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"Zardoz", de John Boorman

Publié le par Nébal

Zardoz.jpg

Réalisateur : John Boorman.
Année : 1974.
Pays : Royaume-Uni / Irlande.
Genre : Science-fiction.
Durée : 105 min.
Acteurs principaux : Sean Connery, Charlotte Rampling, Sarah Kestelman, John Alderton, Niall Buggy…
 
Ca faisait un petit moment que j’étais supposé écrire ce compte rendu. J’avoue : j’ai été lâche. Je ne savais pas comment présenter la chose. Le problème, en effet, est que Zardoz se paye une très fâcheuse réputation : celle, en gros, d’une boursouflure intello-kitsch, totalement ridicule et imbitable. Difficile, il est vrai, de toujours conserver son sérieux devant ce film, de ne pas être agité d’un léger spasme nerveux devant certaines séquences arty typiques d’une avant-garde qui vieillit mal, devant le péremptoire « The gun is good, the penis is evil » asséné par une gigantesque tête de pierre volante dès les premières minutes du film, et, bien sûr, devant l’improbable garde-robe de la quasi-intégralité du casting, Sean Connery en tête, qu’on qualifiera gentiment de « troublant » dans son slip moule-burnes rouge qui flashe agrémenté de cartouchières, moustache on ne peut plus routier 70’s incluse et catogan en prime. Il faut être honnête : on a dû flinguer des costumiers pour moins que ça (… ou on aurait dû). On a ainsi tendance à reléguer Zardoz parmi les plus beaux fleurons du nanar, dans une veine expérimentalo-auteurisante assez rare en la matière mais fournissant à l’occasion de forts beaux spécimens. Inévitablement, on en trouve une chronique sur l’excellent site Nanarland. Dans la catégorie polémique, ceci dit, tout le monde n’étant pas d’accord sur la nanaritude de la bête. Et force m’est de reconnaître que la contre-chronique de Kobal me semble bien plus pertinente que la chronique plus ou moins stérile et bornée de Koko. Ben oui : pour moi, Zardoz n’est certainement pas un nanar. Si ce n’est pas un chef-d’œuvre, s’il souffre de nombreuses maladresses, ça n’en est pas moins un bon film, et j’aurais presque l’envie de dire (soyons fous) un très bon film, qui ne mérite en tout cas certainement pas autant de sarcasmes. Il serait dommage de s’arrêter à la dégaine de Sean Connery et de se contenter, devant l’hermétisme de certaines séquences, d’un lapidaire « c’est n’importe nawak, ça se la pète mais y’a rien derrière ». Parce qu’il y a bien quelque chose derrière, et qui est loin d’être inintéressant. Je n’ai aucun doute à ce sujet, et ne crains donc pas d’affirmer que j’ai bien aimé ce film. Mais face aux innombrables attaques qu’il a pu subir, j’avoue me sentir bien mal placé dans le rôle de l’avocat du Diable…
 
Je suis lâche. Sob.
 
Allons, Nébal, reprends-toi ! Fidèle à ta devise, assume le ridicule, et lâche tes opinions qui n’intéressent personne !
 
 
Bon d’accord (c’est vous qui l’aurez voulu, hein). Hop.
 
Gardons le scénario pour la fin. On commencera par noter qu’il y a quand même quelques jolis noms sur la fiche technique, qui, s’ils n’empêchent en rien la qualification de nanar (après tout, de bons réalisateurs ont à l’occasion commis des nanars – ainsi Ken Russel, auteur du superbe, extraordinaire et hélas très difficilement trouvable Les Diables, mais aussi du plutôt consternant Le repaire du ver blanc… –, et on ne compte pas les bons, voire les excellents, acteurs qui sont des habitués du genre – deux exemples frappants : Klaus Kinski et Donald Pleasance…), semblent quand même plutôt plaider en faveur du film.
 
C’est tout d’abord le cas, bien sûr, du réalisateur et scénariste John Boorman. S’il traîne clairement quelques casseroles (comme par exemple L’exorciste II : l’hérétique, vraiment pas glop…), il n’en a pas moins réalisé nombre de très bons films, voire de chefs-d’œuvre (on peut citer Deliverance, Hope And Glory, Le général, probablement Excalibur, peut-être La forêt d’émeraude…). Le Sieur Boorman sait incontestablement manier la caméra, et Zardoz ne déroge pas à la règle. Loin des guignoleries diverses auxquelles nous ont habitué les nanars, ce film est maîtrisé de bout en bout, sa réalisation est irréprochable, la photographie est somptueuse, et certaines scènes, si elles peuvent agacer par leur côté « expérimental » éventuellement prétentieux, me semblent même franchement remarquables, ainsi celle où Zed, le personnage incarné par Sean Connery, se voit « transmettre » des connaissances dans une multitude de langues (je suis très loin d’adopter à l’encontre de ce joli moment les sarcasmes du sieur Koko…). Non, franchement, rien à redire à cet égard : sans surprise, John Boorman ne saurait être comparé à un Bruno Mattei ou un Godfrey Ho ; il est un réalisateur de talent, qui s’est de toute évidence beaucoup investi dans ce film. Accessoirement, c’est aussi quelqu’un qui sait remarquablement bien utiliser la musique dans ses films, ainsi qu’en témoignent notamment Deliverance et, bien sûr, Excalibur ; à vrai dire, John Boorman fait ici avec Beethoven (et essentiellement sa superbe Septième symphonie) ce qu’il fera sept ans plus tard avec Wagner et Carl Orff. Là encore, rien à redire, en ce qui me concerne tout du moins.
 
Le casting n’est d’ailleurs pas en reste, notamment pour ce qui est des deux acteurs les plus connus. Sean Connery (tudieu, cette dégaine ! … même moi qui n’ai strictement aucun goût en la matière, ça me donne de l’urticaire, là…) et Charlotte Rampling sont quand même des comédiens plus que corrects. Ils livrent ici une bonne performance, Sean Connery incarnant un Zed très viril et brutal mais pas con pour autant, et Charlotte Rampling une ravissante Consuella, authentique icône de beauté froide et cruelle, séduisante et agaçante. Les autres acteurs sont également très corrects, quand bien même la tonalité de la mise en scène les incite parfois à un cabotinage qui dépasse franchement les bornes (ainsi pour Niall Buggy, à l’allure également consternante de caricature de sous-Salvador Dali, et plutôt insupportable – mais bon, c’est le personnage de Zardoz / Arthur Frayn qui veut ça, dans un sens…) ou les côtoie parfois dangereusement (John Alderton, dans l’ensemble très bon dans le rôle so british de Friend).
 
Enfin, si les costumes sont… ils sont… bref, les décors, eux, s’ils jouent aussi la carte du kitsch outrancier à l’occasion, sont souvent assez bien trouvés, voire excellents. En fait, pour les costumes, on pourrait même être gentil et reconnaître que, dans un sens, Excalibur est pas mal aussi dans le genre, après tout, et que ça n’empêche pas que… oui, mais là c’est vrai que…
 
Passons.
 
… Sauf que le problème est qu’on ne peut pas vraiment faire l’impasse sur cette allure générale. C’est là une des « difficultés » de Zardoz : rien ne vieillissant aussi vite que l’avant-garde (je ne sais plus à qui j’emprunte cette phrase, mais qu’il en soit remercié), le film accuse indéniablement son âge. Dans les visuels comme dans les délires plus ou moins arty venant avec la régularité d’une horloge parasiter le récit, c’est bien le produit d’une époque et d’une mentalité, en gros celle d’une intelligentsia post-hippie, artisteuse et vaguement cramée du bulbe. C’est d’autant plus frappant que Zardoz est un film de science-fiction, et que, si les effets spéciaux y sont très rares, le vieillissement des visuels n’en est pas moins presque inévitable en la matière. Zardoz étant sur ce plan outrancier, il semble d’autant plus désuet et absurde. Mais il faut noter que ce n’était peut-être pas totalement innocent à l’origine, et en tout cas que, par un étrange retournement, cela participe finalement aujourd’hui de l’intérêt du film, l’absurde étant à bien des égards son thème principal.
 
Essayons donc d’aborder maintenant le scénario et ce qui se cache éventuellement derrière. Nous sommes en 2293. Après une brève et troublante première séquence, la tête d’Arthur Frayn flottant (pas superbement incrustée) sur un fond noir, et débitant un discours étrange (pour ne pas dire ridicule) laissant supposer que tout ne doit pas être pris au premier degré, le film débute véritablement par une autre séquence non moins troublante, une immense tête de pierre flottant dans le ciel d’une terre dévastée. Une horde de barbares au costume improbable (donc), parmi lesquels Sean Connery, se rassemble devant la tête (dont leur masque est par ailleurs une représentation), qui leur tient d’une voix sépulcrale un étrange et violent discours suscitant leur enthousiasme fanatique, et que l’on peut donc en gros résumer ainsi (je cite) : « The gun is good, the penis is evil. » Oui, quand même. Et la tête monumentale de cracher une multitude de fusils qui font la joie des cavaliers exterminateurs. Après un générique suivant le voyage céleste de la tête, nous voyons Zed, le personnage de Sean Connery, qui s’était dissimulé dans la tête volante, s’étonner de l’étrange endroit où il se trouve, et en abattre bientôt l’unique occupant, Arthur Frayn. La tête le conduira dans une sorte d’univers parallèle coupé de son monde, où vivent une brochette « d’élus » immortels et à la technologie hautement avancée.
 
Zed finit par comprendre que les barbares dont il faisait partie ont été trompés de tout temps, dans leur adoration du Dieu Zardoz : celui-ci n’était qu’un homme, un de ces immortels, qui emploient depuis des années les barbares pour exterminer les populations pauvres de la Terre et éviter ainsi une nouvelle crise due à la surpopulation, puis (et c’est ce changement qui avait troublé Zed) pour exploiter ces « prolétaires » afin qu’ils prodiguent aux immortels une nourriture qu’ils ne sont plus en mesure de produire eux-mêmes. C’est que l’immortalité a un coût, et certains, dont le concepteur du programme – établi par une sorte d’aristocratie scientifico-artistique –, finissent même par le trouver insupportable. Nombreux sont ceux qui, du fait de leur vie éternelle, ont sombré progressivement dans une apathie dont rien ne semble pouvoir les tirer ; tout aussi nombreux sont ceux qui, pour avoir de temps à autre eu un comportement jugé « asocial », ont eu à subir la plus terrible sanction prévue par la loi des immortels, le vieillissement, sans que la mort ne soit au bout du voyage. Et l’on trouve ainsi, un peu à l’extérieur de la communauté, une sorte d’invraisemblable maison de retraite, hantée par des petits vieux totalement séniles et vêtus de costumes noirs à l’ancienne, comme une démonstration et un avertissement de l’absurdité de cette vie éternelle coupée du monde et de ce qui définit l’humain, notamment son rapport à autrui.
 
L’arrivée de Zed dans la communauté (c’est à dessein que j’emploie ce terme, tout cela sentant fort la satire, assez bien vue d’ailleurs, de certains délires hippies plus ou moins réac), on s’en doute, suscite le trouble. Les réactions sont à vrai dire très diverses : certains, la frigide Consuella (Charlotte Rampling) en tête, réclament à tout crin la mise à mort de cet élément perturbateur ; d’autres y voient un sujet d’étude intéressant, une distraction bienvenue dans la morne routine de l’immortalité ; d’autres enfin y voient un outil, permettant éventuellement de faire changer les choses, que ce changement passe par la mort… ou la fécondation. La société des immortels est en effet totalement asexuée, et le viril Zed y tranche quelque peu : on s’étonne notamment de cet étrange comportement qu’est l’érection… et Consuella, qui la suscite, de s’en offusquer, bien sûr.
 
Zardoz est ainsi un film outrancier, qui met régulièrement les pieds dans le plat et saute à pieds joints sur le bon goût, pour le meilleur et pour le pire. La science-fiction, d’ailleurs, y est abordée sous l’angle de la fable, et même, autant le dire, du conte philosophique. Tout n’est donc pas à y prendre au premier degré, la symbolique y est omniprésente (et parfois très lourde), et l’atmosphère générale est passablement surréaliste. Zardoz est un film de science-fiction au sens où Brazil en est un. Rien de plus opposé à 2001 l’odyssée de l’espace, donc.
 
Mais il y a pourtant un point commun, dans un sens : une ambition énorme, à la limite de la mégalomanie, et qui ressort assez du traitement baroque de l’ensemble. De même que 2001, mais avec beaucoup moins de subtilité, Zardoz traite intelligemment d’une multitude de thèmes tous plus fascinants les uns que les autres. Le problème est qu’il n’a pas à cet égard la même majesté. Boorman, de toute évidence, a voulu trop en faire, et l’on tend en même temps à se perdre dans les innombrables lectures qu’autorise le film et à soupirer après le didactisme appuyé de certaines scènes… Quoi qu’il en soit, et contrairement à sa réputation totalement infondée, Zardoz n’est en rien un film vide : c’est, bien au contraire, un film « trop plein », qui tend à déborder, à partir un peu dans tous les sens, et éventuellement à se perdre. Il y a néanmoins beaucoup à en retirer.
 
Et le fait est que, si l’action est assez rare, je ne me suis pour ma part pas le moins du monde ennuyé devant ce film, la réalisation, superbe, n’y étant pas pour rien. Zardoz est maladroit, certes, mais finalement pas si ridicule que cela… Un objet filmique non identifié, excessif mais pas inintéressant pour autant. Et pas un nanar, en tout cas.

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"Control", d'Anton Corbijn

Publié le par Nébal

Control.jpg

Réalisateur : Anton Corbijn.
Année : 2007.
Pays : Royaume-Uni / Etats-Unis / Australie / Japon.
Genre : Drame / Biopic / Musical.
Durée : 121 min.
Acteurs principaux : Sam Riley, Samantha Morton, Craig Parkinson…
 
On peut dire que ça faisait un bail que j’avais pas mis les pieds dans une salle de cinoche. Depuis Land Of The Dead, je crois bien (ah oui, quand même…). En fait, je n’en raffole pas. Alors oui, certes, un grand film, souvent, s’apprécie mieux ainsi (souvenir ému de mes visionnages en salle de 2001 l’odyssée de l’espace, Apocalypse Now et Le dernier des hommes, entre autres…). Mais voilà. Il y a les gens. Souvent pénibles, les gens. En plus on peut pas fumer ou boire de la bière…
 
Oui, je sais, c’est ridicule. N’empêche que voilà : pour un bon nombre de raisons (la flemme et la phobie sociale n’étant pas les moindres), ça faisait un bail que j’avais pas mis les pieds dans une salle de cinoche. Oh, rien à voir avec la qualité des films, il y en a eu plein d’excellents ces dernières années pour lesquels je m’étais juré de faire l’effort du déplacement… Et puis y’avait plein de gens sympathiques pour me proposer d’y aller en plus (désolé, je suis indigne de votre amitié, bouhouhou…). Mais voilà. Autant dire qu’il fallait un sacré faisceau de circonstances pour que je retourne au cinéma.
 
Et voilà. Il y a eu les gens sympathiques, et il y a eu le film qui me bottait bien. Ce Control d’Anton Corbijn, donc. Premier long-métrage, si je ne m’abuse, du fameux photographe et réalisateur de clips (entre autres pour U2, Depeche Mode ou Front 242 – rhaaaa, « Headhunter »…). L’occasion pour lui de marier ses trois passions, à savoir la photographie, le noir et blanc et la musique, le film étant présenté comme un biopic de Ian Curtis, le légendaire chanteur du légendaire groupe Joy Division. Ca tombe bien, j’aime les clips d’Anton Corbijn (et notamment celui « d’Atmosphere » pour Joy Division, justement – le Monsieur connaît son sujet), et j’adore Joy Division. Un beau faisceau, quoi.
 
Et une crainte, aussi. Traiter d’une « icône » du rock, c’est dangereux. Ca peut virer facilement à l’hagiographie qui en rajoute dans la légende, ou à l’enchaînement stérile de séquences de sexe, de drogue, et de rock’n’roll. De la part d’un « auteur », il y a aussi la crainte de l’imposture, de l’hypocrisie (remember Gus Van Sant et son pitoyable Last Days, qui, comme chacun sait, ne parlait pas du tout de Kurt Cobain…). D’un autre côté, Corbijn connaissait son sujet – donc –, et le film avait semble-t-il reçu l’aval de gens comme New Order (soit Joy Division aujourd’hui ; ils ont participé au film et ont réenregistré les morceaux), Tony Wilson (le patron du label Factory, décédé il y peu, monde de merde ; il a quand même eu le temps de produire le film)… et, ce que je ne savais pas en entrant dans la salle, Deborah Curtis, la veuve du chanteur : Control est en effet l’adaptation cinématographique d’un livre de ladite Madame, qui a également participé à la production du film. Or, on peut très légitimement, pour cette raison, craindre que le film ne biaise le propos, ne présente qu’un aspect des choses… Mais ça, de toute façon, je n’étais pas au courant en prenant place dans la salle.
 
D’entrée de jeu, un superbe noir et blanc, un peu granuleux, typique du réalisateur. Et, bientôt (mais pas tout de suite, bien joué…), de la musique. Pas Joy Division. Pas encore. Nous sommes en 1973, et Ian Curtis n’est qu’une jeune couillon amorphe parmi tant d’autres. Et, comme tant d’autres à cette époque, il écoute David Bowie. L’évocation rapide des jeunes années de Ian Curtis – enfin, c’est-à-dire, de l’avant Joy Division… – est très bien ficelée, sobre, intimiste, touchante, drôle à l’occasion. Quelques ellipses, plus ou moins brutales mais toujours pertinentes, dressent déjà le portrait d’un jeune homme un peu paumé, un peu déviant, à la communication franchement déficiante. Pas encore quelqu’un de dépressif à proprement parler, mais quelqu’un de mou, de froid, peu bavard, guère attachant, et pourtant assez sympathique en même temps. Impulsif, aussi. On en arrive assez vite à l’événement déterminant dans l’optique du film. Non pas son intégration en tant que chanteur du groupe Warsaw, puis Joy Division, comme on pourrait le croire, mais son mariage, sur un coup de tête, avec une jeune fille un peu timide et gauche qu’il avait « volée » à un « pote ». A même pas 20 ans. C’est trop tôt. Et c’est bien là que réside le problème…
 
Control ne traite en effet pas de « Ian Curtis, le chanteur de Joy Division, qui a fini par se pendre », mais de « Ian Curtis, le jeune type ordinaire qui a fait la connerie de se marier trop tôt ». Ce qui change sacrément la donne. Autant le dire tout de suite : on ne trouvera pas excessivement les scènes caractéristiques des biopics musicaux dans ce film finalement guère musical. Control est avant tout un drame, l’histoire de la descente aux enfers d’un jeune homme perturbé, à la vie schizophrénique, à la communication maladroite et aux angoisses omniprésentes. Le magnifique portrait d’un jeune dépressif chronique (et épileptique, qui plus est), pas à sa place dans ce monde, et qui subit jour après jour les conséquences d’une bêtise de gamin. Sam Riley l’incarne à merveille, avec justesse et délicatesse. « Son » Ian Curtis est humain, crédible, parfois agaçant, souvent touchant, et au final déchirant. Peu importe, dès lors, à mon sens tout du moins, son caractère « authentique » ou pas, qui a pu susciter quelque peu la polémique pour les raisons précédemment évoquées. Je ne sais pas si « ce » Ian Curtis correspond au « vrai » Ian Curtis. Et, dans un sens, je m’en moque. Il « fait » vrai, et, dans la perspective du film, c’est bien suffisant.
 
Quant à la musique, en fin de compte, elle passe quelque peu au second plan. Elle est là, bien sûr, et elle est superbe – même si j’avoue, personnellement, que le choix, tout à fait légitime, de réenregistrer les morceaux de Joy Division, m’a un peu déçu, l’absence de la voix si particulière de Ian Curtis se faisant cruellement sentir… Mais bon ; il y a la musique, et elle est excellente. Très brèves scènes d’enregistrement ou de concert, bien amenées, bien interprétées. Plus souvent, Anton Corbijn a recours a des procédés quelque peu clipesques, entendons par là qu’il illustre les textes de Ian Curtis par des séquences de sa vie ; moi qui n’avais jamais vraiment prêté attention aux paroles de Joy Division, cela m’a fait l’effet d’une découverte assez bouleversante, chaque ligne ou presque semblant une évocation directe de la vie tourmentée du chanteur (ainsi, pour prendre deux fameux exemples, « Love Will tear Us Apart », chanson centrale dans le film, sur les difficultés du couple Curtis, ou encore « She’s Lost Control », évoquant l’époque où Ian Curtis avait assisté à une crise d’épilepsie… avant de se découvrir lui-même épileptique – je ne sais pas si c’est crédible, au passage…). Bien vu, et convaincant.
 
Reste que, si les allusions musicales, d’une forme ou d’une autre, – à David Bowie, à Iggy Pop, à Lou Reed, à Brian Eno, à Kraftwerk, aux Sex Pistols, aux Clash, aux Buzzcocks, à The Fall, à Throbbing Gristle, à Cabaret Voltaire… – abondent, si l’on retrouve également quelques anecdotes célèbres déjà illustrées – de manière bien différente, mais néanmoins excellente – dans le génial film de Michael Winterbottom 24 Hour Party People (le concert « historique » des Sex Pistols à Manchester devant 42 personnes, la rencontre entre Ian Curtis et Tony Wilson – « You’re a cunt! » – ou encore la fameuse histoire du contrat écrit et signé avec le sang de ce dernier), et si l’on en retrouve aussi quelques personnages (Tony Wilson, donc, mais aussi Rob Gretton – très drôle, au passage –, et bien sûr Ian Curtis parmi bien d’autres – le personnage composé par Sam Riley étant beaucoup moins agressif et colérique que celui du film de Winterbottom), le fait est que Control n’est pas vraiment un film sur la musique. Ou plutôt, si, mais… Bon, disons que Control est autant un film sur la musique que L’éducation sentimentale est un roman sur la société française à l’époque de la Révolution de 1848. La musique y est donc un aspect important, et on ne saurait véritablement en faire abstraction ; mais, au final, c’est là aussi avant tout « l’Histoire d’un jeune homme » qui nous est contée. Et avec brio.
 
Ce parti pris assez audacieux est en effet pleinement servi par l’interprétation des différents acteurs, Sam Riley en premier lieu, et par la splendide réalisation d’Anton Corbijn, faisant ici la preuve éclatante de sobriété de son talent et de sa maîtrise du cadre et du noir et blanc. Control est un film assez impressionnant de justesse et de constance dans la qualité. Il touche profondément, il fait mal, tout en offrant un véritable régal pour les yeux et les oreilles.
 
Control ne correspond donc pas exactement à ce à quoi je m’attendais (et je suppose que je ne suis pas seul dans ce cas). En sortant de la salle, du coup, je ne savais pas trop quoi en dire. Avec le recul, je peux désormais affirmer que c’est une franche réussite. Un film qui n’est pas réservé aux seuls fans de Joy Division, mais qui est à même de séduire tout le monde, y compris ceux qui n’ont jamais entendu parler de Ian Curtis, sans se compromettre ou se vautrer dans les facilités du biopic pour autant. Belle performance…

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"Le projet Blair Witch", de Daniel Myrick et Eduardo Sanchez

Publié le par Nébal

Le-projet-Blair-Witch.jpg


Titre original :
The Blair Witch Project.
Réalisateurs : Daniel Myrick & Eduardo Sanchez.
Année : 1999.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Horreur / « Fantastique » / Mockumentary.
Durée : 87 min.
Acteurs principaux : Heather Donahue, Joshua Leonard, Michael C. Williams…
 
Est-il encore nécessaire de présenter Le projet Blair Witch ? Probablement pas, tant ce petit film au budget dérisoire (20 000 $) a fait un carton à sa sortie. C’est qu’il en a fait couler, de l’encre, celui-là… Et moi, bien entendu, je ne l’avais encore jamais vu, toujours sceptique quand il y a un effet de mode. Ce qui n’est pas toujours bien malin, mais bon…
 
Allez, hop, pour le principe. Trois jeunes couillons, la gourdasse pseudo-goth Heather, le hippie surfer Josh et le gros beauf Mike, partent tourner un documentaire dans une forêt américaine, laquelle serait, dit-on, hantée par une sorcière ; ou bien y’aurait un cimetière indien, aussi ; et puis des gamins qui ont disparu ; des types plus âgés, aussi… Bref, tout un paquet de légendes plus ou moins sordides, à même de remplir des pages dans les tabloïds pour faire trembler Mme Michu. Leur « expédition », quoi qu’il en soit, est vraiment mal foutue : ah, ces jeunes (et notamment la petite poupouf de « réalisatrice »)… Bien sûr, ils disparaissent. Mais pas tout à fait sans laisser de traces : un an plus tard, on retrouve leur caméra 16 mm et leur caméscope, et on fait un montage. Et voilà.
 
Bien sûr, quand le film est sorti, la production a laissé entendre que tout le matériel du film était authentique, que tout ça s’était réellement passé. Et il s’est bien évidemment trouvé des ahuris pour le croire… Moi qui pensais être plutôt naïf, là, on m’a battu à plate couture. Peu importe. Laissons-les à leurs fantasmes. On avait connu les mêmes une vingtaine d’années plus tôt avec le légendaire et dérangeant Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato ; et, de temps en temps, il se trouve encore un film pour susciter ce genre de polémiques… Mais il faut reconnaître que l’effet de réel est employé à fond, tant dans Cannibal Holocaust que dans Le projet Blair Witch – le premier étant d’ailleurs une influence évidente du second, ça a souvent été relevé. Certes, il suffit de faire preuve d’un minimum d’attention pour voir « le truc ». Je ne vais pas énumérer d’exemples, il y en a un paquet, d’autant plus que ceux qui « y croient » encore – c’est dingue, mais il y en a ! – ne peuvent certainement pas être convaincus du contraire ; de toute façon, ces gens-là savent que les Américains n’ont pas marché sur la Lune…
 
Surtout, ce n’est guère drôle, de passer son temps à chercher la petite bête. Pour apprécier le film, il faut jouer le jeu, suspendre son incrédulité. Et, de même que dans Cannibal Holocaust – et à vrai dire plus encore que dans ce dernier, puisque le procédé est ici employé du début à la fin –, tout est mis en œuvre pour nous plonger au cœur de l’histoire, pour nous y faire croire. Et, de ce point de vue, je dois reconnaître que c’est une franche réussite : les plans faussement hasardeux au caméscope ou en 16 mm installent très vite une atmosphère de réalisme total, rappelant les tentatives généralement désastreuses de bon nombre d’adolescents dans le même genre, de même que, dans l’excellent Festen, les « principes » hypocrites, barbares et réjouissants du Dogme se voient conférer une force remarquable par l’utilisation d’un petit caméscope, empruntant tous les traits du petit film de tonton René lors de l’anniversaire de tatie Josiane, pour nous assener dans la figure un cinglant : « Ceci est la réalité. » Et ça marche effectivement très bien, là aussi.
 
D’où, à mon sens, le caractère totalement infondé d’une critique qui a souvent été adressée à Festen, et plus encore à celui-ci, une fois que la hype est retombée (le calamiteux deuxième opus n’ayant guère arrangé les choses…) : « Y’a pas de film. C’est moche, c’est mal filmé. » Ben oui. Et du coup, non. C’est bien là que réside l’intérêt, dans cette volonté de « faire » vrai, quitte à en rajouter des caisses : la caméra tremble probablement plus que de raison, le cadrage est – faussement – hasardeux, les raccords se font dans tous les sens… Ben oui. Parce que trois couillons d’ados qui partent dans une forêt, sans expérience et avec une 16 mm louée et un petit caméscope, il y a plus de chances que cela ressemble à ça qu’à, disons, Apocalypse Now… Et je suis pour ma part persuadé, contrairement à ce qu’avancent certains critiques du dimanche, que, au-delà d’un minimum d’improvisation (qui semble avoir été encouragée chez les acteurs), le reste – réalisation, mise en scène – ne doit strictement rien au hasard. Sur ce plan, le film est réfléchi et pertinent : pas une escroquerie marketing, comme on l’a prétendu, mais un vrai travail de mise en abyme, comparable à certains égard aux scènes prétendument « sur le vif » de l’excellent C’est arrivé près de chez vous.
 
Deuxième critique récurrente : « Ca ne fait pas peur. » Ici, le problème est de savoir ce que l’on veut. Même si j’apprécie pour ma part les films gores ou les films d’horreur jouant énormément sur les effets spéciaux, je n’en pense pas moins que l’horreur suggestive est généralement plus efficace que l’horreur démonstrative pour générer la peur (ce qui n’enlève pas tout intérêt à l’horreur démonstrative, loin de là ; seulement elle ne fait pas appel aux mêmes émotions, et ne recherche pas le même impact…). Effectivement, « on n’y voit rien », et, à mon sens, c’est tant mieux ; notamment pour les scènes où l’on entend… Il s’agit là encore de faire fonctionner l’imagination du spectateur ; à lui de jouer le jeu. Et, dès lors, sans être anthologique en la matière, Le projet Blair Witch n’en est pas moins à mon sens relativement efficace, en tout cas bien plus que la majeure partie des films d’horreur de ces dernières années (par contre, on est d’accord sur un point : la comparaison inévitable avec L’exorciste et Shining, ça, c’est bien du marketing, et c’est absurde…).
 
Une autre critique est souvent liée à la précédente : « C’est un film d’ados. » Oui. Et mille fois plus pertinent que les trop nombreux teenage movies mâtinés de slasher qui ont suivi Scream. Ici, pas de blondasse à gros seins et de jeunes beaux au brushing impeccable, mais des ados crédibles, comme on en croise dans la rue. Et qui ont des peurs d’ados. Ca donne en quelque sorte une version attardée des récits au coin du feu des campeurs dans la forêt, vous savez, ceux où Bobby essaye de foutre les jetons à Cynthia pour que Jimmy puisse la réconforter et se la taper (à charge de revanche)… Une certaine mise en abyme, là encore, mais cette fois des fonctions, des ficelles et des effets du récit. Plutôt bien vu, je trouve…
 
(Je sais, j’ai employé deux fois l’expression abominable « mise en abyme »… Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, hein : Le projet Blair Witch n’est pas un film d’horreur génialissime et supra-intelligent ; ce que j’entends montrer, c’est simplement qu’il n’est pas aussi con qu’on pourrait le croire, et, surtout, qu’il n’est pas aussi gratuit. C’est juste un film d’horreur sympa, hein… Seulement j’ai fait le tour des « critiques » d’internautes, épreuve toujours édifiante, et j’ai lu tellement de conneries sur ces divers points que j’ai ressenti le besoin – stupide, OK – de justifier mon appréciation du film en démontant ce qui me semble être des arguments inadéquats… Pfiou…)
 
Une dernière pour la route ? Allez : « Ils jouent mal. » Non. Honnêtement, je les ai même trouvés plutôt bons, assez naturels dans leurs répliques, assez authentiques dans leur peur et leur souffrance. Notamment Heather Donahue (« Mike » étant le moins convaincant). Encore une fois (voir plus haut), il serait aberrant de les critiquer justement en raison de cette interprétation « naturelle ». Après, je conçois très bien qu’on puisse les trouver artificiels – je l’ai lu par endroits –, et, là, la critique serait fondée. Mais ce n’est pas mon point de vue : une subjectivité contre l’autre…
 
Allez : un bon petit film d’horreur, qui ne méritait sûrement pas autant de ramdam dans un sens comme dans l’autre, mais a pour lui d’être original et relativement unique. Moi, j’ai bien aimé…

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"Un plan simple", de Sam Raimi

Publié le par Nébal

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Titre original : A Simple Plan.
Titre alternatif : A Thousand Miles.
Réalisateur : Sam Raimi.
Année : 1998.
Pays : France / Royaume-Uni / Allemagne / Etats-Unis / Japon.
Genre : Comédie dramatique / Policier / Thriller.
Durée : 2h00.
Acteurs principaux : Bill Paxton, Billy Bob Thornton, Bridget Fonda, Brent Briscoe…
 
Sam Raimi, au début, c’était les Evil Dead : des films bêtement et superbement jouissifs, mélanges originaux d’horreur et d’humour, hystériques, inventifs et virtuoses, tournés par une brochette de potaches talentueux mais tout juste majeurs, et avec un budget dérisoire qui plus est ! Sam Raimi, aujourd’hui, c’est surtout les Spider-Man, plus grand public, incomparablement plus chers, et plus ou moins efficaces (mention spéciale au deuxième opus). Mais, entre temps, Sam Raimi s’est essayé à bien d’autres genres, ainsi que ce remarquable Un plan simple, prix spécial du jury au festival du film policier de Cognac en 1999, en témoigne. Ici, Raimi s’éloigne de l’hystérie communicative des Evil Dead et du « simple » divertissement de qualité, pour livrer un film plus sobre, plus lent, mais passionnant et remarquablement humain et subtil…
 
L’idée de départ, empruntée à un roman de Scott B. Smith (qui signe lui-même l’adaptation), est pourtant très simple, et à la limite du cliché. Hank Mitchell (Bill Paxton) mène une petite vie paisible et heureuse dans un trou paumé du Midwest, avec sa femme Sarah (Bridget Fonda) qui attend un enfant. En plein hiver, alors que la neige tombe à gros flocons, il part faire une ballade avec son frère un peu simplet Jacob (extraordinaire Billy Bob Thornton) et un ami de ce dernier, Lou Chambers (Brent Briscoe), authentique et exubérant spécimen de pochard beauf. Par le plus grand des hasards, les trois randonneurs tombent sur un petit avion qui s’est écrasé dans la forêt, à moitié enfoui sous la neige ; à son bord, le cadavre du pilote… et un sac de sport contenant 4 400 000 $. Ah quand même… Hank est un peu effrayé, mais Jacob et Lou, tous deux chômeurs et criblés de dettes, jubilent : un vrai cadeau tombé du ciel ! Le débat ne s’éternise pas : oui, ils vont garder cet argent (sans doute de l’argent « sale », ou un truc de dealers, mais bon, à cheval donné…), et se le partager équitablement. Ils acceptent, ceci dit, de confier l’argent temporairement à Hank, le temps de savoir s’il y a un risque quelconque à se l’approprier. Le tout, dès lors, est de savoir garder le secret – or Jacob et Lou sont du genre à enchaîner les gaffes, et Hank à les prendre de haut, ce qui n’arrange rien… – et de se faire mutuellement confiance. Et ça, ça va vite poser problème. Surtout à partir du moment où Jacob et Hank sont amenés à éliminer un vieux fermier du coin qui risquait de découvrir l’avion un peu trop tôt…
 
Rien de très original, donc. Et pourtant, ce film est une petite merveille. Sam Raimi fait en effet preuve d’un talent remarquable pour passer d’un genre à l’autre, parfois très rapidement, mais sans que cela sonne faux pour autant. Le film, ainsi, commence assez clairement comme une comédie, avec des personnages pittoresques et attachants, un peu déjantés aussi, sur un fond néanmoins très réaliste. On pense aux meilleurs films des frères Coen, et notamment à Fargo (avec ce festival de trognes, cet humour un peu pince-sans-rire, et, bien sûr, ces paysages enneigés de l’Amérique profonde) ; la découverte du magot ne fait que renforcer cette impression. Mais la comédie cède progressivement la place au drame, de manière bien plus approfondie et subtile que dans le pourtant très bon film des frères Coen. Le rire reste présent, à l’occasion, mais les larmes lui font souvent concurrence, parfois dans une même scène, où un gag hilarant peut déboucher sur une crise très déprimante, avec ces amis qui en viennent à se déchirer, les vieilles rancœurs qui ressurgissent, les vieux rêves aussi : les frères Mitchell, si différents, soulèvent des tabous maintenant que cet argent vient se placer entre eux ; et le « simplet » Jacob se fait ici bien souvent plus lucide que son frère « éduqué » et, comme par voie de conséquence, hypocrite : Hank n’a cessé, tout au long de sa vie, de se fabriquer des mensonges auxquels il a fini par croire sans hésitation, pour se débarrasser d’une éventuelle culpabilité trop lourde à porter…
 
Difficile de faire passer toutes ces émotions, de jouer sur tous ces registres, tout en restant humain et crédible, pour toucher au cœur le spectateur, sans lui infliger un pathos maladroit et inutile… Mais Sam Raimi, très à l’aise dans un style plus sobre que ce que l’on lui connaît d’habitude, est remarquable dans la direction d’acteurs et dans la mise en valeur de leur jeu. D’autant plus qu’il a la chance de pouvoir compter sur des acteurs exceptionnels. Tous sont très bons, tant dans le registre du rire que dans celui du drame.
 
Mais il en est un que je n’hésiterais pas un seul instant à mettre en avant. Billy Bob Thornton, dans Un plan simple, n’est pas seulement bon : il est vraiment phénoménal, livrant une performance d’acteur ahurissante. Il a pour lui, certes, outre une « trogne » assez remarquable, d’interpréter le personnage le plus riche, à la fois le plus drôle et le plus émouvant du film : Jacob Mitchell, au début, fait figure d’idiot du village ; un type maladroit, dénué de goût, pas très beau, pas très fin, sans doute un brin attardé, un type qui n’a rien pour lui en somme. Et qui enchaîne les gaffes, qui plus est, son frère (celui qui a « réussi » : il est allé à la fac et il a un boulot – même miteux – et une femme) ne cessant de le sermonner, en le prenant de haut. Or, si Jacob n’est certes pas bien malin, il est cependant avant tout quelqu’un de foncièrement inadapté, celui que l’on a sacrifié et oublié au bord du chemin, quelqu’un qui comprend la misère, la douleur et la solitude pour en avoir fait l’expérience. Pas de misérabilisme, ici : Jacob sonne vrai, servi par une interprétation rigoureuse à tous les égards. Et il est d’autant plus touchant qu’il devient, de par son statut « d’imbécile heureux » (comme disent les authentiques imbéciles), celui que se disputent les deux autres randonneurs « chanceux », plus autoritaires, plus manipulateurs, qui ont besoin du soutien de Jacob pour se débarrasser des empiètements du rival. Or Jacob est le frère de Hank, mais il est aussi le meilleur ami de Lou, qui est même à certains égards son seul ami – ce qui ressemble bien plus à ce que devrait être un frère, des fois. Jacob est ainsi le premier à souffrir de cet argent, et il comprend, très tôt, que cela ne pourra qu’aller de mal en pis. Et Billy Bob Thornton parvient à merveille à faire ressortir sans exagération tous les traits de ce personnage beaucoup plus complexe qu’il n’en donne l’impression.
 
Mais Un plan simple n’est pas qu’une excellente comédie dramatique. C’est aussi un très bon film policier, voire – le terme serait peut-être plus exact – un thriller palpitant : ruses et fourberies s’enchaînent à merveille, les cadavres se ramassent bien vite à la pelle, et Raimi ménage à l’occasion quelques scènes remarquables de suspense, dignes des plus grands du genre, et notamment de l’incontournable Alfred Hitchcock : le premier meurtre, à cet égard, n’est pas sans évoquer Le rideau déchiré ; plus tard, la mise en place de la ruse de la « cassette » est incroyablement haletante – une scène anthologique, où comédie, drame et suspense alternent sans cesse avec une fluidité imparable (Billy Bob Thornton y est époustouflant... Hein, quoi ? Je l'ai déjà dit ?) –, avant de déboucher sur une version « redneck » de mexican stand-off qui doit plus aux grands du film noir qu’à l’esthétisme hélas souvent gratuit d’un John Woo ; quant au dernier retour à l’avion, le suspense s’y fait tout simplement magistral.
 
Ajoutez à cela une musique discrète mais généralement très appropriée de Danny Elfman (bien loin de son style frénétique, à la fois gothique et réjouissant, auquel il nous avait habitué dans ses partitions pour Tim Burton, notamment) et une photographie sublime…
 
Avec Un plan simple, Sam Raimi, comme un poisson dans l’eau là où l’on pouvait le craindre à contre-emploi, nous livre une perle noire et brillante, palpitante et touchante, divertissante et intelligente. Du très grand cinéma.

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"Ennemis intimes", de Werner Herzog

Publié le par Nébal

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Titre original : Mein liebster Feind – Klaus Kinski.
Titres alternatifs : Mein liebster Feind, Mon ennemi intime, My Best Friend.
Réalisateur : Werner Herzog.
Année : 1999.
Pays : Royaume-Uni / Allemagne / Finlande / Etats-Unis.
Genre : Documentaire.
Durée : 95 min.
Acteurs principaux : Werner Herzog, Klaus Kinski, Claudia Cardinale…
 
Parmi les grands acteurs de l’histoire du cinéma, on tend tout naturellement à accorder une place unique à Klaus Kinski. Comédien brillant dans un grand nombre de films d’auteurs (et notamment cinq films de Werner Herzog), il tourne aussi dans un nombre incalculable de séries B, voire Z, notamment en Italie, et compte ainsi quelques nanars dans sa filmographie très hétéroclite. Mais Kinski était aussi un « personnage », une icône, un mégalomane qui a grandement contribué à se façonner, tout au long de sa carrière, une image : celle d’un fou furieux invivable et insupportable, la bête noire des producteurs dont il faisait capoter les projets sur un caprice, un personnage infect qui s’est attiré bien des inimitiés parmi ses confrères.
 
Rares sont ceux qui, dans le monde du cinéma, ont aussi bien connu Kinski que Werner Herzog. Les deux hommes sont intimement liés, ayant vécu ensemble une longue histoire qui a à l’occasion défrayé la chronique, faite de moments d’intense passion et d’admiration pour le génie de l’autre, et de brusques et violentes colères allant jusqu’à la menace de mort… C’est cette histoire qu’entend ici raconter Werner Herzog lui-même, devant et derrière la caméra ; et qui mieux que lui aurait pu évoquer ainsi la figure si charismatique, fascinante et agaçante de Kinski ?
 
Herzog rencontre Kinski à l’âge de 13 ans, quand il vient s’installer avec sa famille dans une pension munichoise que fréquentait déjà le jeune comédien. Et il semblerait qu’il était déjà un phénomène, hurlant sans cesse, répétant ses textes sans discontinuer, par exemple en s’enfermant pendant 48 heures dans la salle de bain et en en détruisant tout le mobilier pour évacuer sa frustration. Herzog raconte notamment une anecdote révélatrice : un jour, un journaliste était venu dîner, et avait confié qu’il avait trouvé Kinski très bon dans une pièce. Kinski lui jette ses couverts à la figure et se met à hurler : « Je n’étais pas très bon ! Je n’étais pas excellent ! J’ETAIS PHENOMENAL !!! J’ETAIS UNIQUE !!! » Herzog l’admet volontiers : il n’aurait jamais cru, à cette époque, qu’il se retrouverait plus tard à tourner cinq films avec ce malade…
 
Ce fut pourtant le cas. Leur collaboration débute avec l’extraordinaire Aguirre, la colère de Dieu, une des plus belles performances de Kinski. Mais ce dernier (qui avait pour l'occasion rompu un engagement au théâtre : il jouait Jésus, ou plus exactement un type qui montait sur scène pour se mettre en colère, insulter tout le monde et être insulté en retour, comme on le voit dans les extraordinaires premières séquences du film) complique au possible la tâche déjà bien difficile du jeune réalisateur, parti tourner un film en Amazonie avec un budget extrêmement réduit… Kinski menace à plusieurs reprises de quitter (et donc de couler) le film, il profite du moindre prétexte, du moindre caprice, pour se lancer dans une colère épique. A bien des égards, il s’investit tant dans son personnage qu’il en devient aussi fou que lui : il frappe un figurant de son sabre, lui laissant une vilaine cicatrice – le coup aurait probablement été mortel, s’il n’avait porté sur le casque de l’acteur. Un soir, excédé par les figurants qui faisaient la fête, il tire à la carabine dans leur tente – il y a des blessés… Herzog est obligé de jouer avec ses lubies : une fois, il provoque sciemment la colère de Kinski pour que celui-ci, après avoir crié pendant des heures, n’ait plus qu’une petite voix fluette au moment d'interpréter une scène, cette voix qu’Herzog souhaitait mais que Kinski, toujours à critiquer la réalisation, se refusait d’adopter… Quand Kinski menace une fois de trop de quitter le tournage, Herzog lui dit, tout simplement, que, le cas échéant, il le tuera de huit balles dans le corps, gardant la neuvième pour lui-même… Et Kinski le croit. Il affirmera plus tard qu’Herzog était armé lorsqu’il l’a menacé. Ce dernier nie, affirmant que ce n’est là qu’un exemple supplémentaire de la tendance de l’acteur à enjoliver la réalité pour se donner le beau rôle. Mais il ne conteste pas que ses paroles étaient sérieuses…
 
Sur les autres tournages, ce sera souvent la même chose, ainsi, par exemple, pour Fitzcarraldo : Kinski est infect avec toute l’équipe du film, il hurle sans cesse, se plaint du moindre détail et en fait une montagne (le film en montre un exemple assez frappant, quand Kinski s’en prend, pour une fois, non pas à Herzog, mais au producteur). Les Indiens qui jouent dans le film en viennent, par l’entremise de leur chef, à proposer à Herzog de tuer Kinski s’il le leur demande ! Et, sur certaines scènes du film, la tension est palpable…
 
Tout doit orbiter autour de la planète Kinski : un forestier mordu par un serpent extrêmement venimeux est contraint de se couper le pied à la tronçonneuse pour survivre ? Kinski, qui se sent délaissé, fait un scandale parce que son café est tiède… Un petit avion avec à son bord plusieurs membres de l’équipe de tournage s’écrase dans la forêt, accident leur infligeant à tous des blessures extrêmement graves ? Nouveau scandale, nouveau caprice… Le grand acteur joue la diva, et il est insupportable pour tout le monde.
 
Enfin, presque tout le monde. Les actrices qui ont joué avec lui sur ces films, Claudia Cardinale, Eva Mattes, etc., en gardent un meilleur souvenir, celui d’un homme certes un peu excentrique, mais avant tout un comédien de génie, très professionnel, et toujours aimable avec elles… Un homme, ceci dit, dont elles perçoivent bien les multiples failles, et dont les colères et l’égocentrisme, bien souvent, ne servent que d’exutoire pour évacuer ses peurs – du contact physique, notamment – et le mettre en condition de jouer. Et de livrer au final des performances inoubliables…
 
Et Herzog continue donc de tourner avec Kinski. Lors d’une interview à l’occasion d’un festival aux Etats-Unis, les deux hommes, se retrouvant après un assez long moment, se jettent dans les bras l’un de l’autre, comme deux frères, les meilleurs amis du monde – ce qu’ils étaient sans doute sur le moment, même si, quelques mois plus tôt, Herzog avait sérieusement envisagé de mettre le feu à la maison de Kinski pendant qu’il se trouvait à l’intérieur… On demande à Kinski pourquoi il joue dans les films d’Herzog : « Parce qu’il est fou, et moi aussi. » Herzog confirme : « Nous sommes deux fous. »
 
Qui aime bien châtie bien, paraît-il. Et les deux hommes s’aimaient beaucoup, au fond. Il y a même une certaine complicité dans leurs chamailleries, dont Kinski est à vrai dire conscient. Herzog, par exemple, évoque l’autobiographie – presque totalement mythomane, à l’en croire – de Kinski, et les innombrables pages où ce dernier l’insulte avec une violence rare : Herzog serait un fou, un mégalomane, un incompétent, un réalisateur pitoyable, etc. Pourtant, Herzog raconte que ces pages ont été à peu de choses près écrites par lui, Kinski lui ayant confié que, s’il se contentait de dire du bien de lui dans son livre, personne ne l’achèterait ; et les deux hommes de feuilleter en riant le dictionnaire pour trouver les insultes les plus ordurières que Kinski pourrait employer dans son autobiographie pour critiquer Herzog…
 
La superbe affiche de ce beau documentaire, basée sur une photographie prise lors du tournage de Cobra verde, leur dernier film en commun, est ainsi très révélatrice de leur relation. Kinski, qui adopte ici son légendaire faciès de dément, menaçant Herzog de sa machette, était probablement conscient qu’un photographe rôdait dans les environs ; Herzog aussi, et ne cache pas un certain amusement… Pour cette fois.
 
Remarquable portrait d’un comédien génial et excentrique par celui qui est probablement le plus à même d’en parler, Ennemis intimes est ainsi un très beau documentaire, drôle et passionnant, ahurissant par moment, et à même de ravir tous les nombreux admirateurs de cet homme qui a su incarner la folie mégalomane comme aucun autre ne l’a jamais fait.

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"Le maître des illusions", de Clive Barker

Publié le par Nébal

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Titre original : Lord Of Illusions.
Titres alternatifs : Clive Barker’s Lord Of Illusions, Maître de l’illusion.
Réalisateur : Clive Barker.
Année : 1995.
Pays : Etats-Unis.
Genre : Fantastique / Horreur / « Film noir »
Durée : 1h44.
Acteurs principaux : Scott Bakula, Kevin J. O’Connor, Famke Janssen, Daniel Von Bargen…
 
Hop, un lieu commun pour commencer : Clive Barker est un homme aux multiples talents, comme on dit. D’abord et surtout connu et plébiscité en tant qu’écrivain de fantastique ayant révolutionné l’horreur (avec notamment ses Livres de sang) mais lorgnant également du côté de la fantasy plus ou moins horrifique (comme avec son excellent Imajica), il s’est aussi exercé au cinéma, que ses œuvres soient indirectement transposées (lui se contentant du scénario et éventuellement de la production, comme avec le très bon Candyman de Bernard Rose) ou qu’il se charge lui-même de les imprimer sur la pellicule, ainsi pour le fameux Hellraiser et, donc, Le maître des illusions, en 1995.
 
Une chose est claire : cela ne plaira pas à tout le monde. Déjà, quand Clive Barker fait dans l’horreur, il ne le fait pas à moitié ; certaines scènes de ses films, et notamment de celui-ci, sont particulièrement éprouvantes, et il ne refuse pas d’injecter un peu de gore à l’occasion. En même temps, Barker assume totalement ces films comme étant de pures séries B, et cela se sent. Pour certains, cela peut être rédhibitoire, mais pas pour moi…
 
Le maître des illusions s’appuie sur une nouvelle de Clive Barker intitulée « La dernière illusion », datant de 1985, et publiée dans les Livres de sang. Une étrange histoire, mêlant horreur, fantasy et « film noir », pour un résultat original et efficace.
 
Dès les premières minutes du film, en tout cas, l’ambiance est posée. Ca sera sordide et glauque… Le générique défile sur un fond d’images très travaillées de cadavres d’animaux dans le désert, pour un résultat assez intriguant, constituant une bonne entrée en matière. Nous sommes en 1982, dans le désert de Mojave. Un magicien du nom de Nix y dirige une secte fanatique, à la Charles Manson en pire encore. Il retient captive une petite fille, qu’il torture à l’occasion. Un jeune homme du nom de Swann, ancien disciple de Nix, arrive alors, accompagné de quelques amis, afin de délivrer la jeune fille. Il y a quelques victimes dans le combat qui s’ensuit, mais Nix a le temps de montrer ses véritables pouvoirs : il lévite, crée des flammes, suscite des illusions en enfonçant ses doigts dans le crane de Swann ; il confère en fait une partie de ses pouvoirs au jeune homme, désireux de le rendre fou, avant d’être abattu par sa captive. Swann lui fixe alors un étrange masque sur le visage, directement vissé sur le crâne (gueuh…).
 
Dix ans plus tard. Harry D’Amour est un détective privé dans la grande tradition du genre, avec une fâcheuse tendance à tomber sur des affaires étranges où le surnaturel a sa part (sur ce plan, il fait donc également penser à Harry Angel dans Angel’s Heart et à John Constantine – dans l’excellente BD Hellblazer, plutôt que dans sa version hollywoodienne très fade). Conduit par une enquête à Los Angeles, il tombe par hasard sur une scène horrible, un cartomancien du nom de Quaid étant torturé à mort par deux maniaques d’apparence vaguement skinhead qui parviennent à prendre la fuite.
 
Swann, entre temps, est devenu un illusionniste de renom. La nouvelle de la mort de Quaid (un des hommes qui l’avaient accompagné dans son expédition contre Nix) le perturbe. Sa femme, la sublime Dorothea (dont on comprend bien vite qu’elle est la jeune prisonnière de Nix libérée par Swann) s’en inquiète, et décide de contacter Harry D’Amour, mentionné dans le journal comme principal témoin de la mort de Quaid, afin d’enquêter sur cet assassinat pour éliminer tout danger concernant éventuellement Swann. Mais celui-ci, le soir même, meurt de manière horrible alors qu’il effectuait sur scène un nouveau tour… D’Amour se retrouve ainsi mêlé dans une étrange enquête dans le monde factice des illusionnistes ; mais les morts s’accumulent bien vite, les non-dits sont nombreux, et une magie plus « authentique » semble entrer dans la partie…
 
Le tout dans une ambiance très glauque. Dès le prologue, on est servi, et ça ne fait que s’aggraver par la suite. Certaines scènes horrifiques, relativement originales, suscitent un profond malaise chez le spectateur, et Clive Barker se montre dans l’ensemble un réalisateur compétent et efficace, en dépit de quelques fautes de goût de temps à autre. Certaines scènes sont assez remarquables, avec une petite touche d’humour assez appréciable, ainsi le très kitsch et expressionniste spectacle de Swann, suivi par une scène d’horreur remarquablement bien amenée, puis une scène d’action assez efficace. Ca fonctionne, et même très bien. Le mélange entre horreur, fantasy et « film noir » est assez bien vu, et l’on se prend aisément au jeu, cherchant, ainsi que D’Amour à percer le secret que cachent ces illusionnistes, faux-culs par définition. Le rythme se maintient tout au long du métrage, sans véritable temps mort.
 
L’interprétation est également assez correcte. Si Scott Bakula, en tant qu’Harry D’Amour, fait un peu « sous Harrison Ford », Kevin J. O’Connor compose par contre un Swann très convaincant (dans le genre cabotin, mais on ne s’en plaindra pas). Quant à Barry Del Sherman, dans le rôle de l’énigmatique maniaque Butterfield, il est assez effrayant, et fait fortement penser à Bob Geldof dans The Wall, du moins les scènes « nazies ». Enfin, Famke Janssen, outre qu’elle joue plutôt bien, est décidément très très belle, alors… heu… pardon.
 
Le principal intérêt du film, cependant, réside bien dans ses quelques débordements d’horreur très graphique et éventuellement surréaliste. Cela peut donner à l’occasion un côté un peu kitsch, impression renforcée par le budget que l’on supposera limité (même si les effets spéciaux sont dans l’ensemble très corrects, voire très bons, notamment dans les dernières scènes – je n’en dirais pas plus, mais le sort des derniers disciples de Nix constitue une scène d’horreur tout bonnement anthologique…). Mais le résultat est là : le film est assez angoissant, on sursaute régulièrement, on fait de temps à autre une moue de dégoût, et on en redemande.

Le maître des illusions est ainsi au final une série B d'horreur très sympathique et généreuse, assez représentative des délires les plus intéressants de Clive Barker. Pour ma part, j'ai passé un excellent moment devant ce film, et vous encourage donc à y jeter un oeil.

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"Nasty Hunter", de H. Tjut Djalil

Publié le par Nébal

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Titre original : Pembalasan ratu pantai selatan.
Titres alternatifs : Lady Terminator, The Revenge Of The South Seas Queen.
Réalisateur : Jalil Jackson (= H. Tjut Djalil).
Année : 1988.
Pays : Indonésie.
Genre : Action / Fantastique… Nanar
Durée : 1h22.
Acteurs principaux : Barbara Anne Constable, Christopher J. Hart…
 
 
Le plagiat est un art à part entière, dans lequel certains sont passés maîtres. A l’heure actuelle, les abominables productions types Asylum en témoignent assez, et le nanardeur ne peut s’empêcher de penser avec émotion au regretté Bruno Mattei, une des plus fortes figures du genre. Mais quand le plagiat se teinte d’exotisme, c’est aussi l’assurance d’un spectacle hors du commun, où le cheap et la mauvaise foi traditionnels en la matière se voient adjoindre une certaine dose de décalage culturel qui peut faire la différence et, d’un abject naveton, faire un réjouissant nanar. Preuve en est ce Nasty Hunter indonésien, également connu sous le nom de Lady Terminator (on se demande bien pourquoi…), qui, au royaume du mauvais goût, doit être quelque chose comme un haut fonctionnaire.
 
Effectivement, Nasty Hunter est un plagiat total du Terminator de James Cameron : de nombreuses scènes sont directement transposées d’un film à l’autre, et une des (lamentables) actrices se fend même d’un « Hi hi ! Regarde mes muscles ! On dirait Arnold Schwarzenegger ! » qui laisse pantois. Pourtant, ici, pas de cyborg ni de paradoxe temporel. Ah bon, ben c’est pas tant que ça un plagiat de Terminator, alors ? Eh bien si, mais qui n’en est que plus absurde…
 
Nasty Hunter est censé se fonder sur une légende indonésienne, « la légende de la reine des mers du Sud ». Ladite  reine est une vilaine sorcière nymphomane, qui baise à tout va les mâles de passage, et les tue à l’aide de sa seule foufoune (authentique). Mais survient un jour un aventurier occidental, qui résiste aux sortilèges de la sorcière, et use d’un objet magique pour vaincre son pouvoir diabolique. Celle-ci, furax, jure de se venger sur la descendance du sacripant, exactement 100 ans plus tard. Logique.
 
100 ans plus tard, donc. Nous sommes… Où ça ? Pas facile à dire… Parce qu’on est devant un exemple assez bouleversant « d’américanisation du produit ». La sorcière était très typée indonésienne, ainsi que son château, une bonne partie des décors et les trois-quarts du casting. Pourtant (et Nikita s’en explique très bien dans sa chouette chronique), le spectateur est vite pris d’un doute : il semblerait en effet que les auteurs du film cherchent à nous faire croire que l’action se déroule aux Etats-Unis, probablement du côté de Los Angeles… Mais, pour y croire, il faut vraiment être bon public, parce que cette Amérique-là ressemble quand même furieusement à Djakarta, et, si les « expatriés » sont assez nombreux parmi les acteurs principaux (pas tous, ceci dit), la quasi-totalité des seconds rôles et des figurants ne fait pas franchement WASP… Pour faire simple : on n’y croit pas deux secondes. On n’aurait rien eu à redire si le film se déroulait en Indonésie (d’autant plus que la légende, qui est évoquée directement, renvoie au folklore local) ; mais non, il faut que ça soit les Etats-Unis. Ah. Bon. Ben, la crise y a fait des dégâts, alors, et l’immigration y a été bien plus asiatique que latino-américaine (finalement, c’est peut-être de la science-fiction, du coup…).
 
Mais revenons à nos moutons. Une jeune et jolie (et stupide, mais cela va de soi) étudiante en anthropologie fait des recherches sur la légende de la reine des mers du Sud, et un vieux guignol (asiatique) lui remet un livre en lui disant que ça pourrait être dangereux. Elle s’en fout, elle n’est pas superstitieuse. D’ailleurs, elle s’embarque dans un petit bateau de pêche pour aller faire de la plongée là où est supposé se trouver le château de la sorcière (cette mer du Sud, on supposera donc qu’elle est à côté de Los Angeles, hein). Alors qu’elle frétille en bikini, elle se trouve soudain prise dans un truc bizarre, et on la retrouve dans une chambre glauque, où un serpent lui rentre dans le pilou-pilou (re-authentique). Ayé, elle est possédée par la sorcière, et va pouvoir accomplir la malédiction. Elle nage jusqu’à la plage, sort de la flotte toute nue (ben tiens), et tue deux jeunes couillons, de manière passablement gratuite, avec l’arme terrible que constitue son entrejambes.
 
Pour le moment, c’est pas très Terminator, je vous l’accorde (ça donne plus l'impression d'une série Z érotique et en principe horrifique). Mais ça arrive. En effet, la cible de la sorcière, c’est une insupportable dinde poussant la chansonnette ringarde (et elle aussi très typée, à la différence de la « terminatrice »), dernière descendante de l’aventurier occidental du prologue. Et c’est parti. La sorcière s’habille en cuir, garde une expression figée en permance, s’arme d’un véritable arsenal, et se met à dégommer tout sur son passage, étant pour sa part invulnérable aux balles. Comme dans Terminator, elle débarque dans une boite de nuit (là où l’autre grognasse fait son show – horrible séquence « musicale » qui nous est infligée en intégralité…), et dézingue du figurant à tout va. La chanteuse prend la fuite, aidée par un flic blondinet et ses potes (dont un personnage terrible, L’Homme A La Mulette Satanique, qui est à lui-seul un plaidoyer pour l’éradication impitoyable des odieux sadiques capillicoles) : les scènes de poursuite en voiture calquent celles de Terminator. Comme dans le film de James Cameron, la vilaine s’en prend ensuite au commissariat de police où la donzelle s’est réfugiée et tue tout le monde sur son passage. De même, elle se rend ensuite dans un hôtel… et se lance dans une auto-réparation pseudo-gore de son œil (une sorte de balle de ping pong qui fait « ploc » en tombant dans le lavabo), exactement comme dans Terminator… sauf qu’elle n’a jamais été blessée au visage et que, rappelons-le, elle n’est pas un cyborg ! Et ainsi de suite. Tout ou presque est repris à Terminator, en dépit du bon sens et du bon goût.
 
Un point positif, ceci dit : comme dans l’original, c’est rythmé et ça pète bien. Seulement c’est ridicule… et les dialogues tous plus affligeants les uns que les autres n’arrangent rien à l’affaire. On finit par en arriver à une ahurissante conclusion, où ça défouraille de partout, une maquette d’avion explose quand les potes du flics débarque dans un hélicoptère, lequel explose bientôt à son tour (mais a le bon goût de rester suspendu à un fil en nylon), quand la sorcière se transforme, non pas en squelette cybernétique, bien sûr, mais en une sorte de zombie raté qui émet des petits rayons lasers par les yeux.
 
Consternant. Un nanar sympathique, au final, même si on a vu bien plus mauvais. Par contre, on a rarement vu un plagiat aussi jusqu’au-boutiste et en même temps aussi invraisemblable…

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"Sanjuro", d'Akira Kurosawa

Publié le par Nébal

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Titre original : Tsubaki Sanjûrô.
Réalisateur : Akira Kurosawa.
Année : 1962.
Pays : Japon.
Genre : Aventure / Comédie dramatique / Jidai geki / Chambara.
Durée : 1h31.
Acteurs principaux : Toshirô Mifune, Tatsuya Nakadai, Keiju Kobayashi…
 
Akira Kurosawa est grand. Aujourd’hui, cette assertion fait à peu de choses près l’unanimité, même s’il n’en fut pas toujours ainsi. Et, à mon sens, un des aspects de son génie était son aptitude à œuvrer dans bien des genres différents, du jidai geki au film noir, du drame à la comédie. Preuve supplémentaire qu’il fut un temps où être un auteur n’impliquait pas de faire des films chiants et prétentieux… Car Kurosawa savait à l’occasion s’amuser sans se compromettre, et livrer des films avant tout voués au divertissement des spectateurs tout en accomplissant un travail irréprochable, digne du grand artiste qu’il était.
 
En 1961, Kurosawa remporte un beau succès populaire au Japon avec Yojimbo (Le garde du corps). Dans ce film plus léger que bien d’autres œuvres du maître, un de ses acteurs fétiches, à savoir Toshirô Mifune, incarne avec brio un rônin pouilleux et sarcastique qui libère une petite ville de l’oppression que lui infligent deux clans rivaux en jouant un double jeu, passant d’un bord à l’autre en fonction des circonstances. Parmi ses adversaires, le plus notable est incarné par un autre acteur fétiche de Kurosawa, Tatsuya Nakadai (que l’on retrouvera notamment une vingtaine d’années plus tard, tout simplement phénoménal dans Kagemusha et Ran). Kurosawa livre avec Yojimbo un excellent divertissement, très inventif dans le fond comme dans la forme, et rend par la même occasion un succulent hommage aux grands westerns qui ont toujours constitué une part importante de son inspiration. Ironie du sort : Yojimbo sera à son tour repris sous la forme d’un western, et pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit du génial et déterminant Pour une poignée de dollars de Sergio Leone, dans lequel un Clint Eastwood alors quasi inconnu reprend le rôle de Mifune…
 
Quoi qu’il en soit, l’astucieux mélange d’humour et de violence caractérisant Yojimbo fonctionne à merveille, et la Toho demande bien vite à Kurosawa de tourner une suite. Celui-ci accepte, mais n’entend pas bâcler le travail pour autant. Il sort donc de ses cartons un vieux scénario qui n’avait pu jusqu’alors être tourné et qui lui tenait à cœur, et y rajoute un peu de comédie et quelques combats supplémentaires pour y retrouver l’esprit de Yojimbo. Ce sera donc ce Sanjuro, sorti au Japon en 1962, et qui rencontre à son tour un beau succès.
 
De manière très logique, Kurosawa fait à nouveau appel à Toshirô Mifune pour incarner le rônin Sanjuro Tsubaki. Mais il engage également une fois de plus Tatsuya Nakadai pour incarner le principal adversaire de Sanjuro, bien différent de son personnage un peu puéril et sadique du précédent métrage ; il sera cette fois Muroto, un homme que tout oppose en apparence à Sanjuro : digne, majestueux, imposant le respect, une sorte d’archétype du samouraï fidèle à son maître, mais éventuellement aussi fourbe que lui. Et il est tout aussi convaincant dans ce rôle…
 
L’histoire débute alors que neuf jeunes samouraïs passablement stupides se sont réunis dans une maison isolée – et qu’ils supposent vide… – pour établir un plan d’action contre la corruption qui gangrène la région. Un des samouraïs est allé voir son oncle le chambellan pour dénoncer ce fléau, mais le vieil homme n’a rien voulu entendre, arguant que l’habit ne faisait pas le moine et que les jeunes gens ne savaient dans quoi ils mettaient les pieds. Le neveu, furieux, se rend donc auprès de l’inspecteur Kikui pour renouveler sa plainte ; celui-ci semble plus disposé à l’écouter, et suggère à ses camarades de se réunir pour dresser un dossier complet de la situation. Les jeunes gens sont aux anges de trouver un appui aussi solide… Mais surgit alors d’une pièce voisine un rônin tout dépenaillé, bourru, l’air encore un peu endormi, qui se plaint du boucan qu’ils font et les traite d’idiots ! Sanjuro, rien qu’en écoutant la conversation des jeunes gens, comprend que Kikui, à la différence du chambellan, fait partie des corrompus, et que sa suggestion de réunion était un piège, dans lequel les jeunes crétins sont tombés à pieds joints. Un bref coup d’œil à l’extérieur le confirme : la maison est cernée par les hommes de Kikui. Sanjuro cache les jeunes samouraïs, et se débarrasse à lui seul des importuns en faisant une brève et sèche démonstration de son habileté au sabre ; il s’attire dès lors l’admiration de Muroto, samouraï très charismatique et bras droit de Kikui. Les hommes repartent bredouilles, et Sanjuro, comprenant que la prochaine démarche de Kikui sera probablement de faire porter la responsabilité de la corruption sur le chambellan, en l’enlevant pour lui extorquer de faux aveux, et de faire passer les jeunes guerriers pour des rebelles, décide de venir en aide à ces derniers.
 
Débute alors une complexe partie d’échecs, où les plus brillants hommes des deux partis, Sanjuro et Muroto, rivalisent de ruse pour faire triompher leur cause. L’affrontement global tourne bientôt à la rivalité personnelle entre ces deux hommes que tout oppose a priori, mais qui n’en ont pas moins une franche estime l’un pour l’autre…
 
On retrouve dans Sanjuro tout ce qui faisait le sel de Yojimbo. Si l’action n’est pas omniprésente, elle n’en est pas moins rondement menée, ménageant de temps à autre quelques belles scènes de combat au sabre. Kurosawa en profite d’ailleurs pour se démarquer encore un peu plus du chambara traditionnel, fortement inspiré par le théâtre kabuki, tout en chorégraphies et grands gestes, qui avait jusqu’alors les faveurs du public et des studios. Chez Kurosawa, les combats sont plus brefs, plus rudes, plus violents : il s’agit pour le guerrier, non pas de multiplier les mouvements certes agréables à l’œil bien qu’inutiles, mais bien au contraire de tuer son adversaire d’un coup unique bien placé. Le fameux duel final entre Sanjuro et Muroto en est probablement le plus célèbre exemple. Et cette approche du combat au sabre, alors révolutionnaire, devait grandement influencer les films de chambara ultérieurs.
 
Les combats, s’ils sont impressionnants, sont assez rares cependant. Le véritable duel entre Sanjuro et Muroto est d’ordre tactique, passant par la lente élaboration de plans reposant en bonne partie sur le bluff : c’est à une partie d’échecs que se livrent les deux hommes, dans un sens, et Kurosawa est remarquablement efficace pour traiter de cet aspect de l’affrontement.
 
Mais Sanjuro, de même que Yojimbo, c’est aussi beaucoup d’humour : Toshirô Mifune est toujours aussi épatant dans son rôle de rônin blagueur, et il y a à l’occasion quelques scènes fort drôles, que le rire soit suscité par l’invraisemblable bêtise des jeunes samouraïs ou par le comportement un peu gnan-gnan de la femme du chambellan et de leur fille, libérées par Sanjuro, et qui cherchent à tout prix à dégager beauté et poésie de ce sordide affrontement… Mention spéciale à Keiju Kobayashi, dans le rôle d’un garde de Kikui fait prisonnier par les jeunes samouraïs et qui gagne progressivement leur cause : le running gag de ce « captif », en fait très libre de ses mouvements, qui sort régulièrement de son placard pour donner des conseils à ceux qui sont supposés être ses adversaires donne lieu à quelques scènes hilarantes, ainsi quand il se met à danser avec les jeunes gens tous fiers d’un récent succès sur un air de jazz totalement anachronique, avant de retourner dans son placard quand les jeunes gens le regardent d’un air interloqué… La musique de Masaru Sato, en effet, joue énormément sur l’atmosphère du film, alternant entre compositions traditionnelles, ambiances oppressantes et soudains délires guillerets plus ou moins jazzy, ce dont le célèbre thème de Yojimbo, ici repris pour la fin du film, donne une bonne illustration.
 
Dans Sanjuro, cependant, Kurosawa a choisi d’insérer en même temps une dimension un peu plus tragique que dans Yojimbo (quand bien même l’atmosphère de ce premier opus était déjà fort sombre). La femme du chambellan (« la dame » que Sanjuro, décidément mal-élevé, s’obstine dans un premier temps à appeler « la vieille ») et sa fille font certes rire, de par leurs remarques totalement déplacées dans le contexte du conflit contre Kikui. Mais « la vieille » dit un jour à Sanjuro une phrase destinée à le marquer à vie : « Les meilleurs sabres restent dans leur fourreau. Vous, vous êtes comme un sabre à nu. » Et Sanjuro de méditer cette sentence, de réfléchir sur la vie sanglante qu’il a mené jusqu’alors, et de souffrir dès lors terriblement chaque fois qu’il lui est nécessaire de prendre une vie. Aussi ne veut-il pas, au final, se battre contre Muroto ; mais tout le monde n’est pas à même d’adhérer à cette philosophie…
 
Pour finir, on ajoutera, sans surprise, que c’est divinement filmé, bien sûr…. La caméra se déplace avec grâce lors des combats, et quelques tableaux, à l’occasion, sont de toutes beauté (notamment dans les scènes impliquant les camélias et, bien sûr, le combat final).

Sanjuro, pour être principalement axé sur le divertissement, n'en est donc pas moins un grand film de Kurosawa. J'avoue y avoir préféré Yojimbo pour ma part, sans doute un peu plus nerveux et distrayant ; mais Sanjuro reste une grande réussite, un véritable modèle de chambara, et un divertissement de qualité.

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"Black Ninja", de Godfrey Ho

Publié le par Nébal

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Titre alternatif : Ninja: Silent Assassin.
Réalisateur : Godfrey Ho.
Année : 1987.
Pays : Hong Kong.
Genre : Actions / Arts martiaux / Ninjas… Nanar / 2-en-1
Durée : 1h25.
Acteurs principaux : Richard Harrison, Alphonse Béni, Pierre Tremblay, Stuart Smith, Grant Temple…
 
 
Ah, les ninjas… Les légendaires guerriers de la nuit, assassins sans pitié rejetant le bushido, espions imprévisibles et invisibles… Leurs légendaires tenues no… non, pardon : jaunes, roses, rouges, et de préférence qui pète bien. C’est qu’on est ici dans un film de Godfrey Ho, voyez-vous. Produit par Joseph Lai, qui plus est. Or les deux bonhommes sont parmi les plus impitoyables margoulins de l’histoire du cinéma, et on ne me fera pas croire qu’ils ne prenaient pas les spectateurs de leurs innombrables films de ninjas pour des cons (‘fin, en même temps, c’est bien légitime, hein…).
 
Godfrey Ho est le grand maître du 2-en-1 made in Hong Kong. Mais qu’est-ce donc qu’un 2-en-1, demande le jeune lecteur candide qui n’ose pas fréquenter Nanarland ? Eh bien, mon petit, un 2-en-1, chez le Monsieur en tout cas, ça consiste en ça : tu tournes (mal) des scènes toutes pourrites et quasiment sans scénario avec des gweilos (des blancs, quoi ; parce que c’est de toute façon destiné à l’exportation), et, pour que ça te revienne encore moins cher au final, tu complètes les séquences « originales » (faut l’dire vite…) avec des images extraites d’un petit film asiatique (philippin, thaïlandais, etc.) déjà tourné, qui n’a pas trouvé de distributeur, et dont tu as acquis les droits (enfin… peut-être ; parce que quand on voit la musique de ces films – Kraftwerk, Vangelis, Pink Floyd, ici le générique de Deux flics à Miami, etc. –, on se dit que le sieur Godfrey Ho a une conception bien particulière de ce qu’est la « musique de stock »…) pour pas cher du tout. Mais alors (dit le jeune candide), on a deux films abrégés et qui n’ont rien à voir entre eux ? Comment on fait pour que ça se tienne ? Eh bien sache, jeune candide, que ça ne se tient pas (ça, c’est fait) ; mais c’est pas faute d’avoir essayé, en usant de divers expédients, parmi lesquels la post-synchronisation, les champs / contre-champs destinés à faire croire (très maladroitement) que deux personnages qui ne jouent pas dans le même film discutent malgré tout ensemble, une variante très courante à base de conversation téléphonique (en plus, si le combiné du téléphone est en forme de Garfield, c’est carrément trop la classe) ou encore, petit détail que j’adore, le fait pour les personnages de se distribuer des photos des personnages de l’autre film en disant « il faut surveiller ce type »… Mais c’est scandaleux, et en plus c’est nul, s’exclame le jeune candide ! Oui, petit merdeux, mais c’est aussi très drôle, en témoigne ce Black Ninja du meilleur tonneau…
 
Un truc très alléchant, déjà : un casting de fous furieux, réunissant pas mal de trognes jusqu’alors vues surtout séparément. Jugez-en : Richard Harrison (qui n’en revient toujours pas d’avoir figuré dans autant de films de Godfrey Ho), Alphonse Béni (le Black Ninja, donc, très sémillant dans son costume jaune poussin, mais qui se prend à l’occasion pour l’inspecteur Harry), Pierre Tremblay (l’homme aux plans diaboliques, et qui peut recommencer autant de fois qu’il le veut, dans l’inénarrable – et c’est le cas de le dire – Flic ou ninja), Stuart Smith (le cabotinage effréné fait homme, une de mes idoles, personnellement), Paulo Tocha (vague sosie de Stallone, qui, pour reprendre la belle expression de Barracuda, fait ici « de la figuration à peine intelligente »)… N’en jetez plus, nous sommes déjà comblés…
 
Par contre, me demandez pas de raconter le film d’un bloc, c’est infaisable (et chiant, en plus) ; déconstruisons donc le 2-en-1.
 
La partie occidentale, pour commencer. Le début se passe en France, avec Alphonse Béni. Comment le sait-on ? Ben, facile, une bouteille d’Evian, et des baguettes de pain… Oui, mais attention : les baguettes servent en fait à dissimuler de la cocaïne ! Ca commence fort. Bon : pour faire simple, Alphonse Béni (Alvin) et son pote Richard Harrison (Gordon) sont, comme d’hab’, des agents d’Interpol. Les vilains trafiquants de drogue, aidés par des flics nécessairement corrompus, s’en prennent à Dirty Béni en envoyant des ninjas tuer sa femme ; Alphonse a beau les éliminer, vêtu d’un simple caleçon, la dame y passe (longue, longue scène d’agonie d’un ridicule achevé). Vengeance ! Avec son pote Richard Harrison, le Black Ninja va foutre la pâtée aux vilains (parmi lesquels, donc, Stuart Smith). D’où, régulièrement, ces magnifiques bastons en mousse qui arrivent comme un cheveu sur la soupe, avec les transformations ninjas à base de frénétiques moulinets des bras, les costumes ridicules, les apparitions / disparitions avec ou sans bombinette à fumée, les chorégraphies molles même quand elles sont accélérées, les acrobaties qui ne servent à rien, les armes qui apparaissent ou disparaissent comme par magie… C’est stupide, c’est ignoble, et on en redemande. D’autant plus qu’il faut bien reconnaître que le reste est assez chiant, même si, pour notre plus grand plaisir, les acteurs jouent atrocement mal (sans surprise), et les doubleurs se sont lâchés, multipliant les intonations ridicules et autres réparties stériles sous tranxène réservant quelques jolis éclats de rire (quelques extraits dans la chronique de Barracuda, d’ailleurs).
 
La partie asiatique est pas mal aussi, dans le genre (alors que c’est souvent là que le bât blesse, dans ce genre de productions). Le héros est un Chinois qui s’appelle Edmond (allons bon…) ; et Edmond est grave véner, parce que des méchants mafieux ont fait assassiner son pôpa. Alors lui aussi il veut se venger (original, hein ?). Le lien avec la partie occidentale ? Cherchez pas, c’est très léger (en gros, les chefs des méchants sont, de loin, les mêmes pour les deux films…). Mais Edmond part en croisade, donc, assisté de quelques potes à lui particulièrement funky (magnifique chorégraphie nanarde quand Edmond apprend la mort de son père), et d’une drôlesse prétendument très masculine. Edmond est particulièrement stupide, et c’est tant mieux : c’est ainsi avec une jubilation sadique qu’on le voit se ramener à tout bout de champ pour foutre des types à poil (à la recherche d’un tatouage en forme de phénix qui désignerait l’assassin de son père), provoquer des bastons, et fuir après avoir dit qu’on ne lui faisait pas peur. Le tout étant souvent hyper-accéléré, ce qui donne au final des grands moments de nawak bennyhillesque.
 
Bref, un chouette nanar à base de ninjas, qui repousse très très loin les limites du mauvais goût et de l’escroquerie.

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"Jason et les Argonautes", de Don Chaffey

Publié le par Nébal

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Titre original : Jason And The Argonauts.
Titre alternatif : Jason And The Golden Fleece.
Réalisateur : Don Chaffey.
Année : 1963.
Pays : Royaume-Uni ; Etats-Unis.
Genre : Péplum / fantastique.
Durée : 104 min.
Acteurs principaux : Todd Armstrong, Nancy Kovack, Gary Raymond, Laurence Naismith, Jack Gwillim, Nigel Green...
 
Le cinéma, dès ses origines, a eu, entre autres, une vocation pour le spectaculaire, en témoigne L’arrivée d’un train en gare de La Ciotat. Il ne s’agit ici, cependant, que de capturer le réel, dans une tradition « photographique ». Mais on trouve bien vite des auteurs d’un naturel plus poétique derrière les caméras, qui comprennent à quel point ce nouvel art peut se faire porteur de rêves et de réjouissantes illusions. Méliès, fasciné par la prestidigitation, fut probablement le premier maître de cette lignée, qui connut par la suite bon nombre de génies. Et, au-delà du vieillissement des effets spéciaux, à l’heure d’un tout-numérique hélas si souvent bien fade, il n’est sans doute pas inutile, à l’occasion, de se pencher sur l’histoire du genre et d’en ressusciter quelques pionniers, dont les visions surréalistes, en imprimant la pellicule, ont su tirer le meilleur parti de moyens souvent réduits pour susciter l’émerveillement du spectateur.
 
Et, dans cet histoire, Ray Harryhausen est un incontournable. Un cas unique, aussi, dans un sens : le monde du cinéma, trop souvent, ne retient le qualificatif « d’artiste » que pour les réalisateurs et les acteurs, et oublie les artisans de l’ombre – scénariste, directeur photo, monteur, compositeur, directeur des effets spéciaux, maquilleur… – qui ont pourtant parfois un rôle déterminant dans la réussite d’un film. Il y a des exceptions, certes, des génies qui ont su imposer leur nom sur le devant de l’affiche contre vents et marées. Et on en trouve même deux pour ce Jason et les Argonautes de 1963, réalisé par Don Chaffey : la bande-originale est en effet signée par le légendaire Bernard Herrmann, auteur de fabuleuses compositions pour, entre autres, Orson Welles, Brian DePalma et, surtout, Alfred Hitchcock ; mais intéressons-nous d’abord à Ray Harryhausen, donc, lequel, non content de diriger les effets spéciaux, co-produit en outre le film, sans doute une de ses plus grandes réussites (on peut noter qu’on le retrouvera aux côtés de Don Chaffey trois ans plus tard pour le cultissime, bien que très kitsch, Un million d’années avant Jésus-Christ).
 
En effet, il est inutile de se leurrer : le principal intérêt du film réside dans ses extraordinaires effets spéciaux ; Ray Harryhausen s’en est donné à cœur joie, et a réalisé quelques tours de force encore stupéfiants d’audace et d’inventivité aujourd’hui, quand bien même le temps y a nécessairement laissé sa griffe. Et quoi de mieux, alors, qu’un péplum fantastique pour laisser s’épanouir l’imagination dans un déferlement de fantaisie ? L’histoire de la quête de Jason pour trouver la fameuse Toison d’or était un sujet de choix, dont les auteurs ont su tirer le meilleur parti, en abandonnant d’ailleurs si nécessaire « l’authenticité » mythologique pour privilégier le spectacle (c’est du moins ce qu’il m’a semblé).
 
Rappelons l’histoire en quelques mots. L’usurpateur Aétès, favorisé par Zeus, s’empare du royaume de Thessalie et en tue le roi ; de crainte qu’un descendant de ce dernier ne cherche à se venger et à reprendre sa couronne, Aétès se rend dans le temple d’Héra et y tue les deux filles du roi défunt. Héra n’apprécie guère, et prédit à Aétès qu’il sera tué par un homme qui n’aura qu’une sandale, et qu’il s’agira de Jason, l’héritier légitime de Thessalie qui est parvenu à échapper au massacre ; elle affirme en outre qu’Aétès ne pourra tuer Jason sans se tuer lui-même. Zeus – un peu pataud, ici – accepte de jouer le jeu avec son épouse – qui n’a rien de la mégère de la légende… Bien des années plus tard, Jason rentre en Thessalie et, du fait d’une intervention d’Héra, sauve la vie d’Aétès sans même connaître l’identité de ce dernier, à qui il fait part de ses projets : il compte tuer Aétès et restaurer le moral du peuple et sa confiance en les dieux de l’Olympe – qu’il méprise un peu lui-même, ceci dit – en lui rapportant la légendaire Toison d’or, une peau de bélier magique qui se trouve dans la lointaine Colchide, et qui aurait le pouvoir de venir à bout de tous les fléaux. Aétès, qui reconnaît Jason et se souvient de la prédiction d’Héra, lui suggère de commencer par rapporter la Toison afin de s’assurer le soutien de tous, mortels et dieux. Jason accepte, Héra, en Olympe, lui offre son aide, et il monte bientôt son expédition, en sélectionnant pour équipage les meilleurs guerriers et athlètes de toute la Grèce (parmi lesquels le demi-dieu Héraclès – bon, ils disent Hercule, et on ne va pas pinailler… – et, à son insu, Acaste, le fils d’Aétès, qui compte bien saisir la moindre occasion de trahir son capitaine…), et tout ce beau monde embarque à bord de l’Argo, puissant navire construit par le fameux Argos. Mais Jason dilapide bien vite l’assistance d’Héra et les obstacles se multiplient ; il lui faudra pourtant atteindre la Colchide et s’emparer de la Toison d’or… et y trouver aussi l'amour, auprès de la belle Médée, grande prêtresse d'Hécate.
 
Très vite, le film devient un véritable festival d’effets spéciaux, servis au mieux par une réalisation dans l’ensemble académique, malgré quelques originalités (quelques scènes caméra à l’épaule notamment) ; l’interprétation, par ailleurs, n’est guère marquante, et, à vrai dire, Todd Armstrong ne m’a pas paru faire un Jason très charismatique, de même que Nigel Green est un choix étrange pour Hercule. C’est très correct, ceci dit, et l’on n’a de toutes façons pas le temps de s’ennuyer.
 
Les tous premiers effets spéciaux, étrangement, ne sont guère convaincants : les apparitions / disparitions d’Héra, la maladroite transformation d’Hermès en un géant et l’envol de Jason pour l’Olympe… Heureusement, cela va changer dès que l’Argo entame son périlleux voyage. Bien vite, les Argonautes abordent l’Île de Bronze, et doivent affronter le titan Talos, d’une taille colossale. Le monstre est assez lent, mais quelques passages sont particulièrement réussis, ainsi quand le titan enjambe un détroit pour s’emparer de l’Argo et le secouer en tous sens… Mais Ray Harryhausen, dans cette scène, n’a pas encore montré tout son talent. On en prend déjà davantage conscience à l’étape suivante, dans l’épique combat contre les harpies qui persécutent le devin aveugle Phinée, créatures ailées monstrueuses et remarquablement bien animées. Mais le premier grand morceau de bravoure suit bientôt, avec le passage du détroit des « roches broyeuses », quand surgit soudain un gigantesque triton – un acteur, cette fois – battant les flots de sa nageoire gigantesque et repoussant les falaises, laissant le champ libre à un Argo minuscule ; je défie quiconque, même aujourd’hui, de ne pas ressentir un subit accès d’émerveillement quand la titanesque créature surgit des flots… Suit au bout d’un moment un fort beau combat contre une hydre à sept têtes… et enfin, dernier morceau de bravoure, l’extraordinaire combat des Argonautes contre une troupe de squelettes à l’animation merveilleusement fluide et à l’incrustation parfaite ; on était bien loin du numérique, en ce temps-là, et pourtant le résultat est encore aujourd’hui sublime, les squelettes se déplaçant avec une harmonie remarquable dans une époustouflante chorégraphie, interagissant sans cesse avec le décor ; l’illusion est parfaite quand les épées et les boucliers s’entrechoquent.
 
Et la musique de Bernard Herrmann est la cerise sur le gâteau. Certes, ce n’est pas là une de ses plus brillantes compositions (Vertigo, Psychose, Pas de printemps pour Marnie, entre autres merveilles), mais c’est tout de même indéniablement au-dessus du lot, d’autant plus que, là encore, la musique semble tout entière vouée à servir au mieux les illusions de Ray Harryhausen. Aussi Herrmann n’hésite-t-il pas à recourir à des instruments inattendus pour « bruiter » les effets – c’est particulièrement flagrant pour ce qui est des squelettes – tout en construisant des mélodies entêtantes et efficaces, merveilleusement appropriées à ce qui se passe sur l’écran – ainsi la composition lourde et angoissante qui accompagne le combat contre Talos, ou le lyrisme épique du franchissement du détroit des « roches broyeuses ».
 
On a parfois désigné Hollywood du nom « d’usine à rêves ». Des films tels que celui-ci ne font certes pas mentir cette flatteuse réputation.

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