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Articles avec #nebal regarde des bons films tag

Daredevil (saison 1)

Publié le par Nébal

Daredevil (saison 1)

Marvel’s Daredevil, saison 1 (treize épisodes), 2015

 

J’ai été, à plusieurs époques, un gros consommateur de comics. Mais de manière un peu chaotique, et tout ça coûte bien cher… Il m’en reste cependant quelques traces, témoignant d’un intérêt toujours vivace, mais pas évident à gérer sur le long terme. Cela dit, mon éducation aux comics a eu lieu dans un cadre bien précis, souvent perçu aujourd’hui comme une navrante impasse : je m’y suis mis, en gros, tout gamin, vers la fin des années 1980 ou le début des années 1990, une période où les comics, bien loin de la fraîcheur et éventuellement de la naïveté associées au prétendu « âge d’or » (que je n’ai jamais creusé) et même à « l’âge d’argent » (envisagé plus tard, devenu adulte, mais presque uniquement sous l’angle Marvel), jouaient la carte de la noirceur et de la violence – on a pu en rendre responsables quelques grands titres des années 1980, notamment ceux d’Alan Moore (Watchmen au premier chef, mais d’autres choses aussi, comme Killing Joke, sans doute) ou de Frank Miller (avec là encore du Batman, décidément – Year One et surtout The Dark Knight Returns), autant de chefs d’œuvre que je ne découvrirais que bien plus tard. Mais ils avaient semble-t-il entraîné un mouvement de fond dans les comics, qui ont pour bon nombre d’entre eux emprunté cette voie, sans doute avec bien moins de brio… Cela dit, ce caractère sombre et violent s’accordait bien à mes goûts, hein. Le vrai problème à mon sens était plutôt – mais on l’envisageait comme un corollaire – l’épate visuelle, qu’on a bien vite associée de manière caractéristique au label Image (le bien nommé) tout récent, et qui réunissait cependant pas mal de gens que j’avais appréciés chez Marvel, comme Todd McFarlane, Jim Lee ou Alan Silvestri. Et là, pour le coup, oui, il y a peut-être eu une impasse…

 

Plus tard, il est devenu presque inévitable de regretter cette fâcheuse époque, et on a parfois tenté de retourner d’une certaine manière à ce qui se faisait avant – une chose qu’Alan Moore lui-même a volontiers accomplie, tout en étant justement associé au label Image (via les merveilles d’America’s Best Comics, mais aussi avec Suprême dans le label Awesome – ses épisodes de Wildcats, par contre, ne m’ont pas semblé présenter vraiment d’intérêt…). Mais la vague d’adaptations cinématographiques de ces dernières années – en affichant souvent une volonté ambiguë de « réalisme » – a plus qu’à son tour recyclé la période « sombre », avec plus ou moins de réussite. Plutôt moins… J’ai suivi pendant un temps les sorties en la matière, souvent désastreuses, toujours critiquables (à mon sens, le meilleur opus était le X-Men 2 de Bryan Singer, fun et bien pensé, mais je n’ai pas vu grand-chose depuis…).

 

Veuillez me pardonner cette petite introduction personnelle, mais elle me paraît avoir du sens au regard de ce qui va suivre…

 

Et donc Daredevil. Le justicier aveugle Matt Murdock n’avait pas forcément grand-chose pour m’attirer, j’imagine – si le fond du personnage est intéressant (mais ça ne ressort pas nécessairement du premier contact, il faut sans doute creuser quelque peu), son costume (encore que le rouge ait représenté un sacré progrès sur le noir et jaune originel) pas plus que ses facultés surnaturelles plus ou moins floues ne m’attiraient plus que ça… Pourtant, à l’époque, je m’étais quand même procuré L’Homme sans peur, scénarisé par Frank Miller et illustré par John Romita Jr, présenté comme un événement – et, oui, ça m’a fait de l’effet : c’était… différent.

 

Le souvenir en est resté – y apparaissaient des personnages marquants tels que Foggy Nelson, ou, autrement charismatiques, Stick et Elektra… Et, plus tard – quand Panini Comics s’est lancé dans la publications d’ « intégrales » (qui ne l’étaient pas vraiment, du coup) –, j’ai pu enfin lire le run de trois ans du jeune Frank Miller sur la série, au début des années 1980, qui avait radicalement redéfini le personnage et son univers – plus sombre que jamais, avec un héros passablement névrosé, une relation complexe avec Elektra, une atmosphère de polar suintant la corruption du fait de la seule présence du Caïd, bien plus subtil qu’auparavant (et notamment ses premières apparitions dans Spider-Man) ; avec aussi un graphisme superbe, très dynamique, sans doute passablement original pour l’époque (même si Miller n’avait pas encore pleinement développé sa patte caractéristique, c’était déjà très fort). Je suppose que, de la part de Marvel, le fait de confier cette série relativement « secondaire » à Frank Miller tenait peu ou prou du pari – mais il a été remporté au-delà de toute espérance : ces épisodes sont devenus cultes, redéfinissant le personnage sans vraie possibilité de retour en arrière, et se sont qui plus est semble-t-il très bien vendus…

 

Hélas, il n’est sans doute pas donné à tout le monde d’utiliser ce riche matériau pour en faire ressortir au mieux l’essence. En a témoigné le pathétique navet « signé » par un certain Mark Steven Johnson avec l’infect Ben Affleck dans le rôle de Matt Murdock ; cette merde odieuse pompait essentiellement dans les épisodes cultes de Frank Miller (avec notamment Elektra – qui s’est vu consacrer un film elle aussi, je n’ai pas eu le courage de le regarder…), mais avec un mauvais goût et une totale absence de talent atteignant des proportions épiques : en guise de résultat, un film moche, con et ridicule, un gâchis hideux qui avait de quoi écœurer les amateurs à jamais…

 

Tout récemment, cependant, Marvel via Netflix s’est lancé dans une adaptation de Daredevil en série. Et j’en avais entendu dire plutôt du bien, bizarrement… Curieux, j’ai donc fini par me lancer dans la chose – en supposant bien qu’une fois de plus, ce serait le Daredevil version Frank Miller qui passerait à la casserole : un Daredevil sombre et violent.

 

 

Mais je ne m’attendais certainement pas à ce que ce soit si sombre et violent.

 

Et ça m’a fait un choc : disons-le, c’est à l’occasion carrément gore (et Matt Murdock s’en prend vraiment plein la poire dans chaque épisode ou presque – à la Kick-Ass, peut-être ? Je ne connais que la BD)… Le gore, j’ai donné, je n’ai rien contre – mais il pose toujours ou presque la question de l’à-propos. Et, ici, je ne suis pas sûr que ce soit très pertinent… La violence extrême de la série peut certes se justifier d’une certaine manière, au regard donc de la période Miller, mais je redoute à vrai dire qu’elle contribue largement à dissuader les amateurs de la BD de se lancer dans l’expérience de la série ou de la prolonger… Ce qui est sans doute dommage. C’est bien, en tout cas, une caractéristique essentielle de la série, qui, pour le coup, tranche radicalement avec l’univers Marvel classique.

 

C’est d’autant plus étonnant, mais la série se montre pourtant parallèlement assez fine dans l’évocation du personnage (Matt Murdock, le justicier nécessairement aveugle, avocat – libéral – le jour et vigilante – fascisant ? – la nuit, catholique d’occasion saturé de remords et de péché, toujours obsédé par l’exemple de son boxeur de père et par la culpabilité découlant de son sort), de son cadre (Hell’s Kitchen, bien sûr, ce quartier de New York au nom délicieusement improbable et à propos) et de son entourage – avec une ribambelle de personnages pour la plupart tirés directement de la BD, et globalement très bien rendus (j’y reviens). On ne reconnaît donc probablement pas Daredevil dans cette débauche graphique de violence et de douleur – et pourtant tout est là, et de manière assez adroite, au fond. Et là, pour le coup, ça marche très bien, en fait : les diverses allusions à l’univers et aux personnages de la BD pourraient donner une impression de « fan service » un peu vain, mais ça va probablement plus loin que ça, et ça participe du statut assez ambigu de cette série, qui est bel et bien une adaptation (j’y reviens bien vite après The Man in the High Castle, décidément) – elle reprend bien des choses du matériau originel, mais en affichant d’emblée sa singularité…

 

Sous cet angle déjà, la série se montre autrement plus convaincante que le naveton de sinistre mémoire cité plus haut. Elle l’écrase aussi sur le plan technique (sauf peut-être sous l’angle de la bande-son, assez terne à mon sens – néanmoins supportable, tandis que le film abusait de soupes FM à s’arracher les oreilles…) : là où le long-métrage était moche, typique d’une réalisation de yes-man sans âme, et était qui plus est pénalisé par une incompétence totale en matière de combats, que ce soit sur le plan de la chorégraphie, du montage, de la vitesse, ce que vous voulez, la série affiche rapidement une esthétique assez remarquable, travaillée mais (le plus souvent du moins) sans esbroufe, et qui sait, le moment venu, se montrer d’un dynamisme et d’une fluidité dans les combats, le plus souvent joliment chorégraphiés, qui en font ressortir paradoxalement tant la violence qu’une certaine… élégance. Il y a des exceptions, certes – notamment, et c’est très fâcheux, le tout dernier combat de la saison… –, mais, globalement, c’est vraiment du bon travail.

 

Le principal atout de la série est cependant ailleurs à mes yeux – dans les personnages, et leur interprétation. Charlie Cox livre un Matt Murdock très correct, beau gosse certes, charismatique, mais aussi complexe – il fait le job avec une certaine aisance qui efface heureusement le triste souvenir de l’abject Ben Affleck. Au-delà, j'évacue d'emblée la fausse note en la matière : Karen Page, en gros la secrétaire de Nelson & Murdock, est à mes yeux très mal interprétée par Deborah Ann Woll, qui en fait des caisses, mais ne parvient pas à transmettre autre chose qu’une impression de dinditude assez navrante, bien loin du potentiel du personnage… Les autres, heureusement, sont globalement bons à très bons : Elden Henson livre un Foggy parfaitement Foggy, et Vondie Curtis-Hall un Ben Urich très charismatique et d’une bonne bouille, façon vieux sage faussement désabusé, qui colle pleinement au personnage. Du côté des rôles secondaires, Rosario Dawson livre une Claire Temple très juste – un personnage féminin autrement plus convaincant que Karen Page, donc, et j’ai un peu regretté qu’il ait été évacué de la sorte, passé les premiers épisodes… Dans l’entourage, mentionnons également Stick, qui apparaît le temps d’un unique épisode (ouvrant néanmoins des pistes pour une suite éventuelle), un personnage de salaud-mais-pas-seulement que j’ai toujours apprécié, et qui est bien rendu ici par Scott Glenn. Stick et Foggy apparaissent non seulement au cours de l’histoire, mais aussi au travers de flashbacks généralement bien conçus – et parfois étrangement poignants ; il en va de même, mais seulement dans les premiers épisodes, pour « Battlin’ » Jack Murdock, le père de Matt, plutôt bien rendu par John Patrick Hayden.

 

Et puis il y a le camp d’en face : des personnages secondaires corrects, comme James Wesley (Toby Leonard Moore) et Leland Owlsley (Bob Gunton), les « comptables », disons, ou Madame Gao (Wai Ching Ho) – le parti-pris de rassembler la pègre cosmopolite (notamment mafia russe, yakuzas et triades, chacun parlant tout d’abord dans sa langue natale), pourrait être ridicule – on est parfois à la limite –, mais en fin de compte ça m’a paru plutôt pertinent. La place d’honneur revient cependant comme de juste à l’antagoniste essentiel qu’est le Caïd (pas désigné sous ce nom dans la série) : Vincent D’Onofrio était fait pour incarner Wilson Fisk, ça tenait de l’évidence – physiquement, c’est lui, point. Il livre cependant une interprétation passablement déconcertante, sur la corde raide, et s’approprie ainsi le personnage (là où Michael Clarke Duncan, dans le navet cinématographique – pas un mauvais choix pour ce qui est de l’apparence, pourtant –, se contentait de faire le méchant unilatéral souriant cruellement en permanence, et passait donc à côté de l’essentiel) : Fisk a ses côtés terrifiants, bien sûr (avant tout dans la mainmise qu’il exerce sur la pègre et plus encore la police de New York – il est au premier chef un homme du contrôle, dont le pouvoir réside dans l’argent –, mais aussi dans ses crises psychotiques récurrentes – et comme dans la BD, Fisk se bat à l’occasion lui-même, dissimulant des muscles sous sa graisse, et sachant aussi bien encaisser les coups qu’en donner de terribles ; il n’hésite par ailleurs pas à tuer, bien sûr…), mais il ressort régulièrement ici comme un personnage étrangement… fragile, en fait (ainsi dans son rapport à son douloureux passé, et aussi dans sa relation à sa compagne Vanessa – Ayelet Zurer, correcte). Si le rêve qu’il affirme avoir pour Hell’s Kitchen peut laisser pour le moins perplexe un spectateur qui n’y croit guère, il fait pourtant passer une étonnante sincérité, et c’est notamment sous cet angle qu’il entre en compétition avec Matt Murdock – lequel a bien ainsi d’emblée sa Némésis.

 

La série bénéficie grandement de ces différents atouts, et m’a emballé sans peine. J’admets cependant qu’elle est critiquable par certains côtés – au-delà de la question préalable de l’ultra-violence, je n’y reviens pas. En sens inverse, en fait, c’est quand la présence « visuelle » du comic book a imprégné l’esthétique de la série que je me suis montré un brin sceptique, bizarrement – il en va ainsi pour le combat avec Nobu (laissant supposer, de même que l’épisode consacré à Stick, peut-être, que La Main aura ultérieurement son rôle à jouer ? Dans le même registre de la pure allusion, je note cette très vague mention d’Elektra lors d’un flashback, il semblerait qu’elle doive apparaître dans la saison 2 – de même que le Punisher ?), mais aussi, quand il arrive enfin, pour le costume de Daredevil (même si son « apparition » est relativement justifiée – mais j’aimais bien la dégaine simplement masquée, qui me renvoyait sans doute à quelques passages de Frank Miller ; c’est toujours le problème du rendu des costumes criards, parfaits dans une BD, souvent bien trop improbables dans les adaptations cinématographiques – amenées à couper la poire en deux en assombrissant le bouzin, façon cuir et kevlar, pour un résultat qui souvent ne convainc personne…). Je note enfin que la série, très convaincante dans les premiers épisodes, m’a paru, sur le tard, se montrer un peu plus inégale (le changement de show runner a-t-il joué, de Drew Goddard, créateur, à Steven S. DeKnight ? On annonce par ailleurs de nouveaux noms pour la saison 2) ; et je dois reconnaître que je n’ai pas vraiment été convaincu par le dernier épisode, qui m’a paru globalement bien trop expédié, et ne pas jouer toujours habilement de la terreur du Caïd (l’assaut de ses mercenaires est assez impressionnant, mais son combat final contre Daredevil, ainsi que mentionné plus haut, m’a paru tristement raté – a fortiori au regard des épiques bastons des précédents épisodes).

 

Le bilan de cette première saison est néanmoins très satisfaisant dans l’ensemble. Au-delà de la question de la violence, qui peut cliver, la série bénéficie de ses très bons personnages, pour la plupart bien rendus à l’écran. Elle affiche sa singularité quelque peu paradoxale, sachant piocher dans le matériau source, en se montrant pour l’essentiel respectueuse, mais pas servile. Cela faisait très longtemps que je n’avais pas vu de super-héros en film ou série, et c’est plutôt une bonne surprise.

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The Man in the High Castle (saison 1)

Publié le par Nébal

The Man in the High Castle (saison 1)

The Man in the High Castle, saison 1 (dix épisodes), 2015

 

Fut un temps où j’étais un gros consommateur de séries. Mais ça m’est largement passé – en même temps, sans doute, que je me détournais du cinéma – ce que j’espère temporaire, juste une question de motivation. Quoi qu’il en soit, la dernière série que j’avais regardée, après une longue absence, c’était la première saison de True Detective – qui m’avait franchement déçu… et dont je n’ai toujours pas regardé le dernier épisode, à vrai dire.

 

Pourtant, je lisais çà et là des avis enthousiastes sur telle ou telle série, et vais sans doute tâcher de m’y remettre – car j’ai enfin retenté l’expérience, et le format m’a plutôt convenu. Même si la série en question n’était pas forcément une de celles que j’avais vues particulièrement plébiscitées (à l’exception de son pilote, qui avait assez unanimement séduit, sauf erreur) – mais j’étais curieux…

 

The Man in the High Castle est donc l’adaptation du roman éponyme de Philip K. Dick (Le Maître du Haut Château chez nous), couronné par le prix Hugo 1963. Cette récompense n’est sans doute pas pour rien dans la célébrité de ce livre, peut-être le plus fameux de Philip K. Dick – à l’exception bien sûr de Blade Runner, originellement plus joliment titré Les Androïdes rêvent-ils de moutons électriques ?. Référence qui n’a ici rien d’innocent – au-delà du fait que la série est produite par Ridley Scott (même si sa mise en œuvre, pour l’essentiel, est semble-t-il le fait d’un certain Frank Spotnitz), nous sommes renvoyés au problème de l’adaptation… Or Dick n’est pas un auteur facile à adapter. Si Blade Runner est à n’en pas douter un monument de la science-fiction cinématographique, il n’en reste pas moins que cette variation sur le film noir évacue bon nombre des thèmes essentiels du roman dont il s’inspire : adieu le mercérisme et la prolifération des simulacres, place à la pure traque d’androïdes tueurs par un flic bourru ; et si, via les répliquants, on questionne bel et bien la notion d’humanité, c’est néanmoins d’une manière bien différente du roman…

 

Mais ce n’est pas grave. Car il s’agit bien d’une adaptation, et non d’une bête transposition. Le seul film, à ma connaissance, qui se montre tout particulièrement fidèle à l’œuvre dickienne qu’il reprend tout en développant un brio qui lui est propre est sans conteste le très bon A Scanner Darkly de Richard Linklater (adaptation de l’excellent roman éponyme, bêtement titré chez nous Substance Mort). Les autres adaptations sont bien plus libres, c’est rien de le dire… Ce qui n’en fait pas forcément de mauvais films : j’aime beaucoup Total Recall de Paul Verhoeven, tout à fait réjouissant et bien plus malin qu’il n’en a l’air, mais son action et son ultra-violence exacerbées n’ont certes pas grand-chose à voir avec les préoccupations dickiennes classiques ; du côté des séries B assumées, on peut aussi mentionner le correct Planète hurlante de Christian Duguay… Le reste est au mieux plus contestable : le Minority Report de Steven Spielberg a ses bons moments (le tout début surtout), mais est de plus en plus plombé par la machinerie hollywoodienne à mesure que le temps passe, jusqu’à une fin proprement insupportable… Même le très décrié (à bon droit) Paycheck de John Woo n’est pas totalement mauvais (même si, globalement…), mais c’est un film d’action surboosté, filmé le cul entre deux chaises (d’un côté hommage à l’Hitchcock aventurier façon Les Trente-Neuf Marches, Cinquième Colonne et surtout La Mort aux trousses, de l’autre jeu vidéo débile et excessif – une sorte de GTA, avec utilisation saugrenue d’objets à la façon d’un point’n’click – étrangement c’est dans cette toute dernière dimension que l’on retrouve le plus la nouvelle originale…) ; les chorégraphies bastonneuses de Woo n’ont certes pas grand-chose à voir avec Dick (et la fin du film est… bête ; et vulgaire ?). Je n’ai pas vu le vieux Confessions d’un barjo (non SF), ni L’Agence, Impostor et Next, dont je n’attends pas grand-chose…

 

Mais donc voilà : au-delà même du pillage dans des films ne s’inspirant pas directement de son œuvre, Dick a pas mal été adapté, donc, mais, à l’exception de A Scanner Darkly, ça a toujours été avec une grande liberté. On pouvait s’attendre à un traitement comparable pour The Man in the High Castle… ce qui présentait tout particulièrement un risque.

 

À cause notamment du pitch du roman – son argument de vente, autant le dire. Le Maître du Haut Château est à la base une uchronie où les nazis ont gagné la Deuxième Guerre mondiale. C’est loin d’être la seule, bien sûr, mais le roman de Dick est clairement présenté comme un classique du genre – tout particulièrement dans l’utilisation de la thématique nazie, devenue depuis un cliché (il y en avait déjà avant Dick, hein : dès le lendemain de la guerre, Le Son du cor de Sarban – non, toujours pas lu – jouait de cette carte). Je passe sur les détails spécifiques au roman (qui y ont leur importance, hein, mais on y insiste pas forcément dans la série – l’assassinat de Roosevelt, par exemple), pour m’en tenir à l’essentiel : au début des années 1960, le monde est dominé par les forces de l’Axe, et tout particulièrement les nazis et les Japonais, dont les relations sont de plus en plus tendues, dans un ersatz de guerre froide. Les États-Unis symbolisent cet état de fait : la majeure partie, à l’est, a été rattachée au Grand Reich ; à l’ouest, la côte du Pacifique est sous autorité japonaise ; entre les deux, on trouve une zone tampon neutre (suivant grosso modo les Rocheuses).

 

Le roman de Dick se déroule donc dans ce cadre très particulier – et aguicheur par bien des aspects –, mais étonne pas mal quant aux voies qu’il emprunte (peut-être en raison de l’utilisation du Yi-king dans son élaboration, à en croire la légende ? Le célèbre ouvrage de divination y joue en tout cas un grand rôle, et nombre des personnages du roman l’utilisent – ici, la série est effectivement très éloignée du roman, le Yi-king y devenant la marotte du seul M. Tagomi, et sans qu’on s’y attarde). En effet, ce cadre aurait en apparence tout pour être perçu à la façon d’une dystopie, un monde unilatéralement pire et cauchemardesque. Mais Dick se montre plus subtil : délaissant la zone sous occupation nazie, il s’attarde sur la côte pacifique et la zone neutre, pas nécessairement horribles (en comparaison tout du moins – elles sont essentiellement différentes, au-delà du jugement de valeur instinctif). Ses personnages, par ailleurs, n’ont pas grand-chose de héros de la Résistance, mais sont plutôt des quidams, des médiocres, pour beaucoup…

 

L’intrigue (s’il y en a une ?) explore en fait une préoccupation essentielle dans l’œuvre de Philip K. Dick : la notion de réalité. SPOILERS, les gens : on y trouve en effet un roman dans le roman, La Sauterelle pèse lourd, œuvre du « Maître du Haut Château », un écrivain du nom de Hawthorne Abendsen, qui fascine les habitants de ce monde en décrivant un univers alternatif où les Alliés ont gagné la guerre – mais, attention, ce n’est pas notre monde pour autant : il s’agit en fait d’une uchronie dans l’uchronie, une mise en abyme vertigineuse débouchant sur cet étonnant constat que le monde décrit par le roman est le vrai, en lieu et place de celui dans lequel vivent les personnages ; M. Tagomi, un industriel japonais – à mon sens le personnage le plus charismatique du roman –, en fait la déconcertante expérience, quand un bijou anodin en apparence lui procure une épiphanie au cours de laquelle il perçoit un monde différent – celui de La Sauterelle pèse lourd, ou le nôtre ? Le roman pose en fait beaucoup de questions, laissant à chacun le soin d’interpréter les divers éléments qu’il comprend pour en tirer d’éventuelles réponses.

 

On pouvait supposer que la série n’emprunterait pas cette voie déconcertante (disons-le, c’est un roman qui demande probablement à être travaillé, et peut exiger une certaine « maturité » : quand je l’avais lu une première fois, ado, je n’avais pas compris ce qu’on pouvait bien y trouver – quand je l’ai relu une dizaine d’années plus tard, à tout hasard, je me suis par contre pris une énorme baffe dans la tronche, qui m’a amené à lire tout Dick ou presque…), mais s’en tiendrait au clinquant du pitch, avec ce qu’il a de scandaleux – une campagne de promotion de très mauvais goût dans le métro new-yorkais s’est montrée éloquente à cet égard. Mais, en fait, elle se montre étonnamment subtile – malgré bien des ratés. Elle a été très diversement accueillie : dans certains cercles dickiens, on a détesté, y voyant une énième trahison de l’œuvre géniale du génial auteur de science-fiction… Voyez par exemple ceci (attention, ça déborde vraiment de SPOILERS) ; mais, à mon sens, cette lecture ultra-orthodoxe (que j’aurais à vrai dire envie de qualifier de « fondamentaliste » pour le coup…) passe à côté de l’essentiel, en s’attardant obstinément sur les différences littérales entre le roman et la série, hurlant au scandale à chaque fois ou presque… Je suis d’accord pour le Yi-king, donc, mais c’est à peu près tout. Le reste, les autres différences, m’ont paru globalement bien vues – que ce soit afin d’intégrer le récit dickien dans un cadre de série (avec sa mécanique qui lui est propre, et qui ne se serait guère accommodée du rythme assez lent du roman pas plus que de ses péripéties relativement anodines), ou d’en exprimer l’esprit quitte à multiplier les entorses à la lettre.

 

Parce que, oui, j’ai trouvé que cette série était bien plus dickienne que ce à quoi je m’attendais. Et ça a été une sacrée bonne surprise. Si les différences sautent aux yeux qui opposent les deux médias, elles sont néanmoins la plupart du temps tout à fait justifiées à mon sens – et notamment celle, essentielle, qui consiste dès le départ à remplacer La Sauterelle pèse lourd, le roman d’Hawthorne Abendsen, par un, et en fait bien vite des, film(s) d’actualité décrivant un monde alternatif.

 

Je m’attendais, dès lors, à une série s’attardant sur le côté dystopique de cet univers, avec une Résistance héroïque face au nazis (et aux Japonais qui leur seraient irrémédiablement assimilés). Cet aspect est bien présent dans la série, et s’écarte ici radicalement du roman – d’autant que nombre de scènes se déroulent sur la côte atlantique aux mains des nazis, tournant autour du personnage de l’Obergruppenführer John Smith (incarné par un Rufus Sewell au charisme glacé parfaitement approprié).

 

Le convoi des films vers la zone neutre (pour les donner au Maître du Haut Château ? Mais alors ce n’est pas lui qui les a réalisés ! Quelqu’un d’autre, du coup ? Il y a ici beaucoup de non-dits…) justifie le déplacement de Juliana Crain de San Francisco à Canon City (là où le roman fait vivre Juliana Frink dans la zone neutre). Juliana n’est pas une résistante (ni même fondamentalement hostile à la culture japonaise, elle qui pratique l’aïkido – au lieu du judo dans le roman) : elle hérite de ce film étrange en raison de l’investissement de sa demi-sœur Trudy Walker, abattue par les Japonais sous ses yeux. Désireuse d’en apprendre davantage sur le sens et l’importance du film, elle se rend donc sur place, et y rencontre Joe Blake, bellâtre de la Résistance new-yorkaise (à ceci près, twist de la fin du premier épisode, aussi ne me semble-t-il pas inacceptable de le mentionner ici, que ledit jeune homme est en fait un agent des nazis…).

 

Son acte inconsidéré, en tout cas, plonge son compagnon Frank Frink dans l’embarras – c’est rien de le dire… Arrêté et torturé par la police japonaise, cet artisan (dans une fabrique de fausses armes à feu…) qui se rêve en artiste (et conçoit à ses heures des bijoux) souffrira considérablement des pulsions de Juliana, sans doute inconsciente des répercussions de ce qu’elle a entrepris. C’est un aspect important de la série : les personnages y sont amenés régulièrement à faire des choix cornéliens, leurs actions comme leurs abstentions sont lourdes de conséquences, leur inconscience et leur ignorance pouvant les conduire à faire souffrir les autres – il y a ainsi un complexe questionnement « moral » qui sous-tend le récit en permanence, et les choix de ces « héros », en dépit de notre propre histoire et de notre inconscient collectif, pouvant nous inciter aux jugements simplistes, sont en fait difficiles à qualifier de « bons » ou « mauvais ».

 

Parallèlement, M. Tagomi, ministre du Commerce difficile à cerner, est impliqué dans une affaire d’espionnage avec le nazi (largement repenti, si c’est encore possible…) Rudolf Wegener, qui s’est rendu à San Francisco sous une fausse identité afin de fournir des informations techniques aux Japonais, censées les ramener au niveau du Reich afin de le dissuader, dans une perspective d’ « équilibre de la terreur », de se lancer dans une nouvelle guerre – ce que ne souhaite par ailleurs pas le vieillard Hitler, mais certains de ses anciens fidèles, tels Goebbels et Heydrich, tendent à considérer qu’il est bien temps d’aller de l’avant, en se débarrassant si nécessaire de l’encombrant Führer…

 

Enfin, toutes ces différentes voies, entre résistance et espionnage, impliquent des enquêtes complexes, confiées aux plus futés des personnages de la série – Smith, donc, mais aussi l’inspecteur en chef Kido des Kempeitai… Des gens du « mauvais » camp, chose que j’ai plutôt appréciée.

 

The Man in the High Castle, de par son format de série, mêle ces différentes intrigues dans un écheveau complexe, et en rajoute encore dans les détails. Avec plus ou moins d’astuce, certes… Disons-le franchement : cette série est bourrée de trucs qui ne fonctionnent pas. Je ne crois pas qu’un seul épisode soit exempt de tout défaut. On est certes loin du chef-d’œuvre, la faute, pour l’essentiel, à des personnages mal gérés, tout spécialement trois : le ridicule Marshall de la zone neutre, dans les premiers épisodes (une gueule ultra-caricaturale et c’est tout) ; l’antiquaire et plus ou moins faussaire Childan (très important dans le roman, dont on conserve contre toute attente la scène de « l’historicité », il est bien plus secondaire ici, et son rapport ambigu aux Japonais, notamment ses clients fétiches les Kasura, est desservi par un cabotinage navrant et des raccourcis peu crédibles) ; Heydrich, enfin, l’odieux nazi avec son accent à couper au couteau… Les personnages centraux, par ailleurs, connaissent régulièrement des défaillances, qu’elles proviennent de l’écriture ou de la direction d’acteurs (les scènes de ménage entre Juliana Crain et Frank Frink, notamment, sont assez pénibles)… Au-delà, la série souffre de traits propres au médium : elle multiplie les twists, parfois gratuits, souvent grossiers, et le montage parallèle se montre plus ou moins habile (même s’il autorise à l’occasion quelques très jolies scènes – par exemple à la fin de l’épisode 9).

 

Mais l’essentiel, pourtant, est ailleurs, et explique pourquoi j’ai globalement bien apprécié cette première saison, qui a constitué à mes yeux une bonne voire très bonne surprise. Je maintiens : les libertés prises par rapport au roman, ces « adaptations » (c’est bien le propos !) sont globalement bien vues ; si la lettre du roman est négligée, quoi qu’on ait pu en dire par ailleurs, je trouve que son esprit est bien rendu – et n’est-ce pas là l’essentiel ? Au-delà du rôle du Yi-king (là, effectivement, un aspect important a été mis de côté), The Man in the High Castle plonge des personnages relativement médiocres dans une intrigue qui les dépasse, et qui les amène à questionner la réalité de leur monde comme de leurs perceptions ; et, au-delà du jeu du chat et de la souris que cette intrigue implique, avec ses inévitables rebondissements sous-tendant le récit, et sans doute propres au format série, c’est donc bien – comme dans le roman – la notion de réalité qui est en définitive questionnée, avec un corollaire important : la notion de liberté. Celle-ci, dans la campagne promotionnelle, pouvait être envisagée uniquement à l’aune du critère dystopique – classiquement, des personnages résistants luttant contre l’emprise totalitaire d’une hideuse machine étatique. Mais, très vite, le questionnement se montre bien autrement complexe – notamment, ainsi que je l’ai mentionné plus haut, en confrontant les personnages aux graves conséquences de leurs actions comme de leurs abstentions, autant dire de leurs choix. On passe ainsi de la liberté, à connotation politique, au libre-arbitre, renvoyant davantage à la métaphysique – et c’est bien, en dernier ressort, la leçon que tire très vite M. Tagomi du Yi-king : le destin est en fait aux mains des hommes, qu’ils en aient conscience ou pas, et en dépit de leur insignifiance réelle ou supposée. Que cette interrogation précise soit dickienne ou pas importe peu, sans doute ; mais elle se double d’un questionnement de la réalité qui l’est indubitablement. Les conclusions des deux derniers épisodes, à cet égard, sont très fortes ; la série, à vrai dire, ne pouvait probablement pas mieux finir – tant pour ce qui est de sa mécanique propre, justifiant le cliffhanger, que dans son rapport à l’œuvre originelle, et enfin dans la définition et remise en question de ses personnages principaux (Juliana Crain à coup sûr, Joe Blake probablement, peut-être même Frank Frink).

 

On peut critiquer bien des choses dans cette première saison de The Man in the High Castle. Ça n’en est pas moins à mon sens une bonne et heureuse surprise, bien plus fidèle qu’on ne l’a dit, tout en jouant assez habilement de l’idée même d’adaptation. Je conçois que l’on puisse avoir une opinion autrement plus réservée, voire carrément hostile, mais, pour ma part, j’attends donc la suite avec impatience – en espérant qu’elle sera à la hauteur, ce qui n’est pas gagné, tant l’entreprise tient du défi de tous les instants…

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"Django Unchained", de Quentin Tarantino

Publié le par Nébal

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Réalisateur : Quentin Tarantino.

Année : 2012.

Pays : États-Unis.

Durée : 159 min.

Acteurs principaux : Jamie Foxx, Christoph Waltz, Leonardo DiCaprio, Kerry Washington, Samuel L. Jackson…

 

J’ai un rapport finalement assez banal, sans doute, à la filmographie de Quentin Tarantino. J’entends par là que j’ai adoré Reservoir Dogs, Pulp Fiction et Jackie Brown ; que j’aimais bien le voir « se compromettre » dans des débilités fraîches et réjouissantes chez ses potes, comme par exemple le très chouette Une nuit en enfer ; mais que quand il s’est mis lui-même à réaliser ce genre de débilités, de fausses séries B, des films « grindhouse » comme c’est qu’y disent, j’ai lâché l’affaire.

 

Kill Bill, ainsi, a été une énorme déception ; je pensais bêtement que ce film ô combien stupide et ô combien référentiel avait tout pour me plaire, et je me suis fait chier comme un rat mort (enfin, plus, parce que le rat, lui, au moins, il est mort). Ce film aussi navrant qu’interminable m’a fait l’effet d’un très mauvais pastiche, bricolé n’importe comment, de trucs bien plus intéressants que lui, et auxquels il n’arrivait pas à la cheville. Et c’est à vrai dire le seul intérêt que je trouvais encore à ses productions depuis : rendre accessible au plus grand nombre, votre serviteur inclus, des films exotiques et/ou oubliés souvent fort intéressants. Mais c’était tout. Et je n’ai du coup pas vu Boulevard de la mort (dont j’avais entendu dire beaucoup de mal il est vrai), ni Inglorious Basterds, ni, jusqu’à récemment, Django Unchained.

 

Mais le cas de ce dernier m’intriguait, a fortiori, dois-je dire, depuis que je me suis lancé dans la lecture de westerns, accompagnée de quelques films de temps à autre, et notamment des westerns spaghetti, parmi lesquels – mais c’était avant, ça – le Django de Sergio Corbucci. Certes, je me doutais que ça n’avait pas forcément grand rapport (et ça s’est vérifié, malgré la chanson du générique ou le cameo rigolo de Franco Nero…), mais bon : ça m’intriguait. Désœuvré dans mon exil périgourdin, je me suis donc procuré la chose, et l’ai regardée.

 

Ben vous savez quoi ? Ça a été plutôt une bonne surprise. En tout cas, je me suis pris au jeu. C’est complètement stupide, c’est ignoblement complaisant (Tarantino s’est fait plaisir, en en faisant des caisses pour le fan avide de giclées d’hémoglobine), ça cabotine à donf, mais ça marche. Au point que ça en devient même jubilatoire. Enfin, j’ai trouvé. Aussi, sous cet angle, si Django Unchained, de par son caractère de débilité ultra référentielle, s’inscrit dans la filiation de Kill Bill, c’est avec bien plus de réussite et d’astuce (on n’ira pas jusqu’à parler d’intelligence, hein).

 

Le « scénario » (oscarisé, cette blague...) brille par son inexistence ; il est surtout pas crédible pour un sou, et bricolé complètement à l’arrache pour fournir prétexte aux scènes que Tarantino avait envie de tourner. Certes, quand on voit le Django de Corbucci, il y a de ça… Mais là, une fois de plus, ça va loin…

 

Nous sommes donc peu de temps avant la guerre de Sécession. King Shulz (Christoph Waltz, très bon dans le registre cabotin bavard), faux dentiste et vrai chasseur de primes, libère l’arme au poing l’esclave Django (Jamie Foxx, charismatique), celui-ci devant lui permettre d’identifier trois criminels « travaillant » dans une plantation. Ce qui tombe plutôt bien, c’est que les trois types en question sont ceux qui ont fouetté Django et sa femme lors de leur récente tentative de fuite… Mais, pour des raisons que la raison ignore, Shulz propose à Django de rester avec lui quelque temps, puis d’aller retrouver sa femme où qu’elle se trouve. Django devient ainsi chasseur de primes à son tour, et les deux compères ne tardent pas à rejoindre Candyland, l’infâme propriété de l’ignoble Candie (Leonardo DiCaprio, pas mauvais), toujours ou presque accompagné de sa caricature de majordome noir (Samuel L. Jackson, aussi épatant et drôle que terrifiant). Et ça bavarde pas mal (on est dans un Tarantino), avant de dégénérer dans le bain de sang, bang bang (on est dans un Tarantino), jusqu’à finir dans une sorte d’apocalypse de mauvais goût où le western est quasiment remisé au placard pour céder la place à un délire surréaliste de blaxploitation gore.

 

Non, ça ne brille pas exactement, ni par la finesse, ni par la crédibilité. Mais ça marche. Dans les dialogues piquants, on retrouve même un peu du premier Tarantino, aux abonnés absents sous cet angle dans Kill Bill. C’est spirituel et enlevé, et souvent marrant. Si le discours anti-raciste asséné avec la subtilité d’un semi-remorque à pleine bourre est parfois un peu saoulant à force d’en rajouter dans l’ignominie, dans une surenchère d’ailleurs là encore pas mal complaisante, il autorise néanmoins quelques jolies scènes, comme celle, véritablement hilarante, des cagoules du proto-Ku Klux Klan : là, on reconnaît le Tarantino des débuts, et ça fait du bien. Et puis, reconnaissons-le, c’est visuellement très bien fait, rythmé et cinglant. Le film est probablement un peu trop long, mais il remplit son contrat.

 

Aussi, je ne peux que reconnaître avoir passé dans l’ensemble un très bon moment devant Django Unchained, qui m’a fait l’effet d’une bonne, voire très bonne surprise. C’est vulgaire mais jouissif, idiot mais efficace. Je regrette toujours autant le Tarantino première manière, mais j’accorde une note plus qu’honnête à cette débilité rigolote, et même, tiens, le bénéfice du doute à Inglorious Basterds, que je vais peut-être essayer de voir un de ces quatre. Et très franchement, je n’en attendais pas autant.

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"Harakiri", de Masaki Kobayashi

Publié le par Nébal

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Titre original : Seppuku.

Titre alternatif : Hara-Kiri.

Réalisateur : Masaki Kobayashi.

Année : 1962.

Pays : Japon.

Durée : 127 min.

Acteurs principaux : Tatsuya Nakadai, Akira Ishihama, Shima Iwashita, Tetsurô Tanba, Masao Mishima, Ichirô Nakatani, Kei Satô …

 

Il y a quelque temps de cela, je vous avais entretenu du magnifique Kwaïdan de Masaki Kobayashi, superbe adaptation des contes de Lafcadio Hearn. C’était le premier film de Kobayashi que je regardais, et quelle baffe ! À n’en pas douter, il figure parmi les plus beaux films que j’aie jamais vus (japonais ou pas). Mais, à l’époque, nombre de gens de bon goût m’avaient intimé de voir également Harakiri, avec l’immense Tatsuya Nakadai, film un poil antérieur et scénarisé par Shinobu Hashimoto (auquel on doit notamment, et ce n’est pas rien, la superbe adaptation de Rashômon, d’après Akutagawa, par Akira Kurosawa, et, pour le même réalisateur, Les Sept Samouraïs). Dès que j’ai trouvé la bête, je m’en suis donc emparé… Même si le visionnage a dû attendre.

 

Et celui-ci ne s’est pas déroulé dans les meilleures conditions. J’ai en effet eu la mauvaise idée de regarder ce film avec mes parents… qui l’ont trouvé insupportable et n’ont cessé de brailler dans mes oreilles de fines réparties hautement spirituelles, variations sur le thème « Ils sont fous ces Japonais »… Béotiens ! Mais cela ne m’a heureusement pas empêché de prendre pour ma part une baffe kolossale devant ce superbe film, que l’on n’hésitera pas un seul instant à qualifier de chef-d’œuvre. Eh certes. Alors merci les gens de bon goût qui me l’ont conseillé.

 

Nous sommes au Japon, à Edo si je ne m’abuse, au XVIIe siècle. Le shogunat Tokugawa inaugure une longue période de paix, contrastant avec les sanglants affrontements des ères antérieures. En conséquence, nombre de clans sont dissous, ce qui met à la rue tout un paquet de samouraïs devenant dès lors des ronins contraints à la misère la plus noire. Un jour, l’un d’entre eux, Hanshiro Tsugumo (Tatsuya Nakadai, donc), se présente devant le palais du clan Ii, et demande la possibilité d’y exécuter le suicide rituel que l’on dit « harakiri », mais qui devrait être dit « seppuku » (c’est d’ailleurs le titre original), sauf erreur. L’intendant le reçoit, et lui conte une histoire afin de le dissuader d’accomplir cet acte fatal ; celle d’un autre ronin, qui s’était de même présenté au clan quelque temps plus tôt dans le même but… et pour qui cela s’était très mal fini. En effet, le clan sait que nombre de ronins d’une extrême pauvreté prennent ce prétexte du harakiri pour quémander une place, ou du moins une aumône… Mais Tsugumo assure que ce n’est pas son cas, et l’on prépare la cérémonie. Mais le temps qu’arrive l’homme qui doit lui donner le coup de grâce, selon les formes de ce suicide rituel, lui aussi se met à raconter une histoire ; son histoire…

 

Je n’en dis pas plus (et peut-être en ai-je déjà trop dit, mes excuses si c’est le cas ; attention pour la suite, du coup…). Mais sachez que le scénario est d’une astuce diabolique, et transforme ce film quasiment dénué d’action et très bavard en un excellent thriller des plus palpitants, à la construction audacieuse avec ses nombreux flashbacks. Le film dans son ensemble est imprégné d’une tension extrême, d’une gravité étouffante et fascinante. Les dialogues, brillants, sont en permanence sur le fil du rasoir, et, entre Tsugumo et l’intendant, c’est bientôt un duel qui se joue…

 

Au-delà, nous avons également affaire à un drame poignant, qui ne saurait laisser indifférent. Et, surtout, le film en son entier est sous-tendu par une virulente critique de la société japonaise traditionnelle et de son hypocrisie foncière ; le prétendu « code d’honneur » des samouraïs y est plus qu’égratigné, dans une charge virulente qui trouve également à s’appliquer au Japon contemporain (et sans doute au-delà). Bas les masques !

 

Visuellement sublime, d’un beau noir et blanc autorisant des cadrages magnifiques, et jouant sur la dynamique et le mouvement avec brio, Harakiri est en outre brillamment servi par une interprétation parfaite, notamment de Tatsuya Nakadai, donc (son rire est particulièrement terrifiant…).

 

Une sorte « d’anti-chambara », peut-être ? En tout cas, Harakiri est à n’en pas douter un chef d’œuvre : la plastique irréprochable, l’écriture parfaite, l’interprétation sublime, s’allient pour livrer un film aussi passionnant et divertissant qu’intelligent et rude. Splendide.

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"Sade", de Benoît Jacquot

Publié le par Nébal

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Réalisateur : Benoît Jacquot.

Année : 2000.

Pays : France.

Genre : Drame / Historique.

Durée : 100 min.

Acteurs principaux : Daniel Auteuil, Marianne Denicourt, Jeanne Balibar, Grégoire Colin, Isild Le Besco, Jean-Pierre Cassel…

 

Je ne prétendrai pas le contraire : en tant que vil suppot de l’Anti-France, je suis bouffé par les préjugés en ce qui concerne le cinéma français, a fortiori contemporain, et je ne dois pas avoir vu beaucoup de films français plus récents que ce Sade de Benoît Jacquot sorti en 2000 (y en a-t-il eu, d’ailleurs ?).

 

Sans rien connaître de l’œuvre de Benoît Jacquot, j’ai toutefois fait une exception pour ce film-ci. En effet, le thème me parlait : admirateur fasciné du marquis de Sade, et qui plus est passionné par l’histoire de la Révolution française, j’étais curieux de voir ce que cette reconstitution pouvait bien donner. Et puis, malgré mon appartenance à l’Anti-France, donc, je dois confesser que j’aime bien Daniel Auteuil, en règle générale, et que j’étais curieux de le voir endosser le rôle du divin marquis (auquel, faut-il le préciser, il ne ressemblait pas du tout : à cette période de sa vie tumultueuse, Sade, sauf erreur, était déjà obèse…).

 

J’ai donc vu ce film peu de temps après sa sortie, et l’ai revu régulièrement depuis ; et le verdict est resté le même à chaque fois : c’est tout à fait bien (sans être transcendant pour autant, mais ça vaut amplement le détour), et Daniel Auteuil y est à mon sens formidable (et bien secondé ici par la jeune Isild Le Besco, très convaincante ; d’autres acteurs brillent moins, hélas – je pense en particulier à Jeanne Balibar et Grégoire Colin, que je ne peux m’empêcher de trouver très mauvais…).

 

Nous sommes en 1794. Sade (Daniel Auteuil, donc), aristocrate athée et pornocrate dont la famille a émigré, est enfermé à la prison de Saint-Lazare. Il obtient néanmoins un passe-droit, du fait de l’intervention de sa chère Sensible (Marianne Denicourt) auprès de son amant du moment, le jacobin Fournier (Grégoire Colin) ; Sade intègre ainsi le couvent de Picpus, où il peut espérer survivre à la Terreur, en compagnie de ci-devant nobles en sursis et autres « ennemis de la République » supposés. Il y fait la rencontre de plusieurs personnages, dont on retiendra surtout la jeune et fraiche Émilie de Lancris (Isild Le Besco), sur laquelle il ne manque pas d’exercer une certaine fascination trouble.

 

Mais la Terreur se rapproche pourtant ; la guillotine est installée aux portes du couvent, le terrain est réquisitionné pour les charniers (notons d’ores et déjà un plan fabuleux, le plus beau du film assurément – et peut-être le plus sadien –, sur une fosse commune où s’entassent les corps nus décapités…), et Sade, incarnation de l’athéisme, fait figure de bête noire pour Robespierre, qui instaure alors son culte de l’Être suprême…

 

Le projet du film était assez audacieux : porter sur les écrans une partie méconnue de la biographie de Sade (et laissant dès lors libre cours à l’imagination), c’était risquer de « trahir » ce personnage ô combien fascinant, et de succomber à la caricature si tentante en la matière. Ici, si l’on excepte deux, trois grognements (et notamment la scène où Sade se fait fouetter – laquelle, cependant, aurait pu sombrer dans le ridicule, mais parvient à l’éviter sur le fil du rasoir), le rendu est ma foi plutôt bon et, si l’on excepte la question du physique du marquis déjà évoquée, le Sade interprété par Daniel Auteuil sonne vrai. Il faut dire que le film, bien écrit, est parsemé d’allusions assez finement choisies, piochées dans la biographie de l’auteur de Justine, qui peuvent paraître obscures au spectateur lambda, mais résonnent différemment auprès d’un sadien tel que votre serviteur (si j’ose employer ce terme…) : la manie des nombres, la persécution supposée de la belle-mère, le rôle au sein de la section des Piques, l’erreur sur son prénom, le théâtre et les « tableaux vivants »… Des détails, peut-être, mais qui participent de l’élaboration du personnage, d’une manière plutôt intéressante. Certes, ce n’est pas n’importe quel Sade qui nous est montré ainsi, mais bien une reconstitution « orientée » : le Sade de Daniel Auteuil, avant d’être un affreux pervers, est d’abord et avant tout un philosophe épris de liberté, farouchement athée, homme de lettres frustré… Quelqu’un de plutôt sympathique, finalement, et même attachant ; on comprend, à travers cette interprétation, non seulement la fascination bien compréhensible qu’il exerce sur la jeune Émilie de Lancris, mais aussi l’amour que lui voue Sensible…

 

Se posait en outre la périlleuse question de l’érotisme, voire de la pornographie, inhérente au sujet. Le film procède là encore essentiellement par allusions, plus ou moins grivoises, plus ou moins franches, jusqu’à la dangereuse mais finalement tout à fait réussie scène « d’initiation » de la pucelle, qui joue sur la manie théâtrale de Sade, et se montre très légèrement plus suggestive – juste ce qu’il faut, en fait. Assez intéressant.

 

On a donc ici un rendu assez « intellectualisé » de Sade, mais sans excès (on ne sombre pas dans les pénibles travers, à mon sens, du Salo de Pasolini, qui m’a beaucoup déçu), et sans oublier le charnel et le sensuel, mais là aussi de manière relativement diffuse. C’est assez fin, en somme, et c’était sans doute le meilleur traitement, le plus approprié, pour le sujet.

 

Au final, ce film a donc constitué pour moi une bonne surprise, et je le revois régulièrement avec un plaisir intact. Malgré ses quelques défauts, Sade est à mon sens une réussite, et c’était pas gagné d’avance…

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"Le Festin chinois", de Tsui Hark

Publié le par Nébal

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Titre original : Jin yu man tang.

Réalisateur : Tsui Hark.

Année : 1995.

Pays : Hong Kong.

Genre : Comédie.

Durée : 100 min.

Acteurs principaux : Leslie Cheung, Anita Yuen, Chiu Man Cheuk, Kenny Bee, Xiong Xin Xin …

 

Tsui Hark encore, mais avec un film bien différent de Time and Tide. Dans Le Festin chinois, on troque en effet les flingues (sauf pour une scène ou deux, notamment dans la version « internationale »…) contre des ustensiles de cuisine. Kung food ! Entendez par là que nous sommes en présence d’une pure comédie, au thème culinaire, dans laquelle la préparation de plats tous plus saugrenus les uns que les autres est filmée à la manière d’affrontements martiaux typiques d’un certain cinéma de Hong Kong. Une comédie, oui ; on pourrait même dire « familiale », sans doute (et je crois même me souvenir qu’il s’agit d’un film appartenant au genre bien spécifique de la « comédie de Noël », ou quelque chose de ce type). Or on sait, pour l’avoir constaté dans bien d’autres métrages, que Tsui Hark est assurément capable de nous faire rire…

 

Sun (Leslie Cheung, très bon dans le genre cabotin, comme le reste de la distribution d’ailleurs) est une petite frappe qui rêve de devenir cuisinier (ça arrive). Et, tant qu’à faire, il aimerait bien partir pour le Canada, où se trouve sa petite amie… Les hasards de la vie (un peu forcés…) vont cependant l’amener à travailler pour un restaurant de Hong Kong, où il va rencontrer la fille du patron, complètement cinglée, Au Ka-Wai (Anita Yuen, parfaite et, disons-le, absolument craquante) ; c’est bien évidemment le début d’une belle histoire d’amour (d’autant plus belle qu’elle se montre loufoque).

 

Mais un salopard fini de grand cuisinier, Wong, vient lancer un défi au patron du restaurant : il s’agit d’exécuter le Festin chinois, une préparation dantesque de plats dépassant l’imagination, sur trois jours ; le vainqueur… empochera le restaurant. Le patron n’est guère en mesure de rivaliser, et sa fille comme Sun ne sont pas vraiment capables de lui venir en aide… Ils se mettent donc en quête d’un grand maître de la cuisine chinoise, à même de foutre une branlée à l’infect Wong.

 

Étrange projet, donc, que celui de ce Festin chinois. Une comédie sur la bouffe, où la cuisine est filmée comme du kung fu ? Cela a sans doute de quoi laisser perplexe dans un premier temps. Et, parfois, dans un second aussi : disons-le, le caractère « familial » de ce film ne passe pas toujours très bien et, surtout, le spectateur occidental se retrouve parfois avec un gros choc culturel dans la face, l’humour chinois pouvant être quelque peu déstabilisant, ou consister ici en gags un peu gras ou grivois (j’ai du mal avec la scène du poisson énorme…). Mais que cela ne constitue pas un frein : si un spectateur adulte et européen ne rit probablement pas toujours autant que le film le voudrait, on rit tout de même énormément, et Tsui Hark remporte bel et bien son pari.

 

Oui, Le Festin chinois est une comédie culinaire ; c’est aussi un film très bien interprété (dans le genre cabotin, répétons-le), superbement filmé (eh : c’est Tsui Hark), et qui donne sacrément faim… Les scènes de cuisine sont à chaque fois un régal, délires martiaux aussi virevoltants et surréalistes qu’appétissants. Tsui Hark serait capable de vous donner envie de bouffer une patte d’ours polaire cuisinée à l’azote…

 

Et puis Le Festin chinois est aussi un film qui donne le sourire. On se prend très tôt d’affection pour les personnages principaux, notamment ce loser gaffeur de Leslie Cheung, et l’excentrique japonisante Anita Yuen ; mention spéciale, d’ailleurs, à l’hilarante « séquence japonaise », que j’avais complètement oubliée…

 

Le film, que j’ai revu pour la énième fois avec beaucoup de plaisir, accumule ainsi les morceaux de bravoure, dans les registres culinaire, burlesque, martial, surréaliste, parodique, etc. Les gags s’enchaînent à toute vitesse et, si tous ne font donc pas mouche pour un spectateur occidental, le résultat global est quand même des plus savoureux.

 

D’ailleurs, j’ai faim. Voilà. Merci monsieur Tsui Hark !

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"Time and Tide", de Tsui Hark

Publié le par Nébal

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Titre original : Time and Tide.

Réalisateur : Tsui Hark.

Année : 2000.

Pays : Chine (Hong Kong).

Genre : Action / Comédie / Policier.

Durée : 113 min.

Acteurs principaux : Nicholas Tse, Wu Bai, Candy Lo, Cathy Tsui, Anthony Wong Chau-Sang, Jun Kung…

 

Je ne saurais en aucun cas prétendre être ne serait-ce qu’un simple connaisseur du cinéma de Hong Kong. Mes lacunes sont terribles en la matière, et j’ai vu fort peu de films antérieurs à 1990. Mais, malgré tout, s’il est un réalisateur de là-bas qui me parle tout particulièrement, c’est sans conteste Tsui Hark. Auteur (et producteur) prolifique, capable de s’illustrer dans bien des genres parfois aux antipodes les uns des autres, Tsui Hark est notamment connu pour ses réjouissants films mettant en scène le célèbre personnage de Wong Fei-hong, incarné par Jet Li, les Il était une fois en Chine ; ces films, aussi hystériques dans leurs chorégraphies que dans leur humour, constituent un vrai type idéal du mélange entre kung fu et comédie, et, sauf erreur, ce fut par là que je découvris Tsui Hark.

 

Mais j’ai dû voir pour la première fois à peu près à la même époque ce Time and Tide, qui remporta un certain succès international. Tsui Hark y délaisse le kung fu pour les flingues, et livre ainsi un vrai modèle de film d’action teinté de comédie, à mille lieues, au hasard (…), des films de John Woo (produits par Tsui Hark, cependant, si je ne m’abuse ?), qui se prennent autrement au sérieux et ne m’ont du coup jamais pleinement satisfait. Ici, le fun se voit accorder une grande importance, et le résultat est un cocktail détonnant, qui laisse parfois un brin perplexe, mais emporte au final l’adhésion.

 

Disons-le tout net : le scénario n’est pas exactement le point fort de ce Time and Tide… Non content de tenir sur un ticket de métro, il s’avère passablement confus au(x) premier(s) visionnage(s), et ce n’est à vrai dire qu’en me le rematant pour la énième fois il y a quelques jours que j’ai eu l’impression, enfin, d’y comprendre quelque chose. Pour faire simple, disons que l’on y suit les destins entrecroisés de deux personnages bien différents, Tyler (Nicholas Tse, très beau gosse dans le genre petit minot, faut dire ce qui est) et Jack (Wu Bai, une gueule impressionnante). Le premier est un petit minable passablement bouffon, qui engrosse « par erreur » une policière lesbienne un soir de beuverie. Désireux de venir en aide à sa compagne d’un soir et future mère de son enfant, il se met à travailler pour son oncle, qui dirige une compagnie de sécurité privée illégale. Jack, de son côté, dont la femme est également enceinte, est un tueur redoutable, qui cherche plus ou moins à se ranger. La route des deux hommes se croisera à plusieurs reprises, et l’imbroglio débouchera sur leur implication mutuelle dans une affaire qui les dépasse, un règlement de comptes entre Jack et ses anciens employeurs, prêts à tout mettre à feu et à sang.

 

Mais, très franchement : on s’en fout. J’aimais déjà ce film sans rien y comprendre. Et on avouera de toute façon que même après un visionnage plus attentif afin de saisir un peu ce qui se passe, le jeu des coïncidences, des parallèles et des quiproquos est passablement artificiel et ne convainc pas pleinement. Pas grave : devant Time and Tide, on se demande, au fond, qui a besoin d’un scénario, dans la mesure où ce film semble s’en passer très bien.

 

C’est que son intérêt est ailleurs, dans ce mélange aussi détonnant qu’hystérique entre action pure et dure et comédie bouffonne, le tout sur un rythme endiablé assez caractéristique du réalisateur (pour ce que j’en ai vu tout du moins, mais il a semble-t-il également œuvré dans un registre plus « posé »). Servi par des acteurs très charismatiques, Time and Tide combine avec une maestria rare gunfights tout bonnement surréalistes et chorégraphiées au millimètre, et humour ravageur, dans un registre plus ou moins burlesque et qui ne rechigne pas à la parodie. C’est là ce qui fait toute la saveur de Time and Tide, un film qui a le bon goût de ne pas se prendre trop au sérieux. Exit le pathos à la John Woo, on est là pour s’amuser, en prendre plein les yeux et rire aux éclats. Et c’est peu dire que le contrat est rempli : le film enchaîne les séquences d’action les plus impressionnantes et les gags hilarants, et on en ressort le sourire aux lèvres, heureux de s’être pris une bonne grosse claque visuelle et d’avoir profité d’un grand spectacle incomparable, d’une légèreté aérienne.

 

Mais qu’on ne s’y trompe pas : si Time and Tide, et c’est donc à mon sens un de ses principaux atouts, sait ne pas se prendre trop au sérieux, il est par contre réalisé avec la plus grande attention, le moindre détail étant pensé au plus près pour livrer en définitive un spectacle ahurissant et proche de la perfection. La caméra de Tsui Hark y fait des merveilles, et, sur le plan technique, Time and Tide est au-dessus de tout reproche. De la photographie sublime (ces couleurs !) au montage au petit poil en passant par les chorégraphies hallucinantes, tout est au service du spectacle, et on en prend effectivement plein les yeux. À vrai dire, et le côté très secondaire du scénario ne fait que renforcer cette impression, on a presque le sentiment d’un film touchant, malgré son hystérie, à l’épure (je n’ai pas dit la sobriété…), ou en tout cas à l’abstraction (et y a « action » dedans, après tout). Time and Tide est un show qui laisse sur le cul, et secoue sans cesse le spectateur à coups de merveilles visuelles.

 

Superbement réalisé, avec une maestria qui n’appartient qu’aux plus grands, Time and Tide constitue ainsi un type idéal du film d’action, dépassant la seule sphère de Hong Kong pour lutter avec Hollywood sur son propre terrain, et tataner au final les productions ricaines (ou le pseudo-Hong Kong aseptisé d’un John Woo « passé à l’ennemi ») en montrant, tel un maître à ses élèves, toutes les possibilités offertes par le genre. C’est bien simple : si je ne devais retenir que deux films d’action dans toute l’histoire du cinéma, Time and Tide en ferait partie, seul à même de rivaliser avec le bien différent mais révolutionnaire en son temps Piège de cristal de John McTiernan. C’est que Tsui Hark y écrase la « concurrence », non seulement par son brio technique, mais aussi par son humour et son grain de folie, qui fait toute la différence.

 

N’en jetez plus : dans son genre, Time and Tide approche de la perfection (ne lui manquerait donc pour cela qu’un scénario digne de ce nom, peut-être, mais en l’état, on s’en tape), et constitue un grand spectacle à même de parler à ceux qui, en temps normal, ne prisent guère ces fusillades et cascades foisonnantes. Vous voulez en prendre plein les yeux ? Essayez-moi ça, vous m’en direz des nouvelles…

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"Le Grand Silence", de Sergio Corbucci

Publié le par Nébal

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Titre original : Il Grande Silenzio.

Réalisateur : Sergio Corbucci.

Année : 1968.

Pays : Italie / France.

Genre : Western spaghetti.

Durée : 105 min.

Acteurs principaux : Jean-Louis Trintignant, Klaus Kinski, Frank Wolff, Luigi Pistilli, Vonetta McGee…

 

Qu’on ne s’y trompe pas : même si je me suis lancé dans un cycle de lectures western, je n’ai qu’une culture très limitée dans le genre, notamment cinématographique. Bon nombre des grands classiques américains me sont totalement inconnus, honte sur moi ; et, malgré une certaine attirance pour leur violence baroque, il en va de même pour les westerns spaghettis : passés Sergio Leone (bien sûr), Django (du même Corbucci que le film qui nous intéresse aujourd’hui) et Keoma, je n’y connais tout simplement rien… C’est dire si j’ai des lacunes à rattraper.

 

Et parmi ces lacunes, Le Grand Silence se posait un peu là : le réalisateur de Django qui fait tourner ensemble ces deux monstres que sont Jean-Louis Trintignant et Klaus Kinski sur une musique d’Ennio Morricone, avouez, ça a de la gueule… Et cela faisait donc un sacré bout de temps que je comptais voir la chose ; il était plus que jamais nécessaire de franchir le pas : dont acte.

 

Nous sommes en hiver 1898 dans l’Utah enneigé. Du fait des manœuvres du banquier cupide (pléonasme) incarné par Luigi Pistilli, nombre de paysans se retrouvent réduits à la misère, et deviennent hors-la-loi dans l’arrière-pays. Mais ils deviennent ainsi la proie d’impitoyables chasseurs de primes, parmi lesquels on accordera une place toute particulière au cynique et violent Tigrero (Klaus Kinski, qui fait son Klaus Kinski, et est donc terrifiant). Ils ont cependant un homme pour les défendre, quelqu’un qui a une dent contre les chasseurs de primes : le muet surnommé Silence (Jean-Louis Trintignant, impressionnant de charisme et de pure beauté), fine gâchette qui ne tire cependant qu’en état de légitime défense. Bien évidemment, les deux hommes vont être amenés à s’affronter, à l’instigation de Pauline (Vonetta McGee), dont le mari a été assassiné par Tigrero, et qui compte bien obtenir vengeance… tandis que la nomination d’un nouveau shérif à Snow Hill (Frank Wolff) vient compliquer la situation.

 

Je ne vous cacherai pas que la première demi-heure m’a paru très rude, et m’a fait craindre le pire, bien loin de l’excellente réputation du film. Si Trintignant et Kinski m’ont tôt paru irréprochables, et si la célèbre musique d’Ennio Morricone est bien entendu superbe, le film me semblait pécher par trop d’aspects pour emporter mon adhésion. Dans sa tonalité très sérieuse, voire carrément noire, je n’ai pas retrouvé le « fun » baroque de Django ou de la « trilogie des Dollars », ce qui m’a tout d’abord quelque peu déconcerté… surtout dans la mesure où l’interprétation par les autres acteurs ne me paraissait pas à la hauteur (Frank Wolff n’étant d’ailleurs pas nécessairement mauvais, mais les aspects « comédie » de son personnage m’ont paru franchement déplacés), et plus encore en raison de ce scénario ultra-lapidaire et simpliste qui, disons-le franchement, m’a fait tout d’abord l’effet d’être con comme un boulon, et il est vrai encore desservi par des dialogues certes typiques du genre, avec moult « punchlines » à la clef, mais qui sonnaient à mes oreilles complètement bidons… La réalisation de Sergio Corbucci, en outre, me paraissait plus ou moins inspirée, avec ses mouvements de caméra parfois hasardeux, et ses tentatives maladroites pour mettre en valeur de bien jolis décors, certes, mais… Bref. Je n’y trouvais pas mon bonheur.

 

Mais Le Grand Silence fait partie de ces films rares qui, en partant sur des bases qu’on qualifiera charitablement de fragiles, parviennent à construire quelque chose de puissant. Au fur et à mesure que l’on avance dans le métrage, le film se montre de plus en plus convaincant, le resserrement de l’intrigue autour de Trintignant et Kinski y étant pour beaucoup. C’est dingue, mais oui : ça s’améliore progressivement. Et quand vient la fin, cette fin sublime (je parle de la « vraie », bien sûr, pas de la « fin alternative » plutôt risible qui figure également sur le DVD), ben, on est sur le cul, après s’être pris une énorme baffe.

 

Tout ceci, bien sûr, n’est qu’un témoignage de mon ressenti personnel. J’imagine qu’il s’en trouvera beaucoup pour crier au chef-d’œuvre dès les premières images. Ce ne fut pas mon cas, loin de là. Mais Le Grand Silence m’a bel et bien convaincu, en définitive, la fin rachetant le début, les maladresses que l’on peut toujours y constater étant largement gommées par des atouts indéniables – interprètes principaux, musique, propos et tonalité. Aussi, malgré ma déception initiale, je suis bien obligé de reconnaître que le film de Sergio Corbucci mérite la plupart des éloges qu’on lui adresse couramment, et constitue bien un sommet du western spaghetti.

 

Bon, j’en ai plein d’autres à voir, moi…

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Pub copinage : "Erolfino et le trésor de Gotland", de Sébastien Duranton

Publié le par Nébal

 

 


 

 

Hop, voici le trailer du nouveau film d'un ami très cher qui vient parfois écumer ce blog interlope. N'hésitez pas à vous rendre sur la page Facebook du film, et à participer vous-mêmes à cette grande aventure (ici).

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"La Bombe", de Peter Watkins

Publié le par Nébal

Culloden - La Bombe

 

 

Titre original : The War Game.

Réalisateur : Peter Watkins.

Année : 1965.

Pays : Grande-Bretagne.

Genre : Documentaire / Docu-fiction / Science-fiction / Drame / Guerre.

Durée : 48 min.

Acteurs principaux : Michael Aspel, Peter Graham, Kathy Staff, Peter Watkins…

 

Suite de mon cycle Peter Watkins avec La Bombe, un de ses films les plus célèbres. Il faut dire que ce second métrage réalisé par Watkins pour la BBC a été censuré pendant une vingtaine d’années… ce qui n’a à vrai dire pas grand-chose d’étonnant au vu de son sujet.

 

Le réalisateur, toujours aussi engagé, livre encore un « docu-fiction », certes – et dans la lignée de Culloden, dont il reprend bon nombre de procédés –, mais verse cette fois également dans la science-fiction (ou fiction spéculative, si l’on préfère). Il imagine ainsi un brusque « réchauffement » de la guerre froide : la Chine envahit le Sud-Vietnam, les États-Unis sont prêts à riposter avec des armes atomiques, la tension monte à Berlin… et la guerre nucléaire éclate (Watkins supposant d’ailleurs que les forces de l’OTAN seraient les premières à appuyer sur le bouton ; on ne se refait pas). La Bombe, dès lors, après nous avoir rapidement présenté ce contexte international, imagine ce qui se produirait dans le Kent, au sud-est de l’Angleterre, en cas de bombardement nucléaire.

 

Un film impitoyable – et sacrément couillu ; rien d’étonnant, une fois de plus, à ce que la BBC ait finalement décidé, peut-être sous pression, d’ailleurs, de ne pas le diffuser – qui dénonce tout d’abord l’impréparation de la Grande-Bretagne en cas de conflit atomique (ce qui, là encore, fait penser à Culloden ; sauf que pour le coup c’est le pays entier qui se retrouve dans la position des Highlanders…), impréparation débouchant sur des scènes surréalistes et des commentaires pour le moins cyniques (notamment au travers « d’interviews » inspirées de déclarations de membres de l’Église anglicane ou de spécialistes de la guerre nucléaire). La Bombe se situe entre Docteur Folamour et Atomic Café, mais sans en reprendre l’humour, quand bien même très noir ; ici, tout est horrible… Et le plus horrible est sans doute le réalisme, finalement, de la projection de Watkins, qui s’est inspiré de ce qui s’était produit à Hambourg, Dresde (et là, forcément, voir Abattoir 5), et bien sûr Hiroshima et Nagasaki.

 

On n’ose imaginer le traumatisme que ce film aurait pu susciter si la BBC l’avait projeté à l’époque. Le tableau que dresse Watkins de l’Angleterre d’alors est pour le moins édifiant… Et sa dénonciation, plus généralement, de la folie nucléaire de la guerre froide porte assurément. Le film a sans doute perdu un peu de sa force aujourd’hui, dans la mesure où son scénario-catastrophe ne s’est heureusement pas produit, mais il reste un documentaire fascinant sur l’état d’esprit de l’époque. Mais il n’a du coup pas « l’intemporalité », si j’ose dire, de Culloden, que j’ai, je crois un poil préféré.

 

Cela vaut également pour la réalisation : Watkins reprend ici ses procédés inspirés des actualités télévisées, et sa « caméra liberté » fait des miracles, notamment lors des scènes les plus frénétiques ; je le trouve cependant moins pertinent dans l’usage des voix-off et des interviews, sans trop savoir pourquoi – mais cela vient peut-être du moindre « décalage » : ce qui était particulièrement surprenant et audacieux dans Culloden semble ici couler de source…

 

La Bombe est bel et bien un bon film, et même un très bon film, a fortiori si on le replace dans son contexte ; mais il ne parvient que difficilement à s’en dégager, ce qui le rend un peu moins bon à mes yeux que ce qu’on a pu en dire. Il va néanmoins de soi que je vous encourage fortement à le regarder, d’autant qu’il a quelque chose d’unique, et se montre singulièrement glaçant… Quant à moi, je vais poursuivre mon cycle, probablement avec Punishment Park.

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