui se met très tôt en place, avec le récit des aventures de Jack « à l’extérieur » –, est à la hauteur des attentes du lecteur qui s’était régalé avec les quatre volumes précédents. Avilion vient ainsi parachever le complexe édifice de « la Forêt des mythagos » de la manière la plus subtile, en jouant sur une multitude de registres.

 

Le roman brille à tous points de vue : écrit dans une langue impeccable, il est riche de personnages complexes et attachants – Yssobel et Jack au premier chef, mais ils ne sont pas les seuls –, et parvient à renouveler utilement les thématiques développées dans les volumes précédents. Le voyage en Avilion, quête des origines envisagée sous l’angle de la famille, est ainsi une nouvelle fois une brillante incursion dans le bois des Ryhope, aussi fascinante qu’intelligente, comme il se doit, et il y a fort à parier que l’amateur de l’œuvre de Robert Holdstock ne sera pas déçu par ce roman qui a pris bien malgré lui une forme de testament. On y retrouve en effet tout ce que l’on a pu apprécier auparavant dans le cycle, sans que l’auteur ne se répète véritablement pour autant – ce qui, en soi, relève déjà du tour de force.

 

Ce roman « approfondi » véhicule ainsi toute une gamme de sensations et de réflexions autrement plus subtiles que les lieux communs de la « big commercial fantasy », dont il constitue en quelque sorte l’antidote. On le louera pour sa finesse et son astuce, sa délicatesse aussi, qui en font le brillant dernier témoignage d’un écrivain au sommet de son art. Lecture chaudement recommandée, même si elle ne saurait donc être envisagée isolément.

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"Manchester Music City", de John Robb

Publié le par Nébal

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ROBB (John), Manchester Music City 1976-1996. Buzzcocks, Joy Division, The Fall, New Order, The Smiths, The Stone Roses, Happy Mondays, Oasis..., [Manchester Music City], préface de Jean-Daniel Beauvallet, traduit de l’anglais par Jean-François Caro, Paris, Rivages, coll. Rouge, [2009-2010] 2012, 615 p.

 

Après Control d’Anton Corbijn et 24 Hour Party People de Michael Winterbottom, je poursuis mon périple mancunien avec un livre, cette fois : Manchester Music City de John Robb, qui fut lui-même en son temps un acteur de la scène locale avant de devenir journaliste. Un beau pavé, même en poche, que j’ai pourtant, dans un sens, trouvé trop court et un peu frustrant, tant la matière est passionnante. C’est qu’il y en a, des choses à dire sur Manchester et sa musique. D’autant qu’il ne faut pas se fier à la couverture, une fois n’est pas coutume : le livre commence bien avant 1976, avec notamment les heures épiques de la northern soul dans laquelle d’aucuns ont vu un précurseur notable de la techno et de la house – mais on y reviendra à l’époque de Madchester –, et se poursuit au-delà de 1996, même si ce n’est qu’avec quelques aperçus. De même, Manchester Music City ne se contente pas de parler des Buzzcocks, de Joy Division, de New Order, des Happy Mondays, des Smiths, des Stone Roses et d’Oasis : c’est véritablement toute la scène mancunienne qui y est envisagée, avec d’autres groupes fameux comme A Certain Ratio, The Fall, James, les Inspiral Carpets, 808 State, ou même, plus récemment (et très brièvement, certes) les Chemical Brothers ou encore The Verve… sans compter les dizaines de groupes plus confidentiels qui ont fait partie de l’histoire locale, et que John Robb donne sacrément envie de découvrir.

 

Manchester Music City est, dans les grandes lignes, construit selon les mêmes principes que Please Kill Me de Legs McNeil et Gillian McCain (ce qui nous renvoie, en science-fictionnie, au très recommandable Outrage et rébellion de Catherine Dufour) : il s’agit pour l’essentiel d’un recueil de témoignages, émanant de dizaines de personnalités, et assemblés de manière à constituer une trame cohérente (même si le résultat final est peut-être parfois un peu confus). Cependant, je n’hésiterai pas à dire que j’ai largement préféré Manchester Music City à Please Kill Me, en ceci, notamment, qu’il est beaucoup moins « racoleur », tourné vers le scandale, et nettement plus intéressé (et intéressant) par la musique en elle-même. Certes, la drogue ne manque pas dans ces pages – au moment de Madchester, ça vire limite à l’apologie –, mais c’est toujours la musique qui est au premier plan (et quelle musique !). En outre, de manière étrange, alors qu’il est à la base supposé se concentrer sur une ville – et c’est bien le cas, il n’y a pas de hors-sujet, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit –, Manchester Music City est plus « ouvert » que Please Kill Me (qui m’avait un peu gêné par son arrogance américano-centrée), et sait retracer les influences et rivalités dans lesquelles baignait la musique mancunienne.

 

Manchester est souvent présentée comme la « ville de la modernité » ; elle le fut incontestablement en musique, après avoir rattrapé le punk de Londres – et là, effectivement, 1976 est une année fondamentale, en raison des mythiques concerts des Sex Pistols dans la ville industrielle du nord de l’Angleterre que j’avais déjà évoqués (sous l’angle de la légende…) en traitant de 24 Hour Party People. Le punk anglais fut certes un mouvement très éphémère (deux ans, on va dire…), mais il fit l’effet d’une véritable révolution (trop sous-estimée dans Please Kill Me, donc, qui se montre méprisant à son égard, ne s’intéressant qu’aux scandales gravitant autour de Sid Vicious, et n’envisage le punk que sous son angle le plus « authentique », et donc nécessairement américain…), et les concerts des Sex Pistols générèrent effectivement toute une scène remarquablement inventive (quand bien même elle se composait pour une large part de branleurs).

 

Ici, il faut accorder une place prépondérante aux Buzzcocks, notamment dans leur première formation emmenée par Howard Devoto et Pete Shelley : avec la sortie de Spiral Scratch, EP auto-produit, ils suscitèrent la vague du « do it yourself », qui eut une influence durable (à cet égard, je ne saurais trop vous conseiller de jeter une oreille sur l’excellente compilation D-I-Y. Do It Yourself. The Rise Of The Independent Music Industry After Punk). Et suivit bientôt ce que l’on considère à juste titre comme l’un des gestes les plus punks de l’histoire du genre : Devoto quitte le groupe au succès embryonnaire… Cela n’empêchera pas les Buzzcocks de poursuivre leur chemin, s’éloignant progressivement du punk sauvage des origines pour se tourner vers une pop énergique et remarquablement efficace, et devenant une incroyable usine à singles d’anthologie. Je n’hésiterai pas pour ma part à proclamer que les Buzzcocks sont mon groupe punk préféré (avec les bien plus excités et ricains Dead Kennedys), loin devant les Sex Pistols ou les Clash (eh oui).

 

Mais le grand groupe mancunien – celui qui m’a attiré vers cette scène si particulière – est incontestablement Joy Division, groupe très éphémère en raison du suicide de son chanteur Ian Curtis (du coup, il n’a livré que deux albums, tous deux fabuleux, Unknown Pleasures et Closer ; de l’avis des principaux intéressés, le reste, c’est du merchandising – ce qui me paraît un peu exagéré notamment en ce qui concerne Still…), mais qui, lui aussi, bouleversa les mentalités et la musique. Lié à l’existence du label indépendant par excellence, Factory, Joy Division est sans doute le groupe qui a su le mieux saisir l’esprit de la Manchester post-industrielle d’alors. Les pages qui sont consacrées à ce groupe culte entre les groupes cultes sont passionnantes, et on y apprend bien des choses (notamment, j’ai découvert que Ian Curtis et Genesis P-Orridge étaient des amis qui s’admiraient mutuellement… et qu’ils avaient le projet de faire quelque chose ensemble, idée qui me fait baver de frustration, et suscite en moi des rêves uchroniques…).

 

Après le décès de Ian Curtis, Joy Division se mue en New Order. Je vais être franc : je n’ai jamais été très fan de ce groupe au succès colossal, qui me paraît largement surestimé. Alors, certes, il y a bien quelques chef-d’œuvres dans la production du groupe, comme l’inévitable « Blue Monday » préfigurant la musique électronique de la ville, et notamment l’acid house, ou encore le très bel instrumental « Elegia ». La lecture du livre de John Robb fut cependant l’occasion de me replonger dans la discographie du groupe, et, si le bilan reste sensiblement le même, je ne regrette pas cette nouvelle tentative. Et puis, bien sûr, grâce à la thune de New Order, il y eut l’Haçienda… mais on y reviendra.

 

En attendant, il est un autre groupe que j’ai redécouvert grâce à Manchester Music City, à savoir les Smiths de Morrissey et Johnny Marr (je ne savais même pas que c’était un groupe mancunien, honte sur moi…). Je n’en ai jamais été très fan (pas plus que de Morrissey en solo, d’ailleurs), ayant quelques soucis avec la voix du Moz (on parla aussi de Mozchester…) et trouvant, pour reprendre les termes d’un camarade, que c’est quand même un peu de la chansonnette, tout ça… J’en ai cependant profité pour écouter le cultissime The Queen Is Dead – qui m’a laissé assez froid, décidément –, ainsi que Meat Is Murder (celui que j’ai préféré) et Strangeways, Here We Come, le dernier album du groupe. Quelques jolies choses, tout de même, mais mon avis global concernant ce groupe n’a pas changé pour autant (ou à peine).

 

L’arrivée du hip hop (trop souvent négligé) et de l’acid house à Manchester, notamment par le biais de l’Haçienda, donc (avec quelques DJs légendaires tels Mike Pickering, Dave Haslam ou, quand bien même il n’est évoqué qu’en filigrane, un tout jeune Laurent Garnier, si je ne m’abuse), va susciter une nouvelle révolution : à la fin des années 1980, Manchester deviendra Madchester, l’ecstasy aidant, et, des soirées à Fac 51 aux raves plus ou moins improvisées, on parlera d’un nouveau « summer of love ». Cette fois, plus aucun doute ne sera permis : Manchester aura clairement un à deux ans d’avance, au moins, sur Londres et les autres grandes villes britanniques. Et ce mouvement va susciter l’éclosion de nombre de nouveaux groupes, et notamment ceux dits « baggy », parmi lesquels on retiendra surtout deux groupes que j’adore, et qui s’adoraient mutuellement (contre la légende de rivalité qu’entendait leur imposer la presse anglaise…), les Happy Mondays et les Stone Roses.

 

Les Happy Mondays, emmenés par les frères Shaun et Paul Ryder, et toujours sur Factory, sont sans doute le groupe le plus emblématique de cette période, avec leur musique difficilement qualifiable, parfois dite « indie dance », mêlant influences acid house et rock indé pour un résultat unique en son genre, et qui eut un succès retentissant. De même que dans 24 Hour Party People (ce titre renvoyant, ainsi que je l’avais déjà rappelé, à un des plus célèbres morceaux du groupe, issu de son premier album), les pages consacrées ici aux Mondays sont le plus souvent hilarantes – les interviews de Shaun Ryder y sont pour beaucoup – et tout à fait passionnantes (bon sang, j’y ai même appris que les Happy Mondays avaient fait la première partie de Laibach ! J’ose pas imaginer la gueule du public, dans les deux cas, d’ailleurs…). Une belle histoire de « rise and fall »…

 

Quant aux Stone Roses, c’est un groupe qui a eu un parcours pour le moins étrange, changeant souvent de formation, voire de style (on les a même qualifiés un temps de « gothiques »… surtout en raison de leurs fringues, à vrai dire ; à noter, d’ailleurs, que tous les intervenants de ce livre, absolument tous, semblent accorder une importance extrême aux vêtements et aux coiffures…), et n’obtenant le succès que tardivement. À vrai dire, les Stone Roses ne sont largement que le groupe d’un seul album (parce que, du coup, j’ai – enfin – écouté Second Coming, accouché dans la douleur, et c’est quand même passablement de la merde…). Mais quel album ! The Stone Roses est incontestablement à mes yeux un des plus grands chef-d’œuvres de la pop, un putain d’album qui enchaîne les tubes, avec une originalité indéniable. Et les Roses, à leur tour, de susciter la création de nouveaux groupes…

 

Parmi lesquels, Oasis. Bon… J’en cause parce que le bouquin se finit dessus, mais je n’ai vraiment jamais aimé ce groupe, pas plus que la mouvance dite « britpop » (au passage, dans la pathétique guéguerre entre Blur et Oasis, j’ai – malgré tout – choisi mon camp, camarades…). Je ne leur reconnais qu’un seul bon morceau, « Wonderwall » (merci le violoncelle…). Bon, un peu dommage d’achever ce si beau périple avec un groupe de merde, mais il est vrai que, vu le succès d’Oasis, il était difficile de faire autrement…

 

J’ai négligé bien des choses dans ce compte rendu ; c’est que, encore une fois, il y a tant à dire… Mais je vous engage à découvrir par vous-même l’univers merveilleux de la musique mancunienne. Manchester Music City est un bouquin riche et passionnant, indispensable aux fans de ces divers groupes, et qui permettra aux autres de faire de très jolies découvertes.

 

Allez, hop, une petite (enfin, pas si petite que ça…) playlist, limitée aux groupes figurant sur la couverture (Désolé pour les liens en blanc, ils fonctionnent, c'est juste Over-Blog qui fait sa pute...).

 

BUZZCOCKS : Airwaves Dream ; Alive Tonight ; All Over You ; Are Everything ; Autonomy ; Boredom ; Breakdown ; Ever Fallen In Love (With Someone You Shouldn’t’ve?) ; Everybody’s Happy Nowadays ; Friends Of Mine ; I Believe ; I Don’t Mind ; Innocent ; Isolation ; Just Lust ; Libertine Angel ; Lipstick ; Moving Away From The Pulsebeat ; Oh Shit ; Orgasm Addict ; Paradise ; Promises ; Raison d’être ; Something’s Gone Wrong Again ; Soul On A Rock ; Times Up ; Totally From The Heart ; What Do I Get ; Whatever Happened To? ; Who’ll Help Me Forget? ; Why Can’t I Touch It? ; Why She’s A Girl From The Chainstore.

 

JOY DIVISION : Atmosphere ; Atrocity Exhibition ; Candidate ; Colony ; Day Of The Lords ; Dead Souls ; Digital ; Disorder ; Exercise One ; Heart And Soul ; Ice Age ; Insight ; Interzone ; I Remember Nothing ; Love Will Tear Us Apart ; New Dawn Fades ; Passover ; Shadowplay ; She’s Lost Control ; The Eternal ; The Eternal (Live) ; The Kill ; The Only Mistake ; The Sound Of Music ; Transmission ; Twenty Four Hours ; Walked In Line ; Wilderness.

 

NEW ORDER : All Day Long ; Angel Dust ; Blue Monday ; Broken Promise ; Ceremony ; Crystal ; Elegia (Full Version) ; In A Lonely Place ; Leave Me Alone ; Lonesome Tonight ; Murder ; Paradise ; Sub-Culture ; Temptation ; Way Of Life.

 

HAPPY MONDAYS : 24 Hour Party People ; Angel ; Bob’s Yer Uncle ; Dustman ; Fat Lady Wrestlers ; God’s Cop ; Hallelujah (Club Mix) ; Harmony ; Judge Fudge ; Kinky Afro ; Kuff Dam ; Loose Fit ; Mad Cyril ; Monkey In The Family ; Oasis ; Performance ; Rave On (Club Mix) ; Stayin’ Alive (12’’ Mix) ; Step On ; Stinkin’ Thinkin’ ; Sunshine And Love ; Tart Tart ; Weekend S ; W.F.L.

 

THE SMITHS : Barbarism Begins At Home ; Bigmouth Strikes Again ; Death Of A Disco Dancer ; How Soon Is Now? ; Last Night I Dreamed That Somebody Loved Me ; Meat Is Murder ; Some Girls Are Bigger Than Others ; Stop Me If You Think You’ve Heard This One Before ; The Headmaster Ritual ; The Queen Is Dead ; This Charming Man ; Well I Wonder.

 

THE STONE ROSES : Begging You ; Don’t Stop ; Elephant Stone ; Elizabeth My Dear ; Fools Gold (Full Version) ; Full Fathom Five ; Here It Comes ; I Am The Resurrection ; I Wanna Be Adored ; Love Spreads ; Made Of Stone ; Mersey ParadiseSally Cinnamon ; She Bangs The Drums ; Shoot You Down ; Something’s Burning ; (Song For My) Sugar Spun Sister ; So Young ; Tell Me ; The Hardest Thing In The World ; This Is The One ; Waterfall.

 

OASIS : Wonderwall.

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